👁🗨 La peine de mort “possible” pour Assange
Si le génocide en cours à Gaza n'incite ni les cœurs ni les esprits de Washington à agir, il est fort peu probable qu'ils se soucient de ce qui arrive à Julian Assange.
👁🗨 La peine de mort “possible” pour Assange
Par Kellie Tranter, le 26 février 2024
L'affaire Assange a pris une sombre tournure
La semaine dernière, Declassified Australia a indiqué ne pas être certain que l'actuel gouvernement fédéral australien ou la ministre des Affaires étrangères Penny Wong ait accompli des démarches auprès du gouvernement britannique concernant les conditions d'une éventuelle extradition.
Mais voilà qu'un aveu remarquable a été fait devant la High Court du Royaume-Uni - et la plupart des médias du monde entier ne l'ont pas vu. Mais il a été rapporté par les journalistes affûtés des médias indépendants.
Le représentant légal du ministre de l'intérieur britannique, Ben Watson KC, n'a pas été en mesure de garantir à la High Court britannique, le 21 février dernier, qu'Assange ne risquerait pas la peine de mort s'il était extradé vers les États-Unis.
Le juge Jeremy Johnson de la Haute Cour a posé la question suivante :
“Si l'appelant est extradé, y a-t-il quelque chose qui empêche de modifier les charges d'aide et de complicité [de fuite] ?” Ben Watson KC, chargé de représenter le ministre de l'intérieur britannique, a répondu : “La réponse est non”.
“Pouvez-vous nous dire si ces chefs d'accusation seraient passibles de la peine de mort ?” a demandé M. Johnson. “En principe, oui”, a répondu Watson.
M. Johnson a demandé : “Y a-t-il quelque chose à faire pour empêcher que la peine de mort ne soit prononcée ? Il serait très difficile d'offrir des garanties pour garantir la non-application de la peine de mort”, a admis M. Watson.
Par conséquent, le gouvernement australien actuel ne peut avoir reçu aucune assurance verbale ou écrite à cet égard.
“Il serait très difficile d'offrir des garanties pour éviter que la peine de mort ne soit prononcée”.
L'avocate d'Assange, Jennifer Robinson, a réaffirmé ce point sur Democracy Now le 23 février 2024, en déclarant que :
“L'argument du gouvernement américain était : “Il est peu probable qu'il soit soumis à la peine de mort”. Puis le juge a posé la question suivante : “Est-il possible qu'il le soit ?” Il a répondu : “Oui.” Le juge a alors demandé : “Une garantie contre cette éventualité est-elle possible ? Et ils ont répondu : “Non.”
“Je pense qu'il y a pas mal de raisons pour les juges de creuser davantage. J'ai donc été assez surprise que le gouvernement américain n'ait pas été en mesure de répondre à certaines de ces questions, et qu'il ne s'y soit pas préparé”.
Auparavant, la position officielle de l'Australie avait été claire lorsque la ministre de la Défense de l'époque, Marise Payne, avait déclaré que l'Australie restait “totalement opposée” à la peine capitale et avait fait remarquer que le Royaume-Uni avait demandé, et non reçu, des garanties de la part des États-Unis que M. Assange ne serait pas exposé à une condamnation à mort s'il était envoyé dans ce pays. Elle a déclaré aux journalistes :
“La procédure d'extradition elle-même est une affaire entre les États-Unis et le Royaume-Uni, mais nous avons également reçu l'avis du Royaume-Uni. L'Australie (...) est totalement opposée à la peine de mort et c'est une position bipartite que nous avons continué à défendre”.
En revanche, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a rejeté avec condescendance les demandes des ministres Penny Wong et Richard Marles, ministre australien de la Défense, lors de la conférence de presse qui a suivi l'exercice militaire conjoint Talisman Sabre l'année dernière :
“Ce que notre ministère de la justice a déjà dit publiquement et à plusieurs reprises, c'est que M. Assange a été accusé d'un comportement criminel très grave aux États-Unis en lien avec son rôle présumé dans l'une des plus grandes compromissions d'informations classifiées de l'histoire de notre pays.
“Les actions qu'il est présumé avoir commises risquent de nuire très gravement à notre Sécurité nationale, au profit de nos adversaires, et mettent des sources humaines nommées en grave danger physique, en danger de détention.
“Je ne dis cela que parce que, tout comme nous comprenons les sensibilités ici, il est important que nos amis comprennent les sensibilités aux États-Unis.
“Je pense qu'il est très important que nos amis ici comprennent nos préoccupations à ce sujet... M. Assange a été accusé d'une conduite criminelle très grave aux États-Unis.”
L'inculpation pour Vault 7 est toujours possible
Comme par hasard, cette caractérisation de la conduite d'Assange correspond assez bien aux dispositions de l’Espionage Act qui prévoient une peine de mort potentielle.
La perspective qu'un citoyen australien, journaliste et éditeur, soit extradé vers les États-Unis - notre principal allié - avec une possible condamnation à mort contraste fortement avec la position bipartite de l'Australie et le large consensus mondial sur cette question, et doit forcer la main du gouvernement. Il n'a pas d'autre choix que de résoudre cette question politiquement, et de toute urgence.
En 2018, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jeremy Hunt, et son prédécesseur Boris Johnson, ont tous deux signé des lettres envoyées au président équatorien, datées respectivement du 7 mars 2018 et du 10 août 2018, confirmant que, conformément à la législation britannique, une personne ne peut être extradée si elle risque la peine de mort. Les lettres étaient pratiquement identiques :
“Vous avez exprimé votre inquiétude sur le fait que, si Julian Assange était extradé du Royaume-Uni, il y aurait un risque qu'il soit soumis à la peine de mort. Je peux confirmer qu'en vertu du droit britannique, l'extradition d'une personne ne peut être ordonnée si la personne concernée est passible de la peine de mort”.
Il ne fait aucun doute que le gouvernement équatorien s'est appuyé sur ces garanties lorsqu'il a décidé d'expulser Assange de l'ambassade équatorienne en 2019. Ces assurances écrites - fournies par un gouvernement à un autre - étaient en réalité fausses et dénuées de sens.
“Si Julian est extradé et inculpé de charges supplémentaires pour la divulgation de Vault 7 [arsenal de surveillance et d’espionnage de la cIA divulgué par Wikileaks en 2017], cela pourrait donner lieu à des accusations supplémentaires passibles de la peine de mort pour aide et complicité avec l'ennemi.”
Le gouvernement américain n'a pas encore inculpé Julian Assange pour les publications de 2017 intitulées “Vault 7 CIA Hacking Tools” (Outils de piratage de la CIA), bien que ces publications aient été le catalyseur des plans de la CIA visant à le tuer ou à l'enlever de l'ambassade d'Équateur la même année, et à qualifier Wikileaks de “service de renseignement hostile non étatique”.
Il est peu probable que les publications de Vault 7 aient échappé à l'esprit collectif de Washington. Comme l'a rapporté le journaliste américain chevronné Chris Hedges le 21 février 2024, Edward Fitzgerald, l'avocat principal d'Assange, a déclaré au tribunal :
“Si Julian est extradé et inculpé pour la publication de Vault 7, il pourrait faire l'objet d'accusations supplémentaires passibles de la peine de mort pour avoir aidé et encouragé l'ennemi.”
Trop peu, trop tard
Les fonctionnaires de la Haute Commission australienne qui ont assisté à la procédure judiciaire de Julian Assange devant la High Court du Royaume-Uni à Londres les 20 et 21 février 2024 ont appris que Julian Assange était trop souffrant pour y assister, et que les États-Unis maintiennent qu'il ne bénéficie pas de la protection du Premier Amendement, même si la Déclaration des droits des États-Unis ne restreint pas spécifiquement le droit à la liberté d'expression aux citoyens américains.
Ils ont également appris que les États-Unis avaient prévu d'enlever et/ou d'assassiner M. Assange, ce qui n'a pas été démenti, et qu'il pourrait faire l'objet d'accusations supplémentaires susceptibles d'entraîner la peine de mort, les États-Unis n'étant pas en mesure d'offrir les garanties du contraire.
Nils Melzer, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, a noté dans “L' affaire Assange: histoire d'une persécution politique”, que lors de la dernière audience, trois sièges réservés à la représentation diplomatique australienne - la Haute Commission australienne - sont restés vacants. La présence de représentants de la Haute Commission australienne à l'audience de la semaine dernière représente donc au moins un changement positif. Ou une préoccupation croissante.
Plus positif encore, le Premier ministre Anthony Albanese a déclaré publiquement qu'il avait travaillé avec l'équipe juridique de Julian Assange pour élaborer une stratégie visant à libérer ce dernier :
“Je me suis régulièrement entretenu avec son équipe juridique afin d'élaborer une stratégie pour tenter de surmonter cette épreuve et d'en sortir, dans l'intérêt d'Assange.”
Reste à savoir si cela implique un accord ou une solution politique. Cependant, Declassified Australia n'a pas été en mesure de confirmer auprès de l'équipe juridique d'Assange l'existence ou la nature précise d'une quelconque “stratégie”.
Pas de changement dans l’attitude des États-Unis
Tout cela fait suite à plusieurs événements importants : l'adoption par le Parlement australien d'une motion indépendante demandant de mettre un terme à cette affaire, l'envoi par un groupe bipartisan de membres du Congrès américain d'une lettre au président américain Joe Biden l'avertissant qu'il risquait de nuire à l'alliance entre les États-Unis et l'Australie, et d'affaiblir la liberté de la presse si son administration n'abandonnait pas la poursuite d'Assange, et enfin le recours au nouveau cabinet d'avocats Squire Patton Boggs pour faire directement pression sur le ministère de la Justice au nom d'Assange.
Mais le message passe-t-il à Washington ?
Bruce Wolpe, Senior Fellow au United States Studies Centre (USSC), n'a pas révélé qui l’avait informé à Washington, mais il a déclaré que l'attitude des États-Unis à l'égard d'Assange n'avait absolument pas changé.
Il y a trois jours à peine, il a révélé à l'émission Afternoon Briefing de la chaîne ABC
que “nous n'avons pas encore pris de décision définitive à ce sujet, et tant qu'il reste du temps et des possibilités, il y a encore de l'espoir. Mais le fait est que les avocats de Merrick Garland devant la High Court de Londres ont présenté les arguments les plus rigoureux, reprenant tout ce dont Julian Assange a été accusé en demandant à la Cour de l'extrader vers les États-Unis. Il n'y a donc pas eu de différence entre ce qui était et ce qui est en ce qui concerne la position publique du ministère de la Justice.
“J'ai également effectué quelques sondages à Washington : l’attitude politique a-t-elle changé ? Et malheureusement, la réponse est non [c'est moi qui souligne]. Il n'y a pas eu de nouvelles déclarations de la part de hauts responsables républicains ou démocrates et, en ce qui concerne les Républicains, Assange a été inculpé en vertu d'une politique élaborée par le président Trump au cours de son administration et par son avocat, Bill Barr, et il n'y a eu aucun changement de leur part. Je n'ai vu aucun Démocrate de premier plan s'exprimer à ce sujet.
Pour l'instant, je pense que les choses sont bloquées. Il y aura sans doute une opportunité après le verdict (si celui-ci prévoit l'extradition) avant que l'extradition n'ait lieu. Ce sera le moment de voir s'il y a vraiment un espoir de clémence pour Julian Assange”.
La “justice britannique” et l'influence de l'Australie pèsent lourd dans la balance
Il y a peut-être une lueur d'espoir que la “justice britannique” finisse par s'imposer face à l'incapacité des États-Unis à donner à la High Court des garanties contre la peine de mort, mais c'est loin d'être suffisant pour protéger correctement Julian Assange de la persécution américaine en cours.
Cela ne peut se faire que si notre gouvernement australien fait preuve de courage moral en pressant les États-Unis d'abandonner leur demande d'extradition, si nécessaire en se référant à notre Alliance permanente.
À défaut - et il est peu probable que les États-Unis abandonnent, même si notre gouvernement intervient comme il se doit -, le gouvernement australien doit faire beaucoup plus - tout ce qui est en son pouvoir - pour fournir à M. Assange une véritable assistance diplomatique et juridique afin de mettre un terme à la quête de vengeance des États-Unis.
Des pays du monde entier se sont ouvertement moqués de l'hypocrisie de la vendetta américaine contre Assange et ont appelé à sa libération. Les actions de l'Australie détermineront si elle est perçue par les autres pays comme une “puissance intermédiaire” crédible, ce qu'elle aspire à être, ou si elle est irrémédiablement soumise aux États-Unis, comme son inaction l'a fait apparaître jusqu'à récemment.
* Kellie Tranter est avocate, chercheuse et défenseur des droits de l'homme. Elle tweete sur @KellieTranter.
https://declassifiedaus.org/2024/02/26/assange-death-penalty-possible/