đâđš âLa place d'IsraĂ«l dans l'espace public mondialâ
IsraĂ«l est bien trop enclin aux guerres sans fin, Ă la rĂ©pression, Ă la discrimination institutionnalisĂ©e et Ă la violence pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme autre chose qu'une expĂ©rience ratĂ©e.
đâđš âLa place d'IsraĂ«l dans l'espace public mondialâ
L'Ătat sioniste, comme les Ătats-Unis, ne peut survivre.
Par Patrick Lawrence, le 11 février 2024
On apprend que les propagandistes israĂ©liens ont inventĂ© de toutes piĂšces des histoires selon lesquelles les membres du Hamas se seraient livrĂ©s Ă des viols et Ă des violences sexuelles âsystĂ©matiquesâ lorsqu'ils ont franchi la frontiĂšre entre Gaza et le sud d'IsraĂ«l, il y a quatre mois cette semaine. Nombre de ces rĂ©cits Ă©taient invraisemblables, mais peu importe : de nombreux mĂ©dias occidentaux ont fait Ă©tat de la âmilitarisationâ de la violence sexuelle par le Hamas. Le phĂ©nomĂšne a dĂ©sormais son propre acronyme. Ceux qui considĂšrent ces informations comme crĂ©dibles les appellent dĂ©sormais CRSV, pour conflict-related sexual violence (violences sexuelles liĂ©es aux conflits).
De quoi vous dégoûter définitivement des acronymes.
De puissants et convaincants exposés ont été consacrés à ces productions de propagande israélienne à l'intention des correspondants occidentaux, destinées aux yeux, aux oreilles et à l'esprit de leurs lecteurs et téléspectateurs. Je citerai ici le travail de Mondoweiss, qui couvre les développements en Israël et en Palestine, et celui de The Grayzone, qui couvre Israël, la Palestine et bien d'autres choses encore. Retournons ce phénomÚne pour le voir sous un autre angle. Demandons-nous alors dans quelle mesure Israël pollue ce que j'appellerai l'espace public mondial pour assurer sa survie. Question complémentaire : Israël peut-il survivre dans l'espace public mondial ?
Le récent verdict de la Cour internationale de justice sur le génocide à Gaza est un révélateur utile pour y apporter une réponse.
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Deux jours avant que la CIJ ne statue, le 26 janvier, sur la présentation par l'Afrique du Sud de preuves plausibles de la conduite génocidaire d'Israël à Gaza et sur la nécessité d'engager une procédure judiciaire, le gouvernement sioniste a affirmé avoir déclassifié prÚs de trois douzaines de documents - procÚs-verbaux du Cabinet, ordres internes, notes consultatives - suggérant que son intention a toujours été de limiter le nombre de victimes parmi les Palestiniens de Gaza. L'un de ces documents - ces prétendus documents, plutÎt, se lit en partie comme suit :
âLe Premier ministre a soulignĂ© Ă maintes reprises la nĂ©cessitĂ© d'augmenter de maniĂšre significative l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.â
Et dans un autre document :
âIl est recommandĂ© de rĂ©pondre favorablement Ă la demande des Ătats-Unis de permettre l'entrĂ©e de carburant.â
Les Israéliens ont laissé le New York Times consulter des copies de ces textes - de prétendues copies de prétendus textes. Pour autant que nous le sachions, aucune personne ou organisation autre que la CIJ n'y a eu accÚs. Le Times, comme il en a l'habitude chaque fois qu'il couvre Israël, a rendu compte de ces prétendues copies de prétendus documents en faisant preuve d'une crédulité béate. Il n'a jamais remis en question leur provenance ni leur authenticité - une négligence facile à comprendre, mais difficile à pardonner.
Relisez attentivement ces passages. Pouvez-vous imaginer une situation oĂč un ministre israĂ©lien ou un autre reprĂ©sentant du gouvernement ferait de telles remarques lors d'une rĂ©union de Cabinet Ă huis clos ou dans un mĂ©morandum interne ? Je n'y parviens pas. J'interprĂšte cet exercice de âdĂ©classificationâ de derniĂšre minute comme une propagande grossiĂšre en prĂ©vision de la dĂ©cision de La Haye. Ma prĂ©diction : nous n'entendrons plus jamais parler de ces âdocumentsâ, qui mĂ©ritent bien d'ĂȘtre mis entre guillemets.
ImmĂ©diatement aprĂšs la dĂ©cision de La Haye en dĂ©faveur d'IsraĂ«l, peu aprĂšs le rapport du Times sur les prĂ©tendues copies des prĂ©tendus procĂšs-verbaux et mĂ©mos, le rĂ©gime d'apartheid a affirmĂ© qu'il avait la preuve qu'une douzaine d'employĂ©s de l'Office de secours et de travaux des Nations unies, responsable du bien-ĂȘtre des Palestiniens Ă Gaza et ailleurs dans la rĂ©gion, avaient participĂ© aux incursions dans le sud d'IsraĂ«l menĂ©es par les milices du Hamas le 7 octobre de l'annĂ©e derniĂšre.
Cette fois-ci, les preuves - les prétendues preuves - proviennent de plusieurs sources. Il y aurait les interceptions de téléphones portables. On y trouverait des aveux supposés de Palestiniens capturés par les Forces de défense israéliennes pendant ou aprÚs les événements du 7 octobre. En outre, les Israéliens prétendent avoir établi un recoupement entre une liste du personnel de l'Office de secours et de travaux et une liste de membres du Hamas qu'ils affirment avoir trouvée sur un ordinateur au cours de leur campagne terrestre dans la bande de Gaza.
LĂ encore, aucun responsable ou mĂ©dia occidental n'a soulevĂ© la moindre question quant Ă la vĂ©racitĂ© des âpreuvesâ israĂ©liennes. Les IsraĂ©liens ont un long et sordide palmarĂšs en matiĂšre de torture et d'aveux de Palestiniens captifs. Ils disposent d'une machine de propagande qui n'a rien Ă envier Ă celle de n'importe quel pays, qui coiffe mĂȘme au poteau. Ces rĂ©alitĂ©s ne sont pas mentionnĂ©es. Personne n'a encore prouvĂ© la vĂ©racitĂ© des allĂ©gations d'IsraĂ«l. NĂ©anmoins, prĂšs de 20 nations - dont la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France, les Pays-Bas, l'Italie, la Suisse, la Finlande, l'Australie, le Canada et le Japon - ont suivi l'exemple du rĂ©gime Biden en supprimant le financement de Relief and Works.
Samedi, le Times a publiĂ© un article citant longuement le directeur de Relief and Works Ă Gaza, Philippe Lazarini, qui fournit un compte rendu crĂ©dible des conditions dans lesquelles son agence travaille et des procĂ©dures qu'elle suit pour empĂȘcher le personnel de collaborer avec le Hamas. NĂ©anmoins, Ă l'heure oĂč nous Ă©crivons ces lignes, l'agence prĂ©voit qu'elle ne sera pas en mesure de fonctionner d'ici la fin du mois de fĂ©vrier. Famine, carences, maladies, dĂ©shydratation chronique : la catastrophe est dĂ©sormais imminente. Comme le note Jonathan Cook dans un remarquable article du 30 janvier, les Ătats-Unis et ceux qui les soutiennent ne sont plus seulement complices du gĂ©nocide israĂ©lien : ils sont dĂ©sormais partie prenante.
Il est important Ă ce stade de distinguer ce que nous savons et ce que nous ignorons de la rĂ©action d'IsraĂ«l Ă l'arrĂȘt de la CIJ. Nous ne pouvons pas ĂȘtre entiĂšrement certains que l'Ătat sioniste a prĂ©sentĂ© des preuves falsifiĂ©es Ă La Haye, mĂȘme si c'est trĂšs probablement le cas. Nous ne connaitrons sans doute jamais le contenu des dites interceptions tĂ©lĂ©phoniques, ou savoir si de telles interceptions ont effectivement existĂ©. Nous ne pouvons pas savoir avec certitude comment les enquĂȘteurs israĂ©liens ont obtenu les aveux des Palestiniens captifs, ni s'ils ont effectivement obtenu des aveux, ni si les Forces de dĂ©fense israĂ©liennes possĂšdent une quelconque liste de membres du Hamas, comme le prĂ©tendent les IsraĂ©liens, et si elles ont procĂ©dĂ© Ă des recoupements, comme ils lâaffirment Ă©galement. Je confirme mon scepticisme quant Ă lâexistence des fameux comptes rendus d'IsraĂ«l, mais il est manifeste qu'ils restent trop opaques pour ĂȘtre Ă©valuĂ©s en toute confiance.
L'arrĂȘt de la Cour mondiale et la rĂ©ponse prĂ©liminaire d'IsraĂ«l n'en sont pas moins rĂ©vĂ©lateurs - aussi clairs qu'un agent chimique fait disparaĂźtre une solution contenant des solides en suspension. Nous savons maintenant deux choses, parfaitement claires. PremiĂšrement, IsraĂ«l, avec le soutien des Ătats-Unis et des divers poissons pilotes dans leur sillage, a commencĂ© - ou relancĂ©, pour ĂȘtre plus prĂ©cis - une attaque concertĂ©e contre l'ONU, la justice mondiale et, plus gĂ©nĂ©ralement, l'espace public international.
DeuxiÚmement, si cette stratégie nous apprend quelque chose, c'est que ni les Israéliens ni leurs soutiens occidentaux n'ont la moindre idée de l'heure qu'il est à l'horloge de l'histoire. Ils ne comprennent pas que l'espace public international fait l'objet d'un processus de restructuration. John Whitbeck, avocat international et chroniqueur à Paris, a replacé les événements du mois dernier dans leur contexte historique comme personne. Il a écrit dans sa lettre d'information :
âDe jour en jour, on constate que notre monde se restructure Ă long terme en deux nouveaux blocs gĂ©opolitiques, fondĂ©s principalement, voire exclusivement, sur les divisions historiques entre Ătats colonisateurs et Ătats colonisĂ©s et sur les divisions ethniques et culturelles entre Ătats âblancsâ et Ătats ânon-blancsâ.
D'un cĂŽtĂ©, un nouvel empire du mal (l'empire israĂ©lo-amĂ©ricain), assistĂ© de ses fidĂšles et serviles valets d'Europe et de l'anglosphĂšre coloniale. De l'autre, un nouveau monde libre, englobant des pays aux cultures et aux systĂšmes de gouvernance interne trĂšs divers, Ă la fois dĂ©sireux et capables de s'opposer et de rĂ©sister Ă la domination du Nouvel Empire du Mal et, plus gĂ©nĂ©ralement, d'affirmer leur propre libertĂ©, leur souverainetĂ© et leurs prĂ©fĂ©rences nationales....â
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Itamar Ben-Givr, ministre israĂ©lien de la sĂ©curitĂ© nationale et l'une des personnalitĂ©s les plus rĂ©pugnantes du pays, s'est exprimĂ© sur les rĂ©seaux sociaux aprĂšs l'annonce de la dĂ©cision de la CIJ en prononçant deux mots que ceux qui connaissent les expressions familiĂšres juives reconnaĂźtront facilement : âHague Schmagueâ, a-t-il postĂ© sur la plate-forme de messagerie X.
Hormis ce degrĂ© de grossiĂšretĂ© de la part d'un fonctionnaire de rang ministĂ©riel, il n'y a rien de surprenant Ă cela. Les colonies illĂ©gales, les mauvais traitements criminels infligĂ©s aux Palestiniens, les actes de torture, les assassinats et les opĂ©rations secrĂštes ... : la liste des transgressions du droit international par IsraĂ«l est longue. Depuis la guerre des Six Jours en 1967, IsraĂ«l a enfreint plus de 30 rĂ©solutions du Conseil de sĂ©curitĂ©. Alors que les IsraĂ©liens ignorent la dĂ©cision de la CIJ et poursuivent leur campagne d'extermination de la population palestinienne de Gaza, cette attitude est tout Ă fait conforme au comportement de âl'Ătat juifâ depuis sa crĂ©ation, au beau milieu des massacres et des dĂ©placements forcĂ©s - la Nakba, soitâla Catastropheâ, comme l'appellent les Palestiniens - qui ont commencĂ© il y a 76 ans (mais qui n'ont jamais pris fin).
L'espoir que les dirigeants d'IsraĂ«l, aussi extrĂ©mistes que psychotiques, puissent reconnaĂźtre que l'ordre mondial est en train de changer, que la dĂ©cision de la CIJ en tĂ©moigne et qu'une nouvelle approche est nĂ©cessaire, n'est qu'un vĆu pieux. Aucune chance que cela arrive. L'amĂšre vĂ©ritĂ© est qu'IsraĂ«l, tel qu'il a Ă©tĂ© constituĂ© en 1948, ne peut survivre dans l'espace public international. Il est trop attachĂ© au sionisme, qui reprĂ©sente prĂ©cisĂ©ment l'idĂ©ologie raciste que les Nations unies ont proclamĂ©e, il n'y a pas cinquante ans, dans la rĂ©solution 3379 de leur AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. En outre, IsraĂ«l est bien trop enclin aux guerres sans fin, Ă la rĂ©pression, Ă la discrimination institutionnalisĂ©e et Ă la violence pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme autre chose qu'une expĂ©rience ratĂ©e. La rĂ©solution 3379, rĂ©voquĂ©e en 1991 sous la forte pression des Ătats-Unis, devrait ĂȘtre rĂ©tablie pour tenir compte de cette rĂ©alitĂ©.
La nĂ©gation du bien fondĂ© de l'espace public mondial constitue un aspect essentiel du lien qu'IsraĂ«l partage - ou plutĂŽt exploite - avec les Ătats-Unis. Que penser de la liste des gĂ©nocides commis par l'AmĂ©rique - avec le dĂ©placement des AmĂ©rindiens par Jackson, la âPiste des larmesâ [ en cherokee : Nunna daul Isunyi - est le nom donnĂ© au dĂ©placement forcĂ© de plusieurs peuples natif amĂ©ricains par les Ătats-Unis entre 1831 et 1838], Ă la fin des annĂ©es 1830 ? Que dire de son mĂ©pris du droit international, avec l'annexion du Texas et la guerre amĂ©ricano-mexicaine de 1846-1848 ? Plus proche dans le temps, la situation a pris une tournure plus explicite. En 2002, peu aprĂšs avoir envahi l'Afghanistan, les Ătats-Unis ont adoptĂ© l'American Service-Members Protection Act, Ă©galement connu sous le nom de Hague Invasion Act. Cette loi proclame unilatĂ©ralement que le personnel militaire amĂ©ricain est Ă l'abri de toute poursuite devant des tribunaux tels que la CIJ. Joe Biden, alors sĂ©nateur, Ă©tait un fervent partisan de ce projet de loi.
Peu aprĂšs les Ă©vĂ©nements du 7 octobre, les IsraĂ©liens se sont mis Ă baptiser lâĂ©vĂ©nement âle 11 septembre d'IsraĂ«lâ, en rĂ©fĂ©rence aux attentats de New York et Washington en 2001. C'est selon moi une notion trop thĂ©Ăątrale pour ĂȘtre prise au sĂ©rieux, Ă l'exception d'un dĂ©nominateur commun Ă ces Ă©vĂ©nements. IsraĂ«l et les Ătats-Unis partagent lâobsession de la sĂ©curitĂ© totale, se croyant tous deux Ă l'abri des intrusions d'autrui. Les Ă©vĂ©nements du 7 octobre ont arrachĂ© IsraĂ«l Ă cette illusion, tout comme le 11 septembre y a mis fin pour les AmĂ©ricains. Tous deux ont dĂ©couvert, en ces occasions, que la sĂ©curitĂ© totale et l'immunitĂ© face Ă l'histoire et aux tempĂȘtes qui l'accompagnent inĂ©vitablement n'existent pas.
Deux nations habitĂ©es par le syndrome du âpeuple Ă©luâ, pour le dire autrement, ont dĂ©couvert qu'elles n'Ă©taient pas plus Ă©lues que les autres. On peut aisĂ©ment imaginer les chocs psychologiques qui ont poussĂ© l'une et l'autre Ă des rĂ©actions extrĂȘmes, irrationnellement violentes, lorsque ces certitudes ont Ă©tĂ© bousculĂ©es. Selon moi, IsraĂ«l est sur le point de devoir faire face Ă cette amĂšre vĂ©ritĂ© que les AmĂ©ricains ont Ă©ludĂ©e jusque-lĂ : la sĂ©curitĂ© totale n'existant pas, sa quĂȘte est non seulement vouĂ©e Ă l'Ă©chec, mais Ă©galement Ă la destruction du peuple ou de la nation concernĂ©e.
Le sionisme est une variante de la prĂ©tention amĂ©ricaine Ă l'exceptionnalisme. Dans leurs rĂ©ponses Ă la dĂ©cision judiciaire rendue Ă La Haye il y a deux semaines, IsraĂ«l et les Ătats-Unis ont montrĂ© leur intention de persister Ă affirmer qu'ils sont font exception aux lois et aux normes de la communautĂ© internationale. Malheureusement, mais pas tragiquement - la tragĂ©die implique une purification, une souffrance menant Ă une forme de rĂ©demption -, ils ont mal interprĂ©tĂ© notre Ă©poque. Le sionisme peut-il survivre Ă cette erreur ? Au prix d'une violence toujours plus extrĂȘme ? IsraĂ«l peut-il survivre Ă l'erreur du sionisme ? Doit-il le faire ? Telles sont les questions en suspens.