đâđš La police israĂ©lienne rĂ©prime les manifestations contre la guerre d'une âpoigne de ferâ, selon des militants
âLes gens sont menottĂ©s, traĂźnĂ©s comme des bĂȘtes. Si on lĂšve la tĂȘte on est frappĂ© la tĂȘte. Si un gardien surprend un sourire, il emmĂšne la personne dans lââangle mortâ connu de tous les prisonniersâ.
đâđš La police israĂ©lienne rĂ©prime les manifestations contre la guerre d'une âpoigne de ferâ, selon des militants
Par Oren Ziv, le 24 janvier 2024
Depuis le 7 octobre, la police israélienne a systématiquement interdit, limité et attaqué les manifestations contre l'assaut de l'armée israélienne sur Gaza, instillant un sentiment de peur parmi les citoyens juifs et palestiniens.
Dans la soirĂ©e du 16 janvier, plusieurs dizaines de militants se sont rassemblĂ©s devant la Kirya Ă Tel-Aviv, oĂč se trouvent le ministĂšre de la DĂ©fense et le quartier gĂ©nĂ©ral de l'armĂ©e israĂ©lienne. Il s'agissait de l'une des premiĂšres manifestations juives-israĂ©liennes condamnant explicitement l'assaut militaire contre la bande de Gaza depuis le dĂ©but de la guerre, et la police a agi rapidement pour la rĂ©primer : des dizaines d'officiers ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s d'avance, et interdit la manifestation Ă l'endroit prĂ©vu. Ils ont confisquĂ© les pancartes sur lesquelles on pouvait lire âArrĂȘtez le massacreâ au motif qu'elles dĂ©rangent l'opinion publique. Un militant a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et plusieurs autres agressĂ©s par la police.
Ces Ă©vĂ©nements sont loin d'ĂȘtre exceptionnels. Depuis le 7 octobre, la police israĂ©lienne applique une ligne politique visant Ă empĂȘcher ou Ă limiter toute manifestation contre la guerre, contrairement aux manifestations de solidaritĂ© avec les otages et leurs familles, autorisĂ©es dans certains quartiers. Cette politique est toujours en vigueur bien que la Cour suprĂȘme d'IsraĂ«l ait Ă©mis une injonction provisoire au dĂ©but du mois interdisant au ministre de la SĂ©curitĂ© nationale, Itamar Ben Gvir, d'interfĂ©rer avec le maintien de l'ordre lors des manifestations. Dans une large mesure, la police semble nĂ©anmoins appliquer la rĂ©pression de la libertĂ© d'expression souhaitĂ©e par le ministre.
Les militants anti-guerre de tout le pays - citoyens palestiniens comme juifs - qui ont Ă©tĂ© interrogĂ©s pour cet article ont tous mentionnĂ© un mot : la âpeurâ. MĂȘme des militants politiques aguerris affirment qu'ils n'ont jamais eu aussi peur de manifester. Ils ont peur d'ĂȘtre arrĂȘtĂ©s, ce qui, pour les citoyens palestiniens, peut signifier des mois de prison. Plus que jamais, il est dangereux de tĂ©moigner ouvertement sa solidaritĂ© avec la population de Gaza, et ils estiment que la rhĂ©torique belliqueuse des politiciens a un impact direct sur le comportement de la police.
âDĂšs les premiers jours de la guerre, il Ă©tait clair que c'Ă©tait une politique ostensibleâ, a dĂ©clarĂ© Ă +972 et Ă Local Call Maysana Mourani, avocate au centre juridique et de dĂ©fense des droits de l'homme Adalah, Ă HaĂŻfa. La police sâest vue confĂ©rer de nouveaux pouvoirs pour rĂ©primer sans attendre les manifestations, mĂȘme lorsqu'un permis de manifester n'est pas requis, en raison de son prĂ©tendu âmanque d'effectifsâ.
Adalah a saisi la Cour suprĂȘme Ă plusieurs reprises depuis le 7 octobre pour contester ces interdictions policiĂšres du droit de manifester. MalgrĂ© l'intervention de la Cour au dĂ©but du mois, elle n'est pas intervenue Ă de nombreuses autres occasions, ce qui signifie que la police a eu toute latitude pour dĂ©cider des manifestations Ă autoriser. âTout dĂ©pend de l'identitĂ© des manifestants, et du type de slogansâ, a dĂ©clarĂ© M. Mourani.
âPour les tribunaux, chaque acte de protestation reprĂ©sente un dangerâ, a-t-elle poursuivi. âLes gens sont systĂ©matiquement placĂ©s en dĂ©tention pour quelques jours et, trĂšs vite, cela se transforme en acte d'accusation et en dĂ©cision de les maintenir en dĂ©tention jusqu'Ă la fin de la procĂ©dure. C'est complĂštement dĂ©rĂ©glĂ©, c'est la nouvelle norme.â
âLa rĂšgle pour la police est de rĂ©primer chaque manifestationâ, a dĂ©clarĂ© Ă +972 Amjad Shbita, secrĂ©taire national du parti de gauche Hadash. Le 9 janvier, le Hadash a tentĂ© d'organiser une manifestation dans la ville de Kaboul, au nord du pays : sachant que le nombre de participants aurait Ă©tĂ© infĂ©rieur Ă 50 personnes, il n'Ă©tait pas nĂ©cessaire d'obtenir une autorisation. Quoi qu'il en soit, la manifestation a Ă©tĂ© interrompue avant mĂȘme d'avoir commencĂ©.
âLa police a arrĂȘtĂ© le secrĂ©taire de la section locale de Hadash et l'a menacĂ©, si bien que nous avons renoncĂ©. La section a annulĂ© la manifestation.â
Certaines restrictions semblent s'ĂȘtre lĂ©gĂšrement assouplies au cours des derniĂšres semaines. Ă Arraba, une autre ville arabe du nord, un rassemblement anti-guerre d'environ 150 personnes a eu lieu le 12 janvier, le plus grand rassemblement organisĂ© par des Palestiniens Ă l'intĂ©rieur d'IsraĂ«l depuis le dĂ©but de la guerre.
Le week-end dernier, des manifestations plus importantes Ă HaĂŻfa et Ă Tel Aviv - que la police avait initialement interdites au motif qu'elle n'avait pas les effectifs nĂ©cessaires pour les sĂ©curiser - ont Ă©tĂ© autorisĂ©es Ă la suite de requĂȘtes dĂ©posĂ©es auprĂšs de la Cour suprĂȘme. Plus de 1 000 personnes ont participĂ© au rassemblement de Tel Aviv, organisĂ© par le mouvement judĂ©o-arabe Standing Together, tandis que la police a limitĂ© Ă 700 personnes le rassemblement organisĂ© par Hadash Ă HaĂŻfa.
NĂ©anmoins, les personnes interrogĂ©es ont le sentiment qu'il s'agit dâĂ©volutions marginales. âLa police s'est un peu calmĂ©eâ, a dĂ©clarĂ© Shbita, âmais on perçoit toujours sa poigne de ferâ.
Ils essaient de nous intimider
La répression des manifestations, en temps de guerre ou non, n'est pas un phénomÚne nouveau pour la police israélienne. Mais les attaques actuelles contre la liberté d'expression sont menées avec une rapidité et une violence sans précédent.
Une semaine aprĂšs le dĂ©but de la guerre, le commissaire de police Kobi Shabtai a annoncĂ© l'interdiction des manifestations de solidaritĂ© avec les Palestiniens de Gaza. âQuiconque souhaite s'identifier Ă Gaza est le bienvenuâ, a-t-il dĂ©clarĂ© dans une vidĂ©o publiĂ©e sur les pages sociales en arabe de la police israĂ©lienne ; âNous les placerons dans les bus qui s'y rendent actuellementâ.
Le porte-parole de la police, Eli Levy, s'est fait l'écho de ce sentiment peu aprÚs, en déclarant à la radio de l'armée israélienne :
âĂ quiconque ose demander la permission d'organiser une manifestation de soutien Ă Gaza ou Ă l'organisation terroriste nazie qui a commis l'Holocauste ici - Ă©videmment, nous ne l'autoriserons pas. Ă quiconque tente dâorganiser des manifestations sans autorisation, nous viendrons et nous nous occuperons de la manifestation avec tous les moyens dont nous disposonsâ. Il a ajoutĂ© : âQuiconque ose sortir et dire un mot Ă la gloire de Gaza se retrouvera derriĂšre les barreauxâ.
Le 7 novembre, la Cour suprĂȘme a rejetĂ© la requĂȘte d'Adalah contre la dĂ©cision de la police de ne pas accorder de permis de manifester aux Palestiniens dans les villes d'Umm al-Fahm et de Sakhnin en raison d'un âmanque dâeffectifsâ. La Cour a toutefois dĂ©clarĂ© qu'âune interdiction gĂ©nĂ©ralisĂ©e et radicale d'interdire Ă l'avance des manifestations en raison de leur contenu ne relĂšve pas de l'autoritĂ© du commissaire de policeâ et a insistĂ© pour que chaque demande d'autorisation soit dĂ»ment examinĂ©e. Pourtant, malgrĂ© ces directives, lâensemble des manifestations organisĂ©es par des citoyens palestiniens d'IsraĂ«l depuis le 7 octobre ont Ă©tĂ© interdites, Ă l'exception d'une seule.
Rula Daood, citoyenne palestinienne d'Israël et codirectrice nationale de Standing Together, qui a organisé la plus grande manifestation contre la guerre à ce jour, la semaine derniÚre à Tel Aviv, a expliqué les difficultés extraordinaires qu'il y a à essayer d'organiser des manifestations dans le climat actuel.
âLa police nous a accordĂ© une autorisation, mais s'est ensuite rĂ©tractĂ©e. Au dĂ©but, ils ont dit que la marche Ă©tait approuvĂ©e, mais que le lieu n'Ă©tait pas appropriĂ© et que les discours Ă©taient interdits. Puis les choses ont continuĂ© Ă Ă©voluer.â
âAu dĂ©part, ils ont dit qu'il ne pouvait pas y avoir de marche, seulement des personnes statiques, et pas d'intervenantsâ, a poursuivi Mme Daood. âNous voulions que des milliers de personnes dĂ©filent Ă Tel-Aviv pour demander la fin de la guerre, un accord de cessez-le-feu et le retour des otages. Nous voulons renforcer nos voix et parler du âjour d'aprĂšsââ.
La raison invoquée par la police pour justifier ces interdictions, à savoir ne pas disposer d'effectifs suffisants pour protéger la manifestation des contre-manifestants, ne semble pas fondée. Aucun de ces rassemblements n'a donné lieu à des contre-manifestations significatives, à l'exception de quelques passants criant des injures aux manifestants.
âIls essaient de nous intimider, de donner le sentiment que la police est souveraine, qu'elle fait ce qu'elle veut et que personne ne peut y faire quoi que ce soitâ, a dĂ©clarĂ© Mme Daood. âIl sâagit dâune police politique, et ça fait peur. Lorsque vous ĂȘtes citoyen palestinien, la peur fait plus que doubler. Les gens ont mĂȘme peur de participer Ă de petits rassemblements, d'apparaĂźtre sur des photos, d'Ă©crire quoi que ce soit.â
Le 9 novembre, le Haut comitĂ© de suivi - une organisation reprĂ©sentant les citoyens palestiniens d'IsraĂ«l - avait prĂ©vu d'organiser une manifestation pacifique Ă Nazareth, avec la participation d'un nombre limitĂ© d'invitĂ©s. Mais la police a procĂ©dĂ© Ă des arrestations prĂ©ventives, dont celle de Mohammad Barakeh, ancien membre de la Knesset et prĂ©sident du comitĂ©, avec pour effet lâannulation de la manifestation.
AprĂšs son arrestation, Barakeh a dĂ©posĂ© une requĂȘte auprĂšs de la Cour suprĂȘme, mais les juges l'ont rejetĂ©e. Le lendemain, le commandant du poste de police de Nazareth, Eyal Kihati, a envoyĂ© un message Ă Barakeh, le mettant en garde concernant l'organisation de la manifestation :
âComme nous vous lâavons stipulĂ©, le message est clair et sans Ă©quivoque. Nous ne tolĂ©rerons pas les violations des dĂ©cisions judiciaires ou des dĂ©cisions locales prises en tant que commandant du commissariat, et toute tentative dâorganisation de votre part ou de la part de reprĂ©sentants du Haut ComitĂ© de Suivi sera traitĂ©e avec une tolĂ©rance zĂ©ro et conformĂ©ment Ă lâautoritĂ© que la loi nous confĂšre.â
En décembre, Barakeh a été suivi par des véhicules de police. La manifestation a finalement pu avoir lieu plus tard dans le mois, sans autres arrestations.
Un sentiment d'impuissance
Le 19 octobre, une manifestation contre la guerre a eu lieu Ă Umm al-Fahm. La rĂ©pression policiĂšre fĂ©roce - la manifestation a Ă©tĂ© dispersĂ©e Ă l'aide de grenades assourdissantes, de matraques et de balles en plastique, et la police a arrĂȘtĂ© 12 des manifestants - a fait de cette manifestation un symbole de la rĂ©pression policiĂšre depuis le dĂ©but de la guerre.
La police a requis que 11 des dĂ©tenus, dont quatre mineurs, soient placĂ©s en dĂ©tention provisoire, et le tribunal de premiĂšre instance a approuvĂ© la demande sans tenir dâaudience avec les dĂ©tenus parce que le shabbat avait dĂ©jĂ commencĂ©. AprĂšs une audience samedi soir, neuf des dĂ©tenus ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s sous conditions, et deux autres - Ahmad Khalifa et Muhammad Jabarin, que la police considĂšre comme les organisateurs de la manifestation - sont restĂ©s en dĂ©tention.
Ces deux personnes ont Ă©tĂ© inculpĂ©es pour avoir criĂ© des slogans politiques que la Cour a considĂ©rĂ©s comme une incitation au dĂ©sordre, et leur dĂ©tention a Ă©tĂ© prolongĂ©e jusqu'Ă la fin de la procĂ©dure - c'est peut-ĂȘtre la premiĂšre fois que cela se produit uniquement en raison des slogans. Mourani, l'avocat d'Adalah, reprĂ©sente Jabarin. âIls prĂ©tendent qu'il s'agit d'incitation au dĂ©sordre public, de slogans et non de manifestation, mais l'un est indissociable de l'autreâ, a-t-elle dĂ©clarĂ©.
âIl s'agit d'une Ă©volution politiqueâ, a poursuivi Mme Mourani. âLorsque nous avons essayĂ© de discuter d'une alternative Ă la dĂ©tention, ils ont soutenu que l'assignation Ă rĂ©sidence et la surveillance Ă distance Ă©taient impossibles parce que [les dĂ©tenus] seraient thĂ©oriquement en mesure de la violer et de quitter leur domicile pour manifester. Il s'agit donc bien de manifestations, en fin de compte. Il s'agit de persĂ©cution politique. Ce ne sont pas de nouveaux slogans, et ce n'est pas quelque chose de spĂ©cifique au 7 octobreâ.
Leur cas n'est pas isolĂ©. Depuis le 7 octobre, le bureau du procureur de l'Ătat a encouragĂ© les enquĂȘteurs dans des dizaines d'affaires Ă demander au tribunal de prolonger la dĂ©tention jusqu'Ă la fin de la procĂ©dure, y compris des affaires axĂ©es dââincitationâ sur les rĂ©seaux sociaux.
Lors de l'une des audiences, M. Khalifa - l'un des deux inculpĂ©s - a dĂ©crit au juge les conditions de dĂ©tention Ă la prison de Megiddo, oĂč il est dĂ©tenu en tant que dĂ©tenu de sĂ©curitĂ© :
âLes gens sont menottĂ©s... Ils sont traĂźnĂ©s comme s'ils Ă©taient des bĂȘtes. Si vous levez la tĂȘte, on vous frappe Ă la tĂȘte. Je l'ai vu tous les jours. Si l'un des gardiens surprend quelqu'un en train de sourire, il l'emmĂšne ; il y a lĂ une zone avec un âangle mortâ [hors de vue des camĂ©ras de sĂ©curitĂ©] que toute la prison connaĂźtâ.
Khalifa a également déclaré qu'un détenu de la cellule voisine de la sienne avait été battu et avait succombé à ses blessures, faisant écho aux témoignages rapportés par +972 le mois dernier.
Selon Shbita, les gens ont peur de protester Ă cause des histoires qu'ils entendent de la bouche de ceux qui ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s. Dans le passĂ©, les militants politiques se disaient :
âNous serons dĂ©tenus un jour ou deux, ce n'est pas le bout du mondeâ. âMais aujourd'hui, on a l'impression que c'est la fin du monde, mĂȘme parmi les habituĂ©s des manifestations, en raison des violences physiques commises en dĂ©tention.â
Alors que de petites manifestations ont eu lieu ces derniÚres semaines dans des localités arabes du nord, il n'y en a pas eu dans le Naqab/Negev, dans le sud.
âCela me fait de la peine de voir que partout dans le monde, des gens manifestent pour nous - en Europe, les gens sortent par centaines de milliers - mais qu'ici, nous sommes incapables de manifester pour nous-mĂȘmesâ, a dĂ©clarĂ© Huda Abu Obeid, une militante politique du Naqab. âIl rĂšgne un fort sentiment d'impuissance. La seule chose que nous pouvions faire avant la guerre Ă©tait protester, et maintenant nous ne pouvons mĂȘme plus le faire.â
Selon Abu Obeid, il n'y a pas eu de protestations dÚs le départ, car les gens ont été trÚs surpris par les événements du 7 octobre.
âCe fut un vĂ©ritable chocâ, dit-elle. âNous sommes habituĂ©s aux attaques d'IsraĂ«l, mais c'Ă©tait la premiĂšre fois que les Palestiniens attaquaient de maniĂšre aussi massive. Nous ne savions pas comment rĂ©agirâ.
Abu Obeid lie Ă©galement l'absence de protestations Ă l'effet de dissuasion provoquĂ© par la campagne d'arrestations massives des citoyens palestiniens d'IsraĂ«l dans le sillage de l'âIntifada de l'unitĂ©â de mai 2021.
âLe Shin Bet a rĂ©ussi Ă faire peur Ă tout le mondeâ, a-t-elle dĂ©clarĂ©. âIls ont convoquĂ© des militants [pour des interrogatoires], ils les ont intimidĂ©s, ils sont venus sur les lieux de mobilisation. Le sentiment est que quoi que vous fassiez, mĂȘme si ce n'est pas liĂ© aux manifestations, vous serez toujours persĂ©cutĂ©.â
RĂ©duits au silence Ă tous les niveaux
En l'absence de grandes manifestations, la plupart des activitĂ©s anti-guerre ont consistĂ© en de petites veillĂ©es locales pour lesquelles aucun permis n'est requis - mais mĂȘme celles-ci ont Ă©tĂ© attaquĂ©es par la police et des passants. Les veillĂ©es ne sont pour la plupart pas annoncĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux, mais plutĂŽt dans des groupes fermĂ©s. Afin d'Ă©viter les heurts avec une contre-manifestation de droite, elles durent gĂ©nĂ©ralement moins d'une heure, et les militants arrivent et repartent ensemble, craignant d'ĂȘtre attaquĂ©s en chemin.
La derniÚre action de ce type à avoir été violemment dispersée par la police est un petit rassemblement la semaine derniÚre dans la ville arabe d'Al-Batuf, prÚs de Nazareth. Au début du mois, des militants de Tel-Aviv ont organisé une exposition dans la rue de photographies récentes prises à Gaza ; des passants, dont certains étaient armés, ont attaqué les militants et arraché les photos sous les yeux de la police.
Alors que les mĂ©dias arabes locaux et internationaux ont manifestĂ© un grand intĂ©rĂȘt pour ces manifestations et ces veillĂ©es, ces Ă©vĂ©nements sont presque totalement ignorĂ©s par les principaux mĂ©dias israĂ©liens.
âNotre voix est Ă peine entendue en IsraĂ«lâ, a dĂ©clarĂ© Michal Sapir, un militant de âlâunitĂ© radicaleâ, qui a organisĂ© l'exposition de rue. âNous sommes rĂ©duits au silence Ă tous les niveaux. L'Ătat ne montre pas ce qui se passe Ă Gaza, il est donc important que nous nous soyons lĂ et que nous appelions Ă lâarrĂȘt du massacre de civils Ă Gaza, perpĂ©trĂ© en notre nom, que la solution militaire nâest pas viable.â
Lorsque la guerre a commencĂ©, les militants ont dĂ» trouver un moyen de contourner l'interdiction de manifester. âNous l'avons fait progressivementâ, a dĂ©clarĂ© M. Sapir.
âNous ne savions pas quelle serait la rĂ©action. Au dĂ©but, nous nous sommes simplement joints aux familles des otages. Nous avons essayĂ© de voir s'il Ă©tait possible dâĂȘtre lĂ avec des pancartes appelant Ă un cessez-le-feu, et nous avons vu que ça fonctionnait. Et peu Ă peu, nous sommes passĂ©s Ă des slogans plus radicaux et Ă des marches depuis HaBima [une grande place publique dans le centre de Tel-Aviv]. Nous avons vu ce qui pouvait ĂȘtre dit, et ce qui serait accueilli par la violence [de la police].
âJusqu'Ă la rĂ©pression des pancartes [lors de la manifestation du 16 janvier devant la Kirya], la police ne nous ennuyait pas vraiment, mais maintenant elle suit de nouvelles directivesâ, poursuit M. Sapir. âIls ne nous tolĂšrent plus prĂšs du quartier gĂ©nĂ©ral de l'armĂ©eâ.
De temps en temps, les militants sont attaqués par des passants.
âUn livreur nous a jetĂ© des Ćufs. Mais gĂ©nĂ©ralement, les gens sont tolĂ©rants, exprimant parfois leur soutienâ.
Les militants de JĂ©rusalem ont organisĂ© plusieurs petites manifestations contre la guerre au cours des derniĂšres semaines, dont certaines devant le consulat des Ătats-Unis. L'une d'entre elles, une veillĂ©e pour les personnes tuĂ©es Ă Gaza qui a eu lieu dĂ©but janvier, a Ă©tĂ© brutalement dispersĂ©e par la police, deux manifestants ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et des photographies des personnes tuĂ©es Ă Gaza ont Ă©tĂ© confisquĂ©es. La semaine derniĂšre, une autre veillĂ©e de protestation Ă JĂ©rusalem a Ă©tĂ© attaquĂ©e par la police, qui a confisquĂ© les pancartes et repoussĂ© les manifestants.
âTout cela fait trĂšs peurâ, a dĂ©clarĂ© Ă +972 et Ă Local Call une militante du groupe de gauche Free Jerusalem, qui a prĂ©fĂ©rĂ© garder l'anonymat.
âLes enjeux sont plus importants. Contrairement Ă avant, oĂč nous annoncions ouvertement les Ă©vĂ©nements, nous sommes aujourd'hui beaucoup plus prudents. L'opinion publique et les dĂ©clarations de l'ensemble des dirigeants politiques israĂ©liens ont dĂ©rivĂ© vers la droite, ce qui a fait monter dâun cran la peur et lâangoisse.â
Selon elle, lors de l'une des premiĂšres manifestations appelant Ă la libĂ©ration des otages, les militants de Free Jerusalem ont appelĂ© Ă la fin de la guerre pour assurer leur libĂ©ration, et ont Ă©tĂ© attaquĂ©s par des passants. âCe n'Ă©tait mĂȘme pas directement contre la guerre, mais il y a eu de la violenceâ, a-t-elle dĂ©clarĂ©.
âLors des deux manifestations organisĂ©es les samedis soirs consĂ©cutifs [6 et 13 janvier], la police nous a violemment dispersĂ©s au bout de quelques minutes seulement, et ne nous a pas autorisĂ©s Ă manifesterâ, a-t-elle poursuivi. âIls ont pris nos grandes pancartes qui disaient âNon Ă la guerre Ă Gazaâ et âCessez le feu immĂ©diatââ.
La police nous a insultées, nous a traitées de salopes et nous a dit de retourner à Gaza.
Ă HaĂŻfa, les militants ont Ă©tĂ© crĂ©atifs pour Ă©chapper Ă la rĂ©pression agressive de la police contre les activitĂ©s anti-guerre dans la ville. Le 28 dĂ©cembre, un petit groupe d'activistes a organisĂ© ce qu'ils ont appelĂ© une manifestation âitinĂ©ranteâ, au cours de laquelle ils se sont dĂ©placĂ©s d'un endroit Ă l'autre avant que la police ne puisse les arrĂȘter.
âNous n'avons pas fait de publicitĂ© dans les grands groupes [de rĂ©seaux sociaux], car nous savons que la police les surveilleâ, a dĂ©clarĂ© Gaia Dan, une militante basĂ©e Ă HaĂŻfa. âEn fait, cela a plutĂŽt bien fonctionnĂ©. Nous sommes restĂ©s dans la Colonie allemande [au centre de HaĂŻfa] 20 minutes, et le temps que la police arrive, nous Ă©tions dĂ©jĂ Ă un autre endroit. LĂ , la police est arrivĂ©e au bout de cinq minutes, alors nous avons fui vers le troisiĂšme point. Nous essayons d'ĂȘtre prĂ©sents avant de subir les violencesâ.
Mme Dan a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© lors d'une autre manifestation organisĂ©e dans la ville un mois plus tĂŽt, au cours de laquelle des militants s'Ă©taient tenus en silence, avec du ruban adhĂ©sif sur la bouche pour protester contre la persĂ©cution politique dont sont victimes ceux qui expriment leur dĂ©saccord avec la guerre.
âLorsque nous sommes arrivĂ©s, il y avait dĂ©jĂ trois voitures de police et, quelques instants plus tard, le commandant du district a criĂ© dans un mĂ©gaphone que si nous ne nous dispersions pas dans les deux minutes, ils nous le serions manu militari.â
Selon Mme Dan, la police s'est alors jetée sur la manifestation.
âIls ont arrĂȘtĂ© un manifestant et ont commencĂ© Ă dĂ©chirer les pancartes et Ă secouer les gens. Ils ont arrachĂ© ma pancarte, qui Ă©tait trĂšs banale : âStop au silenceâ. J'ai Ă©tĂ© traĂźnĂ©e et j'ai reçu des coups de pied. VoilĂ comment j'ai Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©eâ.
Dans la voiture de police, avec deux autres détenus, Mme Dan raconte que les policiers
ânous ont insultĂ©es, traitĂ©es de salopes, nous ont dit de retourner Ă Gaza et nous ont demandĂ© pourquoi nous n'avions pas honte de manifester de la sorte en temps de guerre. Pendant que nous attendions au poste, les policiers ont continuĂ© Ă nous insulter et Ă chanter des chansons sur le retour au Gush Katif [le bloc de colonies juives Ă Gaza dĂ©mantelĂ© en 2005] et sur la destruction de Gaza. Au bout de trois heures, nous avons Ă©tĂ© relĂąchĂ©s sans consĂ©quence particuliĂšreâ.
La répression policiÚre de la dissidence à Haïfa a eu lieu immédiatement aprÚs le déclenchement de la guerre. Le 18 octobre, le mouvement Hirak prévoyait d'organiser une manifestation dans la ville. Quelques heures avant le début de celle-ci, la police a publié un communiqué indiquant qu'aucune autorisation n'avait été accordée, et qu'elle
ân'autorisera aucune manifestation de soutien ou de solidaritĂ© avec l'organisation terroriste Hamasâ et âagira avec fermetĂ©, conformĂ©ment Ă la loi, pour disperser la manifestation, y compris en recourant Ă des mesures de dispersion massive si nĂ©cessaireâ.
Des dizaines de policiers sont arrivĂ©s et ont dĂ©clarĂ© la manifestation illĂ©gale, dispersant violemment les manifestants et arrĂȘtant cinq d'entre eux qui refusaient de partir. Adalah, dont les avocats reprĂ©sentaient trois dĂ©tenus, a Ă©tĂ© informĂ© que les dĂ©tenus resteraient en dĂ©tention toute la nuit sur ordre du commissaire de police. Le lendemain, le tribunal de HaĂŻfa a ordonnĂ© leur libĂ©ration.
Le 29 octobre, le militant Yoav Bar a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© Ă son domicile avec ce que la police a appelĂ© du âmatĂ©riel d'incitationâ - des affiches politiques - avant d'ĂȘtre libĂ©rĂ© sans conditions.
Depuis les arrestations lors de la manifestation du 28 décembre, Mme Dan pense que les habitants de Haïfa ont peur de descendre dans la rue.
âLors de la premiĂšre manifestation, nous Ă©tions 20, et aujourd'hui, on est Ă peine cinqâ, dit-elle. âLes gens voient aussi ce qui se passe Ă Tel Aviv et Ă JĂ©rusalem - ils ne veulent pas venir Ă une manifestation et se faire battre, et je les comprends. C'est difficile et Ă©puisant, chaque fois que vous arrivez, vous vous dites que cela pourrait se terminer par une arrestation ou vous faire brutaliser dans la rue. Moi aussi, j'ai peur. Mais en fin de compte, nous avons le privilĂšge, en tant que Juifs, de savoir que nous ne risquons gĂ©nĂ©ralement pas une dĂ©tention prolongĂ©e, et il est essentiel de manifester comme nous le pouvonsâ.
M. Shbita, le secrétaire de Hadash, espÚre que maintenant, trois mois aprÚs le début de la guerre, le courant juif dominant comprendra également pourquoi ils protestent.
âLe choc du 7 octobre a Ă©tĂ© rĂ©el, mais je pense qu'avec le temps, les gens se posent des questionsâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âMalheureusement, les IsraĂ©liens ne commencent Ă poser les vraies questions que lorsque leur propre camp est touchĂ©. Ils ne se soucient pas des 20 Ă 30 000 victimes palestiniennes, mais du danger pour la vie des otages, des soldats tuĂ©s, des problĂšmes diplomatiques, de la crise Ă©conomique - câest lâensemble qui amĂšnera le public Ă poser des questionsâ.
+972 et Local Call ont contacté la police israélienne pour obtenir des commentaires sur sa politique de prévention des manifestations contre la guerre, sur l'autorité dont elle dispose pour confisquer les pancartes et sur le traitement des détenus à Haïfa par les officiers de police.
Un porte-parole de la police a répondu :
âSans faire rĂ©fĂ©rence Ă un cas ou Ă un autre, la police israĂ©lienne opĂšre conformĂ©ment aux dispositions de la loi et dans les termes fixĂ©s par la directive du procureur gĂ©nĂ©ral. La police israĂ©lienne autorisera le droit lĂ©gitime d'exprimer la libertĂ© de protestation, mais n'autorisera pas les manifestations violentes contre les policiers chargĂ©s de la sĂ©curitĂ© et du maintien de l'ordre public, ni les troubles de l'ordre public, quelle que soit leur nature.â
Une version de cet article a d'abord Ă©tĂ© publiĂ©e en hĂ©breu sur Local Call. Vous pouvez lire lâarticle ici.
* Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
https://www.972mag.com/israel-police-repression-protests-gaza/