đ© La promesse rompue de Joe Biden d'Ă©viter une guerre avec la Russie pourrait bien conduire Ă l'Armageddon.
Récemment, Biden discutait de la perspective d'une guerre nucléaire avec les bailleurs de fonds du parti démocrate, lors d'une collecte de fonds électorale chez le magnat des medias, James Murdoch...
đ© La promesse rompue de Joe Biden d'Ă©viter une guerre avec la Russie pourrait conduire Ă l'Armageddon.
đ° Par Medea Benjamin et Nicolas J.S. Davies / Salon, le 17 octobre 2022
"Nous ne ferons pas la guerre contre la Russie en Ukraine", nous a dit Joe Biden en mars. Mais cette guerre avait déjà commencé.
Le 11 mars 2022, le prĂ©sident Biden a rassurĂ© le public amĂ©ricain et le monde entier sur le fait que les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s de l'OTAN n'Ă©taient pas en guerre contre la Russie. "Nous ne ferons pas la guerre contre la Russie en Ukraine", a dĂ©clarĂ© Biden. "Un conflit direct entre l'OTAN et la Russie, c'est la troisiĂšme guerre mondiale, ce que nous devons nous efforcer d'Ă©viter."
Il est largement reconnu que les officiers américains et de l'OTAN sont maintenant pleinement impliqués dans la planification de la guerre opérationnelle de l'Ukraine, aidés par un large éventail de collecte et d'analyse de renseignements américains pour exploiter les vulnérabilités militaires de la Russie, tandis que les forces ukrainiennes sont armées avec des armes américaines et de l'OTAN, et entraßnées selon les normes des autres pays de l'OTAN.
Le 5 octobre, Nikolay Patrushev, le prĂ©sident du Conseil de sĂ©curitĂ© russe, a reconnu que la Russie combattait dĂ©sormais l'OTAN en Ukraine. Entre-temps, le prĂ©sident Vladimir Poutine a rappelĂ© au monde que la Russie dĂ©tient des armes nuclĂ©aires, et qu'elle est prĂȘte Ă y recourir "si l'existence mĂȘme de l'Ătat est menacĂ©e", comme l'a stipulĂ© la dĂ©claration officielle de la Russie sur les armes nuclĂ©aires en juin 2020.
Il semble probable qu'en vertu de cette dĂ©claration, les dirigeants russes interprĂ©teraient le fait de perdre une guerre contre les Ătats-Unis et l'OTAN Ă leurs propres frontiĂšres comme le seuil d'utilisation des armes nuclĂ©aires.
Le président Biden a reconnu le 6 octobre que Poutine "ne plaisante pas" et qu'il serait difficile pour la Russie d'utiliser une arme nucléaire "tactique" "sans aboutir à l'Armageddon". M. Biden a estimé que le risque d'une guerre nucléaire à grande échelle était plus élevé que jamais depuis la crise des missiles de Cuba en 1962.
Pourtant, bien qu'il ait évoqué la possibilité d'une menace existentielle pour notre survie, M. Biden n'a pas émis d'avertissement public au peuple américain et au monde entier, ni annoncé de changement dans la politique américaine. Bizarrement, le président discutait plutÎt de la perspective d'une guerre nucléaire avec les bailleurs de fonds du parti démocrate lors d'une collecte de fonds électorale au domicile du magnat des médias James Murdoch, avec des journalistes d'entreprise surpris, également conviés.
Dans un reportage de NPR sur le danger d'une guerre nucléaire en Ukraine, Matthew Bunn, expert en armes nucléaires à l'université de Harvard, a estimé que la probabilité que la Russie utilise une arme nucléaire était de 10 à 20 %.
Comment sommes-nous passĂ©s de l'exclusion de l'implication directe des Ătats-Unis et de l'OTAN dans la guerre Ă l'implication des Ătats-Unis dans tous les aspects de la guerre, Ă l'exception des blessures et des dĂ©cĂšs, avec une probabilitĂ© de guerre nuclĂ©aire estimĂ©e Ă 10 ou 20 % ? Bunn a fait cette estimation peu avant le sabotage du pont du dĂ©troit de Kerch vers la CrimĂ©e. Quelles chances aura-t-il dans quelques mois si les deux parties continuent de rĂ©pondre Ă l'escalade de l'autre par une escalade supplĂ©mentaire ?
Le dilemme irrésoluble auquel sont confrontés les dirigeants occidentaux est qu'il s'agit d'une situation sans issue. Comment peuvent-ils vaincre militairement la Russie, alors qu'elle possÚde 6 000 ogives nucléaires et que sa doctrine militaire indique explicitement qu'elle les utilisera avant d'accepter une défaite militaire existentielle ?
C'est pourtant ce que l'intensification du rĂŽle occidental en Ukraine vise dĂ©sormais explicitement Ă rĂ©aliser. La politique des Ătats-Unis et de l'OTAN, et donc notre existence mĂȘme, ne tient qu'Ă un fil: l'espoir que Poutine bluffe, malgrĂ© les avertissements explicites qu'il ne le fait pas. Le directeur de la CIA, William Burns, la directrice du renseignement national, Avril Haines, et le directeur de la DIA (Defense Intelligence Agency), le lieutenant-gĂ©nĂ©ral Scott Berrier, ont tous prĂ©venu que nous ne devions pas prendre ce danger Ă la lĂ©gĂšre.
Le danger d'une escalade implacable vers l'Armageddon est ce Ă quoi les deux parties ont Ă©tĂ© confrontĂ©es tout au long de la guerre froide. C'est pourquoi, aprĂšs le rĂ©veil de la crise des missiles de Cuba en 1962, la dangereuse politique de surenchĂšre a fait place Ă un cadre d'accords de contrĂŽle des armes nuclĂ©aires et Ă des mĂ©canismes de sauvegarde pour Ă©viter que les guerres par procuration et les alliances militaires ne dĂ©gĂ©nĂšrent en une guerre nuclĂ©aire mondiale. MĂȘme avec ces mĂ©canismes de sauvegarde en place, il y a eu de nombreux cas de figure - mais sans eux, nous ne serions probablement pas ici pour Ă©crire sur le sujet.
Aujourd'hui, la situation est rendue plus dangereuse par le démantÚlement de ces traités et garanties sur les armes nucléaires. Elle est également exacerbée, que les deux parties le veuillent ou non, par le déséquilibre de 12 à 1 entre les dépenses militaires américaines et russes, qui laisse à la Russie des options militaires conventionnelles plus limitées et une plus grande dépendance à l'égard des armes nucléaires.
Mais il y a toujours eu des alternatives à l'escalade incessante de cette guerre par les deux parties qui nous a menés à ce stade. En avril, les responsables occidentaux ont franchi une étape décisive lorsqu'ils ont persuadé le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy d'abandonner les négociations avec la Russie menées sous l'égide de la Turquie et d'Israël, qui avaient abouti à un cadre prometteur en 15 points pour un cessez-le-feu, un retrait de la Russie et un avenir neutre pour l'Ukraine.
Cet accord aurait exigĂ© des pays occidentaux qu'ils fournissent des garanties de sĂ©curitĂ© Ă l'Ukraine, mais ils ont refusĂ© d'en ĂȘtre partie prenante et ont plutĂŽt promis Ă l'Ukraine un soutien militaire pour une longue guerre visant Ă obtenir une dĂ©faite dĂ©cisive de la Russie et la rĂ©cupĂ©ration d'essentiellement tout le territoire que l'Ukraine a perdu depuis 2014.
Le secrĂ©taire Ă la DĂ©fense Lloyd Austin a dĂ©clarĂ© que l'objectif de l'Occident dans cette guerre Ă©tait dĂ©sormais d'"affaiblir" la Russie au point qu'elle n'aurait plus la puissance militaire nĂ©cessaire pour envahir Ă nouveau l'Ukraine. Mais si les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s parvenaient Ă atteindre cet objectif, la Russie considĂ©rerait certainement qu'une telle dĂ©faite militaire totale mettrait "l'existence mĂȘme de l'Ătat en danger", ce qui dĂ©clencherait l'utilisation d'armes nuclĂ©aires conformĂ©ment Ă sa doctrine nuclĂ©aire publiquement dĂ©clarĂ©e.
Le 23 mai, le jour mĂȘme oĂč le CongrĂšs a adoptĂ© un plan d'aide de 40 milliards de dollars pour l'Ukraine, dont 24 milliards de dollars de nouvelles dĂ©penses militaires, les contradictions et les dangers de la nouvelle politique de guerre des Ătats-Unis et de l'OTAN en Ukraine ont enfin suscitĂ© une rĂ©action critique du comitĂ© Ă©ditorial du New York Times. Un Ă©ditorial du Times, intitulĂ© "La guerre en Ukraine se complique, et l'AmĂ©rique n'est pas prĂȘte", pose des questions sĂ©rieuses et approfondies sur la nouvelle politique amĂ©ricaine :
Les Ătats-Unis essaient-ils, entre autres, de contribuer Ă mettre un terme Ă ce conflit, par le biais d'un rĂšglement qui reconnaitrait une Ukraine souveraine, et permettrait une certaine forme de relation entre les Ătats-Unis et la Russie ? Ou les Ătats-Unis essaient-ils maintenant d'affaiblir la Russie sur le long terme ? L'objectif de l'administration s'est-il dĂ©placĂ© vers la dĂ©stabilisation de Poutine, ou sa destitution ? Les Ătats-Unis ont-ils l'intention de tenir Poutine pour responsable en tant que criminel de guerre ? Ou l'objectif est-il d'essayer d'Ă©viter une guerre plus Ă©largie ? Sans ĂȘtre vraiment claire sur ces questions, la Maison Blanche ... met en pĂ©ril la paix et la sĂ©curitĂ© Ă long terme sur le continent europĂ©en.
Les rĂ©dacteurs du Times ont poursuivi en exprimant ce que beaucoup ont pensĂ©, mais que peu ont osĂ© dire dans un environnement mĂ©diatique aussi politisĂ©: l'objectif de rĂ©cupĂ©rer tout le territoire que l'Ukraine a perdu depuis 2014 n'est pas rĂ©aliste, et une guerre avec ce type dâexigences "infligera une destruction indicible Ă l'Ukraine." Ils ont demandĂ© Ă Biden de parler honnĂȘtement avec Zelenskyy de "la quantitĂ© de destruction supplĂ©mentaire que l'Ukraine peut encore supporter" et du "degrĂ© maximal de confrontation entre les Ătats-Unis, l'OTAN et la Russie."
Une semaine plus tard, Biden a rĂ©pondu au Times dans une tribune intitulĂ©e "Ce que l'AmĂ©rique fera et ne fera pas en Ukraine". Il citait Zelenskyy disant que la guerre "ne prendra dĂ©finitivement fin que par la diplomatie", et Ă©crivait que les Ătats-Unis envoyaient des armes et des munitions pour que l'Ukraine "puisse se battre sur le champ de bataille et ĂȘtre dans la position la plus forte possible Ă la table des nĂ©gociations."
Biden a Ă©crit: "Nous ne cherchons pas une guerre entre l'OTAN et la Russie.... les Ătats-Unis n'essaieront pas de provoquer la destitution de [Poutine] Ă Moscou." Mais il a poursuivi en promettant un soutien amĂ©ricain pratiquement illimitĂ© Ă l'Ukraine et n'a pas rĂ©pondu aux questions plus dĂ©licates posĂ©es par le Times sur la fin de la stratĂ©gie amĂ©ricaine en Ukraine, les limites de l'engagement amĂ©ricain dans cette guerre, ou le degrĂ© de dĂ©vastation supplĂ©mentaire que peut encore endurer l'Ukraine.
Alors que la guerre s'intensifie et que le danger de guerre nuclĂ©aire grandit, ces questions restent sans rĂ©ponse. Les appels Ă une fin rapide de la guerre ont Ă©tĂ© lancĂ©s lors de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies Ă New York en septembre, oĂč 66 pays, reprĂ©sentant la majeure partie de la population mondiale, ont demandĂ© instamment Ă tous les protagonistes de reprendre les pourparlers de paix.
Le plus grand danger auquel nous sommes confrontés est que leurs appels soient ignorés et que les larbins surpayés du complexe militaro-industriel américain continuent à trouver des moyens d'augmenter progressivement la pression sur la Russie, en traitant Poutine de bluffeur, et en ignorant ses "lignes rouges", comme ils le font depuis 1991, jusqu'à ce qu'ils franchissent la "ligne rouge" la plus critique de toutes.
Si les appels Ă la paix du monde entier sont entendus avant qu'il ne soit trop tard, et que nous survivions Ă cette crise, les Ătats-Unis et la Russie doivent renouveler leurs engagements en matiĂšre de contrĂŽle des armements et de dĂ©sarmement nuclĂ©aire, et nĂ©gocier la maniĂšre dont eux et les autres Ătats dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires dĂ©truiront leurs armes de destruction massive et adhĂ©reront au TraitĂ© d'interdiction des armes nuclĂ©aires, afin que nous puissions enfin faire disparaĂźtre cette Ă©pĂ©e de DamoclĂšs impensable et inacceptable au-dessus de nos tĂȘtes.
* Medea Benjamin, cofondatrice de Global Exchange et de CODEPINK: Women for Peace, est auteur du livre de 2018, "Inside Iran: La véritable histoire et la politique de la République islamique d'Iran". Ses précédents ouvrages comprennent : "Kingdom of the Unjust : Behind the U.S.-Saudi Connection" (2016); "Drone Warfare: Killing by Remote Control" (2013); "Don't Be Afraid Gringo: A Honduran Woman Speaks from the Heart" (1989), et (avec Jodie Evans) "Stop the Next War Now (Inner Ocean Action Guide)" (2005).
* Nicolas J. S. Davies est un journaliste indépendant, chercheur à CODEPINK et auteur de Blood On Our Hands : the American Invasion and Destruction of Iraq.