👁🗨 La pure folie d'une guerre en Iran
Pour les Iraniens, quel que soit leur avis sur l'Iran, Washington n'est pas un allié libérateur. Il ne veulent être ni agressés ni occupés. Ils résisteront. Les USA comme Israël en paieront le prix.
👁🗨 La pure folie d'une guerre en Iran
Par Chris Hedges, le 13 juin 2025
Israël et ses alliés néoconservateurs aux États-Unis tentent depuis longtemps de déclencher une guerre contre l'Iran, une guerre que ni Israël ni les États-Unis ne peuvent gagner et qui entraînera de violentes réactions.
Les néoconservateurs qui ont orchestré les guerres désastreuses en Afghanistan, Iraq, Syrie et Libye — et n'ont jamais été tenus responsables du gaspillage de 8 000 milliards de dollars de dollars des contribuables, ainsi que des 69 milliards de dollars dilapidés en Ukraine — semblent déterminés à nous entraîner dans un nouveau fiasco militaire avec l'Iran.
L'Iran n'est pas l'Irak. Ni l'Afghanistan. Ni le Liban. Ni la Libye. Ni la Syrie. Ni le Yémen. L'Iran est le dix-septième plus grand pays du monde, avec une superficie équivalente à celle de l'Europe occidentale. Il compte près de 90 millions d'habitants, soit 10 fois plus qu'Israël, et ses ressources militaires, ainsi que ses alliances avec la Chine et la Russie, en font un adversaire redoutable.
L'Iran a lancé aujourd'hui des frappes de représailles contre Israël après une série d'attaques israéliennes qui ont touché des installations nucléaires et tué plusieurs hauts responsables militaires iraniens et six scientifiques spécialisés dans le nucléaire. Des dizaines d'explosions ont été observées dans le ciel de Tel-Aviv et de Jérusalem. Une vidéo montre au moins une importante explosion au sol à Tel-Aviv, apparemment causée par un missile, et d'autres explosions ont été rapportées dans une demi-douzaine d'endroits à Tel-Aviv et dans ses environs.
“Notre vengeance ne fait que commencer, ils paieront cher le meurtre de nos commandants, de nos scientifiques et de notre peuple”, a déclaré un haut responsable iranien à Reuters. Il a ajouté qu’“aucun endroit en Israël ne sera sûr” et que “notre vengeance sera terrible”.
“Ils croient que ce sera une guerre facile”, m'a déclaré Alastair Crooke, ancien diplomate britannique et membre des services du renseignement britanniques (MI6) qui a passé des décennies au Moyen-Orient, à propos des néoconservateurs lorsque je l'ai interviewé.
“Ils veulent réaffirmer la puissance et le leadership américains. Ils estiment que, de temps en temps, écraser un petit pays et le réduire en miettes est un bon moyen d'y parvenir”.
Ces néoconservateurs, proches des dirigeants israéliens de Benjamin Netanyahu, a-t-il poursuivi,
“ne toléreront aucune puissance rivale, aucun défi à la domination et à la grandeur américaines”. Ils créeront une situation de fait – une guerre entre Israël et l'Iran – qui “entraînera Trump dans une guerre avec l'Iran”.
Vous pouvez voir mon interview avec Alastair Crooke ici.
Si l'armée de l'air iranienne est certes peu puissante, avec de nombreux avions de combat vieux de plusieurs décennies, elle est en revanche très bien équipée en batteries de défense aérienne russes et en missiles antinavires chinois, ainsi qu'en mines et en artillerie côtière. Elle est capable de boucler le détroit d'Ormuz, le plus important détroit pétrolier au monde, par lequel transite 20 % de l'approvisionnement mondial en pétrole. Une telle mesure ferait doubler ou tripler le prix du pétrole et dévasterait l'économie mondiale. L'Iran dispose d'un important arsenal de missiles balistiques qu'il peut lancer sur Israël, ainsi que sur les installations militaires américaines dans la région. Si les premières vagues peuvent être interceptées, des attaques répétées épuiseraient rapidement les stocks de défense aérienne israéliens et américains.
Israël n'est pas équipé pour supporter une guerre d'usure, telle que le conflit de huit ans entre l'Iran et l'Irak qui s'est terminé, malgré le soutien américain au régime de Saddam Hussein, par une impasse, ou telle que l'occupation du sud du Liban par Israël pendant 18 ans, qui l'a finalement contraint à se retirer en mai 2000, après avoir subi des pertes récurrentes face au Hezbollah.
Lorsque l'Iran, dans le cadre de son opération “True Promise”, a lancé plus de 300 missiles balistiques et de croisière sur des sites militaires et les services du renseignement israéliens les 13 et 14 avril 2023, en représailles à une frappe israélienne contre l'ambassade iranienne à Damas, les États-Unis ont intercepté la grande majorité d'entre eux.
“Israël n’est pas en mesure de repousser une attaque de missiles iraniens”,
m'a déclaré John Mearsheimer, diplômé de West Point et professeur au département de sciences politiques de l'université de Chicago.
“On se trouve dans une situation très particulière où non seulement Israël ne peut pas gagner ces guerres, mais où il les transforme en guerres interminables” qui “rendent Israël fortement dépendant des États-Unis”.
“Nous avons de nombreux intérêts au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale, ainsi qu'en Israël même et en mer Rouge”, a-t-il déclaré. “Ils sont destinés à aider Israël dans ses différentes guerres. Cela ne concerne pas seulement l'Iran. Cela concerne également les Houthis. Et le Hezbollah. Ce qui nous engage lourdement dans ces conflits. Ce n'était pas le cas en 1973 ni à aucun moment avant cette guerre”.
Israël et ses alliés néoconservateurs croient pouvoir éradiquer le programme d'enrichissement nucléaire iranien par la force et décapiter le gouvernement iranien pour installer un régime fantoche. Ils refusent d'admettre que ce système de croyances sans fondement a échoué en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Libye.
Israël, pour sa part, veut détourner l'attention du monde de son génocide et de la famine massive à Gaza, ainsi que du nettoyage ethnique accéléré en Cisjordanie. L'accès à internet a été totalement coupé à Gaza. La Cisjordanie a été placée sous blocus total.
“Les Israéliens comprennent que dans le cas d'un conflit général, les gens n'accorderont que peu d'attention aux Palestiniens”, a déclaré Mearsheimer. “Les gens seront plus enclins à fermer les yeux sur Israël qu'en temps de paix. Alors, on met le paquet. On provoque une conflagration générale, et au final, on pourra procéder à un nettoyage à grande échelle à Gaza et, espérons-le, aussi en Cisjordanie”.
Vous pouvez voir mon interview avec John Mearsheimer ici.
Les attaques iraniennes finiront par faire des centaines, puis des milliers de morts. L'Iran fera appel aux musulmans chiites de toute la région au nom de ce que les dirigeants iraniens qualifieront de guerre contre le chiisme, la deuxième branche de l'islam. L'Arabie saoudite, qui a condamné les attaques contre l'Iran, compte deux millions de chiites qui vivent dans la province orientale riche en pétrole. On trouve d'importantes communautés chiites au Pakistan, à Bahreïn et en Turquie. Les chiites sont majoritaires en Irak.
Le gouvernement dominé par les chiites à Bagdad se rangera du côté de l'Iran. Le Yémen continuera de perturber le trafic maritime dans la mer Rouge et de frapper Israël avec des attaques de drones. Le Hezbollah, bien que diminué, reprendra ses attaques contre le nord d'Israël. Il faut s'attendre à des attentats terroristes contre des bases américaines dans la région et peut-être même sur le sol américain, ainsi qu'à des sabotages généralisés de la production pétrolière dans le golfe Persique.
L'Iran disposera bientôt de suffisamment de matières fissiles pour fabriquer une arme nucléaire. Un conflit contribuera à accélérer la fabrication d'une bombe, d'autant qu'Israël possède des centaines d'armes nucléaires. Si l'Iran se dote de l'arme atomique, l'Arabie saoudite sera la prochaine sur la liste, suivie de près par la Turquie, l'Irak et l'Égypte. Les efforts déployés pour freiner la prolifération nucléaire au Moyen-Orient seront réduits à néant.
Comme le souligne John Mearsheimer, une guerre renforcera également l'alliance entre l'Iran, la Russie et la Chine.
“Les États-Unis ont rapproché la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l'Iran”, a-t-il fait remarquer. “Ils forment un bloc très soudé. En grande partie à cause de la guerre en Ukraine, les Russes et les Chinois se sont rapprochés, et compte tenu de ce qui se passe au Moyen-Orient, les Iraniens et les Russes aussi. Les États-Unis aident peut-être Israël, mais il faut comprendre que les Russes aideront l'Iran. Il n'est pas dans l'intérêt des États-Unis que la Chine et la Russie s'allient étroitement contre Washington. Il n'est pas dans l'intérêt des États-Unis que la Russie et l'Iran œuvrent ensemble contre Israël et les États-Unis”.
“Il est toujours possible qu'en cas d'intensification du conflit entre l'Iran d'un côté et les États-Unis et Israël de l'autre, les Russes se voient entraînés dans cette guerre à un moment ou un autre, car ils ont désormais tout intérêt à soutenir l'Iran”, a-t-il ajouté.
Une guerre pourrait durer des mois, voire des années. Elle prendrait la forme d'un conflit aérien, opposant principalement les avions de combat et les missiles israéliens aux missiles iraniens. Mais pour soumettre l'Iran, il faudrait peut-être déployer un million de soldats américains pour envahir et occuper le pays. Une occupation de l'Iran se solderait par la même défaite humiliante que celle subie par les États-Unis en Irak et en Afghanistan.
Israël et les néoconservateurs caressent le fantasme de pouvoir briser l'Iran à coups d'attaques aériennes, une version modernisée de la campagne de bombardements “Shock and Awe” lancée en Irak en 2003. Mais la quantité d'armes nécessaires, en particulier pour anéantir les installations nucléaires souterraines de l'Iran, sera énorme. Israël, pour décapiter le leadership du Hezbollah à Beyrouth, y compris le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, a dû utiliser des bombes antibunker JDAM (Joint Direct Attack Munition) d'une tonne.
“Si on envoie des F-35 équipés de missiles JDAM, chacun pèsera environ 14 tonnes”, a déclaré M. Crooke. “Il n'y a pas que le poids, il faut aussi tenir compte du carburant qu'ils consomment. Il faudra donc peut-être faire le plein une fois, voire deux, puis combattre pour neutraliser les défenses iraniennes. On parle là d'une opération d'une ampleur considérable. Les États-Unis en sont-ils capables ? Les Iraniens disposent de multiples systèmes de défense aérienne et d'excellents radars, y compris des radars transhorizon”.
Alors pourquoi entrer en guerre avec l'Iran ? Pourquoi se retirer d'un accord nucléaire que l'Iran n'a pas violé ? Pourquoi diaboliser un gouvernement qui est l'ennemi mortel des talibans, ainsi que d'autres groupes takfiri, notamment Al-Qaïda et l'État islamique au Levant (EIIL) ? Pourquoi déstabiliser davantage une région déjà dangereusement instable ?
Les généraux, les politiciens, les services du renseignement, les néoconservateurs, les fabricants d'armes, les pseudo-experts, les célébrités et les lobbyistes israéliens ne sont pas prêts à assumer la responsabilité de deux décennies de fiascos militaires. Ils ont besoin d'un bouc émissaire. L'Iran est tout désigné. Il faut bien que quelqu'un d'autre soit responsable des défaites humiliantes en Afghanistan et en Irak, de l'effondrement de la Syrie et de la Libye, de la prolifération des groupes extrémistes et des milices, dont beaucoup ont été initialement formés et armés par nous, ainsi que des attentats terroristes qui continuent de frapper partout dans le monde.
Le chaos et l'instabilité que nous avons semés, en particulier en Irak et en Afghanistan, ont fait de l'Iran la puissance dominante dans la région. Washington a donné du pouvoir à son ennemi juré. Et il ne voit pas d'autre moyen d'inverser la tendance que de l'attaquer.
Le droit international, ainsi que les droits de près de 90 millions de personnes en Iran, sont bafoués, tout comme l'ont été les droits des peuples afghan, irakien, libyen, yéménite et syrien. Les Iraniens, quelle que soit leur opinion sur leurs dirigeants, ne considèrent pas les États-Unis comme des alliés ou des libérateurs. Ils ne veulent être ni attaqués ni occupés. Ils résisteront. Et nous, ainsi qu'Israël, en paierons le prix.
Traduit par Spirit of Free Speech