đâđš La rĂ©activation des sanctions menace la diplomatie nuclĂ©aire avec lâIran
Les puissances occidentales menĂ©es par le trio signataire du JCPOA prĂ©parent un retour des sanctions alors que TĂ©hĂ©ran menace de se retirer du TNP assortie dâune rupture diplomatique irrĂ©versible.
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Par Vali Kaleji, le 12 juin 2025
Ces deux derniÚres semaines, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne ont mené une action coordonnée devant le Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) afin de dénoncer le non-respect des engagements de l'Iran et de préparer le terrain pour la réactivation des sanctions de l'ONU en vertu des articles 36 et 37 du Plan d'action global conjoint (JCPOA), également connu sous le nom d'accord sur le nucléaire iranien.
En rĂ©ponse, l'envoyĂ© iranien Ă l'ONU, Amir Saeid Iravani, a averti le 12 juin que l'activation du mĂ©canisme contraindrait TĂ©hĂ©ran Ă se retirer du TraitĂ© sur la non-prolifĂ©ration des armes nuclĂ©aires (TNP) en vertu de l'article X, qualifiant la dĂ©cision europĂ©enne de âjuridiquement infondĂ©e et politiquement imprudenteâ.
Le retour du âmĂ©canisme de dĂ©clenchementâ
InstaurĂ© pour la premiĂšre fois dans le JCPOA en 2015 et approuvĂ© par la rĂ©solution 2231 du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies, le âmĂ©canisme de rĂ©activation des sanctionsâ â Ă©galement connu sous le nom de âsnapback sanctionsâ â permet Ă tout Ătat membre du JCPOA de rĂ©imposer unilatĂ©ralement les sanctions de l'ONU Ă l'Iran s'il estime que le pays est en violation de l'accord.
Cette disposition constitue une concession majeure à Washington, obtenue durant les négociations initiales, et vise à contourner le droit de veto du Conseil de sécurité et à garantir une réponse rapide à toute violation présumée de l'accord par l'Iran.
Le processus est simple : si un signataire du JCPOA dĂ©pose une plainte auprĂšs de la Commission mixte de l'accord, le diffĂ©rend est examinĂ© sous 15 jours. En l'absence de rĂ©solution, il est renvoyĂ© devant le Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU. Si le Conseil n'adopte pas de rĂ©solution prolongeant la levĂ©e des sanctions, celles-ci sont automatiquement rĂ©tablies. Fait notable, aucun membre permanent ne peut opposer son veto au rĂ©tablissement des sanctions, mais seulement Ă la prolongation de leur suspension â une inversion majeure de la procĂ©dure habituelle du Conseil de sĂ©curitĂ©.
Ce mĂ©canisme, conçu pour ĂȘtre automatique, l'immunise en grande partie contre toute obstruction politique. S'il venait Ă ĂȘtre dĂ©clenchĂ©, toutes les sanctions du Conseil de sĂ©curitĂ© levĂ©es dans le cadre du JCPOA seraient rĂ©tablies, y compris l'embargo sur les armes, le gel des avoirs, les interdictions de voyager et les restrictions sur les activitĂ©s nuclĂ©aires et balistiques de l'Iran.
Alignement des E3 sur Washington et Tel-Aviv
AprĂšs le retrait unilatĂ©ral des Ătats-Unis du JCPOA en 2018, durant le premier mandat prĂ©sidentiel de Donald Trump, la tentative des Ătats-Unis en 2020 d'invoquer le mĂ©canisme de dĂ©clenchement a Ă©chouĂ©. La plupart des membres du Conseil de sĂ©curitĂ©, y compris la Russie et la Chine, ont rejetĂ© l'argument des Ătats-Unis selon lequel ils avaient qualitĂ© pour agir en vertu de l'accord.
Les Ătats-Unis n'ont obtenu le soutien que de la RĂ©publique dominicaine ; la Russie et la Chine se sont opposĂ©es Ă cette initiative, tandis que le trio europĂ©en et huit autres membres se sont abstenus. Pourtant, quatre ans plus tard, la situation a radicalement changĂ©.
Les relations entre TĂ©hĂ©ran et les signataires europĂ©ens du JCPOA â France, Allemagne et Royaume-Uni, soit les E3 â se sont dĂ©tĂ©riorĂ©es pour atteindre leur point le plus bas depuis la rĂ©volution islamique de 1979. Ces divisions vont bien au-delĂ du dossier nuclĂ©aire : les responsables europĂ©ens citent le programme de missiles de l'Iran, son soutien aux groupes de l'Axe de la rĂ©sistance, la dĂ©tention de ressortissants ayant la double nationalitĂ© et son alliance avec la Russie dans la guerre en Ukraine parmi les griefs Ă l'encontre de TĂ©hĂ©ran.
Le ministre français des Affaires Ă©trangĂšres, Jean-NoĂ«l Barrot, a lancĂ© un avertissement dans un discours prononcĂ© en avril devant le Conseil de sĂ©curitĂ© : si la sĂ©curitĂ© europĂ©enne est menacĂ©e, Paris ân'hĂ©sitera pas une seconde Ă reconduire toutes les sanctions levĂ©es il y a dix ansâ. Le reprĂ©sentant de l'Iran Ă l'ONU a rĂ©agi en qualifiant cette menace de violation du droit international par un pays qui ne respecte pas ses propres engagements.
Le reprĂ©sentant iranien Ă l'ONU, M. Iravani, a rĂ©torquĂ© que les menaces de la France d'activer le mĂ©canisme dit de âsnapbackâ â alors qu'elle-mĂȘme ne respecte pas ses obligations au titre du JCPOA â constituent une violation des principes fondamentaux du droit international.
Bien que la Russie et la Chine maintiennent que seules les parties au JCPOA peuvent invoquer l'option de rĂ©activation, leur veto est sans effet dans ce cas. La conception mĂȘme du mĂ©canisme les prive de la possibilitĂ© de bloquer le rĂ©tablissement des sanctions, ce qui expose l'Iran aux initiatives de ses alliĂ©s nominaux.
La pression de l'AIEA s'intensifie alors que les stocks d'uranium augmentent
Les tensions ont été encore ravivées par un rapport de l'AIEA publié le 31 mai, qui a révélé que les stocks d'uranium enrichi à 60 % de l'Iran ont bondi de prÚs de 50 % depuis février. Avec 408,6 kilogrammes, ces stocks ne sont techniquement qu'à un pas de la qualité requise pour la fabrication d'armes nucléaires.
L'Iran a vivement critiquĂ© le rapport de l'AIEA, le jugeant politisĂ© et fondĂ© sur des faux fournis par l'Ătat d'occupation israĂ©lien. Le ministĂšre iranien des Affaires Ă©trangĂšres a accusĂ© l'agence d'utiliser
âdes documents falsifiĂ©s fournis par le rĂ©gime sioniste [IsraĂ«l]â et a rĂ©itĂ©rĂ© âses accusations prĂ©cĂ©dentes, partiales et sans fondementâ.
Le rapport a nĂ©anmoins servi de prĂ©texte Ă une nouvelle condamnation. Le 12 juin, le Conseil des gouverneurs de l'AIEA a adoptĂ© une rĂ©solution condamnant le ânon-respectâ par l'Iran de ses obligations, selon des sources diplomatiques citĂ©es par l'AFP. La motion, rĂ©digĂ©e par les Ătats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, a Ă©tĂ© adoptĂ©e par 19 voix contre 35.
Abdolreza Faraji Rad, ancien diplomate iranien, considÚre les accusations de l'AIEA comme un signe avant-coureur probable du déclenchement du mécanisme de réactivation.
La menace de retrait de l'Iran du TNP refait surface
TĂ©hĂ©ran a averti Ă plusieurs reprises qu'il pourrait se retirer du TNP si les sanctions sont rĂ©tablies. L'article X [10] du TNP prĂ©voit le âdroitâ de se retirer du traitĂ©. L'Iran a menacĂ© Ă plusieurs reprises et ouvertement de prendre une telle dĂ©cision. Le vice-ministre des Affaires Ă©trangĂšres Kazem Gharibabadi a explicitement liĂ© l'adhĂ©sion de l'Iran au TNP Ă l'attitude de l'Europe.
âSi l'Europe met en Ćuvre le snapback, nous rĂ©pondrons par un retrait du TNPâ.
Une telle décision pourrait marquer un point de non-retour. Le retrait du TNP mettrait officiellement fin à l'engagement de l'Iran en faveur du développement nucléaire pacifique, ouvrirait la voie à la militarisation et fournirait à Tel-Aviv et à Washington un prétexte potentiel pour lancer des frappes militaires préventives contre des installations iraniennes.
La diplomatie dans l'impasse
Alors que les nĂ©gociations indirectes entre TĂ©hĂ©ran et Washington se poursuivent, un rĂ©tablissement des sanctions au Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU pourrait faire capoter le processus. Si les Ătats-Unis venaient Ă s'opposer Ă une telle mesure, l'alignement entre l'Europe et IsraĂ«l s'en trouverait renforcĂ© et les divergences avec Washington seraient exposĂ©es au grand jour.
MalgrĂ© la pression croissante, la diplomatie n'a pas encore Ă©chouĂ©. Au cours des derniers mois, l'Iran et les trois pays europĂ©ens ont tenu quatre cycles de nĂ©gociations, les 29 novembre, 13 janvier, 24 fĂ©vrier et, plus rĂ©cemment, le 16 mai Ă Istanbul. Cette derniĂšre rĂ©union a coĂŻncidĂ© avec la reprise des pourparlers secrets entre les Ătats-Unis et l'Iran, signe qu'il reste encore une marge de manĆuvre diplomatique.
Néanmoins, la menace d'une crise ouverte plane toujours. Le rétablissement d'un mécanisme d'activation pourrait déclencher une réaction en chaßne irréversible : réimposition des sanctions, retrait du TNP, possible nucléarisation et confrontation militaire.
Pour éviter une telle issue, la diplomatie a besoin d'une derniÚre chance avant de fermer définitivement la porte.
Traduit par Spirit of Free Speech