👁‍🗨 La rédemption par le génocide

Seuls l'arrêt du soutien matériel inconditionnel à l'offensive sur Gaza & le déclenchement de nouvelles élections en Israël ont une chance d'arrêter le rouleau compresseur.

Une affiche de campagne à Tel Aviv montre, de gauche à droite, Itamar Ben-Gvir, Benjamin Netanyahu et Bezalel Smotrich. (Photo : Jamal Awad/Flash90)

👁‍🗨 La rédemption par le génocide

Par Barnett R. Rubin, le 2 mars 2024

La CIJ a statué que la campagne israélienne à Gaza constituait une menace plausible et urgente de génocide. Les futurs historiens du messianisme juif raconteront peut-être comment, en 2024, la “rédemption par le péché” s'est transformée en “rédemption par le génocide”, avec le soutien inconditionnel des États-Unis.

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Le 24 février, Yaakov Godu, un manifestant antigouvernemental de Haïfa, en Israël, dont le fils Tom a été tué par le Hamas dans le kibboutz Kissufim le 7 octobre, a déclaré à un journaliste de Haaretz que les membres du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu étaient des “envoyés messianiques détraqués”.

Il s'agit du gouvernement que le président Biden traite en ami et en allié avec lequel les États-Unis ont quelques divergences. Lui et ses émissaires ne montrent aucun signe qu'ils comprennent à qui ils ont affaire ou ce qu'il faudrait faire pour les empêcher d'entraîner le monde dans la conflagration qu'eux et leurs alliés chrétiens apocalyptiques aux États-Unis appellent de leurs vœux.

Qualifier les membres du cabinet de M. Netanyahu de “détraqués” et de “messianiques” n'est pas une figure de style. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, est issu de Gush Emunim, un mouvement qui, après 1967, a préconisé que les Juifs devaient conquérir et gouverner la terre d'Israël (Palestine) du fleuve à la mer pour hâter la venue du Messie. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, condamné pour terrorisme par les tribunaux israéliens, est issu du parti raciste Kach de Meir Kahane. Il vit à Kiryat Arba, une colonie qui abrite un mémorial en l'honneur de Baruch Goldstein, qui a assassiné 29 musulmans en prière à Hébron en 1994, et dont Ben-Gvir exposait le portrait chez lui jusqu'à ce qu'il entre en politique.

Il ne s'agit pas de figures marginales. Sans aucune frein de la part de Netanyahou, ils sont à la tête d'un mouvement visant à expulser les Palestiniens de Gaza et les installer parmi les Israéliens. Ils supervisent également le nettoyage ethnique des Palestiniens de Cisjordanie par le biais de pogroms, d'expulsions et d'assassinats.

Les rabbins du Talmud ont interdit toute tentative de hâter l'arrivée du messie, mais des mouvements hérétiques ont cherché à forcer la rédemption. Gershom Scholem, un historien qui a consacré sa vie à l'étude de la mystique juive, a averti que

“les Juifs ont toujours eu une attirance fatale pour le messianisme" et que "le sionisme ne fait pas exception”(1).

Dès les années 1920, Scholem a comparé les prédécesseurs sionistes d'extrême droite du parti Likoud de Netanyahou à Sabbatai Zevi, autoproclamé messie à Smyrne (aujourd'hui Izmir, en Turquie) en 1648. Scholem a averti que ces faux messies

“insufflent à notre jeunesse un esprit de nouveau sabbatianisme, qui doit fatalement échouer”.

Scholem a montré comment les concepts mystico-kabbalistiques développés par le rabbin Isaac Luria à Safed au XVIe siècle, un centre d'érudition et de mysticisme juif en Palestine ottomane, ont fourni un cadre théologique au messianisme. Luria enseignait qu'au cours de la création, la lumière du créateur avait brisé les récipients dans lesquels elle avait été déposée, ne créant qu'un monde brisé. Les Juifs pouvaient apporter la rédemption par le “tikkun”, la réparation de ces réceptacles, en respectant les commandements. Les sabbatiens ont inventé une version plus sombre du tikkun, qui exigeait de ses croyants qu'ils sondent les profondeurs du mal pour sauver les étincelles de la création. Scholem l'appelait “la rédemption par le péché”.

Ces mouvements messianiques désespérés sont apparus à la suite de calamités telles que l'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492 et les massacres de Juifs en Ukraine en 1648 par les cosaques de Bohdan Chmelnicki. L'Holocauste, rapidement suivi de la création de l'État d'Israël, puis de la victoire d'Israël dans la guerre de 1967, a amplifié les courants messianiques sous-jacents du sionisme contre lesquels Scholem avait mis en garde.

Au lendemain de la guerre de 1967, l'enseignement du rabbin Tzvi Yehuda Kook, selon lequel le commandement de “conquérir et coloniser” la Terre d'Israël est égal à tous les autres commandements, a inspiré le Gush Emunim. L'accomplissement de ce commandement est le plus grand tikkun et accélérera la venue du Messie. “L'armée d'Israël”, enseignait Kook, “est l'armée d'Hachem [Dieu]”(2).

Si ces messianistes ont quelques adeptes parmi les Juifs américains, leurs plus puissants soutiens aux États-Unis sont les chrétiens évangéliques sionistes blancs, devenus une force hégémonique au sein du parti républicain de Donald Trump. Ils croient que la conquête et la colonisation de la terre d'Israël par le peuple juif déclencheront une guerre mondiale, pour laquelle ils prient comme précurseur de la seconde venue du Christ.

Dans une interview publiée en 1980 dans la New York Review of Books, Scholem a comparé Gush Emunim aux sabbatiens et a averti :

“Au XVIIe siècle, l'échec du sabbatianisme n'a eu que des conséquences spirituelles. Aujourd'hui, les conséquences de ce messianisme sont également politiques”. L'agenda messianique sioniste, dit-il, “ne peut conduire qu'au désastre”.

Le choc provoqué par les événements du 7 octobre, les croyances messianiques et le soutien financier et matériel inconditionnel des États-Unis se sont combinés pour produire la cruauté apocalyptique de la campagne actuelle à Gaza. Pour les juifs messianistes et les chrétiens apocalyptiques, l'existence même du peuple palestinien est devenue un obstacle intolérable à la réalisation du plan divin. Comme l'a enseigné HaRav Kook,

“nous n'avons absolument pas le droit de renoncer au contrôle de la moindre parcelle d'Eretz Yisrael”.

Quant aux non-Juifs qui vivent sur la terre, HaRav Kook cite Deutéronome 7:2 :

“Ne leur accordez aucune pitié”, ce qui signifie, explique-t-il, “Ne leur donnez pas (aux Gentils) de place sur terre” (3).

Seuls l'arrêt du soutien matériel à l'assaut sur Gaza et le déclenchement de nouvelles élections en Israël ont une chance d'arrêter le rouleau compresseur.

La Cour internationale de justice a statué que l'offensive israélienne sur Gaza constituait une menace plausible et urgente de génocide. Les futurs historiens du messianisme juif et de l'échec américain pourraient noter qu'en 2024, la rédemption par le péché s'est transformée en rédemption par le génocide, avec le soutien inconditionnel des États-Unis.

Notes

1. David Biale, Gershom Scholem : Master of the Kabbalah (Jewish Lives) . Yale University Press : New Haven, 2018. Kindle Edition. Chapitre sur “Une université à Jérusalem”.

2. Torat Eretz Yisrael : The Teachings of HaRav Tzvi Yehuda HaCohen Kook, basé sur les “Sichot of HaRav Yehuda” en hébreu, compilées et éditées par HaRav Shlomo Chaim HaCohen Aviner, traduction anglaise et édition par Tzvi Fishman (Jérusalem :Torat Eretz Yisrael Publications, A Division of Ateret Cohanim,1991), pp. 299-300.

3. Op. cit. p. 181.

https://mondoweiss.net/2024/03/redemption-through-genocide/