đâđš La rĂ©solution anti-Iran de lâE3 ne fera que renforcer la politique nuclĂ©aire de TĂ©hĂ©ran
Netanyahu ayant l'Iran dans sa ligne de mire, Khamenei veillera à ce que le Corps des gardiens de la révolution islamique ait la capacité de faire face à la « menace israélienne » et de la contrer.
đâđš La rĂ©solution anti-Iran de lâE3 ne fera que renforcer la politique nuclĂ©aire de TĂ©hĂ©ran
Par Shivan Mahendrarajah, le 5 décembre 2024
Alors qu'IsraĂ«l pousse les Ătats-Unis vers une nouvelle guerre contre l'Iran, la rĂ©solution anti-iranienne de l'AIEA s'est dĂ©jĂ retournĂ©e contre elle, sapant la nouvelle administration de TĂ©hĂ©ran favorable aux nĂ©gociations et confĂ©rant un poids politique au Corps des gardiens de la rĂ©volution islamique du pays.
Le 21 novembre, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne (les âE3â) ont prĂ©sentĂ© une rĂ©solution anti-iranienne au Conseil des gouverneurs de lâAgence internationale de l'Ă©nergie atomique (AIEA). Cette rĂ©solution a Ă©tĂ© adoptĂ©e, et confĂšre de fait au Corps des gardiens de la rĂ©volution islamique (CGRI) un poids politique contre les tentatives des ârĂ©formateursâ de freiner le programme nuclĂ©aire iranien en Ă©change d'un allĂšgement des sanctions.
La censure
La mesure, qui relĂšve de l'autoritĂ© de l'AIEA par l'accord de garanties conclu avec la RĂ©publique islamique d'Iran dans le cadre du TNP, a Ă©tĂ© introduite par le groupe E3, soutenu par les Ătats-Unis et, indirectement, par IsraĂ«l, un Ătat nuclĂ©aire non dĂ©clarĂ© toujours pas signataire du traitĂ© de non-prolifĂ©ration.
La résolution exige de l'Iran qu'il fournisse
âdes explications techniquement crĂ©dibles sur la prĂ©sence de particules d'uranium d'origine anthropique sur plusieurs sites non dĂ©clarĂ©s en Iranâ.
Les rĂ©ponses de TĂ©hĂ©ran, dĂ©taillĂ©es dans le rapport de l'AIEA du 19 novembre, comparent la prĂ©tendue âprĂ©sence de particules d'uraniumâ aux observations du monstre du Loch Ness - toujours aussi invĂ©rifiables.
Dix-neuf membres du Conseil des gouverneurs de l'AIEA ont votĂ© en faveur de la mesure E3, tandis que 12 Ătats se sont abstenus. Trois pays - la Russie, la Chine et le Burkina Faso - ont votĂ© âcontreâ. Le Venezuela n'a pas pu voter.
Une semaine avant l'adoption de la résolution, le Dr Rafael Grossi, chef de l'AIEA, a rencontré le président iranien Masoud Pezeshkian, le ministre des Affaires étrangÚres Abbas Araghchi et Mohammad Eslami, chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OEA).
M. Grossi a visitĂ© deux sites nuclĂ©aires et a qualifiĂ© l'offre de l'Iran de limiter son stock d'uranium hautement enrichi (UHE) Ă 60 % (90 % Ă©tant gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme de qualitĂ© militaire) d'âĂ©tape concrĂšte dans la bonne directionâ, notant que l'engagement de l'OEA de limiter les stocks pourrait Ă©chouer âĂ la suite d'autres dĂ©veloppementsâ - c'est-Ă -dire que la rĂ©solution de censure E3 pourrait conduire la RĂ©publique islamique Ă revoir son offre.
L'ordre international fondé sur des rÚgles
Les pays du E3 et les Ătats-Unis n'ont aucun intĂ©rĂȘt rĂ©el Ă rĂ©pondre aux prĂ©occupations concernant le programme nuclĂ©aire iranien par le biais d'une diplomatie de bonne foi. Au contraire, l'AIEA a Ă©tĂ© utilisĂ©e comme une arme politique contre l'Iran, une tactique couramment employĂ©e par les organismes internationaux dominĂ©s par l'Occident.
Lorsque la Cour pĂ©nale internationale (CPI) a Ă©mis un mandat d'arrĂȘt Ă l'encontre du prĂ©sident russe Vladimir Poutine, les Ătats membres de l'OTAN ont demandĂ© son arrestation. Cependant, lorsque la CPI a infligĂ© la mĂȘme sanction au Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu, le prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden l'a qualifiĂ©e de âscandaleuseâ, aprĂšs avoir dĂ©clarĂ© que le mandat d'arrĂȘt contre M. Poutine Ă©tait âjustifiĂ©â. La France, membre de la CPI, a fait valoir que âNetanyahu est couvert par l'immunitĂ©â en tant que chef de gouvernement en exercice, âcar IsraĂ«l n'est pas membre de la CPIâ.
Les accords avec les Ătats-Unis et leurs Ătats europĂ©ens vassaux n'ont aucune valeur. Prenons l'exemple des accords de Minsk qui devaient mettre fin Ă la guerre du Donbass entre l'Ukraine et les sĂ©paratistes russes. L'ancienne chanceliĂšre allemande Angela Merkel a rĂ©vĂ©lĂ© le vĂ©ritable objectif de l'OTAN derriĂšre l'accord avec la Russie :
âL'accord de Minsk de 2014 visait Ă donner du temps Ă l'Ukraine. Elle a Ă©galement mis ce dĂ©lai Ă profit pour renforcer ses capacitĂ©s, comme on peut le voir aujourd'hui. L'Ukraine de 2014-2015 n'est pas l'Ukraine moderneâ.
L'ancien président français François Hollande confirme que
âoui, Angela Merkel a raison sur ce point [...] Depuis 2014, l'Ukraine a renforcĂ© son dispositif militaire. En effet, l'armĂ©e ukrainienne est complĂštement diffĂ©rente de celle de 2014. Elle est mieux entraĂźnĂ©e et mieux Ă©quipĂ©eâ.
L'OTAN n'a jamais envisagé de faire en sorte que Minsk I (et Minsk II) mette fin au conflit en Ukraine, mais de gagner du temps pour se préparer à une guerre plus conséquente en utilisant l'Ukraine comme vecteur de frappe contre la Russie.
Les Iraniens connaissent depuis longtemps la duplicitĂ© des Ătats-Unis. L'Iran a honorĂ© ses engagements dans le cadre du Plan d'action global conjoint (JCPOA) de 2015, mais le prĂ©sident amĂ©ricain de l'Ă©poque, Donald Trump, s'en est retirĂ© unilatĂ©ralement en 2018, rĂ©imposant des sanctions dans le cadre d'une campagne de âpression maximaleâ. Le soi-disant âordre international fondĂ© sur des rĂšglesâ de l'Occident se rĂ©sume Ă ceci : des rĂšgles pour nous, et d'autres pour le reste du monde.
Réformateurs et réalistes en Iran
L'histoire tortueuse et conflictuelle de la duplicitĂ© anglo-amĂ©ricaine vis-Ă -vis de l'Iran n'a pas empĂȘchĂ© les ârĂ©formateursâ - des personnalitĂ©s comme Pezeshkian, Araghchi et Javad Zarif - de continuer Ă chercher Ă nĂ©gocier, apparemment peu conscients de la futilitĂ© de la dĂ©marche.
Ils ne saisissent pas que les Ătats-Unis et IsraĂ«l ne veulent rien de moins que le dĂ©mantĂšlement du programme nuclĂ©aire de l'Iran, et laisser le pays sans dĂ©fense, comme cela est arrivĂ© Ă Mouammar Kadhafi en Libye. On ne nĂ©gocie pas avec des parties qui refusent d'honorer les accords.
Le Kremlin l'a bien compris. Le reprĂ©sentant de la Russie Ă l'ONU, Vasily Nebenzya, a rejetĂ© les tentatives de l'OTAN de geler le conflit ukrainien par le biais d'accords de type Minsk afin de sauver leur projet de guerre en Ukraine d'une dĂ©faite militaire certaine : âNe perdez pas votre temps. Nous ne faisons plus confiance Ă ces manĆuvres trompeusesâ. Les rĂ©formateurs iraniens n'ont toujours pas compris.
Les soi-disant âpartisans de la ligne dureâ en Iran sont en fait les rĂ©alistes. Ils voient clairement les menaces qui pĂšsent sur le pays. Les rĂ©alistes ont mis en garde contre le JCPOA, et les Ă©vĂ©nements leur ont donnĂ© raison. L'ancien prĂ©sident amĂ©ricain Barack Obama a dissuadĂ© les investisseurs et les lĂ©gislateurs amĂ©ricains ont fait pression sur les banques pour qu'elles ne s'engagent pas avec l'Iran.
Stuart Levey, un sioniste et ancien sous-secrĂ©taire au TrĂ©sor pour le terrorisme et le renseignement financier (TFI) sous les anciens prĂ©sidents amĂ©ricains George Bush et Obama, et plus tard directeur juridique d'une banque britannique, a dĂ©clarĂ© : âHSBC ne compte pas conclure de nouveaux contrats avec l'Iranâ. TĂ©hĂ©ran n'a tirĂ© que des avantages insignifiants de la conformitĂ© au JCPOA avant que Trump ne dĂ©chire l'accord.
La censure de l'E3 a été un autre message pour les réalistes. Ils ont prévenu que l'adoption de la résolution conduirait à une escalade - et ils ont tenu parole. Peu aprÚs l'adoption de la résolution, 5 000 centrifugeuses IR-6 ont commencé à tourner.
Les diplomates expérimentés en Europe savaient probablement que cela se produirait, mais leurs équipes de politique étrangÚre sont maintenant menées par des politiciens naïfs : Annalena Baerbock, David Lammy et Jean-Noël Barrot. Manipulés par Israël, les pays de l'E3 ont cru que l'Iran plierait sous la pression.
Mais en fait, Netanyahu, en se basant sur la justification selon laquelle âils enrichissent plus d'uraniumâ, obtient exactement ce qu'il voulait : un prĂ©texte pour faire pression sur Trump en vue d'une frappe militaire sur l'Iran. Le commentaire de Netanyahu selon lequel âl'accord de cessez-le-feu [au Liban] nous permet maintenant de nous concentrer sur la menace iranienneâ est clair : la guerre se prĂ©pare.
Une fatwa en vue
Le moment est-il venu pour le guide suprĂȘme Ali Khamenei de revenir sur sa âfatwaâ, et pour l'Iran de se doter des armes nuclĂ©aires ? TĂ©hĂ©ran dispose assurĂ©ment des moyens nĂ©cessaires : des missiles balistiques Ă©quipĂ©s de âdispositifs de rentrĂ©e manĆuvrablesâ (MaRV) capables d'envoyer avec prĂ©cision des ogives nuclĂ©aires sur des cibles israĂ©liennes.
L'Iran disposera Ă©galement d'un programme de missiles balistiques continentaux (ICBM) opĂ©rationnel lorsque Trump prendra ses fonctions en janvier. Ce programme est destinĂ© Ă rĂ©frĂ©ner ses vellĂ©itĂ©s de frapper l'Iran. Les missiles ICBM capables de larguer des tĂȘtes nuclĂ©aires sur 10 villes amĂ©ricaines offriront Ă l'Iran une immunitĂ© en vertu de la doctrine de la guerre froide de la âdestruction mutuelle assurĂ©eâ (MAD).
Le traitĂ© de non-prolifĂ©ration (TNP) est obsolĂšte et ne lie que les ennemis de l'âordre international fondĂ© sur des rĂšglesâ occidental, sans affecter IsraĂ«l. L'Iran est harcelĂ© depuis des dĂ©cennies par l'AIEA dans le cadre de l'accord de garanties du TNP entrĂ© en vigueur le 15 mai 1974 - un accord signĂ© par l'ancien rĂ©gime monarchique renversĂ© par le peuple iranien.
Les Iraniens vont-ils donc renoncer et se libĂ©rer des entraves discriminatoires du TNP ? C'est ce qu'a dĂ©clarĂ© un porte-parole de la Commission de sĂ©curitĂ© nationale (CSN) de l'Iran : âLa sortie du TNP est l'une de nos solutions pour faire face Ă l'Occidentâ. Bakhshaish Ardestani, membre de la CSN, a fait valoir la nĂ©cessitĂ© de se retirer simultanĂ©ment du TNP et de s'orienter vers la production de bombes, car la marmite des sanctions ne peut bouillir plus fort.
D'autres composantes de la société se sont également exprimées. Le 22 novembre, l'imam du vendredi de Qom a déclaré que
âla situation a changĂ© et nous appelons Son Ă©minence [l'ayatollah Khamenei] de reconsidĂ©rer la fatwa nuclĂ©aireâ.
Le message de Khamenei publié cinq jours plus tard sur X a laissé entrevoir une évolution, offrant l'espoir qu'il est à l'écoute :
âLes capacitĂ©s militaires du pays devront avoir une telle visibilitĂ© auprĂšs des adversaires de l'Iran que l'ennemi aura le sentiment que toute confrontation lui coĂ»terait trĂšs cherâ.
Les seuls accords avec les Ătats-Unis qui aient du poids sont des accords validĂ©s par IsraĂ«l - qu'IsraĂ«l n'acceptera que s'il est militairement vaincu.
Le cessez-le-feu au Liban est intervenu parce que le Hezbollah a tenu bon et a renversĂ© la vapeur. Une trĂšs large majoritĂ© d'IsraĂ©liens (61 %) estime qu'IsraĂ«l a perdu face au Hezbollah. Netanyahu ayant l'Iran dans sa ligne de mire, Khamenei doit s'assurer que le Corps des gardiens de la rĂ©volution islamique dispose des capacitĂ©s nĂ©cessaires pour faire face Ă la âmenace israĂ©lienneâ, et pouvoir la contrer.
https://thecradle.co/articles/e3-anti-iran-resolution-will-fuel-irans-nuclear-resolve
DĂ©sormais, il reste Ă virer Pezeschkian et on s'apercevra que Thierry Meyssan avait raison. Les clans rivaux en Iran devront se dĂ©barrasser de leur hypocrisie et se souder oĂč bien dominer l'autre pour sauver la situation.