👁🗨 La singulière équipe de politiques à s'être envolée en classe économique pour aller libérer Julian Assange
“Depuis 1886, la Statue de la Liberté se dresse dans le port de New York comme le symbole de la fierté de la liberté, de la justice et de la vérité. Mais vous faites tout le contraire".
👁🗨 La singulière équipe de politiques à s'être envolée en classe économique pour aller libérer Julian Assange
Par James Curran, rédacteur en chef international, le 23 novembre 2023
Barnaby Joyce, qui déclare ne pas “du tout aimer” Julian Assange, fait partie d'un groupe de personnalités politiques hétéroclite qui font campagne pour sa libération.
Au Capitole, à Washington, derrière ces colonnes d'un blanc étincelant, Barnaby Joyce est en pleine action. Il explique aux hommes politiques américains pourquoi le gouvernement des États-Unis devrait renoncer à extrader Julian Assange de sa prison londonienne pour qu'il réponde d'accusations d'espionnage.
Connu pour son style décontracté et décapant, Joyce est ici un exemple de contrôle.
“J'ai été vice-premier ministre, premier ministre par intérim et vice-président du comité de sécurité nationale du cabinet”, explique-t-il. “WikiLeaks m'a causé du tort, m'a embarrassé et m'a même exaspéré. Écoutez, je vais être franc : Je n'aime pas beaucoup Assange, mais il y a un principe en jeu ici - et cela n'a pas d'importance si je ne l'aime pas. Vous, l'Amérique, créez un dangereux précédent”.
L'ancien leader des Nationals s'exprime dans le bureau du député républicain Thomas Massie le 20 septembre. La bannière étoilée tombe mollement derrière un bureau en chêne massif. Un aigle américain doré est figé en plein vol. Autour de lui, une délégation officieuse de députés et de sénateurs australiens de tous les partis est assise en arc de cercle : le travailliste Tony Zappia, le sénateur libéral Alex Antic, la sénatrice Monique Ryan et les sénateurs verts David Shoebridge et Peter Whish-Wilson. C'est la première fois qu'une délégation politique australienne se rend aux États-Unis, ou ailleurs dans le monde d'ailleurs, pour faire pression au nom d'un citoyen australien.
Ils ont 48 heures à Washington pour faire bouger les choses dans l'affaire Assange, 48 heures pour faire convaincre les fonctionnaires américains, les personnalités politiques et les assistants du Congrès les raisons pour lesquelles Assange devrait être libéré. L'urgence vient de la visite prochaine du Premier ministre Anthony Albanese à Washington, un mois plus tard, offrant ainsi une occasion précieuse de rappeler l’existence du dossier au président Joe Biden. Et aussi en raison de l'état de santé d'Assange à la prison de Belmarsh. Comme le souligne M. Shoebridge, “il s'agit d’une question de vie ou de mort d'un Australien très en vue”.
Autour d'eux, le Congrès américain est à nouveau en ébullition. La majorité républicaine de la Chambre des représentants se dispute au sujet du plafond de la dette. Peu après le départ de la délégation de Washington, le Grand Old Party [Républicains] se retrouvera temporairement sans président, ce qui ne fera qu'aggraver les dysfonctionnements politiques. Le contraste ne pourrait être plus frappant entre la toxicité qui empoisonne les sources politiques de Washington et l'unité d'objectif incarnée par cette délégation australienne. M. Ryan affirme que bon nombre des élites de Washington qu'il rencontre sont tout simplement “abasourdies” par l'existence d'un consensus multipartite au sein du parlement australien sur l'avenir d'Assange, consensus qui réunit travaillistes, libéraux, nationaux, verts et indépendants.
Lors d'une réunion avec le démocrate Jim McGovern, président de la puissante commission du règlement de la Chambre des représentants, la cloche sonne pour un vote à l'étage de la Chambre des représentants. McGovern doit se dépêcher de quitter l'hémicycle, mais il invite la délégation australienne à le rejoindre. Ils marchent donc d'un bon pas, échangeant au même rythme, traversant de longs couloirs bordés des bustes des pères fondateurs, longeant de hauts murs où sont accrochés les tableaux de la guerre d'indépendance américaine et de Sécession, et passant sous l’immense dôme du Capitole dont le plafond représente l'apothéose de George Washington. Mais visiblement, tout n'est pas rose dans la cathédrale de la démocratie américaine. Antic raconte que “le Capitole n'était pas aussi lisse qu'on aurait pu le penser [...]. Il ressemble plus au chaos”.
Les turbulences politiques américaines mises à part, il s'agit d'une histoire sur la capacité d'influence dont dispose réellement l'Australie à Washington. Les diplomates et les dirigeants australiens ont longtemps pensé que la solidarité de l'alliance conférait à Washington une oreille attentive et bienveillante à l'égard des intérêts australiens. Tout aussi laborieuse fut la découverte que ce n'était pas toujours le cas.
La délégation a débarqué dans la capitale américaine en soutenant que les États-Unis avaient des raisons de demander l'extradition d'Assange. Elle est arrivée avec un arsenal d'arguments : ce que l'Amérique a toujours défendu, la façon dont la Chine et la Russie utilisent l'affaire Assange comme preuve d’une hypocrisie occidentale flagrante concernant la posture vis à vis des prisonniers politiques, et comme la question susceptible de faire apparaître le langage de la solidarité de l'alliance, douloureusement cousu de fil blanc.
À mille lieues du Capitole, sur la Marrickville Road de Sydney, des manifestants brandissent des pancartes devant le bureau électoral du Premier ministre, implorant les automobilistes de “Honk for Julian” (on roule pour Julian). Le père et le frère de Julian Assange, John et Gabriel Shipton, sont les fers de lance de la campagne pour sa libération et se joignent parfois au groupe qui se réunit tous les jeudis. Mercredi, le groupe se rend au consulat des États-Unis à North Sydney.
“Nous espérons que le bureau d'Albanese entendra les coups de klaxon et que, comme l'eau qui coule sur un rocher, nous finirons par l’éroder”, explique Nick Deane, militant et ancien fonctionnaire. La plupart des voitures klaxonnent, mais tout le monde n'est pas du même avis. Un conducteur crie par la fenêtre : “Qu’il affronte la justice”.
Comme la circulation, la campagne bouchonne. Mais la délégation à Washington lui a redonné un nouveau souffle. L'idée d'une délégation est venue du groupe de soutien à Assange au parlement fédéral, fondé par le député indépendant de Tasmanie et ancien analyste du renseignement Andrew Wilkie. Les billets d'avion ont été financés par le crowdfunding et lorsque les politiciens sont montés à bord de leurs avions en Australie, ils ont pris la file classe économique, pour mettre le cap sur la capitale américaine.
Ils ont emporté avec eux une lettre signée par 70 députés et sénateurs australiens qui estiment que “les poursuites et l'incarcération du citoyen australien Julian Assange doivent cesser”. La lettre cite les remarques de M. Albanese en mars, reprenant les propres termes alors qu’il était encore dans l'opposition, lorsqu'il a déclaré que “Trop, c'est trop concernant l'incarcération de Julian Assange”.
En mai, l'ambassadrice des États-Unis en Australie, Caroline Kennedy, a organisé un petit-déjeuner pour certains membres du groupe au cours duquel, selon les rapports sur cet échange, un accord de plaidoyer pour Assange avec les autorités américaines a été discuté. En fin de compte, aucun progrès n'a été réalisé. Les participants à la conférence nationale de l'ALP à Brisbane en août s'attendaient à des manifestations s’opposant au soutien du parti travailliste au projet d'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire. Au lieu de cela, ils ont été accueillis par des manifestants réclamant la libération d'Assange.
Qu'est-ce qui se cache derrière ce regain intensité dans l'affaire Assange ? On pourrait normalement s'attendre à ce que sa cause soit l'apanage de ceux qui considèrent l'hégémonie américaine comme une force impériale brutale, comme le gendarme du monde ou la “nation indispensable”, et qui pensent que la CIA a concocté la destitution du gouvernement Whitlam.
Au fil des ans, Assange s'est attiré des soutiens hétéroclites : de l'actrice Pamela Anderson au juriste suisse Nils Melzer, en passant par le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et la défunte créatrice de mode Vivienne Westwood. M. Assange sera même nommé citoyen d'honneur de Rome, car l'ancien maire de la ville est un de ses soutiens.
Mais le cri de civis Romanus sum [Je suis citoyen de Rome] ne lui offrira guère plus que le fantasme de la liberté. M. Joyce, qui s'est entretenu avec le magazine The Australian Financial Review, ne mâche pas ses mots.
"Soit nous croyons en l'État de droit et aux droits de la citoyenneté en Australie, soit il s'agit d'un jeu de dupes avec costumes chamarrés et mots alambiqués. Il ne s'agit pas de M. Assange et de ce qu'il est : il s'agit de ce que nous sommes, et si l'extraterritorialité est appropriée, alors nous ne sommes personne”.
Ce commentaire exprime une certaine tension dans l'affaire Assange en ce qui concerne l'opinion publique. Contrairement au cas de la journaliste sino-australien Cheng Lei, détenue à Pékin pendant trois ans et libérée le mois dernier, l'affaire Assange est considérée par beaucoup comme beaucoup plus complexe.
Fondateur de WikiLeaks, M. Assange a été inculpé en mai 2019 de 17 chefs d'accusation pour violation de la loi américaine sur l'espionnage, ainsi que d'un chef d'accusation distinct lié au piratage informatique, en raison de son rôle dans la publication, en 2010, de documents classifiés impliquant le département d'État américain, Guantanamo Bay, et les guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan.
Il a vécu reclus à l'ambassade d'Équateur à Londres pendant sept ans, jusqu'en 2019, mais arrêté après la révocation de son asile diplomatique. Depuis, il est en détention provisoire à Londres et en attente d'extradition vers les États-Unis, après avoir perdu son appel devant les tribunaux britanniques. Aujourd'hui âgé de 52 ans, il risque 175 ans de prison.
Ce qui rend l'affaire Assange si délicate, c'est que pour tous ceux qui le considèrent comme un héros - un David affrontant le Goliath américain -, d'autres le voient comme un anarchiste peu recommandable qui, avec un mépris désinvolte pour la mise en danger de vies humaines, a semé la pagaille dans le monde hypersensible de la diplomatie en divulguant des quantités d'informations classifiées. À tout cela s'ajoutent les allégations d’inconduite sexuelle en Suède, finalement été abandonnées. Certains membres de la délégation ont parlé de la nécessité de réhumaniser Assange, après les diffamations distillées dans l'esprit du public.
M. Joyce peut sembler être un défenseur improbable de la libération de M. Assange. Mais ce n'est pas la première fois qu'il prend fait et cause pour un Australien détenu à l'étranger. En 2007, il a été le premier député de la Coalition à demander au gouvernement Howard de faire davantage pour sortir l'Australien David Hicks de sa détention à Guantanamo Bay. M. Joyce a déclaré publiquement que son soutien ne devait pas être considéré comme une “référence” pour M. Assange.
Dans un article paru dans le Sydney Morning Herald à la fin de l'année 2021, alors qu'il était retranché dans un hôtel de Washington avec le COVID-19, il a admis que la question Assange “inspire tant de rhétorique, tant de totémisme, de cris du chœur et de diagnostics à la va vite”. Mais il a exhorté les Australiens à y voir plus clair, à “laisser leurs idées préconçues à la porte de ce spectacle haut en couleur”.
Pour lui, c'est le principe qui compte, pas l'homme.
“La femme qui tient la balance de la justice n'a-t-elle pas un bandeau sur les yeux ?” déclare-t-il au magazine AFR. “La loi est aveugle - il ne s'agit pas d'Assange lui-même, mais d'un citoyen australien et de la manière dont il est protégé et jugé. La gauche et la droite sont désormais d'accord sur la question”, ajoute-t-il.
Aux États-Unis, l'affaire est désormais coincée dans le réseau complexe de la politique intérieure. Certains démocrates ne peuvent pas oublier - et encore moins pardonner - la multitude de courriels d'Hillary Clinton publiés par WikiLeaks à un moment critique de sa campagne électorale de 2016. Ils accusent Assange d'être à l'origine de l'avènement de Donald Trump, et la poussée constante de ce dernier pour un second mandat à la Maison-Blanche rend la réaction de Joe Biden à ce plaidoyer en faveur d'Assange d'autant plus délicate. L'affaire est verrouillée.
Pourtant, l'ironie, comme le souligne l'ambassadeur australien aux États-Unis Kevin Rudd, est que la liste d'actes d'accusation contre Assange a été dressée par l'administration Trump elle-même, plus précisément par l'ancien secrétaire d'État Mike Pompeo. Rudd a donné à cette affaire toute la mesure de son plaidoyer, déclarant que “c'est comme un Rubik's cube traitant avec différentes agences à Washington”. Il craint que l'ancien gouvernement Morrison n'ait pas été consulté lorsque Pompeo a dressé la liste des inculpations. Une théorie, que M. Rudd refuse de commenter, veut que M. Morrison ait haussé les épaules et ait simplement jeté M. Assange par-dessus bord.
M. Rudd et le frère d'Assange, Gabriel Shipton, n'ont pas ménagé leurs efforts pour aider la délégation à obtenir des rendez-vous lors de sa visite à Washington en septembre. Shipton a organisé les réunions au Congrès, ils ont eu des entretiens avec les démocrates McGovern et Ilhan Omar, les républicains Rand Paul et Massie, et Marjorie Taylor Greene, une rencontre qui fait froncer les sourcils - à certains démocrates, sans parler des électeurs en Australie - étant donné son soutien féroce à Trump. Ils ont rencontré des fonctionnaires du Département d'État et du Département de la Justice. M. Joyce insiste sur le fait qu'il n'était pas le chef de file, mais que chaque membre de la délégation a pris la parole à tour de rôle pour ouvrir le bal à chaque intervention.
Les points clés sont restés les mêmes, avec quatre thèmes principaux : la liberté de la presse, le double standard de l'Australie qui tente de libérer les journalistes en Chine et des Etats-Unis mais qui ne bougent pas d’un pouce pour libérer Assange, l’épine dans le pied qu’il représente dans les relations de l’alliance et, peut-être le plus puissant de tous, que l'Amérique trahit ses idéaux fondateurs de liberté et de justice. Comme Joyce avait coutume de le dire : “Cela va devenir notre épine dans le pied, et nous ne voulons pas que cela nuise à l'alliance, parce que nous avons d'autres chats à fouetter”.
Tony Zappia, du parti travailliste, reconnaît qu'à l'époque des révélations de WikiLeaks, les États-Unis disaient craindre que la divulgation de renseignements classifiés ne mette en danger la vie du personnel américain à l'étranger. Mais 13 ans plus tard, comme le montrent les preuves présentées lors du procès de Chelsea Manning, l'officier de l'armée américaine qui a fourni les premiers documents à M. Assange, M. Zappia affirme qu'il est désormais admis qu'aucune vie américaine n'a été mise en danger. Selon un rapport du Pentagone, la fuite de plus de 700 000 câbles diplomatiques, vidéos et documents n'a pas non plus eu d'impact stratégique sur les efforts de guerre américains en Afghanistan et en Irak.
Mme Manning a quitté la prison prématurément après que sa peine de 35 ans a été commuée en 2017 par le président de l'époque, Barack Obama, qui avait alors déclaré qu'elle était “très disproportionnée au regarde des condamnations d'autres auteurs de fuites”. Pourtant, pour les partisans d'Assange, il demeure le cas proverbial du messager toujours dans la ligne de mire de la justice. Pour Monique Ryan, l’essentiel demeure la liberté de la presse : “Le fait est que nous avons besoin de lanceurs d’alerte”.
C'est également M. Ryan qui, lors des réunions avec les ministères de la justice et des affaires étrangères, a remis des copies d'articles du Global Times, un journal du parti communiste chinois, dans lesquels les États-Unis sont accusés d'hypocrisie en raison de leur prétendu soutien à la liberté de la presse. Comme le rappelle Alex Antic :
“Nous avons dit à ces fonctionnaires que si nous n'étions pas capables de faire ce qu'il faut, que faut-il attendre de la Chine ? Comment pouvons-nous demander à la Chine d'agir en faveur des Australiens détenus alors que vous ne voulez pas agir en faveur de Julian ?”
Lorsque la délégation était à Washington, les citoyens australiens Cheng Lei et Yang Hengjun étaient toujours détenus par les autorités chinoises, mais Lei a été libérée par la suite. Joyce déclare sans ambages ce qui est en jeu :
“Si les Américains peuvent extrader un Australien vers l'Amérique après avoir prétendument enfreint l'une de leurs lois, même s'il n'est pas citoyen et n'a jamais commis de crime en Amérique, combien de temps faudra-t-il aux Chinois pour réclamer la même chose ?”
Peter Whish-Wilson explique que la question de la Chine a trouvé un écho auprès du Congrès et des fonctionnaires américains. “Ils ne semblaient pas en être conscients, ni du précédent mondial qu'ils créent en s'en prenant à M. Assange.” Mme Ryan explique qu'ils ont également parlé de la Russie de M. Poutine.
“Nous leur avons fait comprendre l’hypocrisie de revendiquer la libération du journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich, alors qu'ils ont Assange dans le collimateur... C'est tout à fait contradictoire".
À Brisbane, à la fin du mois de juillet, il y a eu un moment de malaise diplomatique considérable et inhabituel lors d'une conférence de presse organisée à l'issue des consultations ministérielles conjointes entre l'Australie et les États-Unis (AUSMIN). Ce genre d'événement est normalement soigneusement chorégraphié, avec de nouvelles initiatives visant à renforcer la coopération au sein de l'alliance, et la rhétorique “frères d'armes” qui va avec. Ce n'est pas le cas cette fois-ci. La ministre australienne des affaires étrangères, Penny Wong, répondant à une question sur M. Assange, a déclaré que le gouvernement avait clairement fait savoir qu'il estimait que “l'affaire traînait depuis bien trop longtemps”.
Mais cela n'a manifestement pas été du goût de son homologue en visite. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken s'est lancé dans un mini-exposé sur les sensibilités américaines, déclarant que
“les actions que [Assange] est supposé avoir commises risquaient de nuire gravement à notre sécurité nationale, de profiter à nos adversaires et de mettre en péril des sources humaines nommées, leur faisant courir un risque physique et en les plaçant en détention”.
Selon M. Shoebridge, les remarques de M. Blinken à Brisbane ont été “choquantes pour une oreille australienne ; il avait manifestement tort et cela a embarrassé notre ministre des affaires étrangères”. Lui et d'autres membres de la délégation ont eu l'impression que M. Blinken exprimait un point de vue associé aux partisans de la ligne dure à l'égard d'Assange au sein du Pentagone et du département d'État. Il se peut que M. Blinken, diplomate américaine de longue date, ait plus de mal que d'autres membres du système américain à négliger le préjudice causé par les révélations de WikiLeaks à la réputation des États-Unis à l'étranger.
Alors que la délégation a collectivement soutenu que le cas d'Assange était en train de devenir un obstacle aux relations entre l'Australie et les États-Unis, à son retour de Washington, ce sont Ryan et Shoebridge qui se sont montrés particulièrement fermes sur ce point. Peut-être sont-ils en mesure de parler plus librement en dehors du consensus général sur l'alliance avec les États-Unis qui caractérise les principaux partis.
Albanese “mettrait-il en jeu un seul actif bilatéral ?”, s'interroge Shoebridge. “Notre allié le plus proche nous fait faux bond, il est donc temps de faire preuve de courage diplomatique, et il ne s’est pas encore manifesté”. Mme Ryan ajoute :
“Si les Américains ne font pas preuve de respect à notre égard sur ce point, cela pourrait se répercuter sur d'autres aspects de nos relations et influencer la façon dont nous percevons les États-Unis.”
Les remarques de M. Blinken ont mis en lumière une énigme. Face au chaleureux accueil au Capitole, les officiels de Washington ont admis qu'Assange était devenu un enjeu politique pour les démocrates. Biden, hypersensible à l'apparence d'ingérence dans les affaires judiciaires, a confié l'affaire à son procureur général, Merrick Garland.
Les fonctionnaires du ministère de la justice ont souligné qu’aucune politique” n’est en jeu, et qu'il s'agissait juste de faire remonter le dossier dans le système. La réunion s’est achevée dans l'espoir que les deux ministères souhaitent trouver une solution. M. Whish-Wilson se demande si l'idée d'un accord de plaidoyer pourrait être réexaminée, dans le cadre duquel M. Assange purgerait une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement en Australie en échange de l'abandon des charges d'espionnage.
Et pourtant, l'horloge continue de tourner - et le temps est compté pour Assange. Le ministère de la justice australien serait d'avis que le fondateur de WikiLeaks doit aller aux États-Unis, où l'affaire pourrait être réglée. Les partisans d'Assange craignent qu'un tel procès ait lieu en Virginie, où se trouve le Pentagone, et où la communauté et le jury comprendraient probablement de nombreuses personnes travaillant dans les domaines de la Défense et de la Sécurité intérieure.
C'est la raison pour laquelle la délégation était si désireuse de créer des points d'action clairs à l'issue de ses deux jours à Washington. À la suite de leur visite, les députés Massie et McGovern, par exemple, ont rédigé une lettre commune adressée à M. Biden, l'exhortant à résoudre l'affaire Assange dès que possible, en soulignant qu'elle porte atteinte à l'autorité morale de l'Amérique à l'étranger et qu'elle “fait reculer la liberté de la presse en vertu du Premier Amendement à l'intérieur du pays”. La lettre est encore à l'état de projet et n'a donc pas été déposée dans la corbeille de M. Biden avant la visite officielle de M. Albanese à Washington.
Mais le Premier ministre a déclaré le mois dernier qu'il avait évoqué l’affaire lors de ses entretiens privés avec M. Biden, qui ont eu lieu alors que les manifestants en faveur de M. Assange, dont son frère Gabriel, défilaient devant la Maison-Blanche. “J'ai dit clairement que trop, c'est trop (...) et qu’il est temps de mettre un terme à cette affaire”, a déclaré le Premier ministre. Seul l'avenir nous dira à quel point il a insisté. Wilkie n'est pas convaincu.
“Malheureusement, dit-il, je suis arrivé à la conclusion que le gouvernement australien ne se traite cette question que du bout des lèvres. Si c'est effectivement le cas, il devrait cesser de faire passer son adhésion aveugle aux États-Unis avant le bien-être d'un citoyen australien injustement traité”.
L'avocat Greg Barns SC, conseiller juridique de la campagne australienne en faveur d'Assange, affirme que ce dernier est sur le point d'épuiser ses options juridiques au Royaume-Uni, même si “sa femme, Stella, reste optimiste quant à sa victoire devant les tribunaux britanniques”. M. Barns estime que le gouvernement devrait plaider pour que M. Biden exerce son droit de grâce, qu'il peut exercer avant qu'une personne ne soit condamnée. “Il s'agit d'un cas typique de recours à ce type pouvoir. La liberté d'expression, le soutien des groupes de médias et des organisations de défense des droits de l'homme à travers le monde, ainsi qu'un allié clé, veulent que cette affaire prenne fin”.
En attendant, Assange s’étiole. Et pendant ce temps, dans l'esprit de la délégation multipartite, une certaine idée des Etats-Unis s’est ternie. Pour M. Zappia, le cas d'Assange représente la trahison de tout ce que l'Amérique représente. Debout sur les marches du Capitole, il s'est adressé à la presse. “Depuis 1886, la Statue de la Liberté se dresse dans le port de New York comme le symbole de la fierté de la liberté, de la justice et de la vérité. Vous avez une statue pour cela”, a-t-il déclaré avec insistance, “mais vous faites tout le contraire”.