👁🗨 La survie stratégique du Hamas met Israël hors de lui
Les acquis du Hamas, sans sa résilience institutionnelle, se seraient désintégrés dès l’amorce du conflit, laissant Israël remporter la victoire décisive tant désirée, & jamais remportée à ce jour.
👁🗨 La survie stratégique du Hamas met Israël hors de lui
Par le correspondant de The Cradle en Palestine, le 23 janvier 2025
En exploitant sa solidité institutionnelle, sa capacité d'adaptation sur le terrain et ses tactiques psychologiques, le Hamas a magistralement transformé la destruction de Gaza en un exemple de résilience, réalisant des avancées à la fois symboliques et tactiques tout en empêchant Israël de revendiquer une quelconque victoire politique.
La libération de trois prisonnières israéliennes à Gaza par l'aile militaire du Hamas, les Brigades Qassam, en échange de 90 détenus palestiniens, a déclenché une frénésie médiatique dans l'État d'occupation.
La “mise en scène” dramatique - des combattants émergeant des ruines de la guerre, soutenus par une foule en liesse - a mis à mal les récits officiels israéliens sur la guerre, ses objectifs et le traitement réservé aux captifs israéliens. Elle a soulevé une question qui fait réfléchir les Israéliens : qu'avons-nous fait à Gaza pendant 15 mois ?
Les Brigades Qassam ont orchestré chaque détail de l'événement pour en maximiser l'impact. Des sacs-cadeaux aux uniformes impeccables des combattants, l'événement respirait la précision calculée. Une procession militaire a même été organisée sur la place Saraya, une zone lourdement assiégée par les forces d'occupation israéliennes. Le choix du site était délibéré, illustrant la résistance permanente en un lieu symbolisant la défaite de Tel-Aviv au cours de la plus longue campagne militaire jamais menée.
Des sources au sein du Hamas ont informé The Cradle que le choix de la ville de Gaza - située au nord de la vallée de Gaza et de l'axe de Netzarim, une ligne de démarcation tracée par l'armée israélienne pour couper la bande de Gaza en deux parties et qui devrait bientôt disparaître - était un choix délibéré et symbolique, préféré à d'autres solutions en raison de ses implications stratégiques et politiques.
Bien sûr, le Hamas pouvait libérer les prisonnières dans des endroits plus “sûrs”, comme le centre ou le sud de Gaza, mais il a délibérément choisi ce lieu.
Une stratégie forte
Le retard de plusieurs heures de la libération des trois prisonnières israéliennes a semé la confusion parmi les Israéliens, entraînant de multiples violations de l'accord de cessez-le-feu. Les Brigades Qassam ont ensuite surpris le public israélien en annonçant les noms des prisonniers avant que le gouvernement israélien, l'armée ou les médias hébreux n'aient pu le faire. Des problèmes logistiques mineurs ont également retardé brièvement la libération des 90 prisonniers palestiniens, hommes et femmes, mais ont été rapidement résolus.
Les trois captifs israéliens ont reçu chacun un certificat de libération en hébreu et en arabe - à l'image des pratiques israéliennes à l'égard des prisonniers palestiniens - et des souvenirs de Gaza, notamment une carte détaillée de l'ensemble de la bande de Gaza. Selon les sources, ces “mesures délibérées et soigneusement planifiées” avaient pour but d'envoyer un message clair à Israël : le Hamas n'est ni vaincu, ni sur le point d'être éliminé.
En Israël, la chaîne Channel 12 a qualifié l'accord de cessez-le-feu de “pochette surprise sarcastique”, mais le point fort de l'échange de prisonniers réside autre part. Pendant des mois, les négociateurs israéliens ont tenté en vain, par l'intermédiaire du Qatar et de l'Égypte, de dresser une liste des prisonniers palestiniens à libérer.
Le Hamas a refusé, invoquant des risques pour la sécurité, et a contraint Israël à payer un tribut bien plus élevé que lors des accords précédents. La trêve initiale du 24 novembre 2023 prévoyait l'échange de trois Palestiniens par Israélien. Aujourd'hui, après 15 mois de guerre épuisants, Israël a dû libérer dix fois plus que ce ratio, signe évident de la perte d'influence de Tel-Aviv.
Cette première et brève trêve de six jours a permis aux factions de la résistance palestinienne de se réorganiser. Des sources révèlent que plusieurs bataillons, mis à mal par les bombardements israéliens incessants, ont réussi à retrouver leur capacité opérationnelle pendant la trêve. Alors que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, préconisait une pression constante sans aucune pause dans la campagne militaire brutale d'Israël, la courte trêve a montré que le Hamas était suffisamment solide pour se remettre rapidement sur pied.
Le Hamas a-t-il remporté la victoire à Gaza ?
Tout cela soulève une question centrale : le Hamas a-t-il remporté la victoire à Gaza et, si oui, comment, et pourquoi ? Pour y répondre clairement, il faut d'abord analyser les fondements et l'évolution de la force du mouvement de résistance, examiner les mécanismes qui sous-tendent sa capacité d'adaptation et de renouvellement et, enfin, se demander qui dirige actuellement l'organisation, en particulier dans la bande de Gaza.
Aujourd'hui, le Hamas demeure extrêmement présent non seulement sur le territoire palestinien, mais aussi dans l'ensemble du monde arabe et islamique. Malgré les dévastations de la guerre, l'opération “Al-Aqsa Flood”, déclenchée le 7 octobre 2023, conserve une forte résonance, marquant les esprits à travers le monde, qu'il s'agisse de l'opinion publique ou des individus. En outre, des sources indiquent à The Cradle que ces événements ont favorisé un recrutement important, des milliers de jeunes Palestiniens rejoignant les rangs du Hamas.
Même les médias hébreux, malgré leur ton souvent propagandiste, ont reconnu ce phénomène. Alors qu'une grande part du récit d'Israël vise à justifier la prolongation du conflit ou la reprise potentielle de la guerre, des déclarations occasionnelles montrent l'attrait croissant de la Résistance parmi les Palestiniens.
Des sources du Hamas affirment qu'Israël a créé “une vendetta pour des générations”, qualifiant la guerre non seulement de bataille contre le mouvement de résistance, mais aussi de guerre contre tous les citoyens de Gaza. Les massacres et la dévastation généralisés ont unifié la rue palestinienne, gommant les dissensions entre les soutiens du Hamas et les autres.
“Ceux qui ne font pas partie du Hamas deviennent inévitablement des membres de la Résistance”,
explique une source, soulignant que même si le Hamas devait disparaître, un nouveau mouvement, peut-être plus fort, émergerait pour lui succéder.
Un responsable européen de la sécurité aurait fait part de préoccupations similaires à un représentant du Hamas au Liban. Le fonctionnaire a averti que les quelque 18 000 orphelins de Gaza durant cette seule guerre, pourraient former une nouvelle “armée de libération” dans une décennie, encore plus redoutable que ses prédécesseurs.
Adaptabilité et enseignements stratégiques
Le Hamas a tiré parti de cette situation désastreuse pour se reconstruire et se renouveler, en affinant ses stratégies et ses opérations. Dès le sixième mois de la guerre, il était clair que son objectif ne se limitait pas aux munitions et à l'armement, mais s'étendait à la formation de dirigeants et de cadres.
Les Brigades Qassam ont privilégié la sécurité des combattants et l'efficacité des opérations, en veillant à ce que les ressources ne soient pas gaspillées et à ce que les itinéraires de retraite soient sûrs. La politique de famine menée par Israël, en particulier dans le nord de Gaza, visait à affaiblir les combattants de la Résistance en limitant les éléments nutritionnels vitaux tels que les protéines animales. Malgré ces tactiques, le Hamas s'est rapidement adapté, en atténuant l'impact grâce à des mesures préventives.
Un autre facteur essentiel de la résilience du Hamas est son approche systématique à la formation des dirigeants. Avant la guerre, ses composantes militaires, en particulier les Brigades Qassam, géraient des programmes de formation et disposaient d'une académie militaire semi-officielle.
Cette structure a permis au groupe de préserver un leadership fort malgré l'assassinat de nombreux commandants du mouvement. L'expertise en matière de fabrication d'armes et de missiles a été rapidement transférée, garantissant ainsi la continuité des opérations.
Guerre du renseignement
L'appareil de renseignement du Hamas a également joué un rôle central, dans lequel le “secret” a été préservé sur des informations clés. Des sources ont déclaré à The Cradle que l'infrastructure de sécurité du mouvement, y compris le bras de renseignement des Brigades Qassam, la Sécurité générale et la Sécurité intérieure, a été essentielle pour préserver la structure et l'intégrité de l'organisation tout au long de la guerre.
“Tant que les structures de sécurité seront fortes, le mouvement perdurera”, note une source. Alors même que les forces israéliennes prenaient pour cible certains membres des services de renseignement, le Hamas s'est adapté, recrutant des milliers de personnes, sécurisant les otages et transférant des fonds - dans le cadre de ses dispositifs de sécurité existants et des nouvelles méthodes mises au point pendant la guerre.
Le mouvement de Résistance a également fait preuve de remarquables capacités de contre-espionnage. Les forces israéliennes, frustrées par leurs capacités de surveillance aérienne et technique, ont pris d'assaut des sites non seulement pour obtenir des gains militaires, mais aussi pour installer des équipements de surveillance afin de combler leurs lacunes en matière de renseignements. Pendant ce temps, le Hamas privilégiait le secret opérationnel, surveillant étroitement les journalistes et photographes au sein des communautés déplacées afin d'éviter les fuites susceptibles de mettre en danger les combattants ou leurs familles. La source l'explique ainsi :
“Tant que les structures de sécurité existent, le mouvement se porte bien [...]. Peu importe qu'il soit faible militairement, politiquement ou même financièrement : ce qui compte, c'est que la sécurité soit assurée. Après des mois de combat militaire, la lutte s'est transformée en guerre du renseignement, plus précisément entre les services de renseignement du Qassam et le Shin Bet”.
Leadership à Gaza : qui dirige le Hamas ?
Après la mort de Yahya Sinwar - le puissant et brillant dirigeant du Hamas et “artisan” de l'opération Al-Aqsa Flood - le mouvement de résistance s'est abstenu d'annoncer la nomination d'un nouveau chef de bureau politique, laissant les questions sur sa direction sans réponse. Les sources de The Cradle confirment toutefois que le mouvement est actuellement dirigé par un comité de cinq membres représentant Gaza, la Cisjordanie et la diaspora, Moussa Abou Marzouk jouant un rôle clé dans les relations internationales.
Les médias israéliens ont souvent spéculé sur le rôle de Mohammad Sinwar, le frère de Yahya, le présentant comme une figure centrale et intraitable dans la prise de décision du Hamas. La vie du jeune Sinwar n'est pas moins mystérieuse que celle du commandant militaire des Brigades Qassam, Mohammed Deif, et il a également fait l'objet de six tentatives d'assassinat au cours des 30 dernières années.
Si Mohammad Sinwar est sans expérience politique ou sécuritaire, son expertise en tant que commandant de brigade et d'opérations a fait de lui une figure redoutable de la Résistance à Gaza. Selon certains témoignages, Israël aurait même proposé, au cours des négociations, d'expulser le jeune Sinwar pour résoudre le conflit - une offre rejetée par le Hamas.
Bien que les informations israéliennes personnalisent et amplifient souvent les rôles des dirigeants - souvent juste avant une tentative d'assassinat - les initiés insistent sur le fait que le Hamas fonctionne comme une institution, et non comme un mouvement dominé par un seul individu. Ce cadre institutionnel a été la clé de sa résilience, lui permettant de faire face aux pressions extérieures et aux défis internes.
Malgré la dévastation engendrée par la guerre, le Hamas a réussi à renforcer son cadre institutionnel et à maintenir sa cohésion, un exploit rare parmi les factions palestiniennes. Si le leadership de Yahya Sinwar lors d'opérations cruciales, telles qu'Al-Aqsa Flood, démontre l'acuité stratégique du mouvement, la véritable force du Hamas réside dans sa structure collective et institutionnelle. Cette structure lui a permis de relever les défis les plus extrêmes.
Sans cette résilience institutionnelle, les acquis du Hamas se seraient probablement désintégrés dès le début du conflit, et auraient permis à l'État d'occupation de remporter la victoire politique décisive tant recherchée - une victoire jamais remportée à ce jour.
https://thecradle.co/articles/hamass-strategic-survival-drives-israel-crazy