đâđš La vague dâassassinats de Netanyahu
âIl n'y a plus de cabinet de guerre, plus que Bibi. Il a changĂ© depuis deux ou trois ans. Il est fou de rage & de haine. Nous avons besoin d'un Churchillâ. Mais hĂ©las, nous & eux n'avons qu'un Biden.
đâđš La vague dâassassinats de Netanyahu
Par Seymour Hersh, le 5 août 2024
Les assassinats perpĂ©trĂ©s par IsraĂ«l au Liban et en Iran risquent d'entraĂźner les Ătats-Unis et le Moyen-Orient dans une guerre rĂ©gionale.
Les Ătats-Unis et le Moyen-Orient traversent actuellement une crise qui peut en partie ĂȘtre attribuĂ©e Ă l'Ă©chec de la politique Ă©trangĂšre du prĂ©sident Joe Biden, qui restera en fonction, sauf Ă©vĂ©nement imprĂ©vu, pendant encore six mois. Le problĂšme central est l'incapacitĂ© de M. Biden Ă comprendre les excĂšs et la dĂ©pravation du Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu, dont la haine des Palestiniens a conduit le Moyen-Orient et l'AmĂ©rique au bord d'une guerre qui n'est ni souhaitĂ©e, ni souhaitable. M. Biden n'a pas non plus cherchĂ© Ă obtenir un rĂšglement nĂ©gociĂ© de la guerre que la Russie, dirigĂ©e par Vladimir Poutine, est en train de gagner contre l'Ukraine.
Les Ă©checs de Biden reviendront bientĂŽt Ă la vice-prĂ©sidente Kamala Harris, pour qui la voie est dĂ©sormais toute tracĂ©e pour ĂȘtre dĂ©signĂ©e par acclamation lors de la convention dĂ©mocrate qui se tiendra plus tard ce mois-ci. Elle n'a pas encore manifestĂ© son dĂ©saccord avec le pĂ©ril que les politiques de M. Biden ont crĂ©Ă©, bien que le moment soit venu pour elle de s'exprimer.
La faute n'incombe pas seulement Ă M. Biden. La majoritĂ© des DĂ©mocrates et des RĂ©publicains au CongrĂšs votent rĂ©guliĂšrement l'envoi de milliards de dollars pour soutenir un gouvernement corrompu et dĂ©faillant en Ukraine et approuvent de la mĂȘme maniĂšre les bombes et les obus de chars fournis Ă IsraĂ«l pour ĂȘtre utilisĂ©s Ă Gaza. Le Hamas, qui a Ă©tĂ© financĂ© pendant des annĂ©es par le Qatar, sur ordre de Netanyahu, est loin d'ĂȘtre vaincu et il est dĂ©sormais clair que c'est Netanyahu qui s'oppose Ă un cessez-le-feu dans ce territoire, malgrĂ© les pressions - ou plutĂŽt les supplications - de la Maison Blanche de Biden.
Des signes de l'irrationalitĂ© de Netanyahu sont apparus dĂšs le dĂ©but, et ils ont Ă©tĂ© ignorĂ©s. AprĂšs l'attaque du Hamas, le 7 octobre dernier, les dirigeants israĂ©liens ont Ă©tĂ© mis en garde par un haut responsable amĂ©ricain dĂ©pĂȘchĂ© d'urgence en IsraĂ«l, qui leur a conseillĂ© de ne pas riposter par des bombardements massifs. Au lieu de cela, les IsraĂ©liens ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă annoncer qu'une riposte Ă©tait prĂ©vue, mais qu'elle ne serait pas dĂ©clenchĂ©e si le Hamas restituait immĂ©diatement les 240 otages, dont un grand nombre de membres des forces de dĂ©fense israĂ©liennes capturĂ©s. MĂȘme si la proposition Ă©chouait, l'absence de rĂ©action anticipĂ©e des dirigeants du Hamas Ă©tait considĂ©rĂ©e, avec optimisme, comme une circonstance attĂ©nuante possible pour la Maison Blanche et ses alliĂ©s, compte tenu de la violente riposte aux bombardements que tous savaient imminente. Il s'agit lĂ d'une tentative vouĂ©e Ă l'Ă©chec pour calmer la colĂšre du monde alors que Gaza est dĂ©truite. Un autre fonctionnaire amĂ©ricain bien informĂ© a Ă©galement suggĂ©rĂ© qu'IsraĂ«l devrait envisager l'infime Ă©ventualitĂ© que les dirigeants du Hamas entament une sĂ©rie de procĂšs criminels pour les membres de la direction du Hamas qui ont planifiĂ© l'attaque, procĂšs qui se tiendraient Ă Gaza. Cela non plus n'a abouti Ă rien.
Les dirigeants israéliens enragés ont préféré opter pour la punition collective, une décision qui a entraßné des dizaines de milliers de morts - les chiffres sont impossibles à mesurer compte tenu de l'effondrement de la société - et une condamnation croissante d'Israël dans le monde entier. En Amérique, cela s'est traduit par une réaction politique des étudiants et des jeunes contre le parti Démocrate, dont les candidats sont en danger lors des élections de novembre.
Netanyahu, invitĂ© par les RĂ©publicains Ă s'exprimer le 24 juillet devant une session plĂ©niĂšre du CongrĂšs - de nombreux dĂ©mocrates Ă©tant absents - a eu la tĂ©mĂ©ritĂ© de s'en prendre aux manifestants amĂ©ricains dans son discours, dĂ©clarant qu'« ils se tiennent aux cĂŽtĂ©s du Hamas » lorsqu'ils protestent contre le meurtre et la mutilation des habitants de la bande de Gaza. « Ils se tiennent aux cĂŽtĂ©s des violeurs et des meurtriers », a dĂ©clarĂ© Bibi, sous les applaudissements des RĂ©publicains. "Ils sont du cĂŽtĂ© de ceux qui sont entrĂ©s dans une maison et ont assassinĂ© parents et enfants. "Ils devraient avoir honte d'eux-mĂȘmes. . . . Pour autant que nous le sachions, l'Iran finance les manifestations anti-israĂ©liennes qui ont lieu en ce moment ». Il n'a prĂ©sentĂ© aucune preuve de cette derniĂšre affirmation.
Netanyahu a Ă©voquĂ© le spectre des armes nuclĂ©aires - IsraĂ«l en possĂšde des centaines et l'Iran n'en a aucune - en notant timidement que l'AmĂ©rique et IsraĂ«l ont « dĂ©veloppĂ© conjointement certaines des armes les plus sophistiquĂ©es de la planĂšte (...). Je choisis mes mots avec soin... qui aident Ă protĂ©ger nos deux pays. . . . Nous contribuons Ă©galement Ă maintenir les troupes amĂ©ricaines Ă distance tout en protĂ©geant nos intĂ©rĂȘts communs au Moyen-Orient ».
J'ai publiĂ© un livre sur l'arsenal nuclĂ©aire israĂ©lien en 1991, et mon travail a Ă©tĂ© soutenu par de nombreuses sources israĂ©liennes secrĂštes. Je suis convaincu que nos « intĂ©rĂȘts communs » n'incluent pas l'assassinat, la semaine derniĂšre en Iran, d'Ismail Haniyeh. Il s'agissait de l'homme de confiance du Hamas qui Ă©tait impliquĂ© dans les pourparlers avec IsraĂ«l et l'AmĂ©rique sur une proposition de cessez-le-feu - dont il est dĂ©sormais clair que Netanyahu n'a jamais voulu, ce que Biden et son Ă©quipe de politique Ă©trangĂšre n'ont jamais semblĂ© avoir compris. Cependant, de nombreux membres de la communautĂ© amĂ©ricaine du renseignement ont compris que Netanyahu Ă©tait devenu totalement redevable Ă l'extrĂȘme droite israĂ©lienne, reprĂ©sentĂ©e de la maniĂšre la plus alarmante par Itamar Ben-Gvir, ministre israĂ©lien de la SĂ©curitĂ© depuis 2022. M. Ben-Gvir est devenu le chef de file du parti Otzma Yehudit, qui dĂ©tient six siĂšges lui permettant de contrĂŽler la Knesset israĂ©lienne, Ăąprement divisĂ©e. C'est un raciste notoire qui n'hĂ©site pas Ă dire qu'il veut chasser tous les Palestiniens de leur terre. Ben-Gvir et son parti permettent Ă Netanyahu de rester en poste et d'Ă©chapper Ă une peine de prison dĂ©coulant d'une sĂ©rie d'inculpations pour corruption. Une combinaison mortelle.
La vague actuelle d'assassinats ordonnés par Netanyahu a commencé la semaine derniÚre lorsqu'un missile a détruit le bureau de Fuad Shukr, tuant le commandant du Hezbollah, dans une banlieue trÚs peuplée de Beyrouth. Deux femmes et trois enfants ont également été tués et plus d'une douzaine de personnes ont été blessées. Je suis l'un des rares Occidentaux à avoir interviewé le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à Beyrouth, et j'ai organisé cinq rencontres avec lui pour le New Yorker aprÚs l'invasion de l'Irak par l'administration Bush au printemps 2003. Hier comme aujourd'hui, il est considéré comme le leader le plus influent du monde chiite.
Lors d'une série d'entretiens téléphoniques avec des proches de Nasrallah aprÚs l'assassinat de Shukr, on m'a dit qu'il n'y aurait pas de représailles immédiates. Nasrallah a conclu que Netanyahu avait besoin de créer une crise constante pour rester au pouvoir. Puisque l'attaque a eu lieu dans une banlieue et non à Beyrouth - ni à Téhéran - une riposte immédiate n'était pas nécessaire.
L'assassinat par IsraĂ«l d'Ismail Haniyeh Ă TĂ©hĂ©ran - sept autres personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es par ce qui a Ă©tĂ© diversement rapportĂ© comme Ă©tant une bombe ou un missile - Ă©tait un message clair qu'il n'y aura pas de cessez-le-feu Ă Gaza, tant que Netanyahu sera au pouvoir. Cet attentat pourrait Ă©galement constituer ce dont personne ne veut, Ă l'exception peut-ĂȘtre de M. Netanyahu et de ses homologues politiques en IsraĂ«l : un changement de donne trĂšs meurtrier au niveau international.
S'exprimant lors des funérailles de Fuad Shukr, organisées dans le sud de Beyrouth, Nasrallah s'est montré sibyllin quant à ses projets d'avenir (traduction de l'arabe) :
âNous payons le prixâ - en rĂ©fĂ©rence Ă l'assassinat de Shukr - âde notre soutien Ă la bande de Gaza. Nous nous sommes engagĂ©s dans cette bataille parce que nous croyons fermement Ă la noblesse de cette cause, Ă son combat et Ă son importance. Les attaques de l'ennemi au Liban et au YĂ©men sont la preuve que nous ne sommes plus seulement en posture de soutien des fronts. Il s'agit d'une guerre ouverte avec l'ennemi...
âL'ennemi croit-t-il que l'assassinat d'IsmaĂŻl Haniyeh sur le sol iranien restera sans rĂ©ponse ?â a demandĂ© M. Nasrallah. âL'Iran considĂšre qu'il s'agit d'une atteinte non seulement Ă sa souverainetĂ© mais aussi Ă son honneurâ.
Le leader chiite, qui a étudié en Iran, a ensuite lancé cet avertissement au nom de l'Iran dominé par les chiites :
âA l'ennemi israĂ©lien. Vous vous ĂȘtes peut-ĂȘtre rĂ©jouis du massacre, mais vous pleurerez trĂšs bientĂŽt, car vous n'ĂȘtes pas conscients des lignes rouges que vous avez franchiesâ.
On m'a dit que Nasrallah ne me verrait pas, mais l'un de ses proches collaborateurs, un ancien membre du gouvernement libanais, m'a dit lors d'une interview ultĂ©rieure que, les funĂ©railles de Shukr Ă©tant terminĂ©es, âune attaque pourra avoir lieu Ă tout momentâ. Les missiles de Nasrallah peuvent atteindre âd'Ă©ventuelles cibles amĂ©ricaines et israĂ©liennesâ dans tout le Moyen-Orient.
âTous les grands ports militaires amĂ©ricains et les bases de la marine en MĂ©diterranĂ©e sont Ă portĂ©e de tir. Il a les armes et les personnes formĂ©es pour manipuler ces armesâ.
Il a Ă©galement affirmĂ© que la Russie fournit actuellement Ă l'Iran des milliers de missiles antiaĂ©riens avancĂ©s âainsi que les experts nĂ©cessaires pour les manipulerâ.
âNul autre qu'un fouâ, a-t-il dit de Netanyahu, ân'aurait fait ce qu'il a fait ces derniers joursâ, faisant rĂ©fĂ©rence aux assassinats prĂšs de Beyrouth et Ă TĂ©hĂ©ran.
âIl a tuĂ© le nĂ©gociateur des pourparlers de cessez-le-feu alors qu'il Ă©tait en visite officielle lors de la cĂ©rĂ©monie de serment d'un nouveau prĂ©sident Ă TĂ©hĂ©ran. Câest une atteinte Ă tous les nĂ©gociateursâ.
Le Pentagone a compris le message. Un communiqué publié à la fin de la semaine derniÚre indique que le Secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, répondant à une sollicitation de Biden, a ordonné l'envoi au Moyen-Orient d'un escadron supplémentaire d'avions de chasse, ainsi que d'un nouveau porte-avions, afin de renforcer le soutien à Israël et d'assurer la protection des actifs américains dans cette région. D'autres navires de guerre américains ont été déployés, en cas de guerre étendue, pour protéger les ressources militaires américaines en Europe et au Moyen-Orient.
La Maison Blanche a également publié, à la fin de la semaine derniÚre, un communiqué résumant l'appel téléphonique que MM. Biden et Kamala Harris ont eu avec M. Netanhayu. Dans cette déclaration, il n'est pas question de rassurer les dirigeants de l'Iran et du Hezbollah sur des négociations immédiates en vue d'éviter des effusions de sang, mais on a préféré faire preuve de bellicisme.
âLe prĂ©sident Biden s'est entretenu aujourd'hui avec le premier ministre israĂ©lien, M. Netanahayu. Le prĂ©sident a rĂ©affirmĂ© son engagement en faveur de la sĂ©curitĂ© d'IsraĂ«l contre toutes les menaces de l'Iran, y compris ses groupes terroristes mandataires, le Hamas, le Hezbollah et les Houthis. Le prĂ©sident a discutĂ© des efforts visant Ă soutenir la dĂ©fense d'IsraĂ«l contre les menaces, y compris contre les missiles balistiques et les drones, en incluant de nouveaux dĂ©ploiements militaires dĂ©fensifs amĂ©ricains. ParallĂšlement Ă cet engagement en faveur de la dĂ©fense d'IsraĂ«l, le prĂ©sident a soulignĂ© l'importance des efforts en cours pour dĂ©samorcer les tensions plus gĂ©nĂ©rales dans la rĂ©gion. La vice-prĂ©sidente Harris s'est Ă©galement associĂ©e Ă l'appelâ.
L'envoi de porte-avions et de navires de combat supplĂ©mentaires au Moyen-Orient ne peut ĂȘtre qualifiĂ© d'effort de dĂ©crispation des tensions. Mme Harris doit se dĂ©marquer le plus rapidement possible du chauvinisme d'un prĂ©sident qui a perdu le nord.
Le New York Times a rapportĂ© dimanche que M. Biden a insistĂ©, devant un groupe de journalistes qui attendaient avec lui jeudi soir le retour de prisonniers amĂ©ricains de Russie, sur le fait qu'un cessez-le-feu Ă©tait encore possible Ă Gaza. Il a dĂ©clarĂ© qu'il avait eu une conversation avec Netanyahu et qu'il lui avait dit que des nĂ©gociations pour âun cessez-le-feuâ Ă©tait encore possibles, et qu'il âdevrait agir, et maintenantâ. InterrogĂ© sur le fait de savoir si l'assassinat de Haniyeh rendait plus difficile la conclusion d'un accord, le prĂ©sident a rĂ©pondu, selon le Times: âCela n'a pas aidĂ©. C'est tout ce que j'ai Ă direâ.
Un Israélien qui a passé sa carriÚre dans l'armée à conseiller et à traiter les menaces les plus graves auxquelles son gouvernement était confronté a exprimé son désespoir dans un courriel récent.
âIl n'y a plus de cabinet de guerre, il n'y a que Bibiâ en IsraĂ«l, Ă©crit-il. âLe Premier ministreâ, ajoute-t-il, jusqu'Ă ses revers en justice et jusqu'aux derniĂšres Ă©lections, âse mĂ©fiait beaucoup des aventures militaires et des grandes confrontations nationales. C'est un homme diffĂ©rent depuis deux ou trois ans. Il est fou de rage et de haineâ.
âNous avons besoin d'un Churchill, mais nous accepterons un Harry S Trumanâ.
Mais hélas, nous et eux n'avons qu'un Biden.