đâđš La vengeance contre Assange qui a brisĂ© les mĂ©dias
Si Joe Biden se soucie de la libertĂ© d'expression et de la presse autant qu'il le prĂ©tend, il faudrait qu'il le dise, et quâil invite Merrick Garland Ă abandonner les poursuites contre Julian Assange.
đâđš La vengeance contre Assange qui a brisĂ© les mĂ©dias
Par Brian Karem, le 4 avril 2024
La vindicte mesquine de Trump a assombri lâavenir des mĂ©dias.
Aussi divisée que soit la politique dans ce pays, la plupart des gens sont d'accord sur au moins une chose : les médias sont médiocres.
Nous l'avons tous entendu : le New York Times en ligne n'est qu'un puzzle. Les médias traditionnels sont en train de mourir. La consultation en ligne des sites d'information est en baisse. Les reporters sont mauvais. Les rédacteurs en chef sont encore pires et le seul organisme auquel on fait encore moins confiance qu'aux médias est le CongrÚs - grùce à Marjorie Taylor Greene, Lauren Boebert, Jim Jordan et James Comer, entre autres.
Si tout cela est vrai dans une certaine mesure, on peut se demander pourquoi nous en sommes arrivés là . Les patrons des grands médias ont-ils soudainement décidé qu'ils serviraient de faire-valoir sans raison ? Ou bien y a-t-il eu autre chose ?
J'irai droit au but : Les hommes politiques de tous bords dĂ©nigrent les journalistes. Ils peuvent applaudir un article avec lequel ils sont d'accord, mais se retourneront contre le mĂȘme journaliste ou la mĂȘme publication s'ils ne sont pas d'accord. Le dĂ©clin de la presse est le fait des hommes politiques, et en particulier de tous les prĂ©sidents depuis Ronald Reagan.
La semaine derniÚre, dans la salle de briefing de la Maison Blanche, l'administration Biden s'est mobilisée en faveur d'Evan Gershkovich, un journaliste du Wall Street Journal accusé d'espionnage en Russie, qui a passé un an en prison parce qu'il a fait son travail dans la Russie de Poutine.
AP a rapporté en janvier que plus de 300 journalistes sont emprisonnés dans le monde pour avoir simplement fait leur travail.
Partout dans le monde, les journalistes sont de plus en plus souvent emprisonnĂ©s et tuĂ©s. On nous traite de âfake mediaâ, de propagandistes et d'idiots. Ă gauche, on nous traite de complices adeptes des fausses alternatives. Ă droite, on nous traite de âlibertairesâ, de âcommunistesâ, de âfascistesâ et de âgrands mĂ©dias libĂ©rauxâ.
Entre-temps, plusieurs organisations médiatiques ont rapporté qu'au moins 77 professionnels du journalisme sont morts en essayant de couvrir la guerre à Gaza depuis ses débuts en octobre dernier.
Il s'agit lĂ de situations oĂč l'on tire littĂ©ralement sur le messager. MĂ©taphoriquement, il y a longtemps que notre public a dĂ©cidĂ© de nous reprocher les articles qu'il dĂ©sapprouve. Les membres des gouvernements agissent de la mĂȘme maniĂšre, incitant le public Ă les remettre en question. Leur objectif est la diversion et la tromperie. Ils veulent que vous nous blĂąmiez, afin que vous ne les remettiez pas en question. Tous les gouvernements le font. Certains le font mieux que d'autres.
La Russie excelle dans ce domaine, ainsi que la CorĂ©e du Nord et tous les dictateurs de pacotille et les rĂ©publiques bananiĂšres de seconde zone de la planĂšte. Mais un pays a ouvert la voie. Un pays a fourni le modĂšle de tout ce qui a Ă©tĂ© fait Ă travers le monde aux journalistes : les Ătats-Unis.
Quoi que vous pensiez d'Assange, de ses actions, et ce pour quoi il est poursuivi, sont des actes journalistiques autrefois ordinaires et aujourd'hui en voie d'extinction. Le gouvernement américain le poursuit parce qu'en fin de compte, notre gouvernement ne veut pas que ses petits ou grands délits soient divulgués.
Je ne peux pas dire que ça soit plaisant Ă dire, mais les Ătats-Unis sont en train de basculer dans une perversitĂ© sans prĂ©cĂ©dent de mon vivant. Nous devons cela Ă une absence notoire d'Ă©ducation et au piĂštre niveau du journalisme. Ronald Reagan et tous les prĂ©sidents qui lui ont succĂ©dĂ© ont contribuĂ© Ă notre ruine.
Reporters sans frontiĂšres classe les Ătats-Unis au 45e rang de la libertĂ© de la presse. Nous sommes une dĂ©mocratie en difficultĂ©. Il y a presque trois fois plus de personnes sur cette planĂšte que le jour de ma naissance, et un quart de journalistes en moins. La fusion des mĂ©dias est Ă l'origine de ce problĂšme. Six sociĂ©tĂ©s possĂšdent aujourd'hui plus de 90 % de ce que vous voyez, lisez ou entendez. Notre gouvernement fĂ©dĂ©ral, Ă commencer par Reagan, a rendu possible ces fusions en suivant la mĂȘme logique que celle qui nous a permis de subir l'Ă©conomie de ruissellement. Ni l'un ni l'autre n'a fonctionnĂ©. Les deux sont prĂ©judiciables Ă la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral.
L'informatique n'a rien à voir là -dedans. Internet n'est pas en cause. La mauvaise gestion, le marketing des chaßnes de distribution et les licenciements massifs liés au sort que notre gouvernement a réservé au journalisme sont à l'origine de notre problÚme.
Bien que l'actuelle administration prĂ©sidentielle ait frĂ©quemment fait la promotion de la presse libre depuis la tribune de la salle de briefing Brady, et que le prĂ©sident Joe Biden lui-mĂȘme ait souvent dĂ©clarĂ© qu'il nous soutenait, il a Ă©galement contribuĂ© Ă notre ruine. Ne vous mĂ©prenez pas. Il ne s'agit pas de faux dĂ©bats. C'est bien rĂ©el. Les deux prĂ©sidents qui ont le plus contribuĂ© au dĂ©clin du journalisme sont Ronald Reagan et âLe Don Orangeâ - Trump, de loin le pire.
Mais alors que Biden ne cesse de parler de démanteler les monopoles, il n'a pas une seule fois évoqué la nécessité de le faire pour les journaux, la télévision, la radio ou les réseaux sociaux. Et tandis que M. Biden nous appelle à nous souvenir de Gershkovich, qui se souvient de Julian Assange ?
La Russie a accusĂ© Gershkovich d'espionnage. Le gouvernement amĂ©ricain a inculpĂ© Julian Assange pour quasiment la mĂȘme chose - et dans moins d'une semaine, il aura passĂ© cinq ans en prison sans jamais ĂȘtre jugĂ©.
M. Assange a Ă©tĂ© emprisonnĂ© pour des actions que l'ancien procureur gĂ©nĂ©ral Eric Holder a qualifiĂ©es de similaires Ă celles du New York Times et du Washington Post quand les âPentagon Papersâ ont Ă©tĂ© publiĂ©s. Publier les secrets des gouvernements, c'est ce que nous devrions faire. Aujourd'hui, nous publions du vent parce que nous ne pouvons rien faire de mieux, sous peine d'aller en prison.
C'est ce qu'a fait Assange. L'administration Obama, dont Biden faisait partie, a refusé de poursuivre Assange pour sa démarche. Le lunatique Trump a changé la donne. Rien ne montre mieux l'impératif de s'assurer que Donald Trump ne revienne jamais au pouvoir avec ce que son ministÚre de la Justice militarisé a fait à Assange.
âLes gens comprennent ce que Julian a faitâ, m'a dit son frĂšre Gabriel la semaine derniĂšre. âIl a publiĂ© des informations qui ont embarrassĂ© le gouvernement amĂ©ricain. Ils ont dĂ©cidĂ© de le punir pour se vengerâ.
Human Rights Watch a souligné la portée de l'affaire Assange la premiÚre fois qu'elle a été rendue publique il y a prÚs de 15 ans.
âC'est un moment clĂ© pour la libertĂ© d'expression et de l'information, tant aux Ătats-Unis qu'Ă l'Ă©trangerâ,
a déclaré Dinah PoKempner, conseillÚre générale à Human Rights Watch.
âPoursuivre WikiLeaks pour avoir publiĂ© des informations confidentielles crĂ©erait un terrible prĂ©cĂ©dent que d'autres gouvernements s'empresseront de saisir, en particulier ceux qui ont l'habitude d'essayer de museler une information politique lĂ©gitime.â
Sous Donald Trump, le ministĂšre de la Justice a poursuivi Assange. C'Ă©tait prĂ©visible lorsque Trump s'est mis en tĂȘte de dĂ©molir et de revenir sur tout ce qui avait Ă©tĂ© fait sous l'administration Obama. Mais Assange a passĂ© plus de temps en prison sous l'administration Biden que sous l'administration Trump. Il attend dans une cellule froide en Angleterre et lutte contre l'extradition vers les Ătats-Unis, ce qui, selon son frĂšre, a de graves rĂ©percussions sur lui. âIl a 52 ans, mais il fait beaucoup plus ĂągĂ©â, a dĂ©clarĂ© son frĂšre aprĂšs lui avoir rendu visite pour la derniĂšre fois.
AprÚs avoir rendu visite à Assange en prison le 9 mai 2019, Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements ou sanctions cruels, inhumains ou dégradants, a conclu que
âoutre les affections physiques, M. Assange prĂ©sentait tous les symptĂŽmes typiques d'une exposition prolongĂ©e Ă la torture psychologique, notamment un stress extrĂȘme, une anxiĂ©tĂ© chronique et un traumatisme psychologique intenseâ, comme le rapporte WikipĂ©dia.
âC'est de la torture Ă petit feu. Il n'a jamais tenu son plus jeune fils dans ses brasâ, a expliquĂ© son frĂšre. âIl a passĂ© cinq ans en prison pour avoir fait son devoir de journalisteâ.
Si tout cela vous Ă©chappe, c'est comprĂ©hensible. Nous sommes noyĂ©s dans un monde de gros titres qui vont de âJe suis un sociopathe et voici ce que je tiens Ă vous direâ Ă âCe que John Lennon a dit d'Elvisâ, en passant par âDix des meilleurs films de science-fiction diffusĂ©s sur Netflix ce mois-ciâ. C'est soit du vent, soit de la foutaise, soit du boniment destinĂ© Ă promouvoir du vent et de la foutaise.
Ce qu'a fait Assange correspond à ce que le journalisme américain faisait autrefois, et ne fait presque plus aujourd'hui. Ce n'est pas une coïncidence qu'il ne soit pas originaire de ce pays, la plupart des journalistes encore en activité ici sont achetés et vendus par les grandes entreprises qui les possÚdent.
Quoi que vous pensiez d'Assange, de ses activités et de ce pour quoi il est poursuivi, ce sont des actes de journalisme autrefois ordinaires et aujourd'hui en voie de disparition. Le gouvernement américain le poursuit parce qu'en fin de compte, notre gouvernement ne veut pas que ses petits ou grands secrets soient divulgués. Le parlement australien, plusieurs membres du CongrÚs, le chancelier allemand et d'autres personnalités du monde entier ont appelé le gouvernement américain à abandonner ses poursuites contre lui.
J'ai sollicitĂ© Ă plusieurs reprises une dĂ©claration du ministĂšre de la Justice au sujet de cette affaire. Je n'ai jamais eu de rĂ©ponse. La Maison-Blanche se contente de vous renvoyer vers le ministĂšre de la Justice. âC'est au procureur gĂ©nĂ©ral de dĂ©ciderâ, nous dit-on toujours.
En attendant, la liberté en prend un coup.
Toutes les thĂ©ories du complot gagnent en puissance Ă cause des poursuites engagĂ©es par notre gouvernement contre M. Assange, et de son manque de transparence Ă l'Ă©gard du public - qu'il y ait rĂ©ellement complot ou non. Tous les discours sur l'âĂtat profondâ y gagnent. Plus important encore, notre gouvernement, comme beaucoup l'ont soulignĂ©, sert de modĂšle aux autoritaires du monde entier pour justifier leurs actions contre les dĂ©fenseurs et les diseurs de vĂ©ritĂ©.
Chaque jour passé par Assange en prison devrait attirer l'attention de tous sur l'importance de la liberté d'expression, qui est à l'agonie. Nous vivons une vague d'autoritarisme. Si Joe Biden se soucie de la liberté d'expression et de la presse autant qu'il le prétend (nous savons tous que Trump s'en moque et qu'il n'est motivé que parce qu'il veut éliminer toute critique à son encontre), il faudrait qu'il le dise, et invite Merrick Garland [procureur général] à abandonner les poursuites contre Julian Assange.
Il ne faut pas s'attendre Ă ce que cela se produise avant les Ă©lections, sauf s'il devenait clair qu'un procĂšs trĂšs mĂ©diatisĂ© d'Assange pendant la campagne Ă©lectorale nuirait aux chances de rĂ©Ă©lection de Joe Biden. Ăvidemment, le gouvernement peut traĂźner les pieds et tenir l'affaire Ă l'Ă©cart des regards jusqu'Ă la fin des Ă©lections, pour que les gros mĂ©dias n'accordent que peu ou pas d'attention Ă l'affaire.
Et voilĂ comment la libertĂ© d'expression, et peut-ĂȘtre Julian Assange, disparaĂźtront : mĂ©connus, oubliĂ©s pour la plupart, mĂ©prisĂ©s et redoutĂ©s.
Ce qui compte, c'est de contrĂŽler le message.
* Brian Karem est l'ancien correspondant principal de Playboy Ă la Maison Blanche. Il a couvert toutes les administrations prĂ©sidentielles depuis Ronald Reagan, a poursuivi Donald Trump Ă trois reprises avec succĂšs pour conserver sa carte de presse, a Ă©tĂ© emprisonnĂ© pour avoir protĂ©gĂ© une source confidentielle, a couvert les guerres au Moyen-Orient et est l'auteur de sept livres. Le dernier en date s'intitule âFree the Pressâ.