đâđš Lâaffaire Assange : le crime d'Ă©dition
Julian n'est pas un citoyen amĂ©ricain, et ne se trouvait pas sur le territoire amĂ©ricain au moment oĂč les cĂąbles ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s, et publiĂ©s en outre dans des mĂ©dias europĂ©ens.
đâđš Lâaffaire Assange : le crime d'Ă©dition
đ° Par Marina Meseguer, le 26 dĂ©cembre 2022
La libertĂ© de la presse menacĂ©e par l'Ă©ventuelle extradition du fondateur de WikiLeaks vers les Ătats-Unis
Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, a passĂ© prĂšs de quatre ans en dĂ©tention provisoire dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh. L'une des derniĂšres fois qu'il a Ă©tĂ© vu en public, il Ă©tait traĂźnĂ© par quatre officiers dans un fourgon de police devant l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres, aprĂšs avoir passĂ© 2 487 jours enfermĂ© pour tenter d'Ă©viter l'extradition vers la SuĂšde. Il est en train d'Ă©puiser sa derniĂšre chance contre l'extradition vers les Ătats-Unis. Si la High Court britannique rejette son appel, il pourrait ĂȘtre condamnĂ© Ă une peine allant jusqu'Ă 175 ans de prison. La dĂ©cision pourrait ĂȘtre annoncĂ©e dans les semaines Ă venir.
"Vous demandez comment va Julian", a dĂ©clarĂ© sa femme, Stella Assange, au Parlement europĂ©en Ă Strasbourg la semaine derniĂšre. "Il souffre profondĂ©ment. Rien ne justifie qu'il soit en prison. Et les accusations portĂ©es contre lui aux Ătats-Unis mettent en danger nos dĂ©mocraties.â
L'Australien Julian Assange est un personnage controversĂ©. Pour ses partisans, il est un militant contre la corruption et les violations des droits de l'homme, capable de tout risquer pour faire Ă©clater la vĂ©ritĂ©. Pour certains gouvernements, il est un pirate fanatique qui a mis en danger la sĂ©curitĂ© de l'Ătat. Cette bataille dure depuis 12 ans, lorsque, grĂące aux documents divulguĂ©s par le soldat Chelsea Mannings, le monde a appris les crimes commis par l'armĂ©e amĂ©ricaine dans les guerres en Irak et en Afghanistan. Depuis sa crĂ©ation, WikiLeaks a rĂ©vĂ©lĂ© des affaires d'espionnage entre alliĂ©s, des filiĂšres de corruption au plus haut niveau et mĂȘme les emails de la campagne dĂ©mocrate de 2016.
"Aucun Ă©diteur, journaliste ou source, oĂč que ce soit, ne pourra se dĂ©fendre si ce prĂ©cĂ©dent est Ă©tabli."
âDes "Pentagon Papers" aux "Panama Papers", une partie du journalisme le plus remarquable de ces derniĂšres dĂ©cennies - y compris les enquĂȘtes rĂ©compensĂ©es par le prix Pulitzer - a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e parce qu'il est lĂ©gal de publier des documents secrets, mĂȘme si leurs sources les ont obtenus par des moyens illĂ©gaux. C'est la base du journalisme d'investigation",
affirme Miren GutiĂ©rrez, journaliste et professeur Ă l'universitĂ© de Deusto, qui a travaillĂ© pendant plusieurs annĂ©es sur des enquĂȘtes financiĂšres au Panama. Les Ătats-Unis accusent Julian Assange d'avoir violĂ© l'Espionage Act, une rĂšgle datant de la PremiĂšre Guerre mondiale qui n'a encore jamais Ă©tĂ© utilisĂ©e pour poursuivre un Ă©diteur. L'activiste risque une peine d'emprisonnement Ă vie, non pas pour avoir divulguĂ©, mais pour avoir publiĂ©. C'est un point que son Ă©pouse a soulignĂ© Ă de nombreuses reprises pour mettre en garde contre le danger de l'affaire pour l'avenir du droit d'expression et de publication, et qui, selon elle, n'est pas suffisamment compris par le grand public ni par la plupart des journalistes.
Beaucoup affirment que cette affaire est bien plus importante que celle d'Assange.
"La publication par WikiLeaks de centaines de milliers de documents secrets exposant des crimes de guerre et des violations des droits a rĂ©vĂ©lĂ© au monde des informations d'intĂ©rĂȘt public. S'il est extradĂ©, il sera le premier Ă©diteur Ă ĂȘtre jugĂ© en vertu de la loi sur l'espionnage, qui ne lui permet pas de se dĂ©fendre pour des raisons d'intĂ©rĂȘt public. Ni lui ni aucun autre rĂ©dacteur en chef, journaliste ou source, oĂč que ce soit dans le monde, ne pourront se dĂ©fendre correctement si ce dangereux prĂ©cĂ©dent est Ă©tabli",
a déclaré à la BBC Rebecca Vincent, directrice des opérations de Reporters sans frontiÚres.
"Comment pouvez-vous condamner quelqu'un pour avoir publié la vérité ?", demande Stella Assange.
Stella Assange soutient qu'il s'agit d'une affaire extraterritoriale.
"Julian n'est pas un citoyen amĂ©ricain et ne se trouvait pas sur le territoire amĂ©ricain au moment oĂč les cĂąbles ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s. En outre, ils ont Ă©tĂ© publiĂ©s dans des mĂ©dias europĂ©ens. Les accusations portĂ©es contre lui pourraient ĂȘtre appliquĂ©es Ă n'importe quel autre journaliste europĂ©en",
a-t-elle averti. Il y a quelques semaines, les cinq journaux qui ont rĂ©vĂ©lĂ© les cĂąbles de WikiLeaks en 2010 - le New York Times, Le Monde, The Guardian, Der Spiegel et El PaĂs - ont publiĂ© un Ă©ditorial commun mettant en garde contre la crĂ©ation d'un "dangereux prĂ©cĂ©dent".
"L'obtention et la divulgation d'informations sensibles lorsque cela s'avĂšre nĂ©cessaire dans l'intĂ©rĂȘt public constituent une partie essentielle du travail des journalistes. Si ce travail est criminalisĂ©, notre discours public et nos dĂ©mocraties sont considĂ©rablement affaiblis", ont-ils fait valoir.
"Je ne sais pas ce qui arrivera à Assange, mais il n'y a aucune raison légale de le poursuivre, et ce ne serait pas un bon précédent pour le journalisme. Je doute que Biden veuille que ce procÚs fasse partie de son héritage",
dit GutiĂ©rrez. Trois administrations sont passĂ©es Ă la Maison Blanche depuis la publication du Cablegate. Sans pour autant manquer de volontĂ©, Barack Obama a conclu qu'il ne pouvait pas poursuivre Assange car il Ă©tait protĂ©gĂ© par le Premier Amendement (libertĂ© d'expression et de presse), une donnĂ©e qui a changĂ© depuis l'investiture de Donald Trump. Non seulement il a dĂ©cidĂ© de le poursuivre par le biais de l'Espionage Act, mais la CIA a mĂȘme envisagĂ© de le kidnapper et de l'assassiner. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui ne comprennent pas pourquoi l'administration Biden poursuit l'affaire.
"Au-delà de tous les arguments sur la liberté de la presse, ils voudraient envoyer une personne dans le pays qui avait décidé de le tuer et qui prenait des mesures pour le faire ?" déplore sa femme.
https://www.lavanguardia.com/internacional/20221226/8657375/caso-assange-delito-publicar.html