đâđš L'affaire Julian Assange, du point de vue des cercles internes de la CIA, du dĂ©partement d'Ătat et de l'armĂ©e amĂ©ricaine
âAssange ne doit pas ĂȘtre extradĂ©, car il ne bĂ©nĂ©ficiera pas d'un procĂšs Ă©quitable dans le district Est de Virginie. C'est tout simplement impossible. Personne n'y a jamais gagnĂ© de procĂšs, jamais.â
đâđš Lâaffaire Julian Assange, du point de vue des cercles internes de la CIA, du dĂ©partement d'Ătat et de l'armĂ©e amĂ©ricaine
Avec John Kiriakou et Matthew Hoh
Source : Pixabay, The Official Project Censored Show, le 24 octobre 2023
Vous avez peut-ĂȘtre entendu parler de Julian Assange, mais il y a de fortes chances que vous n'ayez pas entendu parler de lui de l'intĂ©rieur de la CIA, du dĂ©partement d'Ătat et de l'armĂ©e amĂ©ricaine. Dans ce numĂ©ro spĂ©cial, Eleanor s'entretient d'abord avec John Kiriakou, ancien agent de la CIA chargĂ© de la lutte contre le terrorisme et lanceur d'alerte, au sujet de ce qu'encourrait Assange s'il Ă©tait extradĂ© vers les Ătats-Unis, car Kiriakou a lui-mĂȘme siĂ©gĂ© dans le mĂȘme tribunal que celui qui attend Assange. M. Kiriakou Ă©voque Ă©galement l'acharnement de la CIA contre M. Assange et les rouages internes qui ont permis Ă la CIA de planifier l'assassinat de M. Assange dans un abandon total et sans avoir Ă rendre de comptes. Matthew Hoh, ancien capitaine du corps des Marines et officier du dĂ©partement d'Ătat, rejoint l'Ă©mission pour nous expliquer ce qu'est exactement une information classifiĂ©e et pourquoi c'est important pour comprendre les fichiers partagĂ©s par Wikileaks. Matthew dĂ©monte l'idĂ©e reçue selon laquelle les publications de Wikileaks auraient mis en danger des vies amĂ©ricaines, en soulignant que c'est l'empire lui-mĂȘme qui a souffert. (intervention de ce dernier sur la vidĂ©o, non retranscrit).
Vidéo de l'entretien avec John Kiriakou
Vous trouverez ci-dessous une transcription approximative de l'entretien avec John Kiriakou.
Eleanor Goldfield : Merci Ă tous de nous rejoindre Ă l'Ă©mission de radio Project Censored. Nous sommes trĂšs heureux d'accueillir John Kiriakou, ancien agent antiterroriste de la CIA et ancien enquĂȘteur principal de la commission sĂ©natoriale des affaires Ă©trangĂšres.
John est devenu le sixiĂšme lanceur dâalerte inculpĂ© par l'administration Obama en vertu de l'Espionage Act, une loi destinĂ©e Ă punir les espions. Il a purgĂ© une peine de 23 mois de prison pour avoir tentĂ© de s'opposer au programme de torture de l'administration Bush et de le dĂ©noncer.
John, merci beaucoup de nous avoir rejoints.
John Kiriakou : Merci de m'accueillir, Eleanor. J'en suis ravi.
Eleanor Goldfield : Pour commencer, je voudrais, parce que vous et Assange avez ceci en commun, dâĂȘtre tous deux poursuivis en vertu de l'Espionage Act, et qu'il finira, comme vous, devant le tribunal du district oriental de Virginie. Je me demandais si vous pouviez nous expliquer ce que cela signifie d'ĂȘtre devant le tribunal du district oriental, et en quoi cela va Ă l'encontre de l'argument selon lequel si Assange Ă©tait extradĂ©, il bĂ©nĂ©ficierait d'un procĂšs Ă©quitable.
John Kiriakou : Oh, oui. Tout d'abord, il faut dire les choses telles qu'elles sont : il ne doit pas ĂȘtre extradĂ©, car il ne bĂ©nĂ©ficiera pas d'un procĂšs Ă©quitable dans le district Est de la Virginie. C'est tout simplement impossible.
La raison la plus simple est que son jury serait composé de personnes qui travaillent pour la CIA, le Pentagone, le ministÚre de la sécurité intérieure ou des dizaines et des dizaines de sous-traitants de la communauté du renseignement, ou qui ont des amis ou des parents qui travaillent pour la CIA, le Pentagone, le ministÚre de la sécurité intérieure ou des dizaines et des dizaines de sous-traitants de la communauté du renseignement. Voilà de qui serait composée la liste des jurés. Il n'est donc pas possible d'obtenir un procÚs équitable.
Je vais poser une question rhĂ©torique. Vous savez, j'ai Ă©tĂ© inculpĂ© dans le district Est de Virginie. Jeffrey Sterling, le lanceur dâalerte de la CIA, l'a Ă©tĂ© dans le district Est. Snowden a Ă©tĂ© inculpĂ© dans le district Est, tout comme Julian.
Mais lorsque l'ancien directeur de la CIA, David Petraeus, a rĂ©vĂ©lĂ© les noms de dix agents secrets de la CIA Ă sa petite amie et lui a donnĂ© accĂšs aux livres noirs du prĂ©sident, qui sont les documents les plus hautement confidentiels du gouvernement amĂ©ricain, oĂč a-t-il Ă©tĂ© inculpĂ© ? Il a Ă©tĂ© inculpĂ© dans le district occidental de Caroline du Nord.
L'accusation a été réduite à un délit mineur. Il a plaidé coupable et a obtenu 18 mois de mise à l'épreuve sans surveillance. Il a conservé son habilitation de sécurité. Il a conservé ses contrats avec la Maison Blanche. Lors de l'audience de détermination de la peine, le juge est descendu du banc pour lui serrer la main et le remercier pour les services rendus au pays.
Il y a donc une grande différence dans la façon dont les gens sont traités en vertu de la loi sur l'espionnage, selon le district fédéral dans lequel ils sont inculpés.
Ce n'est pas pour rien que le district oriental de Virginie est appelé le tribunal de l'espionnage. Et c'est parce qu'aucune personne accusée d'atteinte à la sécurité nationale n'y a jamais gagné un procÚs. Jamais.
Eleanor Goldfield : Lors de votre procÚs, si j'ai bien compris, et j'espÚre que vous pourrez en dire plus à ce sujet, vous n'avez pas été autorisé à vous défendre.
John Kiriakou : Non. C'est l'une des bizarreries de la loi sur l'espionnage. Il n'y a pas de défense possible.
Vous ne pouvez pas dire, oui, j'ai dénoncé le programme de torture de la CIA, mais je l'ai fait parce que c'était un programme illégal.
Tout ce que vous pouvez dire, c'est que j'ai divulguĂ© des informations classifiĂ©es. Vous ne pouvez pas, il vous est interdit de dire pourquoi vous l'avez fait. Et Ed Snowden, j'Ă©tais en contact Ă©troit lui, il a tout d'abord dit qu'il Ă©tait prĂȘt Ă rentrer chez lui et Ă faire face Ă la musique.
Et j'ai dit, Ă©coute, tu dois engager les meilleurs avocats que l'argent puisse acheter. Il a engagĂ© mes avocats et ils ont immĂ©diatement entamĂ© des nĂ©gociations avec le ministĂšre de la Justice pour essayer de trouver un accord parce que, comme je vous l'ai dit, il Ă©tait prĂȘt Ă rentrer chez lui, Ă faire face Ă la justice et Ă aller en prison, c'est ce qu'il m'a dit lui-mĂȘme. S'ils l'autorisaient Ă se prĂ©senter devant le tribunal pour expliquer pourquoi il a fait ce qu'il a fait.
Donc, pour une raison qui n'a jamais été expliquée, il était préférable pour le ministÚre de la justice qu'Ed Snowden refasse sa vie en Russie plutÎt que de revenir et d'expliquer que la CIA, la NSA et une myriade d'autres services espionnaient les citoyens américains.
Eleanor Goldfield : Si vous y réfléchissez, l'intention est donc un élément essentiel du systÚme judiciaire.
John Kiriakou : Mais pas avec la loi sur l'espionnage.
Mes avocats ont en fait essayé de faire valoir cet argument lors de la toute premiÚre audience et ma juge, la juge Leonie Brinkman, nommée par Reagan, a interrompu les avocats et a dit, je ne vais pas respecter le précédent d'autres tribunaux selon lequel le défendeur devait avoir une intention criminelle.
Et mes avocats ont dit : âAttendez une minute, votre honneur, ĂȘtes-vous en train de dire qu'une personne peut accidentellement commettre un acte d'espionnage ?â
Elle s'est tournĂ©e vers moi et m'a dit : âM. Kiriakou, soit vous l'avez fait, soit vous ne l'avez pas fait. Et je pense que vous l'avez fait. Et c'est tout.â
Nous avons bloqué trois jours. Nous avons rédigé des centaines de motions pour rejeter des documents. Et elles portaient toutes sur l'intention criminelle. Parce ces cùbles montraient mon refus de participer aux sessions de formation à la torture, mon objection à la torture alors que j'étais encore à la CIA, et il y avait des dizaines, des centaines de cùbles qui exposaient les techniques de torture réellement utilisées.
Nous sommes entrĂ©s dans la salle d'audience et elle a dit : âJe vais faire gagner beaucoup de temps Ă tout le monde et je vais rejeter les 200 requĂȘtesâ. Et c'est ce qu'elle a fait.
Elle a déclaré une suspension d'audience et, alors que nous sortions, j'ai demandé à mon avocat principal ce qui venait de se passer. Il m'a répondu que nous venions de perdre l'affaire.
Voilà ce qui s'est passé. Il s'agit du district Est de la Virginie. En fin de compte, le ministÚre de la justice m'a fait une meilleure et derniÚre offre et j'ai décidé de la refuser. Ma femme et moi sommes restés debout toute la nuit à discuter de ce qu'il fallait faire, et je croyais au plus profond de moi que j'étais innocent et que j'allais rejeter l'offre.
J'ai donc envoyĂ© un courriel Ă mes avocats trĂšs tĂŽt le matin et ils ont rĂ©pondu immĂ©diatement que trois d'entre eux arrivaient Ă la maison. Le plus ĂągĂ© et le plus compĂ©tent, lorsqu'il est entrĂ©, m'a dit, et ce sont ses mots exact : âEspĂšce de stupide fils de pute, accepte le marchĂ©â.
Et le second, un gentleman du Sud, m'a dit : âĂcoute, si tu Ă©tais mon propre frĂšre, je te supplierais d'accepter ce marchĂ©. Il n'y a rien de mieux Ă faire. Et puis le troisiĂšme, qui Ă©tait un dur mais que j'aimais beaucoup et respectais le plus au fond, m'a fait face. Et pardonnez-moi si j'ai racontĂ© cette histoire trop souvent, mais il m'a dit : âTu sais quel est ton problĂšme ? Tu penses qu'il s'agit de justice, mais ce n'est pas le cas, il s'agit d'attĂ©nuer les dommages, acceptez l'accordâ.
J'ai donc accepté l'accord. Et c'est ce qu'ils attendaient. C'est pourquoi, selon ProPublica, le gouvernement fédéral gagne 98. 2 % de ses affaires et que, dans le district oriental de Virginie, il gagne 99,1 % de ses affaires.
Vous n'avez aucune chance. Vous ne pouvez pas gagner.
Eleanor Goldfield : Et comme vous l'avez déjà dit, Julian Assange ne pourrait pas, je veux dire, il n'y a aucune chance que le ministÚre de la Justice lui propose un accord à ce stade.
John Kiriakou : J'en doute. La seule façon pour le ministÚre de la Justice de lui proposer un accord serait que lui ou Wikileaks ait des informations supplémentaires encore été publiées et que, dans le cadre de l'accord, ils négocient, vous savez, un délai X en échange de la non-divulgation de l'information ou de sa restitution au gouvernement.
Mais il risque 175 ans de prison pour des dizaines d'accusations d'espionnage. Je ne peux pas imaginer qu'ils veuillent lui faciliter la tĂąche.
Eleanor Goldfield : Et d'aprÚs votre expérience, il ne s'agit pas seulement de l'Eastern District, il s'agit aussi de dire que des vies sont détruites aprÚs coup. Je me demandais si vous pouviez nous en dire un peu plus à ce sujet.
Supposons qu'il ait Ă©tĂ© graciĂ© d'une maniĂšre ou d'une autre. Il y a aussi ce grand appareil d'Ătat qui essaie de faire en sorte que les lanceurs dâalerte et ceux qui disent la vĂ©ritĂ© voient leur vie dĂ©truite, mĂȘme en dehors du systĂšme judiciaire.
John Kiriakou : Oui, vous savez, automatiquement les gens s'Ă©loignent de vous. Les amis, les anciens collĂšgues et mĂȘme les parents prennent le large, et ne vous parlent plus jamais.
C'est horrible, n'est-ce pas ? Mais vous pouvez vivre avec ça. En fait, câest une maniĂšre de voir qui sont vraiment vos amis. Et puis on se fait de nouveaux amis dans une nouvelle communautĂ©.
Mais lĂ oĂč ça ne va pas, c'est que vous ne travaillerez plus jamais dans votre domaine. Et en plus de ne plus jamais travailler dans votre domaine, vous avez une condamnation pour crime contre la sĂ©curitĂ© nationale.
Vous perdez donc votre pension fĂ©dĂ©rale. Vous perdez le droit de vote. Vous perdez le droit de possĂ©der une arme Ă feu. Vous ĂȘtes toujours suspectĂ© de quelque chose. Je veux dire que des annĂ©es aprĂšs ma sortie de prison, le FBI a continuĂ© Ă me suivre partout. Pas tout le temps, mais avec une certaine rĂ©gularitĂ©.
J'Ă©tais l'un des principaux experts du gouvernement amĂ©ricain sur le Moyen-Orient. J'ai fini par stocker des produits au magasin d'artisanat Michael's en l'âĂ©quipe de nuit avant de trouver un emploi au salaire minimum dans un groupe de rĂ©flexion de gauche, puis ma femme m'a quittĂ©. Elle n'en pouvait plus.
Tout cela fait partie de la punition Ă long terme. Ils veulent que vous soyez dĂ©truit. Pas parce qu'ils en ont aprĂšs vous. Ils ne sont pas assis autour d'une table Ă se demander comment on peut court-circuiter Eleanor. Comment faire pour qu'elle ne travaille plus jamais ? Ce qu'ils font, c'est se demander comment utiliser Eleanor par exemple. Comment faire en sorte qu'elle soit si blessĂ©e que d'autres personnes la regardent et se disent : âVous savez, je pensais dĂ©noncer, mais regardez ce qu'ils ont fait Ă Eleanor. Je ferais mieux de me taire.â
Un journaliste du New York Times m'a dit que le jour de mon arrestation, toutes les sources sur la Sécurité nationale du New York Times se sont tues et sont restées silencieuses pendant six mois.
C'Ă©tait l'objectif. C'est ce qu'ils voulaient faire.
Eleanor Goldfield : C'est terrifiant. Vous avez travaillĂ© Ă la CIA, et la CIA sâest montrĂ©e particuliĂšrement enragĂ©e contre Julian Assange. Avez-vous Ă©tĂ© surprise lorsque vous avez appris, par exemple, que Pompeo avait mis au point ce plan pour faire assassiner Julian Assange ?
Cela vous a-t-il semblé conforme à la maniÚre dont la CIA opÚre à l'intérieur ?
John Kiriakou : Oui. Et je vais vous dire pourquoi. J'ai été dégoûté, bien sûr, par ce reportage. Vous parlez du rapport de Yahoo News. Il m'a rendu malade, mais ne m'a pas du tout surpris.
Il contient quelques petits détails qui ne sont généralement pas connus du public et qui, à mon avis, sont trÚs importants.
Il s'agit donc d'un article de Michael Isikoff publiĂ© dans Yahoo News. Mike Isikoff est un journaliste trĂšs connu et trĂšs respectĂ© Ă Washington dans le domaine de la SĂ©curitĂ© nationale. LaurĂ©at du prix Pulitzer, il a fait ses armes Ă Newsweek, Ă l'Ă©poque oĂč cette publication Ă©tait importante.
Il a rĂ©ussi Ă obtenir l'accord de 30 officiers de renseignement, anciens et actuels, pour ce reportage. Il ne s'agit donc pas d'un seul homme qui aurait dit : âOh oui, Pompeo voulait tuer Julian Assangeâ. Ce sont 30 personnes de l'intĂ©rieur qui ont donnĂ© les dĂ©tails de cette opĂ©ration.
L'idĂ©e Ă©tait que si Julian tentait de quitter l'ambassade d'Ăquateur, il serait arrachĂ© Ă la rue et remis, soit au district Est de Virginie pour ĂȘtre jugĂ©, soit Ă Guantanamo pour ĂȘtre dĂ©tenu jusqu'Ă ce que l'on sache quoi faire de lui.
Ou, s'ils ne pouvaient pas l'extraire, l'abattre dans la rue. Ils ont également évoqué un plan C : si Assange parvenait à se rendre dans l'un des aéroports de Londres et à monter à bord d'un avion de l'ambassade de Russie, la CIA était autorisée à tirer sur les pneus de l'avion.
Il s'agit là d'un acte de guerre : tirer sur les pneus de l'avion pour s'assurer qu'il ne puisse pas décoller.
L'une des choses que la plupart des gens n'ont pas remarquées, c'est que quelques jours avant que l'affaire ne soit rendue publique, Mike Pompeo, dans une interview, a qualifié WikiLeaks de service de renseignement hostile et non étatique.
Ces mots ont été choisis avec soin, car si WikiLeaks est un service de renseignement hostile et non étatique, toute cette affaire devient une affaire de contre-espionnage.
Or, une affaire de contre-espionnage est gérée par le centre de contre-espionnage de la CIA. Mais les dossiers de contre-espionnage sont les dossiers les plus confidentiels traités par la CIA. Elles sont tellement confidentielles qu'elles sont les seules à ne pas devoir faire l'objet d'une information aux commissions de contrÎle de la Chambre des représentants et du Sénat.
Pourquoi ? Parce que le contre-espionnage signifie gĂ©nĂ©ralement que vous travaillez pour une puissance Ă©trangĂšre, un gouvernement Ă©tranger. Si la CIA enquĂȘte sur une taupe, qui peut dire si cette taupe n'est pas le prĂ©sident de la commission du renseignement du SĂ©nat ? Ou encore le membre le plus important de la commission du renseignement de la Chambre des reprĂ©sentants.
Ces informations sont donc détenues en interne. Si cette opération était menée à bien, tout le monde saurait que Julian Assange avait tenté de quitter l'ambassade équatorienne à Londres, et qu'il avait été abattu, un point c'est tout. Fin de l'histoire. C'est pourquoi il a utilisé ces termes trÚs spécifiques, ou cette terminologie, selon lesquels il s'agissait d'un service de renseignement hostile non étatique.
Et bien sûr, ce n'est pas le cas. C'est un organe de transparence et de journalisme, mais c'est ce qu'ils ne veulent pas que les gens sachent.
Permettez-moi d'ajouter une chose, et ce n'est qu'une supposition Ă©clairĂ©e. Je ne dispose d'aucune information privilĂ©giĂ©e pour prouver que c'est le cas, mais je pense que la raison pour laquelle cela ne s'est jamais produit est que le modus operandi d'un programme d'action secrĂšte comme celui-ci est de s'adresser d'abord Ă l'avocat gĂ©nĂ©ral de la CIA, qui dit, oui, c'est lĂ©gal, non, ce n'est pas lĂ©gal. Si c'est lĂ©gal, on s'adresse Ă l'Office of Legal Counsel (OLC) du ministĂšre de la Justice, qui dit : oui, c'est lĂ©gal, non, ce n'est pas lĂ©gal. Non, ce n'est pas lĂ©gal. Si c'est le cas, l'information est transmise au conseil gĂ©nĂ©ral du Conseil de SĂ©curitĂ© nationale, qui rĂ©pond par l'affirmative ou par la nĂ©gative. Si c'est le cas, elle est transmise au conseiller Ă la SĂ©curitĂ© nationale pour signature. Si ce dernier le signe, il le transmet au prĂ©sident pour signature. Et si le prĂ©sident la signe, et elle est mise en Ćuvre.
Je pense qu'elle a Ă©tĂ© transmise au Conseil national de SĂ©curitĂ©. Je pense que le conseiller Ă la sĂ©curitĂ© nationale l'a reçue et qu'il a dit : âEst-ce qu'ils ont perdu la tĂȘte ?â
Nous allons assassiner un citoyen des Five Eyes, un citoyen australien, qui n'a jamais été confronté à ses accusateurs devant un tribunal ? Nous allons l'assassiner en plein jour dans la rue à Knightsbridge, à Londres ? Quelqu'un, probablement le conseiller à la Sécurité nationale, a donc été l'adulte dans cette affaire.
Mais je pense qu'en mĂȘme temps, il y avait suffisamment de gens Ă la CIA qui Ă©taient au courant de la prĂ©paration de l'attentat pour se dire que cela passait les bornes, et qu'il fallait faire quelque chose, parce que certains avaient perdu la tĂȘte.
Je pense que c'est la raison pour laquelle cette Ă©quipe de journalistes de Yahoo n'avait pas une, deux ou cinq sources. Ils avaient 30 sources qui confirmaient toutes les informations des uns et des autres.
Eleanor Goldfield : Oui, c'est remarquable.
J'aimerais revenir un instant sur cette hiĂ©rarchie, parce qu'elle semble quelque peu erronĂ©e, n'est-ce pas ? Car oui, dans ce cas, la CIA pourrait ĂȘtre freinĂ©e par le NSC qui lui dirait : " Non, nous ne ferons pas ça, c'est ridicule ".
Mais en mĂȘme temps, comme le souligne Kevin Gosztola dans son livre, il y a de fortes chances qu'Assange nâaurait pas Ă©tĂ© inculpĂ© si la CIA n'avait pas adoptĂ© une position radicale contre Assange, car le ministĂšre de la Justice s'est vraiment dĂ©menĂ© pour inculper Assange une fois que Pompeo a clairement indiquĂ© qu'il voulait la tĂȘte de Julian au bout d'une pique.
John Kiriakou : Oui, je pense que les gens ne rĂ©alisent gĂ©nĂ©ralement pas Ă quel point la CIA fait autoritĂ© dans des domaines du gouvernement oĂč elle ne devrait mĂȘme pas.
Le travail de la CIA consiste tout simplement à recruter des espions pour voler des secrets et à analyser ces secrets afin de permettre aux décideurs politiques de prendre les décisions les plus éclairées, un point c'est tout.
Ce n'est pas à la CIA de décider qui est accusé d'un crime, qui est poursuivi pour un crime, de créer des forces paramilitaires, de procéder à des enlÚvements internationaux ou à des programmes de torture dans des archipels de prisons secrÚtes, de décider ce que le CongrÚs doit ou ne doit pas savoir.
Rien de tout cela ne devrait relever de la CIA, mais nous avons permis Ă la CIA, comme nous l'avons fait avec le FBI dans les annĂ©es 50, de continuer Ă repousser les limites jusqu'Ă ce qu'il soit trop tard pour les arrĂȘter. Il faut alors un Church Committee ou un Pike Committee pour les remettre au pas.
N'oubliez pas que Barack Obama, aussi mauvais qu'il ait pu ĂȘtre, en particulier pour les lanceurs d'alerte en matiĂšre de sĂ©curitĂ© nationale, n'a jamais inculpĂ© Julian Assange d'un crime. C'est Donald Trump qui l'a fait.
Beaucoup d'entre nous, et j'admets que je me suis trompé comme beaucoup de mes amis et collÚgues, beaucoup d'entre nous pensaient que Joe Biden faisait partie de l'administration Obama, et qu'il savait de quoi Obama parlait lorsqu'il disait qu'inculper Assange lui donnerait un problÚme avec le New York Times, et nous pouvons certainement en parler.
Joe Biden comprend certainement le problĂšme du New York Times et il aurait du abandonner ces poursuites. Mais non, il a redoublĂ© d'efforts. Il a doublĂ© la mise et nous voilĂ en train de nous attendre Ă ce que Julian soit extradĂ© vers l'Eastern District avant la fin de l'annĂ©e, et qu'il reste probablement en dĂ©tention prĂ©ventive, vous savez, pendant des annĂ©es tandis que les deux parties se chamaillent sur ce qui devrait ĂȘtre admis comme preuve, et sur ce qui ne devrait pas l'ĂȘtre.
Eleanor Goldfield : J'aimerais vraiment que vous parliez du problĂšme du New York Times. Pour ceux qui ne le savent pas, pourriez-vous expliquer briĂšvement de quoi il s'agit avant que nous, avant que nous signions ?
John Kiriakou : Oui, c'est l'une des ironies amusantes de toute cette situation.
Vous savez, le Washington Post, le New York Times, le Wall Street Journal, AP, tous ces grands organes de presse grand public publient des informations classifiées littéralement tous les jours.
Washington ne pourrait pas fonctionner s'il n'y avait pas des fuites classifiées tous les jours.
Et c'est généralement la Maison Blanche ou le Pentagone qui est à l'origine de ces fuites. Je peux citer des fuites qui, j'en suis sûr, provenaient de la CIA au cours des deux derniÚres semaines au sujet d'Israël et de la Palestine.
Mais lorsque ces fuites sont autorisĂ©es, tout le monde est content. Lorsque les fuites ne sont pas autorisĂ©es, la Maison Blanche est trĂšs contrariĂ©e et la CIA dĂ©pose ce que l'on appelle un rapport sur les crimes auprĂšs du FBI, qui doit alors enquĂȘter sur l'affaire.
Mais en réalité, si l'on veut inculper Julian Assange, un éditeur, de plusieurs chefs d'accusation d'espionnage, il faut inculper le Washington Post, le New York Times, le Wall Street Journal, le L.A. Times, AP et tous les autres qui publient chaque jour des informations classifiées.
C'est une violation du Premier Amendement. Donc, soit nous sommes transparents et nous soutenons la libertĂ© d'expression et la libertĂ© de la presse, soit nous ne le sommes pas. Parce qu'on ne peut pas ĂȘtre les deux Ă la fois.
Eleanor Goldfield : Oui, il y a vraiment beaucoup de choses qui dĂ©pendent de cette affaire, je me demandais, Ă propos de fuite autorisĂ©e, est-ce que vous n'appelleriez pas simplement cela un partage d'informations, en l'appellant tout de mĂȘme une fuite autorisĂ©e ?
John Kiriakou : Une fuite autorisĂ©e, c'est comme les fuites de la CIA : nous avions raison sur Gaza. Nous avions prĂ©dit trois jours auparavant qu'ils allaient lancer cette attaque. La fuite est ensuite transmise au Post, qui affirme que le document classifiĂ© de la CIA indique que la CIA a vu juste. La CIA rĂ©pond alors : âOh, non, cette information Ă©tait confidentielle. Nous devrions probablement la communiquer au FBIâ. Mais de toute façon, ils ne seront probablement pas en mesure de dĂ©couvrir qui est Ă l'origine de la fuite. C'est une fuite autorisĂ©e.
Eleanor Goldfield : Je vois. C'est comme poster accidentellement une trÚs belle photo de soi en ligne ou quelque chose comme ça.
John Kiriakou : Oui. Tout Ă fait. Exactement.
Eleanor Goldfield : D'accord. John, merci beaucoup dâavoir Ă©clairĂ© ce contexte trĂšs, trĂšs important, et d'avoir partagĂ© votre propre histoire sur ce qui vous est arrivĂ©. Merci beaucoup.
John Kiriakou : Merci pour le travail que vous faites, Eleanor. Merci de m'avoir reçu.
https://www.projectcensored.org/a-look-at-assange-from-inside-the-cia-state-department-us-military/