đâđš Lâaffaire Julian Assange, ou le suicide des valeurs occidentales.
Le cas Assange rĂ©sume la dĂ©cadence de la dĂ©mocratie. Ce doit ĂȘtre Ă nous que pensait Dante Ă©crivant : La place la plus chaude de l'enfer est celle de ceux qui restent neutres en temps de crise morale.
đâđš Lâaffaire Julian Assange, ou le suicide des valeurs occidentales.
Par Milosz Matschen, le 13 septembre 2023 - English version below
L'autre jour, je suis passĂ© Ă moto devant une maison entre Zoug et Schwyz qui m'a immĂ©diatement fait sourire. âFree Assangeâ Ă©tait inscrit sur un panneau. Depuis combien de temps est-il lĂ ? Combien de temps doit-il encore rester ? Je relis certains textes aujourd'hui et je me dis : comment se fait-il que rien n'ait changĂ© en quatre ans ? Cette chronique a d'abord Ă©tĂ© publiĂ©e dans la NZZ oĂč elle a Ă©tĂ© difficile Ă faire passer. AprĂšs quelques tergiversations, elle a finalement Ă©tĂ© publiĂ©e sous une forme rĂ©digĂ©e. Je vous propose ici la version originale.
En 1971, le New York Times et le Washington Post ont publiĂ© des documents secrets du gouvernement amĂ©ricain sur la guerre du Vietnam. Le contenu explosif : le gouvernement ne s'attendait pas Ă une victoire au ViĂȘt-nam, mais Ă©tait prĂȘt Ă sacrifier encore plus de citoyens amĂ©ricains. La publication des âPentagon Papersâ a contribuĂ© Ă mettre fin Ă la guerre, les prix Pulitzer ont plu sur les journalistes et, dans l'ensemble, ce fut une victoire de la vĂ©ritĂ© sur la propagande officielle.
De telles heures de gloire se font rares aujourd'hui. D'accord, nous avons appris que les services secrets amĂ©ricains avaient mis sur Ă©coute leurs propres citoyens et des chefs d'Ătat de gouvernement amis, nous avons appris l'existence de la torture prĂ©ventive, de GuantĂĄnamo et de nombreux crimes de guerre, comme dans le cas des soldats amĂ©ricains qui ont abattu des civils irakiens et deux journalistes de Reuters depuis des hĂ©licoptĂšres, comme s'il s'agissait de Counterstrike. Mais la plupart de ces informations n'ont pas Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es en premier lieu par les mĂ©dias traditionnels, mais par Wikileaks. Et pour ces innombrables documents (sans un seul cas de fake news) sur les crimes des puissants, Julian Assange risque dĂ©sormais une peine de prison de 175 ans aux Etats-Unis. Pour la premiĂšre fois, un Ă©diteur pourrait y ĂȘtre condamnĂ© pour espionnage.
Au cĆur de l'affaire Assange se trouve l'existence mĂȘme de la dĂ©mocratie occidentale. En dĂ©mocratie authentique, chaque citoyen est souverain, mĂȘme et surtout le dissident. Et en tant que souverain, le citoyen a le pouvoir de dĂ©cision. Il ne peut toutefois prendre de dĂ©cisions que sur la base d'informations authentiques. Si celles-ci lui sont dissimulĂ©es, la dĂ©mocratie se transforme en ploutocratie et le citoyen en un enfant sous curatelle, un sujet jouissant d'un droit de consommation. L'Ătat peut mentir aux ennemis, mais pas Ă ses propres citoyens - Ă moins qu'il ne les considĂšre comme des ennemis.
A travers le prisme de Wikileaks, les Etats-Unis s'avĂšrent ĂȘtre un Etat voyou sous un masque dĂ©mocratique, dans lequel un corporatisme militaro-industriel, la grande finance et les gĂ©ants orwelliens de l'Internet rĂšgnent contre le citoyen, portĂ©s par des Ă©ditorialistes pseudo-libertaires qui font l'Ă©loge de dissidents comme Ai Wei Wei, alors que leur clavier se grippe lorsqu'il s'agit d'Assange. Un peu gros, non ? âSi la rĂ©vĂ©lation de crimes est traitĂ©e comme un crime, alors nous sommes gouvernĂ©s par des criminelsâ, a dĂ©clarĂ© Snowden. Les Etats-Unis considĂšrent Wikileaks comme un âservice secret hostileâ - mais qu'est-ce que la NSA, qui espionne ses propres citoyens en violation de la loi ? Plus le prix Ă payer pour la recherche de la vĂ©ritĂ© est Ă©levĂ©, plus la libertĂ© est rĂ©duite. Que Poutine s'Ă©rige lui-mĂȘme en protecteur en accordant l'asile Ă Snowden est un dilemme que les Etats libĂ©raux - comme la Suisse - pourraient rĂ©soudre Ă tout moment en accordant une protection aux lanceurs d'alerte.
Le fait qu'Assange soit depuis toujours accablĂ© de fausses accusations fait partie du jeu qui vise Ă faire de lui un paria. Des Ă©diteurs comme Mathias Bröckers (âFreiheit fĂŒr Julian Assangeâ, Westend Verlag) rĂ©futent ces calomnies et mĂȘme le reprĂ©sentant spĂ©cial de l'ONU pour la torture, Nils Melzer, a rĂ©cemment annoncĂ© avoir lui-mĂȘme Ă©tĂ© victime de propagande. Il voit en Assange une victime de torture psychologique, un prĂ©cĂ©dent de coopĂ©ration Ă©tatique pour liquider le porteur de vĂ©ritĂ©s dĂ©sagrĂ©ables. Le cas d'Assange ne met pas seulement en lumiĂšre la crise de la communautĂ© de valeurs occidentale (c'est-Ă -dire la nĂŽtre), il pose aussi la question de savoir si cette communautĂ© de valeurs existe encore. Et oĂč est donc passĂ©e l'indignation ?
C'est probablement à nous que Dante faisait allusion lorsqu'il écrivait :
"La place la plus chaude de l'enfer est réservée à ceux qui sont restés neutres en temps de crise morale".
The Julian Assange Case: The Values of the West are Abolishing Themselves
By Milosz Matschen, on September 13, 2023.
The other day I passed a house on my motorcycle between Zug and Schwyz and immediately had a smile on my face. "Free Assange" was written on a sign. How long has it been there? How long it will have to stay there? I read some of the texts again today and think to myself: It can't be that nothing has changed in four years! This column first appeared in the NZZ and for the first time did not want to go through so easily or, after some back and forth, finally appeared in an edited form. Here I bring the original version.
In 1971 the New York Times and Washington Post published secret documents of the US government about the Vietnam War. The explosive content: the government did not expect victory in Vietnam, but was willing to continue to burn American citizens. The publication of the "Pentagon Papers" helped to end the war, it rained Pulitzer Prizes on the journalists and overall it was a victory of truth over official propaganda.
Such moments of glory have become rare today. Well, we learned that U.S. intelligence wiretapped its own citizens and friendly heads of state and government, about white torture, GuantĂĄnamo and numerous war crimes, as in the case of U.S. soldiers who shot down Iraqi civilians and two Reuters journalists from helicopters as if it were Counterstrike. But most of this was learned not first from quality media, but from Wikileaks. And for all these countless documents (without a case of fake news) about crimes of the powerful, Julian Assange now faces a prison sentence of 175 years in the USA. For the first time, a publicist could be convicted of espionage there.
At the heart of the Assange case is the existence of Western democracy. In a true democracy, every citizen is a sovereign, even and especially the dissident. As sovereign, the citizen has the power to make decisions. However, he can only make decisions on the basis of true information. If this is withheld from him, democracy turns into a plutocracy and the citizen into a child under curatorship, a subject with the right to consume. The state may lie to enemies, but not to its own citizen - unless it considers him an enemy.
Through the prism of Wikileaks, the U.S. reveals itself as a rogue state with a liberal mask, in which a military-industrial corporatism together with Big Finance and Orwellian Internet giants rule against the citizen, carried by pseudo-freedom subjugation publicists who hype dissidents like Ai Wei Wei while their keyboards jam on Assange. Sound too thick? âIf exposing crimes is treated like a crime, then we are governed by criminals,â Snowden opined. The U.S. sees Wikileaks as a âhostile intelligence agencyâ - so what, please, is the NSA, which spies on its own citizens in violation of the law? The higher the price for finding the truth, the smaller the freedom. The fact that Putin, by granting asylum to Snowden, is now setting himself up as their protector is a dilemma that free states - like Switzerland - could resolve at any time by granting protection to whistleblowers.
The fact that Assange has always been inundated with false accusations is part of the game to turn him into a leper. Publicists such as Mathias Bröckers (âFreedom for Julian Assangeâ, Westend Verlag) refute these slanders, and even the UN Special Representative on Torture, Nils Melzer, recently announced that he had succumbed to propaganda. He sees Assange as a victim of psychological torture, a precedent for state cooperation to finish off the messenger of unpleasant truths. The Assange case not only brings to light the crisis of the Western community of values (that is, of us), but also raises the question of whether this community of values still exists at all. Where is the outcry?
Presumably Dante meant us when he wrote,
"The hottest place in hell is for those who remain neutral in times of crisis."