đâđš LâAllemagne en crise, 4Ăš partie : lâerrance & la quĂȘte
Câest la fin d'une Ă©poque pour l'Occident. Un coup dur pour tous ceux qui ont espĂ©rĂ© voir Ă©merger un monde ordonnĂ©, au-delĂ du dĂ©sordre fondĂ© sur des rĂšgles qui afflige actuellement l'humanitĂ©.

đâđš LâAllemagne en crise, 4Ăš partie : lâerrance & la quĂȘte
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 6 mai 2025
Note de la rĂ©daction : Les versions prĂ©cĂ©dentes de cet article ont rapportĂ© le choc ressenti en Allemagne lors de l'Ă©chec initial de Friedrich Merz Ă obtenir suffisamment de voix au Bundestag pour prendre ses fonctions. AprĂšs d'intenses nĂ©gociations, il a finalement remportĂ© les six voix nĂ©cessaires pour ĂȘtre dĂ©clarĂ© vainqueur. Berlin est quant Ă elle sous le choc d'une impasse politique sans prĂ©cĂ©dent dans l'histoire de l'Allemagne d'aprĂšs-guerre.
Ceci est le dernier des quatre articles consacrés à la crise allemande. Les parties précédentes de cette série sont
LâAllemagne en crise, 1Ăšre partie : la grande perdante de lâEurope LâAllemagne en crise, 2Ăš partie : petite histoire des explosions de gazoducs LâAllemagne en crise, 3Ăš partie : la culture de la soumission
DRESDE â Friedrich Merz nâa rĂ©ussi que de justesse Ă prendre le pouvoir mardi en tant que 10e chancelier de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale, aprĂšs avoir obtenu six voix de moins que le nombre requis lors du premier tour de scrutin au Bundestag dans la matinĂ©e.
Berlin a été en ébullition pendant la majeure partie de la journée, confrontée à une impasse politique sans précédent de l'histoire de l'Allemagne d'aprÚs-guerre. Un second tour, organisé à la hùte dans l'aprÚs-midi, a permis à Merz de franchir la ligne d'arrivée avec neuf voix d'avance. Bien que les membres du Bundestag votent à bulletin secret, les chiffres indiquent que certains membres de sa nouvelle coalition l'ont lùché. Parmi les analystes allemands avec lesquels je me suis entretenu aujourd'hui, la question qui se pose désormais est de savoir combien de temps Merz parviendra à rester chancelier.
Mais Merz a déjà marqué la politique allemande, en engagant le pays dans une nouvelle voie immédiatement aprÚs les élections trÚs suivies de février. Le jour du déshonneur pour Merz le belliciste fut le 18 mars, lorsqu'un vote au Parlement allemand a confirmé ce qui était alors une réalité pour le moins amÚre : la démocratie d'aprÚs-guerre en Allemagne est en train d'échouer. L'élection de Merz en est le signe le plus récent et le plus cuisant. Une élite cloisonnée à Berlin propose désormais de fixer le cap de la nation sans tenir compte des aspirations des électeurs.
Le mardi 18 mars, le Parlement allemand a levĂ© le plafond constitutionnel de la dette publique. Cette dĂ©cision marque bien plus qu'un simple ajustement du rĂ©gime budgĂ©taire allemand, rĂ©putĂ© pour son austĂ©ritĂ©. C'est le jour oĂč les lĂ©gislateurs ont approuvĂ©, dans les faits sinon sur le papier, une nouvelle dĂ©pense de 1 000 milliards d'euros (1 300 milliards de dollars) pour la dĂ©fense. Ce jour-lĂ , la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale a votĂ© la remilitarisation. Ce jour-lĂ , ceux qui prĂ©tendent diriger l'Allemagne ont rĂ©solument rejetĂ© une tradition politique, et ont dĂ©cidĂ© d'en revenir Ă une autre tradition dont le pays semble, malheureusement, incapable de se dĂ©faire complĂštement.
Les dĂ©tails du vote, qui s'est soldĂ© par 512 voix contre 206, sont on ne peut plus clairs. La loi sur l'emprunt fĂ©dĂ©ral, en vigueur depuis la crise financiĂšre de 2008, est trĂšs stricte : elle limite la dette Ă 0,35 % du PIB, soit environ un dixiĂšme de ce que l'Union europĂ©enne permet Ă ses membres. Mais Berlin est depuis des annĂ©es en proie Ă des tensions autour de cette limite. C'est une lutte intestine autour du âfrein Ă l'endettementâ, comme on l'appelle, qui a provoquĂ© l'effondrement, Ă l'automne dernier, de la coalition fragile dirigĂ©e par le capricieux Olaf Scholz. Le vote du Bundestag lĂšve la restriction sur les emprunts publics destinĂ©s aux dĂ©penses militaires supĂ©rieures Ă 1 % du PIB. Comme chacun sait, cette formule implique que les dĂ©penses pourraient dĂ©passer le trillion d'euros couramment citĂ©.
Alors que les Allemands sont quasi hystĂ©riques Ă propos de la dette publique depuis l'hyperinflation de l'Ă©poque de la RĂ©publique de Weimar il y a un siĂšcle, le Bundestag a votĂ© pour que l'Allemagne dĂ©passe cette paranoĂŻa au profit d'une autre. Les âcentristesâ nĂ©olibĂ©raux du pays â qui s'affichent dĂ©sormais comme tout sauf centristes â viennent de dire aux Allemands, aux EuropĂ©ens et au reste du monde que l'Allemagne abandonne dĂ©sormais le modĂšle social-dĂ©mocrate qu'elle a longtemps dĂ©fendu pour servir une Ă©conomie de guerre dotĂ©e de son propre complexe militaro-industriel.
Il faut bien comprendre qu'il s'agit là d'un désastre politique dont l'importance va largement au-delà des frontiÚres de la République fédérale. En effet, cela semble marquer la fin d'une époque pour l'Occident tout entier. C'est un coup dur pour tous ceux qui ont espéré voir émerger un monde ordonné, au-delà du désordre fondé sur des rÚgles qui afflige actuellement l'humanité.
Les auteurs de cette transformation sont les partis qui ont négocié une nouvelle coalition au cours des semaines qui ont suivi le vote du Bundestag : l'Union chrétienne-démocrate de Merz et l'Union chrétienne-sociale, partenaire traditionnel de la CDU, vont conclure une alliance étrange, mais pas tant que ça, avec les sociaux-démocrates du SPD. Les Verts ont également voté en faveur d'une augmentation des dépenses militaires, mais ils ont été, tout comme le SPD, largement discrédités lors des élections du 23 février et ne feront pas partie du nouveau gouvernement. Je n'ai pas rencontré un seul Allemand qui regrettera leur absence.
Tous ces partis ne cessent de dĂ©noncer l'autoritarisme de leurs adversaires, alors qu'ils s'unissent pour imposer une Ăšre d'autoritarisme centriste aux 83 millions d'Allemands. Ils sont plus ou moins hostiles aux prĂ©occupations majeures des Ă©lecteurs, celles qui ont fait grimper les intentions de vote en faveur de l'opposition lors des Ă©lections. Il s'agit notamment de la gestion dĂ©sastreuse de l'Ă©conomie par le gouvernement Scholz, d'une politique d'immigration trop libĂ©rale (qui a frappĂ© le plus durement les anciens LĂ€nder de l'Allemagne de l'Est), de la dĂ©fĂ©rence excessive de Berlin envers les technocrates de Bruxelles, de la participation de l'Allemagne Ă la guerre par procuration menĂ©e par les Ătats-Unis en Ukraine et, surtout, de la grave rupture dans les relations de l'Allemagne avec la FĂ©dĂ©ration de Russie.
La russophobie est manifeste depuis des annĂ©es parmi les Ă©lites dirigeantes de Berlin, voire dans les milieux d'affaires et ailleurs. Elle prend dĂ©sormais une tournure des plus inquiĂ©tantes. Un seul argument, trop Ă©vident pour ĂȘtre mentionnĂ©, justifie le rĂ©armement d'une nation qui a restreint sa prĂ©sence militaire pendant les huit derniĂšres dĂ©cennies. Merz a prĂ©cipitĂ© le vote du 18 mars avec une brutalitĂ© sans nom, dans le but Ă©vident d'empĂȘcher tout dĂ©bat de fond. Il dirigera dĂ©sormais un gouvernement composĂ© d'idĂ©ologues compulsivement russophobes qui feront basculer l'Allemagne de maniĂšre inquiĂ©tante vers une politique agressive, comme lors des deux guerres mondiales et des dĂ©cennies de guerre froide.
C'est dĂ©sormais officiel. AprĂšs des semaines de nĂ©gociations, le parti conservateur CDU et le parti social-dĂ©mocrate SPD, qui n'a plus de social que le nom, ont rendu public leur accord de coalition le 9 avril. Voici un extrait du chapitre intitulĂ© âPolitique Ă©trangĂšre et de dĂ©fenseâ :
âNotre sĂ©curitĂ© est aujourd'hui plus menacĂ©e que jamais depuis la fin de la guerre froide. La menace la plus grave et la plus directe vient de la Russie, qui mĂšne depuis quatre ans une guerre d'agression brutale contre l'Ukraine en violation du droit international et qui continue de s'armer massivement. La quĂȘte de pouvoir de Vladimir Poutine va Ă l'encontre de l'ordre international fondĂ© sur des rĂšgles...
âNous crĂ©erons toutes les conditions nĂ©cessaires pour que la Bundeswehr puisse remplir pleinement sa mission de dĂ©fense nationale et de dĂ©fense de l'alliance. Notre objectif est que la Bundeswehr apporte une contribution essentielle Ă la capacitĂ© de dissuasion et de dĂ©fense de l'OTAN et devienne un modĂšle pour nos alliĂ©s...
âNous apporterons un soutien complet Ă l'Ukraine afin qu'elle puisse se dĂ©fendre efficacement contre l'agresseur russe et s'imposer dans les nĂ©gociationsâŠâ
Le code de ce passage plutÎt facile à déchiffrer. La nouvelle coalition prépare l'opinion publique allemande, ainsi que le reste du monde, au déploiement de troupes allemandes à l'étranger pour la premiÚre fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme je l'ai mentionné dans le premier article de cette série, la Bundeswehr a commencé à déployer une brigade blindée en Lituanie le 1er avril, une semaine avant que la coalition ne dévoile les termes de son accord. C'est le début de la nouvelle stratégie militaire allemande : on peut s'attendre à beaucoup d'autres annonces de ce type.
On peut Ă©galement Ă©voquer l'idĂ©e que l'Allemagne servirait de modĂšle au reste de l'Europe. Selon moi, cette idĂ©e Ă©mane directement du camp Merz au sein de la coalition, compte tenu de son ambition de porter non seulement les couleurs de l'Allemagne, mais aussi celles du continent. L'Europe connaĂźt en effet un vide politique, encore plus Ă©vident depuis que l'administration Trump a signalĂ© son dĂ©sintĂ©rĂȘt pour le parapluie sĂ©curitaire sous lequel les Ătats-Unis ont longtemps permis aux EuropĂ©ens de s'abriter. Merz et ses nouveaux partenaires politiques ont raison sur ce point.
Mais quel manque d'imagination dĂ©sespĂ©rant des Ă©lites nĂ©olibĂ©rales allemandes en proposant une nouvelle raison d'ĂȘtre Ă la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale, et Ă ceux qui souhaitent la suivre. N'est-ce pas lĂ une autre version de la mĂȘme vieille rengaine ?
Ă mon sens, ceux qui prĂ©tendent diriger l'Allemagne ont tellement inondĂ© l'espace public de clichĂ©s issus de la paranoĂŻa de la guerre froide qu'ils ne peuvent plus changer de cap sans se discrĂ©diter. Ils sont, comme on dit, en panne de marche arriĂšre. Ou, pour reprendre l'observation d'un ami citĂ© dans le prĂ©cĂ©dent article de cette sĂ©rie, les dirigeants allemands en place parlent depuis si longtemps le langage du vainqueur qu'ils n'en connaissent plus d'autre, alors mĂȘme que le vainqueur commence Ă s'en lasser.
Les Ă©lecteurs allemands sont tout aussi lassĂ©s de l'entendre, si l'on en croit les Ă©lections et les plusieurs sondages rĂ©alisĂ©s depuis. Mais Merz et ses partisans ne semblent guĂšre s'intĂ©resser aux prĂ©fĂ©rences de l'Ă©lectorat. Le thĂšme rĂ©current parmi eux est que l'Allemagne et le reste de l'Europe doivent se prĂ©parer Ă entrer en guerre contre la Russie dans les cinq ans. C'est ce qu'on entend sans cesse aujourd'hui. Johann Wadephul, un dĂ©putĂ© ultra-conservateur du Bundestag qui devrait occuper le poste de ministre des Affaires Ă©trangĂšres de Merz, offre une explication rĂ©vĂ©latrice de âla rĂ©sistanceâ du public allemand Ă une telle perspective. Selon lui, les Allemands ârefouleraientâ la rĂ©alitĂ© de la menace russe, comme il l'a dĂ©clarĂ© lors d'une confĂ©rence organisĂ©e par un think tank quelques jours avant la publication de l'accord de la nouvelle coalition le mois dernier. Ils seraient âdans le dĂ©niâ.
Wadephul s'est exprimĂ© aprĂšs que des membres dissidents de la CDU et des sociaux-dĂ©mocrates ont osĂ© suggĂ©rer publiquement que la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale devrait, aprĂšs tout, envisager de reprendre ses relations commerciales avec la Russie, permettant de rĂ©tablir les contrats Ă©nergĂ©tiques suspendus dans le cadre du rĂ©gime de sanctions imposĂ© par les Ătats-Unis Ă la FĂ©dĂ©ration de Russie.
âLa menace la plus grave pour nous â pour nos vies, notre systĂšme juridique, mais aussi pour la vie physique de tous les citoyens europĂ©ens â est dĂ©sormais la Russieâ, a dĂ©clarĂ© M. Wadephul Ă son auditoire apparemment acquis Ă sa cause. âIls ne veulent pas l'accepterâ.
En tant qu'argument politique, c'est l'un des plus boiteux que j'ai entendus depuis des années.
Les Russes ont suivi de prÚs ces turbulences politiques depuis le récent vote du Bundestag, pour énoncer des évidences. Et personne n'a exprimé plus clairement la réaction navrée de Moscou exprimé par Maria Zakharova, la porte-parole éloquente et toujours incisive du ministÚre des Affaires étrangÚres. Je cite un long passage de sa déclaration, prononcée deux jours aprÚs le vote du Bundestag, pour souligner la portée historique de ce changement majeur dans la pensée géopolitique de Berlin :
âLe 18 mars 2025 marque une date importante... Pour le dire clairement, cette dĂ©cision signifie que le pays s'engage sur la voie d'une militarisation accĂ©lĂ©rĂ©e.
âCela ne vous donne-t-il pas une impression de dĂ©jĂ -vu ?... La prĂ©cipitation et le manque de principes avec lesquels cette dĂ©cision a Ă©tĂ© adoptĂ©e tĂ©moignent de maniĂšre flagrante de la politique anti-russe irresponsable menĂ©e par les cercles dirigeants de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d'Allemagne.
âUne autre raison peut ĂȘtre invoquĂ©e. L'absence de ressources â les ressources dont disposait Berlin avant de cesser, sur ordre des Ătats-Unis, d'utiliser les sources Ă©nergĂ©tiques russes â empĂȘche les Allemands de poursuivre leur dĂ©veloppement au rythme prĂ©vu et sur lequel leur Ă©conomie Ă©tait structurĂ©e. L'effondrement Ă©conomique interne ne leur laisse d'autre choix que de revenir Ă une approche qui a fait ses preuves dans l'histoire... Ils semblent toutefois en avoir oubliĂ© les consĂ©quences : l'effondrement total de la nation. Cela s'est produit Ă plusieurs reprises. Pourtant, il est Ă©vident que leur réécriture de l'histoire aura des consĂ©quences. Ils l'ont oubliĂ©.
âComment ne pas se souvenir de la thĂšse bien connue concernant le dĂ©sir profond de revanchisme historique ancrĂ© dans le patrimoine gĂ©nĂ©tique des Ă©lites politiques allemandes ? HĂ©las, une fois par siĂšcle, ces tendances prennent le pas sur le bon sens et sur l'instinct mĂȘme de survie. N'est-ce pas ce qui se passe actuellement ?
à mon avis, Mme Zakharova a tort d'attribuer ce nouveau tournant à la nature profonde de l'Allemagne. Elle avance ce qu'on appelle un argument fondé sur le caractÚre national : les Allemands agiraient ainsi parce qu'ils sont allemands et que c'est dans leur nature. Aucune circonstance ne saurait justifier ce raisonnement insidieux. Je suis surpris que Zakharova ne s'en rende pas compte.
Mais elle a tout Ă fait raison dans son analyse de la stratĂ©gie que Merz et ses partenaires issus d'une autre coalition impopulaire dĂ©ploient pour dĂ©fendre leur emprise sur le pouvoir. Comme vous le diront de nombreux Ă©conomistes allemands, il n'y a pas de conciliation possible entre la russophobie, le rĂ©gime de sanctions qui l'accompagne et une relance Ă©conomique, quelle qu'elle soit. Un nouveau complexe militaro-industriel â le dĂ©mantĂšlement de l'appareil social et l'accumulation de la dette nationale, ses consĂ©quences collatĂ©rales â constitue, dans cette perspective, une tentative cynique de relancer la croissance du PIB sans recourir aux sources traditionnelles.
Curieusement, Zakharova fait également écho à une tradition louable de l'historiographie allemande d'aprÚs-guerre, dont le principal représentant était un universitaire de gauche nommé Hans-Ulrich Wehler (1931-2014). Wehler soutenait que l'Allemagne a tendance à se livrer à des agressions répétées à l'étranger en réponse à plusieurs types de troubles internes : la lutte des classes et les bouleversements de l'industrialisation avant la PremiÚre Guerre mondiale, le chaos des années Weimar. Aujourd'hui, dans un contexte d'animosité croissante envers les néolibéraux bien implantés à Berlin, la nation semble à nouveau suivre le schéma identifié par Wehler.
Il a qualifiĂ© ce phĂ©nomĂšne d'âimpĂ©rialisme socialâ, un impĂ©rialisme tournĂ© vers l'intĂ©rieur, dont se servent les Ă©lites au pouvoir pour contrĂŽler les antagonismes politiques, sociaux et Ă©conomiques. Ă cet Ă©gard, mes amis allemands me rappellent la cĂ©lĂšbre dĂ©claration de l'empereur Guillaume II, prononcĂ©e en 1914 pour apaiser les animositĂ©s entre les sociaux-dĂ©mocrates et les loyalistes du Reich : âJe ne reconnais plus de partis. Je ne connais que des Allemandsâ.
On ne parle plus aujourd'hui que des âAllemandsâ. Les rĂ©sultats des Ă©lections l'ont clairement montrĂ© dans les statistiques. Les partis qui ont progressĂ© de maniĂšre la plus impressionnante sont ceux qui s'opposent aux soi-disant centristes : l'AfD a doublĂ© son score, passant Ă 21 % des voix, ce qui en fait immĂ©diatement le deuxiĂšme parti au Bundestag. Die Linke, la gauche, et BĂŒndnis Sahra Wagenknecht, BSW, ont Ă©galement progressĂ©, bien que leurs scores soient plus modestes. Ces progressions ont Ă©tĂ© encore plus marquĂ©es dans l'ancienne Allemagne de l'Est.
Voici ce qu'en dit Karl-JĂŒrgen MĂŒller, historien de formation et fin observateur des sondages, dans Current Concerns, une revue bimestrielle publiĂ©e simultanĂ©ment en allemand sous le titre Zeit-Fragen et en français sous le titre Horizons et dĂ©bats :
âLe taux de participation Ă©lectorale n'avait pas Ă©tĂ© aussi Ă©levĂ© depuis prĂšs de 40 ans : 82,5 %. Les citoyens âinsatisfaitsâ ont Ă©tĂ© plus nombreux Ă voter. Mais on peut aussi voir les choses autrement : de plus en plus de citoyens veulent non seulement une politique diffĂ©rente, mais ils l'expriment aussi, cette fois-ci par leur vote... Ou encore : de nombreux jeunes Ă©lecteurs ĂągĂ©s de 18 Ă 24 ans ont votĂ© pour Die Linke ou l'AfD : 25 % pour Die Linke et 22 % pour l'AfD. Ensemble, cela reprĂ©sente prĂšs de la moitiĂ© de tous les jeunes Ă©lecteurs...
âCes trois partis [d'opposition], souvent marginalisĂ©s par les Ă©lites au pouvoir et les mĂ©dias ouest-allemands, ont obtenu ensemble la majoritĂ© absolue des voix en Allemagne de l'Est : 54,7 %â.
ReflĂ©tant l'instabilitĂ© dĂ©sormais chronique de la politique allemande, le pays a en fait continuĂ© Ă voter depuis les Ă©lections de fĂ©vrier. Merz et ses chrĂ©tiens-dĂ©mocrates ont progressivement perdu du soutien avant mĂȘme que Merz ne soit nommĂ© chancelier. Et une sĂ©rie de sondages rĂ©alisĂ©s dĂ©but avril montrent que l'AfD est dĂ©sormais le premier parti politique allemand. Il s'agit d'un changement historique dans la rĂ©partition du pouvoir, qui s'Ă©loigne des partis traditionnels du pays. De nombreux analystes y voient le reflet d'un mĂ©contentement gĂ©nĂ©ralisĂ© des Ă©lecteurs, qui ont vu la CDU nĂ©gocier une nouvelle coalition ingĂ©rable avec les sociaux-dĂ©mocrates.
Ă des degrĂ©s divers, les Allemands sont stupĂ©faits par l'ascension de l'AfD. Mais soyons clairs sur les raisons de ce phĂ©nomĂšne. Il est tout Ă fait absurde de penser que la place dĂ©sormais indĂ©niable d'un parti d'extrĂȘme droite annonce la rĂ©surgence du nazisme en Allemagne. Vous pouvez lire tout cela dans le New York Times et d'autres mĂ©dias occidentaux, mais vous n'en verrez rien en vous promenant en Allemagne.
L'AfD a Ă©tĂ© fondĂ©e il y a une douzaine d'annĂ©es par des eurosceptiques opposĂ©s aux ingĂ©rences antidĂ©mocratiques des technocrates bruxellois et Ă l'afflux incontrĂŽlĂ© d'immigrants. Le parti est ânationalisteâ dans la mesure oĂč il favorise la souverainetĂ© allemande, et âpro-russeâ dans la mesure oĂč il considĂšre que la rupture des relations d'interdĂ©pendance avec la FĂ©dĂ©ration de Russie serait ruineuse. Au fur et Ă mesure que le parti a gagnĂ© des adhĂ©rents, il a attirĂ© plusieurs Ă©lĂ©ments d'extrĂȘme droite â c'est indĂ©niable â, mais il faut plutĂŽt voir en eux la frange d'un parti autrefois marginal. Non, les Allemands sont surpris par l'arrivĂ©e de l'AfD en tant que premier parti politique, car cela suggĂšre que l'emprise des grands partis sur le pouvoir est en train de faiblir, voire de disparaĂźtre. Et ils sont doublement stupĂ©faits lorsque les partis centristes l'empĂȘchent d'accĂ©der au gouvernement au moyen d'un âpare-feuâ ouvertement antidĂ©mocratique qui restera probablement en place quelle que soit la position de l'AfD dans l'opinion publique.
Vendredi 2 mai, les services du renseignement allemand ont officiellement classĂ© l'AfD comme âextrĂ©miste d'extrĂȘme droiteâ, premiĂšre Ă©tape vers son interdiction totale. Mettons les choses au clair. Les citoyens allemands devraient donc ĂȘtre protĂ©gĂ©s d'un parti qui bĂ©nĂ©ficie d'un soutien plus important que n'importe quel autre parmi eux ? Jusqu'oĂč ira la clique Merz ? Les autoritaires nĂ©olibĂ©raux qui contrĂŽlent Berlin en sont dĂ©sormais rĂ©duits Ă Ă©riger des barricades pour repousser les foules communĂ©ment appelĂ©es Ă©lecteurs.
Les Allemands sont Ă nouveau une nation divisĂ©e, pour employer un euphĂ©misme. C'est indĂ©niable lorsqu'on Ă©volue parmi eux. Comme souvent au cours des deux derniers siĂšcles, ils n'ont que peu de choses en commun, si ce n'est l'incertitude quant Ă leur identitĂ©. Pour reprendre les termes de Gordon Craig, inspirĂ©s de Ferdinand Freiligrath, poĂšte du mouvement dĂ©mocratique des annĂ©es 1840, la nation est Ă nouveau Hamlet. L'autoritarisme et la russophobie de l'Ă©lite dirigeante se heurtent Ă une volontĂ© Ă©vidente de reconstruire des formes de dĂ©mocratie ascendantes et de sortir la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale des animositĂ©s Est-Ouest du passĂ© â et du prĂ©sent qui s'annonce, hĂ©las. L'homme perdu de l'Europe n'a toujours pas refait surface.
Maria Zakharova, dans sa réaction au vote du Bundestag, a dit quelque chose qui a attiré mon attention car cela donne un aperçu de ce qui se passe sur le terrain en Allemagne, loin des caméras et de l'attention des médias grand public.
âLes citoyens allemandsâ, a-t-elle observĂ©, âont encore la possibilitĂ© de questionner leurs propres autoritĂ©s : qu'ont-elles envisagĂ©, et dans quelle aventure tentent-elles d'entraĂźner le continent europĂ©en ?â
Je ne sais pas comment Zakharova en arrive Ă cette certitude, compte tenu de ses fonctions quotidiennes au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres Ă Moscou. Mais c'est prĂ©cisĂ©ment ce que j'ai constatĂ© en voyageant parmi les Allemands â dans l'Ouest, certes, mais aussi et surtout dans l'ancienne RĂ©publique dĂ©mocratique allemande. Un espoir subsiste, et de nombreux Allemands s'y accrochent.
â
Dresde est située au bord de l'Elbe. C'est sur la rive opposée du fleuve, le 25 avril 1945, que les soldats des forces alliées et de l'Armée rouge se sont regardés en chiens de faïence, avant de finalement le traverser lors d'une des grandes confrontations des derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Je n'oublierai jamais mon émotion lorsque j'ai vu l'Elbe pour la premiÚre fois, durant mon récent voyage de reportage.
Les bùtiments de pierre qui ont survécu au tristement célÚbre bombardement de Dresde en février 1945 sont noircis par le feu, donnant à la ville l'aspect d'un mémorial éternel aux 25 000 vies perdues au cours de ces deux nuits terribles. L'un d'eux est une église appelée Frauenkirche, un magnifique édifice baroque aux proportions harmonieuses qui a été gravement endommagé par les flammes. Reconstruite dans les années 1990, elle est aujourd'hui envahie chaque jour par les touristes.
Alors que je faisais la queue pour entrer dans l'église par une journée ensoleillée et ventée, je pouvais voir, sur ma droite, un homme qui vendait les habituelles reproductions emballées dans du cellophane qu'on trouve dans tous les sites touristiques occidentaux. Ma compagne m'en a montré une qui, sans image pittoresque, comportait simplement quelques lignes écrites en Fraktur [caractÚres gothiques], l'ancienne écriture allemande.
âJe vais te traduire çaâ, m'a-t-elle dit avec un sourire amusĂ©. Puis elle m'a livrĂ© sa traduction improvisĂ©e : âĂtre dĂ©pourvu d'idĂ©es ne suffit pas. Il faut aussi ĂȘtre incapable d'en rĂ©aliser la moindreâ.
J'ai immĂ©diatement laissĂ© Ă©chapper un petit rire perplexe. Une sensibilitĂ© extrĂȘmement ironique Ă©tait Ă l'Ćuvre ici. Ă combien de niveaux fallait-il comprendre cette phrase ? Pourquoi Ă©tait-elle vendue devant un site solennel devenu le symbole de la rĂ©conciliation aprĂšs la guerre froide ?
J'ai regardĂ© l'homme assis sur une chaise pliante en toile Ă cĂŽtĂ© de sa table. Il avait entre 50 et 60 ans, les cheveux blonds grisonnants et arborait un large sourire. Il aurait pu ĂȘtre menuisier, employĂ© de bureau ou enseignant. Nos regards se sont croisĂ©s. Et alors que mon amusement se transformait en Ă©clats de rire incontrĂŽlables, il a Ă©clatĂ© de rire avec moi. Il semblait penser que je comprenais, ou il voulait que je comprenne : soit l'un, soit l'autre.
J'ai achetĂ© la feuille Ă©crite Ă la main, sur du papier de bonne qualitĂ© sous un passe-partout beige mat, pour 10 âŹ. C'est un petit bijou.
Cet aprÚs-midi ordinaire sur une place du centre de Dresde, entre cet homme joyeux et ses bacs remplis de gravures, parmi lesquelles se trouvait une feuille écrite avec élégance et illustrée d'images de maisons de ville, de clochers et de rues pavées : depuis ce jour, je repense souvent à cette scÚne devant la Frauenkirche. Et avec le temps, j'ai fini par comprendre. C'est ainsi que les habitants de l'ancienne Allemagne de l'Est s'adressent aux habitants de l'ancienne Allemagne de l'Ouest. Ils s'expriment avec ironie et dédain, recourant habituellement au sarcasme cinglant et à l'humour caustique. On entend dans leurs propos ce que j'ai fini par lire dans les phrases écrites en caractÚres gothiques : on y entend des reproches, des refus, une indépendance d'esprit, des vérités qu'on n'entend nulle part ailleurs.
On peut quantifier les inĂ©galitĂ©s entre les deux pans de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale reconstituĂ©e. Les salaires sont infĂ©rieurs de 25 % dans l'ancienne RĂ©publique dĂ©mocratique allemande par rapport Ă l'Ouest. Le chĂŽmage est plus Ă©levĂ© de 33 % Ă l'Est qu'Ă l'Ouest. Les bons emplois sont plus rares dans l'ancienne RDA, car la plupart des industries performantes qui ont fait le succĂšs de l'Allemagne â sidĂ©rurgie, automobile, machines, chimie, Ă©lectronique â sont implantĂ©es dans la partie occidentale. Comme l'expliquent volontiers ceux qui vivent dans l'ancienne RDA, la plupart des postes Ă responsabilitĂ© dans la partie orientale â dans les entreprises dĂ©sormais privatisĂ©es, les universitĂ©s, les banques, etc. â sont occupĂ©s par des Allemands de l'Ouest.
En ce sens, le terme ârĂ©unificationâ ne rend pas tout Ă fait compte de ce qui s'est passĂ© le 3 octobre 1990 : il serait plus juste de dire que cet Ă©vĂ©nement a effectivement transformĂ© l'Allemagne de l'Est en une colonie de l'Allemagne de l'Ouest. Le ressentiment, corollaire Ă©vident, est clairement perceptible dans les rĂ©sultats du 23 fĂ©vrier. Dans les LĂ€nder de l'Est, les trois partis d'opposition mentionnĂ©s plus haut â AfD, Die Linke, BSW â ont largement devancĂ© les partis traditionnels par rapport aux Ă©lections prĂ©cĂ©dentes. Il y a certes une part de contestation dans ces rĂ©sultats, comme me l'ont confiĂ© de nombreux Allemands avec lesquels j'ai discutĂ© â pas tous, cela dit. Mais la contestation n'explique pas tout. Les Ă©lecteurs de l'ancienne RDA sont Ă©galement plus ardemment engagĂ©s que ceux de l'Ouest dans la quĂȘte d'une nouvelle orientation nationale.
J'en reviens aux questions d'identitĂ© et de conscience. Les Allemands de l'Est n'ont jamais Ă©tĂ© soumis aux programmes d'amĂ©ricanisation dĂ©sastreux que la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale a endurĂ©s durant la guerre froide. Le dĂ©racinement que connaissent les Allemands de l'Ouest n'a pas eu lieu. Cette expĂ©rience diffĂ©rente a eu des consĂ©quences profondes. Les Allemands de l'Est n'ont pas Ă©tĂ©, pour ainsi dire, sĂ©parĂ©s d'eux-mĂȘmes comme l'ont Ă©tĂ© les Allemands de l'Ouest : leur identitĂ© a Ă©tĂ© relativement Ă©pargnĂ©e. Comme l'expliquent souvent les habitants des LĂ€nder de l'Est, ils ont dĂ©veloppĂ© une mĂ©fiance viscĂ©rale envers l'autoritĂ© durant les annĂ©es de la RDA. Mais c'est lĂ que rĂ©side le paradoxe : c'est dans leur rĂ©sistance Ă l'Ătat est-allemand que les Allemands de l'Est ont prĂ©servĂ© leur identitĂ©, leur spĂ©cificitĂ© allemande. Et c'est cette mĂ©fiance et cette rĂ©sistance qui nourrissent aujourd'hui leurs opinions et leurs attitudes envers Berlin et l'ouest de l'Allemagne â leur mĂ©pris, leurs refus. Plus d'un Allemand de l'Est m'a dit considĂ©rer le rĂ©gime centriste de Berlin comme une nouvelle dictature.
Ă une heure de route Ă l'est de Dresde, aprĂšs avoir traversĂ© de vastes plaines autrefois occupĂ©es par des coopĂ©ratives agricoles, on arrive dans une ville de Saxe appelĂ©e Bautzen. Les Français parlent souvent de âla France profondeâ, littĂ©ralement la France intacte des vieux villages et des fermes. Bautzen, autant le dire, se trouve dans ce que l'on pourrait appeler âl'Allemagne profondeâ. On peut y voir une autre facette de l'Allemagne, bien vivante, prĂ©cisĂ©ment celle que les centristes nĂ©olibĂ©raux de Berlin semblent dĂ©terminĂ©s Ă Ă©radiquer.
Bautzen, qui compte 38 000 habitants, a une histoire mouvementĂ©e. Ses origines remontent au dĂ©but du XIe siĂšcle et la ville est aujourd'hui fiĂšre de ses racines mĂ©diĂ©vales. (Si vous aimez les tours mĂ©diĂ©vales, vous serez comblĂ© : une douzaine d'entre elles dĂ©limitent encore le pĂ©rimĂštre de la ville.) Le TroisiĂšme Reich y avait installĂ© un camp de concentration, qui faisait partie du rĂ©seau GroĂ-Rosen. L'ArmĂ©e rouge a libĂ©rĂ© le sous-camp de Bautzen le 20 avril 1945, cinq jours avant que les troupes soviĂ©tiques ne rejoignent les AlliĂ©s sur l'Elbe. De 1952 jusqu'Ă la chute du mur de Berlin, la Stasi est-allemande a utilisĂ© l'ancien camp pour en faire une prison tristement cĂ©lĂšbre, surnommĂ©e Gelbes Elend, âla misĂšre jauneâ, en raison de la couleur de ses murs.
Ă l'Ă©poque de la RDA, les habitants de Bautzen ont lancĂ© ce qu'ils ont appelĂ© les âmanifestations du lundi soirâ Ă Gelbes Elend. Ces manifestations hebdomadaires ont attirĂ© jusqu'Ă 5 000 personnes avec le slogan âNous sommes le peupleâ. Ce slogan ne peut ĂȘtre pleinement compris que dans son contexte historique. La RDA se prĂ©sentait comme âla dĂ©mocratie du peupleâ ou âla rĂ©publique du peupleâ. Les slogans scandĂ©s lors des manifestations devant la prison de la Stasi le lundi Ă©taient une rĂ©ponse cinglante, l'accent Ă©tant mis sur le premier mot : âNous sommes le peupleâ.
Ă la fin de ma visite Ă Bautzen, j'ai dĂźnĂ© avec certains des organisateurs de ces manifestations. Nous nous sommes retrouvĂ©s dans un restaurant aux allures de caverne, un ancien monastĂšre. Les serveurs portaient des robes de moines et le menu proposait (pour le meilleur ou pour le pire) des plats mĂ©diĂ©vaux. La biĂšre (pour le meilleur) Ă©tait Ă©galement brassĂ©e selon une ancienne recette : une biĂšre rousse et corsĂ©e servie dans des chopes en terre cuite. Je ne sais pas si nos hĂŽtes l'avaient fait exprĂšs, mais le nom de l'Ă©tablissement, Mönchshof zu Bautzen, faisait vaguement rĂ©fĂ©rence Ă leur dĂ©marche. Aller Ă la redĂ©couverte de ce que signifie ĂȘtre authentiquement allemand â non pas dans un sens nativiste ou rĂ©actionnaire, mais comme moyen de prĂ©servation de soi, de dĂ©fense contre le nĂ©olibĂ©ralisme dont Berlin organise la promotion.
Les manifestations du lundi se sont largement rĂ©pandues durant les dĂ©cennies de la RDA et rassemblaient des centaines de milliers de personnes Ă Dresde, Leipzig et dans d'autres villes. Elles se poursuivent aujourd'hui, Ă bien plus petite Ă©chelle. Et leur slogan est restĂ© le mĂȘme : âNous sommes le peupleâ est toujours, Ă sa maniĂšre, une rĂ©ponse aux prĂ©tentions du pouvoir Ă Berlin. Par l'intermĂ©diaire d'un interprĂšte, j'ai demandĂ© aux convives assis Ă notre table, un assemblage de planches grossiĂšrement rabotĂ©es, quelles Ă©taient leurs opinions politiques. âAfD ? Die Linke ? Le BSW de Sahra Wagenknecht ?â - ce dernier Ă©tant un parti populiste de gauche qui a fait scission avec Die Linke.
âNous ne nous intĂ©ressons Ă aucun parti politiqueâ, m'a rĂ©pondu l'un des convives. âNous ne pensons plus en termes de âgaucheâ ou de âdroiteâ. Nous nous rĂ©unissons sur une base factuelle. Nous tentons de relancer ce que vous appelez un « âmouvement populaireââ.
Cette expression ne m'inspirait guĂšre confiance. Pour un AmĂ©ricain, âmouvement populaireâ Ă©voque plutĂŽt une tablĂ©e de rĂȘveurs dans l'une des innombrables villes malmenĂ©es par la rĂ©unification. Lorsque j'en ai fait part Ă Karl-JĂŒrgen MĂŒller, l'Ă©tudiant en politique allemande citĂ© plus haut, il m'a rĂ©pondu :
âVous ne voyez que la partie Ă©mergĂ©e de l'iceberg. Sous la surface, il y a bien plusâ.
C'est ce qui s'est confirmĂ© au fil de la soirĂ©e, lorsque les personnes prĂ©sentes m'ont parlĂ© des confĂ©rences et des congrĂšs qu'elles organisent rĂ©guliĂšrement avec d'autres communautĂ©s. Au dos du cahier que j'ai utilisĂ© ce soir-lĂ , j'ai trouvĂ© une brochure bien faite annonçant un âKongress Frieden und Dialogâ, un congrĂšs pour la paix et le dialogue, Ă Liebstedt, une ville de Thuringe situĂ©e prĂšs de Weimar, Ă 260 kilomĂštres de lĂ .
Au cours de mon reportage, je n'ai cessĂ© d'entendre la mĂȘme frustration Ă l'Ă©gard de la politique traditionnelle des partis en Allemagne. Je ne veux pas dire par lĂ qu'une insurrection nationale est imminente. Ce que j'ai observĂ© sur le terrain m'a semblĂ© encore embryonnaire, une simple esquisse d'un possible avenir. Sur le chemin du retour entre Bautzen et Dresde, j'ai repensĂ© Ă ce que m'avait dit Dirk Pohlmann, journaliste et documentariste, lors de notre entretien Ă Potsdam.
âNous sommes au bord d'un bouleversement tectoniqueâ, m'avait-il dit. âLes Verts sont finis. Les LibĂ©raux-DĂ©mocrates [parmi les autres grands perdants de fĂ©vrier] sont finis. Les grands partis sont affaiblis. Les gens recherchent l'unitĂ© sur les questions de bien et de mal. La âgaucheâ et la âdroiteâ n'ont plus rien Ă voir lĂ -dedansâ.
âPeut-ĂȘtreâ est ma rĂ©ponse Ă ce constat.
Pohlmann et ceux que j'ai rencontrĂ©s Ă Bautzen m'ont expliquĂ© un autre mystĂšre : l'Ă©trange âmigration Ă©lectoraleâ apparue dans les rĂ©sultats des Ă©lections de fĂ©vrier, les sociaux-dĂ©mocrates passant Ă l'AfD, les chrĂ©tiens-dĂ©mocrates passant Ă Die Linke et au BSW, les Ă©lecteurs de Die Linke passant Ă l'AfD. Lors de la publication des premiers Ă©lĂ©ments d'analyse des rĂ©sultats, cette situation semblait indĂ©chiffrable : l'Allemagne ressemblait Ă un asile de fous. Mais aprĂšs mon sĂ©jour Ă Bautzen, j'ai compris : oui, l'Allemagne est une nation caractĂ©risĂ©e par lâarrange, mais c'est aussi une nation en quĂȘte d'identitĂ©. âNous sommes tous en quĂȘte de notre paysâ, m'avait confiĂ© Dirk. Mon sĂ©jour parmi les Allemands dĂ©butait Ă peine, et je n'avais pas encore compris cette rĂ©alitĂ© profonde.
* Patrick Lawrence, correspondant Ă l'Ă©tranger pendant de nombreuses annĂ©es, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des mĂ©dias, essayiste, auteur et confĂ©rencier. Son nouveau livre, âJournalists and Their Shadowsâ, est dĂ©sormais disponible chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence.
https://scheerpost.com/2025/05/06/patrick-lawrence-germany-in-crisis-part-4-wanderers-and-seekers/
Câest certes une 'eÌlection volĂ©e' quâa subit le peuple allemand. Une bonne partie des citoyens va se rebiffer contre lâaustĂ©ritĂ© forcĂ©e et le rĂ©armement imposĂ© par lâidĂ©ologie bruxelloise. Cela rejoint le cortĂšge des nations europĂ©ennes bafouĂ©es comme la Roumanie derniĂšrement ou la Moldavie candidate contre son grĂ© et puis cette pauvre France paralysĂ©e car nâayant pas de parti dâopposition vĂ©ritable...Une guerre europĂ©enne avant 5 ans contre la Russie ? Non, non...une guerre des Ă©lites corrompues contre le peuple europĂ©en avec surveillance et rĂ©pression, oui!