đâđš L'alliance entre l'Australie et les Ătats-Unis est depuis longtemps incontestĂ©e. La dĂ©lĂ©gation chargĂ©e de libĂ©rer Julian Assange change la donne.
La petite délégation si précieuse venue aux USA pour libérer Assange émerge du cocktail funeste d'adulation américaine et d'insécurité qui, jusqu'à présent, a entravé toute avancée réelle sa faveur.
đâđš L'alliance entre l'Australie et les Ătats-Unis est depuis longtemps incontestĂ©e. La dĂ©lĂ©gation chargĂ©e de libĂ©rer Julian Assange change la donne.
Par Emma Shortis, le 19 septembre 2023
Cette semaine, une délégation de parlementaires australiens traverse le Pacifique pour faire campagne en faveur de la libération immédiate de Julian Assange. Le groupe, qui réunit des représentants des Nationaux, des Libéraux, des Verts et des indépendants, rencontrera ses homologues du CongrÚs et d'autres représentants de l'administration pour plaider la cause d'Assange.
Ils sont armĂ©s d'une lettre signĂ©e par plus de 60 reprĂ©sentants fĂ©dĂ©raux australiens, avertissant que l'extradition d'Assange vers les Ătats-Unis - rĂ©clamĂ©e Ă la fois par Trump et Biden - provoquerait un âtollĂ©â en Australie.
Cette Ă©tape de plus d'une dĂ©cennie de campagne pour la libĂ©ration d'Assange tĂ©moigne Ă©galement d'une fracture rare dans le mur apparemment impĂ©nĂ©trable du soutien bipartite Ă l'alliance de l'Australie avec les Ătats-Unis.
Au plus haut niveau de la politique australienne, depuis le Premier ministre, l'alliance est dĂ©sormais sacro-sainte. Comme le dĂ©montrent les efforts couronnĂ©s de succĂšs pour Ă©craser l'opposition populaire au dossier AUKUS [accord de coopĂ©ration militaire tripartite formĂ© par l'Australie, les Ătats-Unis et le Royaume-Uni destinĂ© Ă contrer la Chine] au sein du parti travailliste, le soutien Ă l'alliance et Ă un renforcement sĂ©curitaire toujours plus virulent est dĂ©sormais ancrĂ© au sein des principaux partis. En effet, il est cĂ©lĂ©brĂ© comme le choix nĂ©cessaire et rationnel dans un monde de plus en plus menaçant. Ă cette fin, l'ancien ministre de la DĂ©fense et pilier du parti travailliste, Kim Beazley, a dĂ©crit les sous-marins Ă propulsion nuclĂ©aire comme âune valeur fondamentale du parti travailliste et un Ă©lĂ©ment essentiel de la plate-forme du parti pour soutenir Ă la fois la dissuasion et l'autosuffisanceâ.
Les gouvernements australiens ont longtemps manifestĂ© leur inquiĂ©tude Ă l'Ă©gard de l'alliance, cherchant dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă ĂȘtre validĂ©s et rassurĂ©s, au point de s'engager avec enthousiasme dans les guerres amĂ©ricaines avant mĂȘme qu'on ne le leur demande. Dans ce contexte, l'incapacitĂ© de ce gouvernement Ă faire quoi que ce soit de substantiel au sujet d'Assange, ainsi que concernant son adhĂ©sion au pacte d'Aukus, ne sont guĂšre surprenants. Ce qui a changĂ© pour le parti travailliste, c'est l'apparente victoire des âfauconsâ, et le simplisme dangereux et embarrassant qui consiste Ă dire que tout ce qui n'est pas un soutien inconditionnel Ă l'alliance amĂ©ricaine Ă©quivaut, selon l'expression utilisĂ©e par le ministre de l'industrie de la dĂ©fense, Pat Conroy, Ă un âapaisementâ.
C'est ce cocktail funeste d'adulation et d'insécurité qui, jusqu'à présent, a entravé toute avancée réelle en faveur d'Assange.
La confiance quelque peu comprĂ©hensible dans ce que le prĂ©sident Joe Biden appelle les âbons sentimentsâ de l'AmĂ©rique est bien ancrĂ©e en Australie, mais cela signifie que l'on fonctionne dans un rĂȘve illusoire plutĂŽt que dans les rĂ©alitĂ©s beaucoup plus dures de l'AmĂ©rique d'aujourd'hui. Pour les partisans de longue date du parti travailliste, cette foi a Ă©tĂ© entiĂšrement Ă©clipsĂ©e par un soutien plus mesquin Ă la puissance amĂ©ricaine, quelle qu'elle soit et quel que soit l'endroit oĂč elle est dĂ©ployĂ©e.
Lorsque le vice-premier ministre et ministre de la dĂ©fense, Richard Marles, a dĂ©clarĂ© en 2022 que la relation de sĂ©curitĂ© Ă©tait passĂ©e d'âinteropĂ©rableâ Ă âinterchangeableâ, il a exprimĂ© cette vĂ©ritĂ© gĂȘnante : ce n'est pas que le gouvernement australien abandonne par mĂ©garde la souverainetĂ© australienne, comme certains critiques l'ont prĂ©tendu, c'est qu'il le fait volontairement, poussĂ© par une foi aveugle en la puissance amĂ©ricaine, plutĂŽt qu'en les valeurs amĂ©ricaines.
C'est cette proximitĂ© avec le pouvoir - et non, comme Marles l'a affirmĂ© dans le mĂȘme discours, âles valeurs communes que nous partageons, en tant que deux dĂ©mocratiesâ - qui est âfondamentaleâ pour l'alliance.
Dans son dĂ©fi solitaire face au pouvoir amĂ©ricain, Assange a bruyamment rĂ©vĂ©lĂ© cette hypocrisie fondamentale. Il a osĂ© dĂ©fier la puissance amĂ©ricaine en exposant sa volontĂ© de violer ses propres valeurs en apparence fondamentales - ce que les adeptes de cette puissance ne peuvent concevoir. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que les gouvernements australiens successifs n'aient soutenu qu'Ă contrecĆur, voire pas du tout, un citoyen australien victime de ce pouvoir qui n'a pas de comptes Ă rendre.
La rĂ©ticence Ă contester n'est pas uniquement due Ă au concept de lâinsĂ©curitĂ©, comme on le suppose gĂ©nĂ©ralement. Elle est Ă©galement due Ă des intĂ©rĂȘts mutuels dans le maintien de l'hĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine.
C'est pourquoi cette petite dĂ©lĂ©gation qui se rend aux Ătats-Unis pour soutenir Assange est si prĂ©cieuse - non en raison de son impact potentiel sur la pensĂ©e amĂ©ricaine, au mieux minimale, mais sur le public australien.
L'alliance vise Ă renforcer les structures de pouvoir existantes au profit de ceux qui dĂ©tiennent dĂ©jĂ le pouvoir. Il ne s'agit pas de âvaleurâ partagĂ©e de la dĂ©mocratie ; la responsabilitĂ© dĂ©mocratique ne s'applique pas, finalement, aux questions de âsĂ©curitĂ© nationaleâ de part et d'autre du Pacifique, et les deux camps ont intĂ©rĂȘt Ă ce qu'il en soit ainsi (voir : le Chili).
La maniÚre la plus efficace de contester ce pouvoir vient, comme cela a toujours été le cas, de la base. Une campagne qui oblige le gouvernement australien à exiger, et pas seulement à gentiment demander, le retour d'un citoyen australien sur le sol australien offre le meilleur espoir non seulement pour Assange, mais aussi pour ceux d'entre nous qui gardent l'espoir d'un meilleur positionnement de notre pays dans le monde.
* Emma Shortis est chercheuse principale au sein du programme des affaires internationales et de sécurité du groupe de réflexion indépendant, l'Australia Institute. @EmmaShortis