đâđš Lâapartheid de la mĂ©moire
âPlus jamais çaâ ne doit plus ĂȘtre un slogan servant Ă justifier le gĂ©nocide, mais le serment de le faire cesser, quelle que soit la cible, quel que soit l'Ătat, quel que soit le drapeau.
đâđš Lâapartheid de la mĂ©moire
Par Story Ember leGaĂŻe, le 25 avril 2025
Yom HaShoah, génocide et instrumentalisation de l'histoire.
Aujourd'hui, c'est Yom HaShoah, le jour du souvenir de l'Holocauste. Une date gravée dans nos mémoires pour rendre hommage aux vies fauchées par le régime nazi. Une journée destinée à inciter à une réflexion éthique sur le génocide, la violence et le silence. Pourtant, entre écrans et cérémonies, force est de constater que la mémoire, entre les mains de l'empire, est instrumentalisée. La mémoire sacrée du génocide a été détournée au profit d'une autre cause.
On nous demande de pleurer un gĂ©nocide alors que nous en finançons un autre. De scander âPlus jamais çaâ tout en assistant Ă un nouveau âçaâ Ă Gaza. De ne parler de souffrance qu'en servant le scĂ©nario du colonisateur.
La mémoire sélective n'est pas la mémoire
L'Holocauste était un génocide. Une extermination systématique, à l'échelle industrielle, de la vie, de la langue, de l'esprit et de la communauté juifs. Six millions de Juifs ont été assassinés. Et ils n'étaient pas les seuls. Entre 11 et 17 millions de personnes ont été tuées par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs. Parmi elles :
Plus de 500 000 Roms, victimes du Porajmos.
Plus de 250 000 personnes handicapĂ©es, victimes du programme d'âeuthanasieâ Aktion T4.
Des milliers de personnes queer, principalement des hommes homosexuels, emprisonnés, castrés et assassinés.
Des millions de Slaves, en particulier des Polonais et des SoviĂ©tiques, qualifiĂ©s dââUntermenschenâ.
Les Afro-Allemands, les dissidents politiques, les communistes, les syndicalistes, les Témoins de Jéhovah, et d'autres.
Pourtant, lorsque l'Ătat israĂ©lien et ses soutiens Ă travers le monde commĂ©morent Yom HaShoah, ils n'Ă©voquent qu'un seul groupe de victimes. Ils exaltent une mĂ©moire tout en effaçant les autres. Ils instaurent une sĂ©grĂ©gation du deuil, un apartheid de la mĂ©moire historique, oĂč le deuil est contingentĂ©, oĂč seules certaines morts sont jugĂ©es dignes de lâindignation mondiale, et oĂč le traumatisme d'une communautĂ© devient un bouclier justifiant la destruction d'une autre.
Le monopole sioniste du deuil
Cette mĂ©moire sĂ©lective n'est pas une omission passive. Il s'agit d'une stratĂ©gie dĂ©libĂ©rĂ©e. En monopolisant la mĂ©moire de l'Holocauste, l'Ătat hĂ©breu s'est construit une mythologie politique le prĂ©sentant comme l'Ă©ternelle victime, inattaquable, au-dessus de toute critique et de tout jugement.
Critiquer le sionisme ? C'est ĂȘtre taxĂ© d'antisĂ©mitisme. Exiger des comptes ? C'est ĂȘtre accusĂ© de nĂ©gationnisme. La rĂ©sistance des Palestiniens ? AssimilĂ©e au nazisme.
Il ne sâagit pas de mĂ©moire inspirĂ©e par le traumatisme. C'est de la propagande tirant parti du traumatisme.
Les institutions sionistes et les gouvernements occidentaux invoquent l'Holocauste pour faire taire toute contestation de l'apartheid israélien, de l'occupation militaire ou des actes génocidaires à Gaza. Ils effacent les Palestiniens de l'histoire, puis les accusent de tenter de survivre.
Cette instrumentalisation du deuil leur permet de faire de la mĂ©moire un instrument politique. Cette mĂȘme mĂ©moire qui exigeait autrefois de ne plus jamais laisser cela se reproduire justifie aujourd'hui les bombes larguĂ©es sur Rafah, la famine dans le nord de Gaza, les massacres de familles entiĂšres et le meurtre de plus de 25 000 enfants.
De âPlus jamais çaâ Ă âSauf Ă Gazaâ
âPlus jamais çaâ est aujourdâhui sous contrat exclusif, plus quâune phrase dĂ©pouillĂ©e de son universalitĂ©. Elle ne signifie plus âplus jamais Ă aucun peupleâ. Elle signifie dĂ©sormais : plus jamais nous. Et si cela arrive Ă quelqu'un d'autre, en particulier aux Arabes, aux musulmans ou aux peuples autochtones, le monde regarde ailleurs.
IsraĂ«l a redĂ©fini le nĂ©gationnisme : il ne s'agit plus de nier les massacres, mais de les nommer lorsqu'ils sont politiquement gĂȘnants.
Qualifier la famine Ă Gaza de gĂ©nocide est ⊠? âProvocateurâ
Ătablir des parallĂšles entre l'apartheid en Afrique du Sud et IsraĂ«l est ⊠? âOffensantâ
Dire que la Nakba Ă©tait un nettoyage ethnique de masse est ⊠? âRĂ©visionnisteâ
Mais le silence est complice. Le deuil sélectif est complice. La mémoire, lorsqu'elle devient monopole, est une autre arme de domination.
La hiérarchie fabriquée des victimes
C'est lĂ le cĆur du problĂšme : la mĂ©moire du gĂ©nocide, telle qu'elle est mise en Ćuvre par IsraĂ«l et ses alliĂ©s, crĂ©e une hiĂ©rarchie du statut de victime. La souffrance juive est hypervisible, politiquement sacrĂ©e, institutionnellement protĂ©gĂ©e. Les victimes roms, handicapĂ©es, queer et palestiniennes, elles, sont relĂ©guĂ©es aux notes de bas de page, si tant est qu'elles soient mentionnĂ©es.
Il ne s'agit pas que du passé. C'est une réalité qui conditionne le présent :
Les Roms continuent d'ĂȘtre victimes de politiques racistes, de stĂ©rilisations forcĂ©es et de sĂ©grĂ©gation scolaire dans toute l'Europe.
Les personnes handicapées sont disproportionnellement victimes de meurtres dans les conflits armés et se voient refuser l'aide humanitaire.
Les Palestiniens queer sont réguliÚrement dénoncés et victimes de chantage par le régime israélien dans le cadre de son appareil de surveillance.
Les Palestiniens sont affamĂ©s, bombardĂ©s et massacrĂ©s, tandis que le monde dĂ©bat pour savoir si cela constitue un âgĂ©nocide suffisantâ pour justifier une prĂ©occupation.
Mettre en avant le traumatisme d'un groupe tout en l'utilisant pour effacer ou brutaliser d'autres peuples ne relÚve pas de la célébration de la mémoire. Il s'agit d'un révisionnisme génocidaire en temps réel.
La solidaritĂ© doit ĂȘtre universelle, sans quoi elle n'est rien
Si votre souffrance dépend d'un passeport, d'une religion ou d'une alliance militaire, alors ce n'est pas de la souffrance. C'est de la propagande.
Si Yom HaShoah doit signifier quelque chose, câest bien un jour de deuil pour tous ceux qui ont souffert sous des rĂ©gimes gĂ©nocidaires, passĂ©s et prĂ©sents. Cette journĂ©e doit inclure les Palestiniens tuĂ©s par le rĂ©gime israĂ©lien. Les civils soudanais bombardĂ©s par les milices RSF. Les enfants du Congo, du Myanmar, du YĂ©men, d'Ăthiopie, de toutes les nations colonisĂ©es et brutalisĂ©es que l'Occident ignore.
On ne peut pas décemment pleurer un génocide en banalisant sa récidive. On ne peut pas rendre hommage aux victimes en célébrant de nouvelles victimes. On ne peut pas instrumentaliser le deuil sans devenir auteur de violences au nom de la mémoire.
La mĂ©moire au dĂ©triment de la justice nâest quâune trahison
Nous devons nous souvenir de l'Holocauste. Sans réserve. Sans complaisance. Dans toute son ampleur et sa barbarie. Mais si la mémoire se veut exclusive, ce n'est pas la mémoire, juste un mythe.
Pour véritablement rendre hommage aux morts, nous devons briser le monopole du deuil. Nous devons rejeter l'apartheid de la mémoire. Et nous devons le dire haut et fort : le génocide à Gaza n'est pas une conséquence de l'Holocauste, il n'est que la conséquence de la maniÚre dont on commémore l'Holocauste.
âPlus jamais çaâ ne doit plus ĂȘtre un slogan servant Ă justifier le gĂ©nocide, mais le serment de le faire cesser, quelle que soit la cible, quel que soit l'Ătat, quel que soit le drapeau.
Références et lectures complémentaires
Bauer, Yehuda. Rethinking the Holocaust. Yale University Press, 2002.
Hancock, Ian. We are the Romani People. University of Hertfordshire Press, 2002.
United States Holocaust Memorial Museum. « Nazi Persecution of Homosexuals ». ushmm.org
Burleigh, Michael. Death and Deliverance: « Euthanasia » in Germany 1900â1945. Cambridge University Press, 1994.
Puar, Jasbir. Terrorist Assemblages: Homonationalism in Queer Times. Duke University Press, 2007.
Erakat, Noura. Justice for Some: Law and the Question of Palestine. Stanford University Press, 2019.
Khalidi, Rashid. The Hundred Years' War on Palestine. Henry Holt and Co., 2020.
B'Tselem â Centre d'information israĂ©lien pour les droits humains dans les territoires occupĂ©s. Un rĂ©gime de suprĂ©matie juive du Jourdain Ă la MĂ©diterranĂ©e : c'est l'apartheid. (2021)
Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale. Observations finales sur les rapports combinés 17e à 19e d'Israël, 2019.
Human Rights Watch. Un seuil franchi : les autorités israéliennes et les crimes d'apartheid et de persécution. (2021)
Poole, Amelia et al. « Genocide as a Structure: Gaza and the Logic of Erasure » (Le génocide en tant que structure : Gaza et la logique de l'effacement). Journal of Genocide Research, 2024.
Traduit par Spirit of Free Speech