đâđš L'appel de Stella Assange Ă l'Australie
La libération d'Assange ne sera probablement possible que lorsque la peine déjà purgée sera jugée suffisante au vu de celle qu'il aurait à subir si les allégations portées contre lui étaient avérées.
đâđš L'appel de Stella Assange Ă l'Australie
Par Binoy Kampmark, le 29 mai 2023 - Illustration @DomGraph
La libération d'Assange ne sera probablement possible que lorsque la peine qu'il a déjà purgée sera jugée suffisante au vu de celle qu'il aurait à subir si les allégations portées contre lui étaient avérées.
Les langues se dĂ©lient, les claviers s'enflamment et les intellectuels se rĂ©veillent, du moins pour un temps. Ătant donnĂ© que la plupart des membres de la presse et des mĂ©dias australiens se sont montrĂ©s indiffĂ©rents, voire enthousiastes, Ă l'Ă©gard des poursuites engagĂ©es contre Julian Assange, la prĂ©sence de son Ă©pouse, Stella, au cĆur de l'Ă©picentre de la presse australienne, le National Press Club de Canberra, Ă©tait particuliĂšrement Ă©mouvante.
Pour ceux qui connaissent les poursuites engagĂ©es par les Ătats-Unis contre le fondateur de WikiLeaks via les procĂ©dures d'extradition du Royaume-Uni, une entreprise brutale et carnavalesque qui continue de gangrener le systĂšme juridique, il n'y a pas grand-chose Ă dire. Stella a dĂ» faire passer son message Ă un groupe de non-initiĂ©s - la plupart d'entre eux, en tout cas - et Ă©noncer le fait Ă©vident que son mari est confrontĂ© Ă de sombres perspectives outreAtlantique pour avoir vendu la mĂšche Ă l'Ătat de sĂ©curitĂ© nationale amĂ©ricain. Une fois les portes ouvertes Ă de telles poursuites sur le sol amĂ©ricain, les paris sont ouverts sur la question de la publication d'informations relatives Ă la sĂ©curitĂ© nationale dans l'intĂ©rĂȘt du public. Pour la premiĂšre fois dans l'histoire juridique des Ătats-Unis, un journaliste, diffamĂ© et harcelĂ©, sera transportĂ© dans les entrailles d'un Ătat carcĂ©ral si rĂ©voltant qu'il fait passer Belmarsh pour une modeste retraite.
La mĂ©thode, cependant, rĂ©side dans la touche personnelle, qui fait ressortir Assange comme un homme dĂ©vouĂ©, aimant et intellectuellement stimulĂ©. Il est question du "loriquet arc-en-ciel naissant" que son mari a Ă©levĂ© lorsqu'il Ă©tait sur Magnetic Island, au large de la cĂŽte de Townsville, dans le Queensland. Elle se souvient de la "jument au pelage alezan qu'il montait lorsqu'il sĂ©journait dans les Northern Rivers". Il a Ă©galement fait du surf Ă Byron Bay pendant son adolescence et a pratiquĂ© l'apiculture dans les Dandenong Ranges, dans l'Ătat de Victoria.
Le programme de Stella est clair, direct et puissant. Elle ne s'embarrasse pas de fioritures. Elle sait que le royaume des idées n'a pas grand-chose à voir avec les journalistes qui déjeunent et dßnent à Canberra et qui offrent au reste de l'Australie des informations d'une qualité médiocre et embarrassante. Il était donc important de rester simple.
La technique adoptée est donc simple : se concentrer sur l'homme en prison, en captivité, et qui en souffre. "Je peux vous dire exactement ce que fait Julian en ce moment. Il est 3 heures du matin à Londres. Julian est allongé dans sa cellule, probablement réveillé et luttant pour s'endormir. C'est là qu'il passe vingt-deux heures par jour, tous les jours".
Elle mentionne comment "les pieds de Julian ne sentent jamais que le ciment dur, terne et uniforme du sol de la prison". Le soulagement et le rĂ©pit ne se trouvent pas dans la routine d'exercice. "Lorsqu'il se rend dans la cour pour faire de l'exercice, il n'y a pas d'herbe, pas de sable. Il n'y a que le bitume cernĂ© de camĂ©ras et de fils barbelĂ©s au-dessus de sa tĂȘte".
La cellule qu'occupe Assange ne fait que trois mĂštres sur deux, une situation scandaleuse en l'absence de toute condamnation, et qui l'est d'autant plus. Le courant d'air froid qui entre par la fenĂȘtre est attĂ©nuĂ©, dans une certaine mesure, par les livres, ce qui est poignant compte tenu de la curiositĂ© intellectuelle de M. Assange. En ce sens, la littĂ©rature ne se contente pas de nourrir l'esprit, elle lui offre littĂ©ralement un bouclier contre les Ă©lĂ©ments.
Les murs de l'espace restreint sont également couverts de photos de ses enfants et de ceux de Stella, et d'eux ensemble. Dans l'ensemble, la science n'est jamais négligée. "Un grand poster coloré d'une nébuleuse prise par le télescope James Webb de la NASA" trouve également sa place dans la cellule.
En ce qui concerne les visites, Stella reste directe et impressionnante par son absence de sentimentalisme. "Lorsque les enfants et moi nous rendons Ă Belmarsh, gĂ©nĂ©ralement le week-end, nous laissons nos affaires dans un casier. Nous nous enregistrons auprĂšs des autoritĂ©s pĂ©nitentiaires dans le bĂątiment du centre des visiteurs, mon empreinte digitale est scannĂ©e et nous recevons un tampon sur le dos de la main." Ensuite, c'est l'entrĂ©e, les "files d'attente interminables". L'un des enfants fait l'amalgame entre la prison et la file d'attente, une parabole joliment sinistre qui pourrait s'appliquer Ă n'importe quel systĂšme pĂ©nal de la planĂšte, qui fusionne la procession avec la captivitĂ© elle-mĂȘme.
AprÚs avoir offert à son public ces tranches de vie personnelles, Stella se livre à des réflexions plus sérieuses. "Il y a maintenant une reconnaissance quasi universelle des implications énormes de cette affaire pour la liberté de la presse et l'avenir de la démocratie".
Les efforts herculĂ©ens de Stella et du pĂšre d'Assange, John Shipton, ont certainement attirĂ© l'attention du Premier ministre australien, Anthony Albanese. Dans une interview accordĂ©e Ă la chaĂźne australienne ABC au dĂ©but du mois, il a affirmĂ© faire en privĂ© ce qu'il disait en public, Ă savoir que "trop c'est trop". Les voies diplomatiques ont Ă©tĂ© utilisĂ©es, mais le Premier ministre a dĂ©plorĂ© lâabsence de rĂ©sultats jusqu'Ă prĂ©sent. "Je sais que c'est frustrant, je partage cette frustration. Je ne peux pas faire plus que d'expliquer clairement ma position."
Cette prise de conscience de la frustration devrait indiquer l'étendue et la valeur de l'influence et de l'attraction de l'Australie sur leur brute d'allié. Bien qu'elle ait essentiellement offert le pays au complexe militaro-industriel de Washington sur un plateau, la gratitude à l'égard des demandes australiennes n'abonde pas dans l'affaire Assange. En refusant de rencontrer l'épouse d'Assange (il ne croit pas à la "démagogie"), Albanese continue d'affirmer que "l'incarcération en cours" de l'éditeur ne rime à rien. Il se réjouit également que la position sur Assange soit désormais bipartite - le chef de l'opposition, Peter Dutton, s'est également rallié aux partisans de la libération.
Pour autant, le premier ministre entretient encore une Ă©quation vouĂ©e Ă l'Ă©chec : la libĂ©ration d'Assange ne sera probablement possible que lorsque la peine qu'il a dĂ©jĂ purgĂ©e sera jugĂ©e suffisante par rapport Ă celle qu'il aurait Ă subir si les allĂ©gations portĂ©es contre lui Ă©taient avĂ©rĂ©es. Ătant donnĂ© que les 18 chefs d'accusation retenus contre le prisonnier politique le plus important de Belmarsh entraĂźneraient des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'Ă 175 ans, les espoirs doivent ĂȘtre tempĂ©rĂ©s. Pour autant, l'observation de Stella selon laquelle la vie de son mari se trouvait "entre les mains du gouvernement australien" reste d'une grande pertinence. Si rien ne se passe maintenant, ce sera quand ?
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://www.counterpunch.org/2023/05/29/visits-of-justice-stella-assanges-plea-to-australia/