👁🗨 L'armée israélienne a saccagé ma maison
J'ai vu des destructions, mais ce jour-là dépasse l'entendement. Une destruction massive, tous azimuts. Plus de maisons, d'arbres, ni de rues. Juste des gravats & les ornières laissées par les tanks.
👁🗨 L'armée israélienne a saccagé ma maison
Par Abdallah al-Naami*, le 13 mai 2024
Dans la soirée du dimanche 24 décembre 2023, je me trouvais chez moi, dans le camp de Maghazi, à Gaza, et je naviguais sur mon téléphone, lisant les dernières informations sur les bombardements israéliens, lorsque j'ai entendu le bruit assourdissant d'une bombe larguée tout près de chez moi.
J'ai essayé de me boucher les oreilles, mais une autre explosion a immédiatement suivi. C'était la plus violente jamais ressentie. Ma chambre s'est éclairée de rouge, puis est devenue noire. Pas parce que les lumières se sont éteintes, mais à cause des décombres, de la poussière et de la fumée qui emplissaient la pièce.
J’étais pétrifié. J'ai entendu des débris et des éclats de roquettes voler à travers les fenêtres et tomber autour de moi. J'entendais des cris dans toutes les directions. Je savais que c'était soit notre maison, soit la maison voisine qui était visée.
Pieds nus, j'ai couru à travers les décombres et les éclats de verre pour rejoindre ma famille à l'étage. Je me suis arrêté lorsque j'ai vu un membre humain dans les escaliers. Je me suis figée sous le choc. Même si j'avais déjà vu de telles images en continu sur les écrans ces derniers mois, voir une telle horreur de mes propres yeux a été dévastateur.
Je ne m'en suis toujours pas remis.
Mais je devais continuer à avancer. Lorsque j'ai rejoint ma famille, j'ai été soulagé de voir que personne n'avait été gravement blessé, même si nous allions découvrir des blessures plus tard. Le choc et l'adrénaline nous ont d'abord anesthésiés.
Nous sommes descendus et nous sommes regroupés dans une pièce sans fenêtre. Nous pouvions à peine respirer tant il y avait de fumée et de poussière. L'air sentait l'explosif et la chair humaine calcinée.
Nous ne savions toujours pas à qui appartenait la maison bombardée.
Personne n'a dormi cette nuit-là. Les bombes israéliennes ont continué de pleuvoir tout près de nous. J'attendais avec angoisse le lever du jour, espérant que la lumière apporterait un peu d'espoir ou en tout cas moins de carnage.
Mais lorsque le jour s'est levé, il n'a fait que révéler une dévastation encore plus folle.
Un char israélien devant chez moi
Des avions de guerre israéliens avaient pris pour cible deux immeubles résidentiels de notre quartier, tuant au moins 70 personnes. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui le massacre de Maghazi.
Il y avait des parties de corps humains sur le toit de notre maison, dans plusieurs pièces et au pied de tous les arbres du jardin. Nous avons ramassé ce que nous pouvions et avons fait enterrer les restes en l'honneur de nos voisins.
La mort de mes voisins et de mes amis m'a brisé le cœur. Nous avions grandi ensemble, joué et prié ensemble. Israël les a tous tués en une fraction de seconde.
Dans les jours qui ont suivi, ceux qui sont restés dans le quartier ont été déplacés de force. Leurs maisons avaient été détruites, et Israël continuait à nous bombarder jour et nuit.
L'armée d'occupation israélienne a envahi le camp de réfugiés d'al-Bureij, proche du camp de Maghazi.
Nous avons été contraints d'évacuer. Nous avons emballé ce que nous pouvions porter, et sommes allés chez mon oncle à Deir al-Balah, que le gouvernement israélien avait déclaré “zone de sécurité”.
Je me souviens encore de ma première nuit loin de chez moi. Je me suis couché sur le dos dans une pièce sombre et bondée, me sentant horriblement seul, songeant à notre maison.
Quelques jours plus tard, l'armée d'occupation a envahi notre quartier dans la partie ouest du camp de Maghazi. J'ai vu aux informations l'image d'un char israélien devant notre maison.
Bien que la famille de mon oncle ait fait de son mieux pour que nous nous sentions les bienvenus, notre déplacement a été terriblement difficile. L'hiver était glacial et nous n'avions pas assez de vêtements ou de couvertures. Certains jours, j'ai eu tellement froid que je ne sentais ni mes doigts ni mes orteils.
Et pendant tout ce temps, je pensais à notre maison à Maghazi, en attendant que l'armée israélienne se retire. Je rêvais du jour où je pourrais rentrer chez moi.
Le retour
Puis, en janvier 2024, j'ai appris que l'armée s'était retirée du camp de Maghazi.
J’ai pensé qu'il était enfin temps de rentrer chez moi, mais l'armée israélienne continuait de prendre pour cible et tuer ceux qui tentaient de retourner chez eux, y compris deux membres de ma famille, des civils non armés.
J'ai attendu quelques jours, puis je suis parti à pied vers Maghazi. En chemin, j'ai vu des destructions inouïes, tout d'abord dans la rue Salahuddin, où des centaines d'entrepôts et de magasins avaient été rasés par les attaques israéliennes.
J'avais toujours aimé me promener dans cette rue, avec ses palmiers et ses boutiques. Aujourd'hui, elle n'est plus qu'un terrain vague.
Ayant grandi à Gaza, j'ai déjà été témoin de nombreuses destructions causées par les attaques israéliennes. Mais ce que j'ai vu ce jour-là dépasse tout ce que j'avais pu voir auparavant. C'était une destruction massive tous azimuts. Plus de bâtiments, d'arbres, de rues. Juste des tas de gravats et les ornières laissées par les tanks israéliens.
En arrivant dans notre quartier, j'ai eu du mal à le reconnaître. Aucune maison, aucune rue n'a été épargnée. Les voisins cherchaient dans les décombres les corps de leurs proches. D'autres pleuraient devant leur maison en ruine. Nous étions tous tellement accablés par la souffrance et le chagrin que les mots nous manquaient.
Je me suis arrêté devant chez nous. La maison était encore debout, mais gravement endommagée. Plusieurs murs ont été détruits par les obus. Deux missiles ont traversé le toit. Il y avait des impacts de balles sur tous les murs.
Notre jardin si vert est devenu gris pâle. Les fleurs sont mortes et les arbres ont brûlé. Des débris de notre maison jonchaient le sol.
Je me suis frayé un chemin dans les décombres et suis entré par un trou dans le mur. On aurait dit qu'il y avait eu un tremblement de terre, et tout indiquait que l'armée israélienne avait saccagé la maison.
J'ai trouvé des restes de nourriture laissés par les soldats et de nombreuses douilles de balles. Ils avaient cassé nos meubles, nos ustensiles de cuisine et nos souvenirs. Ils ont même tiré sur nos téléviseurs.
Il n'y a pas de mots pour décrire ce que l'on ressent.
J'ai fait un tour sur notre terrain, un peu plus loin de la ville. Nos 40 oliviers ont été abattus au bulldozer, totalement détruits. J'ai pris soin de ces arbres pendant neuf ans, je les ai vus passer du stade d’arbrisseaux à celui d’arbres. Ils étaient comme mes enfants.
Sur la route du retour vers Deir al-Balah, je me suis de nouveau arrêté devant chez nous. J'ai entendu un bruit à l'intérieur. C'était notre chat, Shujaa, qui signifie “courageux”. On plaisantait souvent en disant qu'il était plus gâté que courageux.
Le voir en vie m'a donné un rare sentiment d'espoir.
L'espoir qu'un jour la vie revienne chez nous.
* Abdallah al-Naami est un journaliste et photographe vivant à Gaza.
https://electronicintifada.net/content/israeli-occupation-forces-ransacked-my-home/46336