đâđš âL'automne des patriarchesâ.
La rĂ©affirmation honteuse du âsoutien inconditionnelâ de Biden Ă IsraĂ«l porte un coup trĂšs sĂ©vĂšre Ă la puissance & l'influence amĂ©ricaines, trahissant la paralysie impĂ©riale qui sĂ©vit Ă Washington.
đâđš âL'automne des patriarchesâ, ou la paralysie tardive de l'imperium.
Par Patrick Lawrence, le 26 octobre 2023
La rĂ©affirmation honteuse du âsoutien inconditionnelâ Ă IsraĂ«l du rĂ©gime Biden a portĂ© un coup trĂšs sĂ©vĂšre Ă la puissance & Ă l'influence amĂ©ricaines, trahissant la paralysie impĂ©riale caractĂ©risant la posture de Washington.
Quand le roi de Jordanie, Abdallah II, annule un sommet prĂ©vu avec le prĂ©sident Biden, quand Abdel Fattah al-Sisi, le prĂ©sident Ă©gyptien, refuse de rencontrer le dirigeant amĂ©ricain, quand Mahmoud Abbas, le chef de l'AutoritĂ© palestinienne, ne rĂ©pond pas aux appels tĂ©lĂ©phoniques de Biden : au vu des refus extraordinaires qui ont accueilli Joe Biden lors de ses journĂ©es en Asie occidentale la semaine derniĂšre, on peut en conclure que le regain de violence entre IsraĂ«l et Gaza a coĂ»tĂ© beaucoup d'amis au rĂ©gime Biden dans une rĂ©gion oĂč l'influence de Washington Ă©tait autrefois incontestable.
Ălargissons la perspective. Xi Jinping, le prĂ©sident chinois, a cessĂ© de dialoguer avec M. Biden il y a plusieurs mois. Vladimir Poutine a clairement indiquĂ© Ă plusieurs reprises qu'il ne voyait pas l'intĂ©rĂȘt de communiquer ou de rencontrer M. Biden car, a dĂ©clarĂ© le prĂ©sident russe Ă de nombreuses reprises, il est impossible de croire M. Biden sur parole. Le grand plan de la Maison-Blanche de Joe Biden visant Ă patronner la normalisation des relations d'IsraĂ«l avec le royaume saoudien - dont le dirigeant de facto, le prince hĂ©ritier Mohammed bin Salman, mĂ©prise ouvertement le prĂ©sident Biden - semble aujourd'hui pratiquement caduc.
Joe Biden et ses principaux responsables de la SĂ©curitĂ© nationale, notamment le secrĂ©taire d'Ătat Antony Blinken et le conseiller Ă la sĂ©curitĂ© nationale Jake Sullivan, ont commencĂ© Ă semer la pagaille dans la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis dĂšs lâaccession de Biden au pouvoir en janvier 2021. Un constat qui s'est d'abord manifestĂ© lors des premiers contacts avec la Chine, en mars de la mĂȘme annĂ©e, mais qui s'est avĂ©rĂ© flagrant dans le cas de la Russie quelques mois plus tard. Aujourd'hui, le dĂ©sastre de l'incompĂ©tence du rĂ©gime Biden concernant les dâaffaires d'Ătat se manifeste pleinement en Asie occidentale. Pourquoi ? Comment expliquer l'incompĂ©tence choquante de ces gens dans la gestion des relations de l'AmĂ©rique avec le reste du monde ? Telles sont les questions que nous nous posons.
Il y a plusieurs façons d'expliquer cet Ă©chec lamentable de l'art de gouverner. M. Biden est un menteur invĂ©tĂ©rĂ© depuis ses dĂ©buts au SĂ©nat dans les annĂ©es 1970, comme le montre dĂ©sormais son bilan, et il a commis l'erreur de croire qu'il pouvait berner d'autres dirigeants mondiaux de la mĂȘme maniĂšre qu'il a bernĂ© ses Ă©lecteurs de l'Ătat du Delaware pendant un demi-siĂšcle. En fait, M. Biden est un politicien de petite envergure largement dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements depuis qu'il s'est lancĂ© dans la politique Ă©trangĂšre en tant que membre de la commission sĂ©natoriale des affaires Ă©trangĂšres Ă la fin des annĂ©es 1990.
Les proches de M. Biden ont constatĂ© pour la premiĂšre fois son Ă©tat de dĂ©mence naissante il y a plus d'une douzaine d'annĂ©es. Cet Ă©tat s'est aggravĂ© au point que son incompĂ©tence intellectuelle est dĂ©sormais douloureusement Ă©vidente Ă chacune de ses apparitions publiques. Lorsque Biden a chargĂ© Blinken et Sullivan de la mise en Ćuvre de sa stratĂ©gie de SĂ©curitĂ© nationale, il a en fait sacrifiĂ© la politique Ă©trangĂšre Ă une clique d'idĂ©ologues nĂ©oconservateurs se contentant de croire et non de rĂ©flĂ©chir. Dans le cas d'IsraĂ«l, les Ă©lections de l'annĂ©e prochaine ont rendu un Biden - âIl n'est pas nĂ©cessaire d'ĂȘtre juif pour ĂȘtre sionisteâ - particuliĂšrement vulnĂ©rable au lobby juif de Washington. Sur le plan politique, M. Biden ne pouvait que cĂ©der de maniĂšre calamiteuse la semaine derniĂšre au gouvernement de M. Netanyahou.
Tous ces facteurs permettent d'expliquer pourquoi le rĂ©gime de Biden a fait un si mauvais choix dans sa rĂ©ponse Ă la crise dĂ©clenchĂ©e par l'assaut lancĂ© par les troupes du Hamas sur le territoire israĂ©lien le 7 octobre dernier. Le voyage embarrassant et Ă©courtĂ© de M. Biden dans la rĂ©gion la semaine derniĂšre montre que les Ătats-Unis cautionnent la destruction d'une ville d'un million d'habitants, et encouragent la longue Ă©puration ethnique par IsraĂ«l du peuple palestinien. MĂȘme les alliĂ©s europĂ©ens de Washington, toujours loyaux, montrent discrĂštement des signes de dĂ©goĂ»t.
Mais Ă mon avis, nous devons considĂ©rer cette nouvelle et trĂšs grave crise en Asie occidentale en termes globaux. Si le dĂ©clin de l'imperium amĂ©ricain est Ă©vident depuis quelques annĂ©es, ce que je soutiens sans hĂ©sitation, la rĂ©affirmation honteuse du âsoutien inconditionnelâ Ă IsraĂ«l par le rĂ©gime Biden a portĂ© un coup sĂ©vĂšre et trĂšs sĂ©rieux Ă la puissance et Ă l'influence amĂ©ricaines. Pour simplifier Ă l'extrĂȘme, on peut dire que ce moment, qui exigeait une rĂ©novation fondamentale de la politique amĂ©ricaine en Asie occidentale, trahit au contraire, dans les termes les plus crus, la paralysie impĂ©riale qui caractĂ©rise la posture de Washington.
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La victoire induit gĂ©nĂ©ralement la sclĂ©rose, et nous sommes bien placĂ©s pour le savoir. AprĂšs les triomphes d'avril et d'aoĂ»t 1945, l'hypothĂšse des cliques politiques - manifeste dans les publications politiques de l'Ă©poque - voulait que les Ătats-Unis n'aient pas grand-chose Ă craindre. l leur suffisait de poursuivre leur politique extĂ©rieure en poursuivant leurs activitĂ©s pour mener le âmonde libreâ Ă la victoire sur le Reich et le Japon impĂ©rial. Cela impliquait de maintenir âl'arsenal de la dĂ©mocratieâ, comme on appelait alors benoĂźtement le complexe militaro-industriel dans les annĂ©es 1940, tout en distribuant quelques largesses, toujours dans leur propre intĂ©rĂȘt, en Europe et dans d'autres rĂ©gions du monde oĂč le besoin s'en faisait sentir.
Ă bien des Ă©gards, les dĂ©cennies d'aprĂšs-guerre ont Ă©tĂ© fastes pour les Ătats-Unis, comme l'ont fait remarquer de nombreux intellectuels. Mais elles ont eu deux effets dĂ©lĂ©tĂšres. PremiĂšrement, le dĂ©partement d'Ătat a perdu sa capacitĂ© Ă rĂ©agir Ă des situations inĂ©dites. Des diplomates imaginatifs Ă l'intelligence bien dĂ©veloppĂ©e ont Ă©tĂ© remplacĂ©s au fil du temps par des bureaucrates obtus. Secundo, comme les dĂ©cennies d'aprĂšs-guerre Ă©taient aussi celles de la guerre froide, le Pentagone a progressivement, mais sĂ»rement, pris le dessus dans les choix politiques. Au moment oĂč je suis devenu correspondant Ă l'Ă©tranger, dans les annĂ©es 1980, Washington ne menait pas tant une politique Ă©trangĂšre qu'une politique sĂ©curitaire.
Telle est la situation actuelle de Washington. C'est ainsi que la politique est conçue et exĂ©cutĂ©e. Le principal instrument de la politique amĂ©ricaine est dĂ©sormais la puissance militaire. Le reste est constituĂ© de platitudes, de poncifs, de gesticulations et de vĆux pieux en faveur d'idĂ©aux que les Ătats-Unis ont cessĂ© de respecter depuis fort longtemps - ainsi que de coercition ou de corruption lorsque l'une ou l'autre de ses promesses se concrĂ©tise. Ă son retour d'IsraĂ«l, le prĂ©sident Biden n'a pas perdu de temps pour prĂ©senter au CongrĂšs une nouvelle demande d'aide militaire de 105 milliards de dollars : 14,3 milliards pour IsraĂ«l, 61 milliards pour l'Ukraine, et une bonne partie du reste pour TaĂŻwan. Peut-on rĂȘver meilleur scĂ©nario ? Aucune de ces mesures n'est le fruit d'une diplomatie sĂ©rieuse et innovante.
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Pendant longtemps, les administrations se sont succĂ©dĂ©es sous la houlette du rĂ©gime que je viens d'esquisser (analyse combinĂ©e Ă l'idĂ©ologie). Il y a eu des dĂ©sastres - le Vietnam, l'Afghanistan, l'Irak et l'ensemble du Moyen-Orient - mais le navire a maintenu le cap. Les choses ont commencĂ© Ă changer aprĂšs les Ă©vĂ©nements du 11 septembre 2001, lorsque l'imperium a commencĂ© Ă montrer des signes d'incertitude et de dĂ©sarroi. Au moment oĂč M. Biden a pris ses fonctions, il Ă©tait clair que notre planĂšte Ă©tait entrĂ©e dans une Ăšre de profondes mutations. Comme je l'ai affirmĂ© Ă maintes reprises, la paritĂ© entre Occident et non-Occident est un impĂ©ratif du XXIe siĂšcle. C'est dĂ©sormais notre nouvelle rĂ©alitĂ©. Elle exige une nouvelle rĂ©flexion de la part de chaque nation.
Si une déclaration officielle de ce changement de cap de l'histoire était nécessaire, la déclaration de Xi et Poutine à la veille des Jeux olympiques de Pékin l'année derniÚre - 20 jours avant l'intervention russe en Ukraine - ferait parfaitement l'affaire. Je considÚre leur Déclaration commune sur les relations internationales au seuil d'une nouvelle Úre et pour un développement mondial durable comme le document politique le plus marquant publié jusqu'à présent en ce siÚcle. Il s'agit de la déclaration la plus limpide du nouvel ordre mondial auquel les Chinois, en particulier, ont souvent fait référence depuis lors.
La rĂ©ponse du rĂ©gime Biden Ă ce document a Ă©tĂ© spectaculaire : il a Ă©tĂ© incapable dây rĂ©pondre, se contentant de dĂ©nigrer la DĂ©claration conjointe tout en la dĂ©peignant comme une diatribe anti-occidentale - une distorsion dĂ©fensive du texte et de son intention. C'est pitoyable. Cette attitude ne reflĂšte pas tant un choix politique qu'un stratagĂšme de propagande.
Je classe Joe Biden parmi les pires prĂ©sidents, et peut-ĂȘtre mĂȘme le pire de mon vivant. Mais soyons justes. Si Joe Biden a commis ce qui pourrait bientĂŽt s'avĂ©rer ĂȘtre une atteinte irrĂ©parable aux relations de l'AmĂ©rique avec le reste du monde, je me demande si un autre prĂ©sident accĂ©dant Ă la Maison-Blanche en 2021 aurait fait beaucoup mieux. En effet, dans le jeu des chaises musicales, la musique s'est arrĂȘtĂ©e juste avant sa prise de fonction, et c'est Biden qui s'est retrouvĂ© sans chaise. L'AmĂ©rique n'est tout simplement pas prĂ©parĂ©e Ă affronter le XXIe siĂšcle, et c'est pourquoi elle prĂ©fĂšre prĂ©tendre qu'elle en est encore au XXe. Biden a contribuĂ© Ă mener le pays Ă ce stade, mais sa contribution demeure modeste au regard de l'ensemble de la situation.
Il n'est donc pas surprenant que l'administration Biden ait été paralysée pour les raisons évoquées ci-dessus. Elle n'a pas la capacité de répondre - et comme sa visite en Israël le montre clairement, elle en est incapable - à des circonstances en mutation constante, ne fût-ce qu'avec un semblant de finesse et de compétence. La créativité, l'imagination, le courage de fouler un nouveau territoire sans carte : la seule idée d'une telle démarche est absurde. Tel est l'héritage de l'histoire de l'aprÚs-guerre.
La démence, une clique d'idéologues inconscients, les élections de 2024 et le vote juif sont les derniÚres choses dont l'Amérique a besoin de la part de ses prétendus dirigeants en ce moment. Ils ont aggravé la situation, c'est indéniable. Mais un président plus compétent sur le plan intellectuel ou un groupe de technocrates plus perspicaces auraient-ils fait une grande différence ? Comme je l'ai suggéré, j'ai de sérieux doutes sur ce point. Quoi qu'il en soit, l'Amérique ne produit plus le type de dirigeants dont elle a besoin. Et ce n'est plus le cas depuis des décennies.
Deux mois aprĂšs l'entrĂ©e en fonction de M. Biden, j'ai cosignĂ©, avec James Carden, un article intitulĂ© âOur two-front Cold Parâ [Notre guerre froide sur deux frontsâ]. Nous avions Ă l'esprit les confrontations en gestation entre M. Biden, d'une part, et la Russie et la Chine, d'autre part. Aujourd'hui, nous sommes confrontĂ©s Ă lâĂ©ventualitĂ© d'un troisiĂšme front, dans lequel les Ătats-Unis pourraient dĂ©clencher un conflit ouvert avec une combinaison de nations en Asie occidentale. Cette situation, perçue dans toute sa complexitĂ©, doit ĂȘtre comprise comme la consĂ©quence dĂ©sastreuse de plusieurs dĂ©cennies d'incurie intellectuelle, de non-respect des principes et d'intĂ©rĂȘts personnels dĂ©mesurĂ©s. L'ironie du sort veut qu'un vieil homme qui a menti toute sa vie soit prĂ©cisĂ©ment le prĂ©sident idĂ©al pour incarner l'AmĂ©rique Ă l'heure actuelle - un patriarche Ă son automne, en quelque sorte.