👁🗨 L’Axe de la résistance, du Donbass à Gaza
Où qu’ils oeuvrent, le Hamas, le Hezbollah, le Hashd al-Shaabi & Ansarallah prendront tout le temps nécessaire pour transformer les “épicentres de la souffrance” en “épicentres de l'espoir”.
👁🗨 L’Axe de la résistance, du Donbass à Gaza
Par Pepe Escobar, le 16 février 2024
Les résistances du Donbass et de Gaza partagent une vision commune essentielle : renverser l'hégémon unipolaire qui a annihilé leurs aspirations nationales.
Au cours de mon récent et passionnant voyage dans le Donbass, où j’ai suivi bataillons de chrétiens orthodoxes défendant leur terre, la Novorossiya, la résistance dans ces républiques russes nouvellement libérées mène clairement la même bataille que leurs homologues en Asie de l'Ouest.
Près de dix ans après Maïdan à Kiev, et deux ans après le début de l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, la détermination de la résistance n'a fait que se renforcer.
Il est impossible de rendre pleinement justice à la force, la résilience et la foi des habitants du Donbass, qui se trouvent sur la ligne de front d'une guerre menée par procuration par les États-Unis contre la Russie. La bataille qu'ils mènent depuis 2014 a désormais visiblement perdu toute couverture médiatique et s'est révélée être, fondamentalement, une guerre globale de l'Occident collectif contre la civilisation russe.
Comme l'a clairement indiqué le président russe Vladimir Poutine lors de son interview avec Tucker Carlson, vue par un milliard de personnes dans le monde, l'Ukraine fait partie de la civilisation russe, même si elle ne fait pas partie de la Fédération de Russie. Par conséquent, les bombardements de civils russes dans le Donbass - toujours en cours - sont considérés comme des attaques contre la Russie.
Il partage le même raisonnement que le mouvement de résistance Ansarallah du Yémen, qui décrit le génocide israélien à Gaza comme un génocide infligé à “notre peuple” : le peuple des terres d'Islam.
Tout comme la riche terre noire de Novorossiya est le lieu où l’“ordre international fondé sur des règles” est venu se nécroser, la bande de Gaza en Asie occidentale - la terre ancestrale de Palestine - pourrait finalement être le lieu où le sionisme périra. Après tout, l'ordre fondé sur des règles et le sionisme sont tous deux des concepts clés du monde unipolaire occidental et des éléments essentiels à la promotion de ses intérêts économiques et militaires mondiaux.
Les lignes de fracture géopolitiques brûlantes d'aujourd'hui sont déjà configurées : l'Occident collectif contre l'Islam, l'Occident collectif contre la Russie, et bientôt une partie substantielle de l'Occident, même à contrecœur, contre la Chine.
Pourtant, un sérieux contre-pouvoir est en train de se mettre en place.
Alors que l'axe de la résistance en Asie occidentale continuera à renforcer sa stratégie d’“agitation”, ces bataillons chrétiens orthodoxes du Donbass sont perçus comme l'avant-garde de l'axe de la résistance slave.
Lorsque j'ai mentionné ce lien entre chiites et chrétiens orthodoxes à deux hauts commandants de Donetsk, à seulement deux kilomètres de la ligne de front, ils ont souri, déconcertés, mais ont bien compris le message.
Après tout, plus que quiconque en Europe, ces soldats sont capables de comprendre ce thème unificateur : sur les deux principaux fronts impériaux - le Donbass et l'Asie occidentale - la crise de l'hégémon occidental s'aggrave et son effondrement s'accélère à vive allure.
L'humiliation de l'OTAN dans les steppes de Novorossiya fait écho à la somnolence du combo anglo-américano-sioniste qui sombre dans une conflagration plus vaste en Asie occidentale, insistant frénétiquement sur le fait qu'ils ne veulent pas de guerre tout en bombardant tous les acteurs de l'Axe de la Résistance, à l'exception de l'Iran (ils ne le peuvent pas, car le Pentagone a imaginé tous les scénarios, et ils sont tous synonymes de désastre).
En grattant le vernis de ceux qui sont au pouvoir à Kiev et à Tel-Aviv, et qui tirent les ficelles, vous verrez que ce sont les mêmes marionnettistes qui contrôlent l'Ukraine, Israël, les États-Unis, le Royaume-Uni et presque tous les membres de l'OTAN.
Lavrov : “Pas de perspectives” sur Israël-Palestine
Le rôle de la Russie en Asie occidentale est très complexe et nuancé. En apparence, les couloirs du pouvoir moscovite indiquent clairement qu'Israël-Palestine “n'est pas notre guerre : notre guerre est en Ukraine”.
Dans le même temps, le Kremlin continue de se présenter comme un médiateur et un pacificateur fiable en Asie occidentale. La Russie est peut-être la mieux placée pour jouer ce rôle : c'est une grande puissance mondiale, très impliquée dans la politique énergétique de la région, un chef de file des nouvelles institutions économiques et de sécurité mondiales, et elle entretient des relations solides avec tous les États clés de la région.
Une Russie multipolaire - avec son importante population de musulmans modérés - se sent instinctivement concernée par le sort des Palestiniens. Et puis il y a le facteur BRICS+, dont la présidence russe actuelle peut mobiliser toute l'attention des nouveaux membres que sont l'Iran, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l'Égypte, afin de proposer de nouvelles solutions pour résoudre la situation de la Palestine.
Cette semaine à Moscou, lors de la 13e conférence sur le Moyen-Orient du club Valdai, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov est allé droit au but, soulignant la cause, les politiques de l'hégémon, et l'effet, qui pousse Israël et la Palestine vers la catastrophe.
Il a joué le rôle de la Russie pacificatrice : nous proposons “d'organiser une réunion inter-palestinienne pour surmonter les divisions internes”. Il a également montré le visage de la Russie de la Realpolitik : “Il n'y a "aucune perspective de règlement israélo-palestinien à l'heure actuelle”.
Un rapport détaillé de Valdai a ouvert un créneau crucial pour comprendre la position russe, qui lie Gaza et le Yémen en tant qu'“épicentres de la souffrance”.
Pour situer le contexte, rappelons qu'à la fin du mois dernier, le représentant spécial de Poutine pour les affaires de l'Asie occidentale, le vice-ministre des affaires étrangères ML Bogdanov, a reçu à Moscou une délégation d'Ansarallah dirigée par Mohammed Abdelsalam.
Des sources diplomatiques confirment qu'ils ont discuté en profondeur de tous les sujets : un règlement global de la crise militaro-politique au Yémen, à Gaza et dans la mer Rouge. Il n'est pas étonnant que Washington et Londres y perdent leur latin.
Faire disparaître la question palestinienne
La table ronde la plus décisive de Valdai était sans doute celle consacrée à la Palestine et à la manière de fédérer les Palestiniens.
Nasser al-Kidwa, membre du Conseil national palestinien (CNP) et ancien ministre des affaires étrangères de l'Autorité palestinienne (AP) (2005-2006), a souligné les trois positions stratégiques d'Israël, qui visent toutes à maintenir un dangereux statu quo :
Premièrement, Tel-Aviv cherche à maintenir le clivage entre Gaza et la Cisjordanie occupée. Deuxièmement, selon Kidwa, il s'agit
“d'affaiblir et de renforcer l'une ou l'autre, de faire obstacle au leadership national, d'utiliser la force et uniquement la force pour réprimer les droits nationaux des Palestiniens et entraver la recherche d'une solution politique”.
Le troisième objectif d'Israël est de poursuivre activement la normalisation avec un certain nombre de pays arabes sans traiter la question palestinienne, c'est-à-dire de “la faire disparaître”.
Kidwa a ensuite souligné la “faillite” de ces trois positions stratégiques - essentiellement parce que Netanyahou essaie de prolonger la guerre “pour se sauver lui-même” - ce qui mène à d'autres issues probables : un nouveau gouvernement israélien, une nouvelle direction palestinienne, “que cela nous plaise ou non”, et un nouveau Hamas.
Selon M. Kidwa, il existe donc quatre grands domaines de discussion : l'État de Palestine, Gaza et le retrait israélien, la modification de la situation palestinienne, un processus qui devrait être national, “pacifique” et ne comporter “aucune volonté de vengeance”, ainsi que le mécanisme global à mettre en place.
Ce qui est clair, selon M. Kidwa, c'est qu'il n'y aura pas de “solution à deux États” à l'avenir. Il faudra revenir à l'essentiel, à savoir l'affirmation du “droit à l'indépendance nationale de la Palestine”, une question déjà ostensiblement convenue il y a trente ans à Oslo.
En ce qui concerne les perspectives d'avenir, M. Kidwa ne cache pas que “les dysfonctionnements sont réels” . Il place ses espoirs dans le projet espagnol, soutenu par l'Union européenne, “que nous avons adapté”. Il s'agit, en gros, d'une conférence de paix internationale en plusieurs phases, en fonction de la situation sur le terrain à Gaza.
Cette conférence se déroulerait en plusieurs phases, “avec un nouveau gouvernement israélien”, contraint d'élaborer un “cadre de paix”. Le résultat final doit être une solution a minima acceptable par la communauté internationale, sur la base des nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU : les frontières de 1967, la reconnaissance mutuelle et un calendrier précis, soit 2027, sont autant d'éléments qui doivent être acceptés par la communauté internationale. Et surtout, il doit établir des “engagements respectés dès le départ”, ce que les participants à Oslo ne pouvaient pas comprendre.
Il est évident que rien de tout cela ne sera possible sous Netanyahou et l'actuelle Maison Blanche dysfonctionnelle.
Mais M. Kidwa admet également que, du côté palestinien, “nous manquons d'un ‘maestro’ pour rassembler Gaza et la Cisjordanie”. Il s'agit là, bien entendu, d'une réussite stratégique des Israéliens, qui s'efforcent depuis longtemps de maintenir les deux territoires palestiniens en conflit et ont assassiné tous les dirigeants palestiniens en mesure de surmonter la division.
A Valdai, Amal Abou Zeid, conseillère de l'ancien président libanais, le général Michel Aoun (2016-2022), a noté que “comme la guerre en Ukraine, la guerre à Gaza a bouleversé les fondements de l'ordre régional”.
L'ordre précédent était “centré sur l'économie, comme voie vers la stabilité”. L'opération du 7 octobre du Hamas contre Israël a ensuite déclenché une transformation radicale. Elle a “suspendu la normalisation entre Israël et le Golfe, en particulier l'Arabie saoudite” et relancé la résolution politique de la crise palestinienne. Sans cette résolution, a souligné M. Zeid, la menace qui pèse sur la stabilité est “régionale et mondiale”.
Nous en revenons donc à la coexistence de deux États le long des frontières de 1967 - le rêve impossible. Cependant, M. Zeid a raison de dire que tant que le chapitre palestinien n'est pas clos, il est “impossible pour les Européens de maintenir des relations normales avec les nations méditerranéennes. L'UE doit faire avancer le processus de paix”.
En Asie occidentale comme en Russie, on ne retient donc pas son souffle, en raison notamment de la “prédominance de l'extrémisme israélien”, du “manque de leadership” de l'Autorité palestinienne et de “l'absence d'une médiation américaine”.
De vieilles idées & de nouveaux acteurs
Zaid Eyadat, directeur du Centre d'études stratégiques de l'Université de Jordanie, a tenté d'adopter une “perspective rationaliste”. De “nouvelles dynamiques” sont à l'œuvre, a-t-il soutenu, affirmant que “la guerre dépasse largement le Hamas et la bande de Gaza”.
Mais les prévisions d'Eyadat sont sombres. “Israël est en train de gagner”, insiste-t-il, contredisant l'ensemble de l'axe de résistance de la région et même la rue arabe.
Eyadat souligne que “la question palestinienne est de nouveau sur le devant de la scène, mais sans volonté de trouver une solution globale. Les Palestiniens seront donc perdants”.
Pourquoi ? A cause d'une “faillite des idées”. En d'autres termes, “comment faire de quelque chose d'insoutenable quelque chose de plus raisonnable”. Et c'est “l'ordre fondé sur des règles” qui est au cœur de ce “vide moral”.
Ces déclarations passéistes sont en contradiction avec les visionnaires mutlipolaires et résistants d'aujourd'hui. Alors que M. Eyadat s'inquiète de la concurrence entre Israël et l'Iran, d'un Tel-Aviv extrémiste et incontrôlé, des divisions entre le Hamas et l'Autorité palestinienne et de la poursuite par les États-Unis de leurs propres intérêts, sa réflexion ne tient pas compte de la réalité sur le terrain et de la montée en puissance du multipolarisme à l'échelle mondiale.
L’axe de la résistance en Asie occidentale vient à peine de se constituer et dispose encore d'un grand nombre d'atouts militaires et économiques à faire valoir. L'axe de la résistance slave se bat sans relâche depuis deux ans et commence seulement à entrevoir une possible ouverture, liée à la chute d'Adveevka [ville ukrainienne], au bout du tunnel (boueux).
La guerre de la résistance est une guerre globale, qui se joue - jusqu'à présent - sur deux champs de bataille seulement. Mais les États qui les soutiennent sont des adversaires redoutables sur l'échiquier mondial d'aujourd'hui, et enchaînent lentement les victoires dans leurs domaines respectifs. Tout cela alors que l'ennemi, l'hégémon, est en chute libre sur le plan économique, n'a aucune légitimité sur le plan national pour mener ses guerres, et n'offre strictement aucune solution.
Que ce soit sur le sol noir et boueux du Donbass, sur les rives méditerranéennes de Gaza ou dans les principales routes maritimes du globe, le Hamas, le Hezbollah, le Hashd al-Shaabi et Ansarallah prendront tout le temps nécessaire pour transformer les “épicentres de la souffrance” en “épicentres de l'espoir”.
https://thecradle.co/articles/axis-of-resistance-from-donbass-to-gaza