👁🗨 L'axe de résistance du Sahel
Le Sénégal n'a pas encore exprimé son intention de chasser l'armée française du pays. Si oui, ce sera un coup porté au Petit Roi Macron actuellement aux abois qui voit le Sénégal comme un acteur clé.
👁🗨 L'axe de résistance du Sahel
Par Pepe Escobar, le 1er avril 2024
Le Sahel africain se révolte contre le néocolonialisme occidental en éjectant les troupes et les bases étrangères, en créant des monnaies alternatives et en défiant les anciennes multinationales. Après tout, la multipolarité ne peut s’épanouir sans une résistance qui trace la voie.
L'émergence d'axes de résistance dans diverses zones géographiques est un aspect indissociable du long et sinueux processus qui nous mène vers un monde multipolaire. Ces deux éléments - la résistance à l'hégémon et l'émergence de la multipolarité - sont parfaitement complémentaires.
L'axe de la résistance en Asie occidentale - dans les pays arabes et musulmans - a désormais pour corollaire l'axe de la résistance au Sahel en Afrique, d'ouest en est, du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso et du Niger au Tchad, au Soudan et à l'Érythrée.
Contrairement au Niger, où la prise de pouvoir contre le néocolonialisme a été associée à un coup d'État militaire, le Sénégal a changé de régime par la voie des urnes.
Le Sénégal est entré dans une nouvelle ère avec la victoire écrasante de Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, lors des élections présidentielles du 24 mars. Ancien inspecteur des impôts qui venait de passer quinze jours en prison, M. Faye a émergé avec un profil d'outsider panafricain pour renverser la “démocratie la plus stable d'Afrique”, dirigée par le président sortant Macky Sall, marionnette de la France.
Le futur président sénégalais rejoint Ibrahim Traore, 36 ans, au Burkina Faso, Aby Ahmed, 46 ans, en Éthiopie, Andry Rajoelina, 48 ans, à Madagascar, ainsi que la future superstar Julius Malema, 44 ans, en Afrique du Sud, en tant que membre de la nouvelle et jeune génération panafricaine attachée à la souveraineté. Dans son programme électoral, M. Faye s'est engagé à revendiquer la souveraineté du Sénégal pas moins de dix-huit fois.
La géoéconomie est la clé de ces changements. Alors que le Sénégal devient un important producteur de pétrole et de gaz, M. Faye s'efforcera de renégocier les contrats miniers et énergétiques, notamment les plus substantiels avec British Petroleum (BP) et l'exploitant britannique de mines d'or, Endeavor Mining.
Il prévoit surtout d'abandonner le franc CFA, système monétaire contrôlé par la France et en vigueur dans 14 États africains, et même de créer une nouvelle monnaie dans le cadre de la refonte des relations avec la France, puissance néocoloniale et premier partenaire commercial du Sénégal. M. Faye, se faisant l'écho du camarade Xi Jinping, souhaite un partenariat “gagnant-gagnant”.
Vers une Alliance des États du Sahel
M. Faye n'a pas encore indiqué clairement s'il avait l'intention de chasser les militaires français du Sénégal. Si cela devait se produire, le coup porté à Paris serait sans précédent, car le Petit Roi Emmanuel Macron, actuellement aux abois, et l'establishment français considèrent le Sénégal comme un acteur clé pour mettre en échec les pays enclavés que sont le Niger, le Mali et le Burkina Faso, qui ont déjà fait mordre la poussière à Paris (au Sahel).
Ces trois derniers États, qui viennent de former l'Alliance des États du Sahel (AES), ne représentent pas seulement un cauchemar pour Paris après une série d'humiliations, mais aussi un véritable casse-tête pour les États-Unis, comme en témoigne le spectaculaire effondrement de la coopération militaire entre Washington et Niamey, la capitale nigérienne.
Le coupable, selon l'État profond américain, est bien entendu le président russe Vladimir Poutine.
Manifestement, personne dans le Beltway américain n'a prêté attention au ballet diplomatique Russie-Afrique depuis l'année dernière, impliquant tous les acteurs clés du Sahel jusqu'aux nouveaux membres africains des BRICS, l'Égypte et l'Éthiopie.
Alors qu'il considérait auparavant le Niger comme un allié solide au Sahel, Washington est aujourd'hui contraint de présenter un agenda de retrait de ses troupes du Niger, après l'annulation d'un accord de coopération militaire. Le Pentagone ne peut plus être impliqué dans la formation militaire sur le territoire nigérien.
Deux bases clés - Agadez et Niamey - ont été aménagées par le Pentagone pour un montant de plus de 150 millions de dollars. Celle de Niamey n'a été achevée qu'en 2019, et est gérée par le commandement africain de l'armée américaine, l'AFRICOM.
Les objectifs opérationnels sont, comme on peut s'y attendre, nimbés de mystère. La base de Niamey sert principalement de centre de renseignement, traitant les données collectées par les drones MQ-9 Reaper. L'US Air Force utilise également l'aérodrome de Dirkou comme base pour ses opérations au Sahel.
La situation devient vraiment palpitante, car la présence de facto d'une base de drones de la CIA à Dirkou, gérée par une poignée d'agents, n'est pas reconnue. Cette base obscure permet de collecter des renseignements partout en Afrique centrale, de l'ouest au nord. Encore un exemple classique de la devise de l'ancien directeur de la CIA, Mike Pompeo : “Nous mentons, nous trichons, nous volons”.
Le Niger compte environ 1 000 soldats américains susceptibles d'être bientôt éjectés. Les Américains tentent par tous les moyens d'endiguer l'hémorragie. Ce mois-ci encore, la sous-secrétaire d'État américaine pour l'Afrique, Molly Phee, s'est rendue à deux reprises au Niger. En perdant ses bases au Niger, Washington suivra Paris et perdra le contrôle du Sahel, le Niger se rapprochant de la Russie et de l'Iran.
Ces bases ne sont pas indispensables pour exercer une surveillance sur le Bab al-Mandeb [un des couloirs de navigation les plus fréquentés au monde empruntant la Mer Rouge et le canal de Suez] : tout tourne autour du Sahel, avec des drones opérant jusqu'à leur limite et violant tous les espaces aériens souverains en vue.
D'ailleurs, une importante délégation de Niamey s'est rendue à Moscou en janvier. La semaine dernière, M. Poutine a discuté de la coopération en matière de sécurité lors d'entretiens téléphoniques avec le président intérimaire du Mali, M. Assimi Goita, et le président du régime militaire nigérien, M. Abdourahmane Tchiani, avant de s'entretenir avec le président de la République du Congo, M. Denis Nguesso.
Côte d'Ivoire : un tournant pour l'Empire
Les régimes fantoches pro-occidentaux sont en perte de vitesse sur l'ensemble du continent africain. Si l'Alliance des États du Sahel - Mali, Burkina Faso et Niger - constitue l'avant-garde d'un axe de résistance africain, l'Afrique du Sud, l'Éthiopie et l'Égypte, membres à part entière des BRICS, ne sont pas en reste, sans parler des candidats sérieux à la prochaine vague de ralliement aux BRICS+, comme l'Algérie et le Nigéria.
La Russie, sur le plan diplomatique, et la Chine, sur le plan commercial, ainsi que tout le poids du partenariat stratégique Russie-Chine, concentrent clairement leurs efforts sur le long terme, en comptant sur l'Afrique tout entière en tant qu'acteur multipolaire clé. La conférence multipolaire tenue le mois dernier à Moscou, et dont le charismatique leader panafricain, le Béninois Kemi Seba, a été un des grands favoris, en a encore apporté la preuve.
Les cercles diplomatiques pan-eurasiens se permettent même de plaisanter sur les récentes crises de nerfs du Petit Roi à Paris. L'humiliation totale de la France au Sahel est probablement l'un des moteurs qui ont poussé Macron à brandir la menace d'envoyer des troupes françaises en Ukraine - que les Russes transformeraient en steak tartare en un temps record - et à s'empresser de soutenir les coups d'éclat russophobes actuels de l'Arménie.
Historiquement, le fait est que les Africains voyaient d'un bon œil l'ex-URSS se prêter à un siphonage des ressources naturelles, voire la soutenir, et cette bienveillance s'est maintenant également tournée vers la Chine.
En tant que plateforme du processus d'intégration régionale, l'Alliance des États du Sahel a toutes les chances de changer la donne. Le Sénégal de Faye pourrait éventuellement la rejoindre, mais la Guinée offre déjà la capacité géographique de fournir à l'alliance un accès maritime convaincant. La CEDEAO, contrôlée par l'Occident et basée au Nigéria, disparaîtra ainsi progressivement.
Cependant, il ne faut jamais négliger les puissantes ramifications de l'Hégémon. Le plan directeur du Pentagone ne prévoit pas d'abandonner l'Afrique à une sphère d'influence multipolaire Russie-Chine-Iran. Pourtant, personne dans l'axe de résistance du Sahel ne croit plus à la carte de la “menace terroriste” des États-Unis. Le terrorisme était quasiment inexistant en Afrique jusqu'en 2011, avant que l'OTAN réduise la Libye à l'état de champ de ruines, puis pose sa botte et installe des bases militaires sur l'ensemble du continent.
Jusqu'à présent, l'Alliance des États du Sahel remporte haut la main la guerre de l'information basée sur la souveraineté. Mais il ne fait aucun doute que l'Empire ripostera. Après tout, tout ce processus repose sur la paranoïa suprême du Beltway, qui craint que la Russie ne prenne le contrôle du Sahel et de l'Afrique centrale.
La Côte d'Ivoire entre en scène, alors que le Sénégal est peut-être sur le point de flirter avec l'Alliance des États du Sahel.
La Côte d'Ivoire est en effet bien plus stratégique pour Washington que le Tchad, car elle est particulièrement attachée à l'Alliance des États du Sahel. Toutefois, le Tchad a déjà rééquilibré sa politique étrangère, qui n'est plus contrôlée par l'Occident et met l'accent sur le rapprochement avec Moscou.
Quel est l'avenir de l'Empire ? Il se peut que les drones américains “anti-terroristes” soient utilisés par Paris sur la base française de la Côte d'Ivoire pour contrôler l'alliance du Sahel. Le coq gaulois humilié est en train de faire sa cour à l'hégémon en Afrique de l'Ouest, mais sans recevoir la moindre miette d'un petit croissant rassis.