👁🗨 Le carnage à Gaza fait voler en éclats les récits occidentaux de division et de domination
La légitime confrontation avec les plus grands oppresseurs est irrésistible. Le déclin de l'Occident est désormais chose acquise & le discours occidental fait figure de grand perdant de cette guerre.
👁🗨 Le carnage à Gaza fait voler en éclats les récits occidentaux de division et de domination
Par Sharmine Narwani, le 4 janvier 2024
Depuis le début de l'assaut israélien contre Gaza, trois sondages distincts montrent que les populations arabes et musulmanes délaissent les alliés régionaux de Washington au profit de l'axe de résistance de l'Asie occidentale.
Il pourrait s'agir là d'un vrai bouleversement. Des décennies de récits occidentaux conçus pour exploiter les disparités en Asie occidentale, créer des conflits au sein de la myriade de communautés de la région et faire avancer les objectifs de la politique étrangère occidentale au détriment de ceux des populations locales en proie aux querelles, sont aujourd'hui en ruines.
La guerre à Gaza a fait voler en éclats les mensonges et autres fables qui ont détourné l'attention de l'Asie occidentale en luttes intestines depuis au moins la révolution islamique de 1979 en Iran.
Chiites contre sunnites, Iran contre Arabes, laïcs contre islamistes : ce sont là trois des stratagèmes narratifs les plus néfastes de l'Occident qui a cherché à contrôler et à réorienter la région et ses populations, et même à entraîner les dirigeants arabes dans une alliance impie avec Israël.
Les faits détruisent la fiction
Il a fallu un choc rare - ni fomenté ni contrôlé par Washington - pour libérer les populations d'Asie occidentale de leurs transes narratives. L'assaut génocidaire d'Israël sur Gaza a également permis de clarifier instantanément la question de savoir quels Arabes et musulmans soutiennent réellement la libération de la Palestine - et lesquels ne le font pas.
L'Iran, le Hezbollah, les factions de la résistance irakienne et Ansarallah au Yémen - dénigrés par ces récits occidentaux - sont désormais manifestement les seuls acteurs régionaux prêts à soutenir la ligne de front de Gaza, que ce soit par des fonds, des armes ou des affrontements armés visant à affaiblir et à disperser les ressources militaires israéliennes.
Les soi-disant “Arabes modérés”, un terme impropre pour désigner les dictatures arabes autoritaires, axées sur l'Occident et asservies aux intérêts de Washington, n'ont offert que des vœux pieux face au carnage de Gaza.
Les Saoudiens ont appelé au soutien en organisant des sommets arabes et islamiques restés silencieux. Les Émiratis et les Jordaniens ont acheminé par camion les approvisionnements destinés à Israël, alors qu'Ansarallah avait mis en place un blocus maritime. La puissante Égypte a accueilli des délégations alors qu'elle n'avait qu'à ouvrir le checkpoint de Rafah pour que les Palestiniens puissent manger. Le Qatar, autrefois l'un des principaux bailleurs de fonds du Hamas, négocie aujourd'hui la libération des prisonniers israéliens, tout en accueillant les “modérés” du Hamas, en désaccord avec les combattants de la liberté de Gaza. Et le commerce de la Turquie avec l'État d'occupation israélien continue de monter en flèche (les exportations ont augmenté de 35 % entre novembre et décembre 2023).
Pour les “Arabes modérés” pro-occidentaux, la Palestine est un symbole prudemment brandi, qu'ils agitent parfois en public, mais qu'ils sabotent en privé. Ils observent donc, transis et horrifiés, ce que les réseaux sociaux et des dizaines de millions de manifestants ont mis en évidence : la Palestine reste la cause arabe et musulmane essentielle. Elle peut fluctuer, mais rien n'a le pouvoir d'enflammer les masses de la région comme ce combat singulier entre le bien et le mal.
L'évolution vers la résistance
La bataille entre l'axe de la résistance de la région et les alliances d'Israël n'en est qu'à ses débuts, mais les sondages montrent déjà une évolution notable du sentiment public en faveur de l'axe de la résistance.
Un sondage de l’Arab Barometer effectué sur une période de six semaines - trois semaines avant et trois semaines après l'opération “Al-Aqsa Flood” - fournit la première indication de l'évolution des perceptions arabes. Bien que l'enquête ait été limitée à la Tunisie, les sondeurs affirment que le pays est “l'indicateur le plus fiable que l'on puisse imaginer” et qu'il représente des points de vue similaires à ceux d'autres pays arabes :
“Les analystes et les officiels peuvent présumer sans risque que les opinions des populations du reste de la région ont évolué de manière similaire aux récents débats qui ont eu lieu en Tunisie”.
Les résultats de l'enquête devraient préoccuper au plus haut point les décideurs politiques occidentaux :
“Depuis le 7 octobre, tous les pays de l'enquête ayant des relations favorables ou en voie de rapprochement avec Israël ont vu leur cote de popularité baisser parmi les Tunisiens.”
La chute la plus spectaculaire a été enregistrée par les États-Unis, suivis par les alliés d'Asie occidentale ayant normalisé leurs relations avec Israël. La Russie et la Chine, deux États neutres, ont enregistré peu de changements, mais les dirigeants iraniens ont vu leur cote de popularité augmenter. Selon le “Arab barometer” :
“Trois semaines après les attentats, le guide suprême iranien Ali Khamenei bénéficie d'un taux d'approbation égal, voire supérieur, à celui du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman et du président émirati Mohammed bin Zayed.”
Avant le 7 octobre, à peine 29 % des Tunisiens avaient une opinion favorable de la politique étrangère de Khamenei. Ce chiffre est passé à 41 % selon la conclusion de l'enquête, le soutien tunisien étant le plus notable dans les jours qui ont suivi la déclaration du dirigeant iranien, le 17 octobre, qualifiant les actions d'Israël à Gaza de “génocidaires”.
Le revirement saoudien
Avant l'opération du 7 octobre menée par la résistance palestinienne pour détruire la brigade de Gaza de l'armée israélienne et capturer des prisonniers en vue d'un échange massif de prisonniers, la principale préoccupation géopolitique de la région était la perspective d'un accord de normalisation saoudien révolutionnaire avec Tel-Aviv. L'administration du président américain Joe Biden a fait miroiter ce projet à chaque occasion, considéré comme un ticket gagnant pour ses prochaines élections présidentielles.
Mais l'opération “Al-Aqsa Flood” a ruiné toute chance pour l'Arabie saoudite - qui abrite les sites les plus sacrés de l'islam - de sceller cet accord politique. Et avec les frappes aériennes israéliennes qui pleuvent au quotidien sur les civils palestiniens à Gaza, les options de Riyad continuent de s'amenuiser.
Un sondage du Washington Institute réalisé entre le 14 novembre et le 6 décembre témoigne du changement radical de l'opinion publique saoudienne :
96 % des personnes interrogées sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle
“les pays arabes devraient immédiatement rompre tout lien diplomatique, politique, économique ou autre avec Israël, en signe de protestation contre son action militaire à Gaza”.
Par ailleurs, 91 % des personnes interrogées estiment que “malgré les destructions et les pertes humaines, cette guerre à Gaza est une victoire pour les Palestiniens, les Arabes et les musulmans”. Il s'agit là d'une déclaration étonnamment fédératrice pour un pays qui a adhéré étroitement aux récits occidentaux visant à diviser les Palestiniens des Arabes, les Arabes entre eux et les musulmans selon des lignes sectaires - géographiquement, culturellement et politiquement.
Bien que l'Arabie saoudite soit l'un des rares États arabes à avoir désigné le Hamas comme une organisation terroriste, les opinions favorables à l'égard du Hamas ont augmenté de 30 %, passant de 10 % en août à 40 % en novembre, tandis que la plupart - 95 % - ne croient pas que le groupe de résistance palestinien ait tué des civils le 7 octobre.
87 % des Saoudiens sont d'accord avec l'idée que “les événements récents montrent qu'Israël est si affaibli et divisé en interne qu'il pourrait bien être un jour vaincu”. Paradoxalement, il s'agit là d'un discours de longue date de l'axe de la résistance. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, aurait déclaré qu’“Israël est plus fragile qu'une toile d'araignée” après sa défaite face à la résistance libanaise le 25 mai 2000.
Avant le 7 octobre, les Saoudiens étaient largement favorables aux relations économiques avec Israël, mais même ce chiffre a chuté de manière spectaculaire, passant de 47 % l'année dernière à 17 % aujourd'hui. Si l'attitude des Saoudiens à l'égard de l'axe de la résistance reste négative - après tout, l'Arabie saoudite est l'épicentre régional de la propagande anti-iranienne et anti-chiite depuis la révolution de 1979 - c'est peut-être en grande partie parce que leurs médias sont étroitement contrôlés. Contrairement aux constatations des populations arabes, 81 % des Saoudiens pensent toujours que l'Axe de la Résistance est “peu enclin à soutenir les Palestiniens”.
L'évolution palestinienne
Le changement observé chez les Palestiniens eux-mêmes depuis le 7 octobre est tout aussi significatif pour le débat sur les perceptions arabes. Un sondage réalisé par le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza entre le 22 novembre et le 2 décembre reflète les opinions arabes, mais avec quelques nuances.
Les personnes interrogées à Gaza ont, à juste titre, fait preuve d'un plus grand scepticisme quant à la “justesse” de l'opération Al-Aqsa Flood du Hamas, qui a déclenché l'assaut génocidaire d'Israël sur la bande de Gaza, au cours duquel plus de 22 000 civils - principalement des femmes et des enfants - ont été massacrés à ce jour. Alors que le soutien au Hamas n'a que légèrement augmenté dans la bande de Gaza, il a triplé en Cisjordanie, les deux territoires palestiniens exprimant un mépris presque égal pour l'Autorité palestinienne (AP), soutenue par l'Occident, qui gouverne depuis Ramallah.
Le soutien au président en exercice de cette Autorité, Mahmoud Abbas, et à son parti, le Fatah, a été durement touché. Près de 90 % des personnes interrogées réclament sa démission, tandis que près de 60 % d'entre elles (le chiffre le plus élevé enregistré à ce jour dans un sondage PSR sur ce sujet) souhaitent la dissolution de l'Autorité palestinienne.
Plus de 60 % des Palestiniens interrogés (plus près de 70 % en Cisjordanie) pensent que la lutte armée est le meilleur moyen de mettre fin à l'occupation, 72 % sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle le Hamas a pris la bonne décision en lançant son opération du 7 octobre, et 70 % pensent qu'Israël ne parviendra pas à éradiquer la résistance palestinienne dans la bande de Gaza.
Les Palestiniens ont des opinions bien arrêtées sur les acteurs régionaux et internationaux qui, selon eux, ont laissé Gaza sans soutien face aux violations sans précédent du droit international par Israël.
Le pays le plus soutenu par les personnes interrogées est de loin le Yémen, avec un taux d'approbation de 80 %, suivi du Qatar (56 %), du Hezbollah (49 %), de l'Iran (35 %), de la Turquie (34 %), de la Jordanie (24 %), de l'Égypte (23 %), des Émirats arabes unis (8 %) et de l'Arabie saoudite (5 %).
Dans ce sondage, l'axe de la résistance de la région domine les cotes de popularité, tandis que les nations arabes et musulmanes favorables aux États-Unis et entretenant des relations plus ou moins étroites avec Israël obtiennent des résultats médiocres. Il est à noter que sur les quatre pays et groupes les plus favorables aux Palestiniens majoritairement sunnites, trois sont des membres essentiels de l'axe “chiite”, tandis que cinq États dirigés par des “sunnites” se classent au bas de l'échelle.
Ce point de vue palestinien s'étend aux États internationaux non régionaux, les répondants étant les plus satisfaits des alliés de l'axe de la Résistance, la Russie (22 %) et la Chine (20 %), tandis que les alliés israéliens, l'Allemagne (7 %), la France (5 %), le Royaume-Uni (4 %) et les États-Unis (1 %), peinent à conserver une certaine attractivité auprès des Palestiniens.
Des chiffres tributaires de l’évolution de la guerre
Trois sondages distincts montrent que les perceptions arabes ont évolué de manière spectaculaire à la suite de la guerre d'Israël contre Gaza, le sentiment populaire gravitant autour des États et des acteurs perçus comme soutenant activement les objectifs palestiniens, et s'éloignant de ceux perçus comme soutenant Israël.
La nouvelle année commence par deux événements majeurs. Le premier est le retrait des réservistes israéliens de Gaza, que ce soit parce que Washington l'exige ou en raison des pertes énormes en vies humaines et des blessures subies par les troupes d'occupation. Le second est l'assassinat choquant du chef du Hamas, Saleh al-Arouri, et de six autres personnes à Beyrouth, au Liban, le 2 janvier.
Tout indique que la guerre menée par Israël va non seulement se poursuivre, mais aussi s'étendre à l'échelle régionale. La nouvelle stratégie maritime des États-Unis en mer Rouge a attiré d'autres acteurs internationaux, et Tel-Aviv a provoqué le Hezbollah libanais de manière virulente.
Mais si la confrontation entre les deux axes s'intensifie, il est presque certain que les perceptions arabes continueront de se détourner des anciens hégémons au profit de ceux prêts à résister à cet assaut américano-israélien sur la région.
Washington et ses alliés ne seront pas épargnés par l'extension de la guerre. Plus ils s'efforcent de vaincre le Hamas et de détruire Gaza, plus ils lancent de missiles sur le Yémen, l'Irak et la Syrie et assiègent l'axe de la résistance, plus les populations arabes sont susceptibles de se débarrasser des récits “sunnites contre chiites”, “Iran contre arabes” et “laïcs contre islamistes” qui ont divisé la région et l'ont plongée dans l'antagonisme pendant des décennies.
La vague de soutien que suscite la légitime confrontation avec les plus grands oppresseurs de la région est irrésistible. Le déclin de l'Occident est désormais chose acquise dans la région, et le discours occidental fait figure de grand perdant de cette guerre.
https://new.thecradle.co/articles/gaza-destroys-western-divide-and-rule-narratives