👁🗨 Le cas Assange, une plus grande menace pour la liberté de la presse que les SLAPPs*.
Le tribunal de Londres a toute latitude pour valider l'appel d'Assange contre son extradition, évitant à Biden un procès de nature à faire ressurgir des épisodes peu glorieux de l'armée américaine.
👁🗨 Le cas Assange, une plus grande menace pour la liberté de la presse que les SLAPPs*.
Par Tim Dawson, le 5 janvier 2024
* SLAPP / strategic litigation against public participation : poursuites stratégiques contre la mobilisation publique
Une femme glamour pose en maillot de bain sur un super yacht de 7 millions de livres sterling, apparemment baptisé en son honneur. Elle a légendé la photo elle-même : “Le business n'est pas si simple. Mais c'est valorisant”.
Aujourd'hui, nous savons que ses comptes bancaires sont gelés, qu'elle fait l'objet d'une enquête de la National Crime Agency et qu'elle se bat contre une action en justice de 133 millions de livres sterling intentée contre elle par le gouvernement britannique. Elle a récemment admis, lors d'une interview accordée à la BBC, avoir menti à plusieurs reprises sur ses liens avec l'entreprise faisant l'objet de l'enquête et, par extension, avoir proféré des menaces juridiques à l'encontre de journalistes sur la base de ces mensonges.
Il est facile de comprendre comment le recours de Michelle Mone aux poursuites abusives a cristallisé le concept dans l'imagination du public, comme ne l'ont jamais fait les oligarques, les footballeurs et les politiciens tricheurs. Pour les non-initiés, SLAPP est un acronyme signifiant strategic lawssuits against public participation (poursuites stratégiques contre la participation publique). Il s'agit d'une expression récente décrivant un phénomène séculaire : les puissants et les riches utilisent un barrage de procédures juridiques pour intimider les journalistes, et ainsi occulter la vérité.
La menace des SLAPP ne se limite pas à Michelle Mone
Ces dernières années, le danger posé par les SLAPP a été reconnu comme jamais auparavant. En décembre, une conférence de spécialistes des droits de l'homme, des radiodiffuseurs et des hommes politiques a passé trois jours dans le West End de Londres à débattre des moyens de lutter contre ces pratiques. Le gouvernement britannique a récemment adopté une législation visant à réprimer les pratiques de poursuites abusives. Une directive de l'Union européenne sur ce phénomène a récemment été adoptée.
La métamorphose de Mone, qui est passée du statut d'innovatrice courageuse en matière de lingerie à celui de profiteur sordide de la pandémie, a fait d'elle la tête d'affiche des poursuites abusives. Rien d'étonnant à cela. Alors qu'une urgence médicale terrifiante mettait le pays à genoux et que le chaos submergeait notre gouvernement, Mone et son mari se sont engouffrés dans la “voie VIP” pour engranger des profits colossaux. Si le couple s'étonne d'être devenu des personnages détestables, cela prouve à quel point il s'est détaché de la réalité.
Permettre à Mone de devenir l'incarnation des SLAPP représente un danger dont la vénale baronne ne peut être blâmée. Ceux dont la soif d'un style de vie obscurcit le sens moral peuvent faire les gros titres, mais il existe des cas bien plus dangereux de poursuites abusives dans le système juridique britannique. Au moins l'une d'entre elles a des conséquences potentielles qui vont bien au-delà des jets privés et des hôtels particuliers bling bling.
L'affaire Assange représente la menace la plus importante pour la liberté de la presse
L'affaire Julian Assange, dont le dernier recours pour ne pas être extradé du Royaume-Uni sera entendu par un tribunal de Londres à la fin du mois de février, est particulièrement significative. Son incarcération dure depuis tant d’années, et les questions entourant son affaire sont si nombreuses qu'il a disparu de la conscience collective. Cela n'est guère surprenant. Sa plus grande révélation - la vidéo “Collateral murder” - remonte à 17 ans. Il n'a pas recouvré la liberté depuis douze ans et est incarcéré à la prison de Belmarsh depuis près de cinq ans.
Néanmoins, l'essentiel de la requête américaine visant à le traduire en justice consiste à le poursuivre pour des activités auxquelles se livrent quotidiennement de nombreux journalistes. Il a été en contact avec une source détenant des preuves d'actes répréhensibles, il a conseillé à ce contact de transmettre discrètement ces informations, et il a encouragé son contact à rechercher d'autres preuves d'actes répréhensibles.
S'il est poursuivi, M. Assange risque une peine d'emprisonnement de 175 ans - une perspective aussi absurde qu'effroyable qui en dit long sur la justice américaine. Cependant, l'impact sur le journalisme est bien plus important que la sécurité de M. Assange. Elle étendrait la portée de la législation américaine dans le monde entier, et permettrait au ministère de la justice de Washington de poursuivre toute personne ayant reçu des informations classifiées, et de la traiter comme un espion ennemi.
La simple perspective d'une telle situation inciterait de nombreux journalistes à réfléchir à deux fois avant de recevoir des informations provenant de sources confidentielles. Un article est-il suffisamment important pour risquer une peine de prison à vie ? En effet, même des histoires comme celle de la baronne Mone pourraient ne plus être révélées. Selon certaines sources, la baronne Mone a subi des revers parce qu'un employé a été tellement écoeuré par ses mensonges qu'il a divulgué l'information à un journal. La condamnation d'Assange à l'isolement à vie aura un effet dissuasif puissant sur les lanceurs d'alerte dans tous les domaines.
Le cas du fondateur de Wikileaks pose question à plusieurs institutions qui se proclament aujourd'hui opposées aux poursuites abusives. Alors, que peuvent-elles faire ?
Les réponses sont simples. Le tribunal britannique a toute latitude pour valider le recours d'Assange contre son extradition vers les États-Unis. Les audiences précédentes ont rejeté les vives inquiétudes soulevées par son équipe juridique quant à la légalité du traité d'extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni, à la possibilité d'un procès équitable après la mise sur écoute des réunions avec son équipe juridique, et quant au caractère contradictoire de la justice américaine et du respect des droits de l'homme. Sur chacun de ces points, un revirement d'opinion est possible.
De nombreux motifs pourraient amener les ministres britanniques à rejeter son extradition, notamment l'impact dévastateur que son incarcération aurait sur la liberté d'expression. Et le président Biden pourrait abandonner les poursuites, évitant ainsi un procès susceptible de braquer à nouveau les projecteurs sur des épisodes peu glorieux de l'histoire de l'armée américaine.
Mettre fin à la farce des poursuites contre Assange serait la plus grande mesure à prendre pour bannir les poursuites abusives de la sphère publique. Elle constituerait également la riposte la plus efficace contre ceux qui tentent d'utiliser la loi pour dissimuler au public leurs pratiques sordides, leur cupidité et leur immunité.
https://pressgazette.co.uk/comment-analysis/assange-press-freedom-slapps-michelle-mone/