đâđš Le cessez-le-feu amĂ©ricain au YĂ©men, aveu tacite dâune dĂ©faite dure Ă admettre
Sanaa ne reste pas les bras croisés. Le pays promet la poursuite des opérations, et de nouveaux alignements stratégiques qui pourraient bouleverser encore davantage l'équilibre régional.
đâđš Le cessez-le-feu amĂ©ricain au YĂ©men, aveu tacite dâune dĂ©faite dure Ă admettre
Par Mawadda Iskandar, le 8 mai 2025
Les Ătats-Unis mettent fin Ă leur campagne en mer Rouge non pas par une victoire, mais par nĂ©cessitĂ©, sous la pression incessante d'une rĂ©sistance yĂ©mĂ©nite sous-estimĂ©e.
Dans le cadre d'un remaniement majeur de leur campagne militaire d'un an en mer Rouge, les Ătats-Unis ont acceptĂ© un cessez-le-feu avec les forces armĂ©es alignĂ©es sur Ansarallah au YĂ©men, nĂ©gociĂ© par Oman. AprĂšs des mois d'intensification des attaques sous prĂ©texte de âprotĂ©ger le trafic maritime internationalâ, Washington se retrouve dĂ©sormais contraint de mettre fin Ă un conflit qu'il a dĂ©clenchĂ©, sans toutefois parvenir Ă le contrĂŽler.
Alors que les dirigeants yĂ©mĂ©nites soulignent que les opĂ©rations de soutien Ă Gaza vont se poursuivre, le revirement amĂ©ricain est plus qu'un simple signe de dĂ©sescalade : c'est l'aveu tacite que sa campagne s'est effondrĂ©e sous la pression, incapable d'atteindre mĂȘme ses objectifs stratĂ©giques les plus Ă©lĂ©mentaires.
Avec plus d'un millier de frappes aériennes lancées depuis mars 2024, l'incapacité de Washington à contenir la menace yéménite en mer Rouge, dans le détroit de Bab al-Mandab et le golfe d'Aden constitue une condamnation sans appel de sa planification militaire. La guerre s'est muée en un exercice d'usure coûteux et risqué, dont le Yémen est sorti plus fort, et non plus faible.
Une campagne vouée à l'échec dÚs le départ
DĂšs son lancement, la campagne amĂ©ricaine âProsperity Guardianâ a manquĂ© de clartĂ©. La mission de âprotection des routes maritimesâ s'est rapidement transformĂ©e en une confrontation sans fin et sans stratĂ©gie politique. Les responsables amĂ©ricains ont mal Ă©valuĂ© la situation sur le terrain, ainsi que la rĂ©silience du YĂ©men.
Malgré la puissance de sa force aérienne, Washington n'a pas réussi à entamer la capacité ou la volonté de combat de Sanaa. Au contraire, les bombardements ont accéléré les innovations militaires du Yémen, contraignant Washington à un jeu de dissuasion perdu d'avance.
Le style de guerre non conventionnel du Yémen, ancré dans sa topographie et sa culture, a posé d'immenses défis. Les dirigeants ont opéré depuis des zones montagneuses fortifiées et sillonnées de tunnels, largement hors de portée de la surveillance satellitaire.
Les services du renseignement amĂ©ricains ne disposaient que de peu d'informations sur la hiĂ©rarchie militaire yĂ©mĂ©nite et d'aucune base de donnĂ©es opĂ©rationnelle sur les cibles. Les dirigeants de Sanaa, forts de leur expĂ©rience forgĂ©e lors des annĂ©es de guerre contre la coalition menĂ©e par l'Arabie saoudite et les Ămirats arabes unis et leurs mandataires, ont donc pris l'avantage.
S'adressant à The Cradle, le colonel Rashad al-Wutayri énumÚre les cinq raisons principales de l'échec de la campagne.
L'utilisation par le YĂ©men d'armes peu coĂ»teuses et Ă fort impact â missiles balistiques et drones â a mĂȘme permis de neutraliser des groupes aĂ©ronavals amĂ©ricains.
La campagne n'a pas réussi à protéger les navires israéliens ou alliés.
Ansarallah a exposé les réseaux d'espionnage israélo-américains et s'est tenu à ses exigences : à savoir, la fin de la guerre contre Gaza.
Ă l'exception du BahreĂŻn, les alliĂ©s arabes de Washington ont refusĂ© de rejoindre la coalition dirigĂ©e par les Ătats-Unis.
Le coĂ»t financier a grimpĂ© en flĂšche, les Ătats-Unis dĂ©pensant des millions pour des intercepteurs destinĂ©s Ă contrer des drones construits pour quelques milliers uniquement.
Pas de coalition, pas d'opération sur le terrain
La campagne diplomatique de Washington destinĂ©e Ă former une coalition rĂ©gionale anti-yĂ©mĂ©nite a Ă©chouĂ©. Les Ătats du golfe Persique, encore Ă©chaudĂ©s par leurs propres Ă©checs au YĂ©men, ont sagement gardĂ© leurs distances. L'Arabie saoudite a refusĂ© de se laisser entraĂźner dans une guerre dont elle tente de se retirer depuis 2022. Les Ămirats arabes unis ont quant Ă eux limitĂ© leur soutien Ă la logistique. L'Ăgypte a gardĂ© le silence, ne souhaitant pas ĂȘtre entraĂźnĂ©e dans une nouvelle escalade rĂ©gionale.
Cette rĂ©ticence Ă©tait justifiĂ©e. Le chef d'Ansarallah, Abdul Malik al-Houthi, a lancĂ© des avertissements clairs aux pays voisins : toute coopĂ©ration avec les Ătats-Unis, que ce soit par le biais de bases ou de troupes, aurait immĂ©diatement Ă©tĂ© suivie de reprĂ©sailles.
La menace a porté ses fruits. Lorsque Washington a envisagé une offensive terrestre avec l'aide des forces spéciales américaines et des milices soutenues par le golfe Persique, le plan s'est rapidement effondré. Le territoire yéménite, la résistance bien implantée et l'héritage douloureux des précédentes tentatives saoudiennes et émiraties ont rendu une telle entreprise irréalisable.
L'analyste politique Abdulaziz Abu Talib a confiĂ© Ă The Cradle que Riyad et Abu Dhabi ont pris conscience du coĂ»t d'une nouvelle escalade. Si les deux pays continuent de financer des milices par procuration, ils Ă©vitent toutefois de s'engager ouvertement dans un conflit militaire. La capacitĂ© du YĂ©men Ă rĂ©sister Ă cette agression trilatĂ©rale et Ă porter des coups aux intĂ©rĂȘts amĂ©ricains et israĂ©liens a encore Ă©rodĂ© la confiance accordĂ©e au soutien de Washington.
Bombes, milliards et faux pas
Entre mars 2024 et avril 2025, les Ătats-Unis ont lancĂ© plus de 1 000 frappes aĂ©riennes sur le YĂ©men. Mais loin de briser leur adversaire, cette campagne l'a rendu plus audacieux. En reprĂ©sailles, le YĂ©men a progressivement intensifiĂ© ses attaques, visant d'abord des navires israĂ©liens en novembre 2023, puis des navires amĂ©ricains et britanniques en janvier, dans l'ocĂ©an Indien en mars et en MĂ©diterranĂ©e en mai.
En juillet, Ansarallah a frappé Tel-Aviv avec des missiles hypersoniques. Un tir direct sur l'aéroport Ben Gourion a suivi, redistribuant l'équilibre militaire dans la région.
Les coĂ»ts se sont accumulĂ©s. Au cours des trois premiĂšres semaines seulement, les Ătats-Unis ont dĂ©pensĂ© 1 milliard de dollars. Des armes telles que les missiles Tomahawk et JASSM, qui coĂ»tent des millions de dollars piĂšce, ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es contre des drones ne valant que quelques milliers de dollars. Les propres succĂšs du YĂ©men se sont multipliĂ©s : 17 drones MQ-9 Reaper abattus, deux chasseurs F-18 d'une valeur de 60 millions de dollars perdus en un peu plus d'une semaine, et un blocus aĂ©rien dĂ©clarĂ© contre IsraĂ«l.
M. Wutayri a soulignĂ© que le YĂ©men a dĂ©veloppĂ© son arsenal sur son propre territoire, sans assistance technique Ă©trangĂšre. Cela inclut les missiles hypersoniques qui ont dĂ©jouĂ© les dĂ©fenses aĂ©riennes israĂ©liennes et amĂ©ricaines, ainsi que des drones capables de frapper Ă la fois des navires militaires et commerciaux. MĂȘme lorsque Washington a intensifiĂ© ses bombardements, le rythme et la portĂ©e des opĂ©rations du YĂ©men n'ont fait que croĂźtre.
Désintégration de l'intérieur
Ă Washington, les fractures ont commencĂ© Ă apparaĂźtre. Le Pentagone a discrĂštement accru l'autonomie des commandants militaires pour frapper des cibles sans l'autorisation de la Maison Blanche, afin de protĂ©ger l'administration des retombĂ©es politiques. Mais les coĂ»ts, tant financiers qu'en termes de rĂ©putation, ne pouvaient ĂȘtre ignorĂ©s.
Les médias américains ont commencé à s'interroger sur l'objectif et l'orientation de la campagne. La patience du public s'est effritée. Des voix se sont élevées pour demander aux pays tirant profit du commerce en mer Rouge, à savoir les monarchies du golfe Persique, d'assumer les coûts de la sécurité maritime.
Selon M. Wutayri, les Ătats-Unis ont subi une humiliation supplĂ©mentaire : un destroyer et trois navires de ravitaillement ont Ă©tĂ© coulĂ©s, et les porte-avions USS Abraham Lincoln et Harry S. Truman ont Ă©tĂ© touchĂ©s. MalgrĂ© 500 millions de dollars supplĂ©mentaires consacrĂ©s Ă l'achat d'intercepteurs, les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© nĂ©gligeables. Le spectacle des avions de combat amĂ©ricains s'Ă©crasant en mer et des troupes Ă©puisĂ©es â quelque 7 000 soldats dĂ©ployĂ©s â incapables de briser la dĂ©termination du YĂ©men a terni le prestige amĂ©ricain.
Plus qu'une simple rĂ©ponse aux attaques en mer Rouge, cette campagne s'inscrivait dans lâoptique plus large de Washington de contrecarrer l'influence rĂ©gionale de la Chine, en particulier le rĂ©seau Ă©mergent de la Belt and Road Initiative au YĂ©men. Mais l'option militaire s'est retournĂ©e contre les Ătats-Unis, renforçant la rĂ©sistance locale, et sapant leur crĂ©dibilitĂ©.
Selon M. Abu Talib, mĂȘme les avions furtifs et les bombardiers stratĂ©giques n'ont pas rĂ©ussi Ă dissuader les YĂ©mĂ©nites. L'administration Trump disposait de deux options : battre en retraite, Ă©branlĂ©e par la dĂ©faite, ou entamer des nĂ©gociations selon les conditions d'Ansarallah, dont la principale reste la fin de la guerre Ă Gaza.
Une guerre sans objectif
DĂšs le dĂ©but, Washington a eu du mal Ă Ă©laborer un discours victorieux. Le Pentagone a diffusĂ© des vidĂ©os montrant des avions dĂ©collant de porte-avions, un spectacle vide de sens. Impossible de parler de âstratĂ©gie de choc et de stupeurâ ou de victoires retentissantes.
Le YĂ©men, quant Ă lui, a diffusĂ© des images fortes, parmi lesquelles celle d'un pĂšre protĂ©geant son enfant durant un bombardement, symbole puissant de la rĂ©sistance nationale. Plus le nombre de victimes civiles augmentait, plus la colĂšre du public s'intensifiait. Des images de femmes et d'enfants extraits des dĂ©combres ont largement circulĂ©, Ă©tablissant un parallĂšle dĂ©rangeant avec les guerres menĂ©es par les Ătats-Unis en Irak et en Afghanistan.
Selon M. Abu Talib, c'est la cohĂ©sion sociale et la gĂ©ographie accidentĂ©e du YĂ©men qui ont fait Ă©chouer toutes les tentatives destinĂ©es Ă briser son unitĂ©. Loin de se laisser diviser sous la pression, la population s'est ralliĂ©e Ă Ansarallah. Plus les Ătats-Unis ont intensifiĂ© leur offensive, plus la rĂ©sistance yĂ©mĂ©nite s'est renforcĂ©e, tant sur le plan militaire que sociĂ©tal.
Aujourd'hui, l'administration Trump change de stratégie et cherche la paix sans admettre sa défaite. Mais Sanaa ne reste pas les bras croisés. Le pays promet la poursuite des opérations et, avec elles, de nouveaux alignements stratégiques qui pourraient bouleverser encore davantage l'équilibre régional.
Traduit par Spirit of Free Speech
https://thecradle.co/articles/us-ceasefire-in-yemen-retreat-masquerading-as-restraint
'La cohésion sociale'...le maßtre-mot de toute Résistance.