đâđš Le courage et l'initiative de Julian Assange ont tant fait pour la dĂ©mocratie
Le Royaume-Uni voit ses procĂ©dures gouvernementales et judiciaires entachĂ©es du sceau de l'implication des Ătats-Unis. Les dĂ©lais et traitements sont aussi abjects que ceux des rĂ©gimes despotiques.
đâđš Le courage et l'initiative de Julian Assange ont tant fait pour la dĂ©mocratie
Par Kenny MacAskill*, le 25 septembre 2023
Ăvoquer la question de l'incarcĂ©ration de Julian Assange Ă Westminster a rĂ©cemment Ă©tĂ© l'Ă©quivalent politique de la diffusion d'une mauvaise odeur. Les tĂȘtes se sont dĂ©tournĂ©es, les papiers ont Ă©tĂ© brassĂ©s et, aprĂšs ce qui a semblĂ© ĂȘtre un silence Ă©tourdissant, un ministre a donnĂ© une rĂ©ponse qui n'en Ă©tait pas une. Mais pourquoi cela ?
L'incarcĂ©ration d'Alexei Navalny, le traitement rĂ©servĂ© Ă Ai Weiwei et mĂȘme le sort de Jagtar Singh Johal [Penjab, Inde] font l'objet de vives dĂ©nonciations, Ă juste titre.
Mais pour Julian Assange, il n'y en a pratiquement pas. Pourtant, il ne croupit pas Ă l'Ă©tranger sous un rĂ©gime despotique, mais dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh, Ă Londres, oĂč il est dĂ©tenu depuis avril 2019 et oĂč on lui a mĂȘme refusĂ© la possibilitĂ© d'assister aux procĂ©dures le concernant depuis janvier 2021.
C'est l'homme dont on n'ose pas prononcer le nom. C'est bien de condamner les actions des autres, en particulier des rĂ©gimes qui sont condamnĂ©s Ă juste titre pour leur totalitarisme, mais c'est tout autre chose de s'attaquer aux actions menĂ©es ici par nos propres autoritĂ©s, sans parler de celles des Ătats-Unis. C'est tout Ă fait diffĂ©rent de s'attaquer aux actions entreprises ici par nos propres autoritĂ©s, sans parler de celles des Ătats-Unis.
Quel crime Assange a-t-il commis ? Le seul dĂ©lit pour lequel il a Ă©tĂ© condamnĂ© au Royaume-Uni est une violation mineure de la libertĂ© sous caution lorsqu'il a cherchĂ© refuge dans l'ambassade d'Ăquateur. Il s'agit d'une infraction relativement insignifiante, compte tenu du contexte et des circonstances, et qui mĂ©riterait rarement une peine privative de libertĂ©, et encore moins une dĂ©tention de cette durĂ©e ou dans ces conditions.
Et je n'écris pas cela en tant qu'homme politique, mais en tant qu'ancien agent de la Défense pendant 20 ans [du gouvernement écossais], sans parler du fait d'avoir été ministre de la Justice pendant prÚs de huit ans.
Son véritable crime, bien sûr, est d'avoir été le fondateur de WikiLeaks, le site web qui a révélé des crimes de guerre et remis en question non seulement les récits, mais aussi les actions des gouvernements. Cela allait de la sauvagerie des hélicoptÚres de combat tuant des civils innocents à la connivence des gouvernements, qu'ils soient puissants ou non, pour dissimuler des informations vitales à leur population.
J'ai moi-mĂȘme utilisĂ© Wikileaks lorsque j'ai cherchĂ© des informations sur Lockerbie [le 21 dĂ©cembre 1988, un Boeing 747 effectuant le vol Pan Am 103, entre Londres et New York, explose au-dessus du village de Lockerbie en Ăcosse, aprĂšs la dĂ©tonation d'une bombe, tuant les 243 passagers et seize membres d'Ă©quipage] pour un livre Ă©crit lorsque j'ai quittĂ© mes fonctions de ministre de la justice. Des informations que je n'aurais jamais obtenues des Ătats-Unis ou du Royaume-Uni et qui brossaient certainement un tableau diffĂ©rent.
L'imposture de la prĂ©tendue âguerre contre le terrorismeâ a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e par Wikileaks, de mĂȘme que l'hypocrisie et la barbarie de l'expression âdommages collatĂ©rauxâ, exposĂ©es dans toute leur horreur. De mĂȘme, la collusion, l'obscurcissement et le mensonge pur et simple des administrations de toutes couleurs politiques ont Ă©galement Ă©tĂ© mis Ă nu. Les tentacules de la tromperie se sont dĂ©ployĂ©es trĂšs loin, et les mensonges et la connivence des gouvernements et des puissants ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s au grand jour. L'initiative et le courage de Julian Assange ont rendu un grand service Ă la dĂ©mocratie.
C'est pourquoi les Ătats-Unis cherchent Ă se venger et d'autres pays, dont le Royaume-Uni, sont ouvertement complices d'une injustice manifeste. L'idĂ©e selon laquelle la CIA a cherchĂ© Ă l'assassiner semble tout Ă fait fondĂ©e. Mais pour l'instant, elle se contente de le traquer dans le cadre d'une procĂ©dure judiciaire qui, en cas d'extradition, pourrait le condamner Ă une peine de 175 ans de prison. Belmarsh serait une partie de plaisir Ă cĂŽtĂ© du rĂ©gime dans lequel il serait incarcĂ©rĂ©.
Bien sĂ»r, comme d'autres, mon opinion sur Assange a Ă©tĂ© remise en question par les allĂ©gations de viol formulĂ©es Ă son encontre. Il ne s'agissait pas seulement d'insultes individuelles, mais d'une procĂ©dure officielle en SuĂšde. VoilĂ un pays que j'admire et que je respecte depuis longtemps. Le systĂšme judiciaire suĂ©dois n'est-il pas censĂ© ĂȘtre irrĂ©prochable ?
Mais c'est ce qui s'est passĂ©, et c'est la raison pour laquelle toutes les procĂ©dures engagĂ©es contre lui se sont depuis arrĂȘtĂ©es dans ce pays. Des questions subsistent cependant sur les raisons pour lesquelles elles ont Ă©tĂ© engagĂ©es et sur la maniĂšre dont les procĂ©dures semblent avoir Ă©tĂ© manipulĂ©es, sans parler de savoir par qui ou pour qui elles l'ont Ă©tĂ©.
Tous les doutes que j'avais sur l'innocence d'Assange et sur la connivence des Ătats pour non seulement le poursuivre, mais le persĂ©cuter, ont Ă©tĂ© levĂ©s par la lecture du livre de Nils Melzer, LâAffaire Assange : Histoire dâune persĂ©cution politique.
L'auteur a été rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et dispose d'un vaste champ d'action, puisqu'il est avocat en droit international, conseiller juridique auprÚs du Comité international de la Croix-Rouge et conseiller principal en matiÚre de politique de sécurité auprÚs du gouvernement suisse. Un homme qui possÚde à la fois des connaissances spécialisées, et de l'intégrité.
M. Melzer dĂ©taille la manipulation du systĂšme judiciaire en SuĂšde et poursuit en dĂ©crivant la connivence permanente des Ătats-Unis avec d'autres Ătats et d'autres systĂšmes juridiques. L'asile accordĂ© Ă Assange dans l'ambassade d'Ăquateur a pris fin lors d'un changement de gouvernement dans ce pays et l'arrivĂ©e au pouvoir d'une administration plus proche des Ătats-Unis. Des pressions ont Ă©tĂ© exercĂ©es, et Assange a dĂ» quitter les lieux.
Cependant, les manipulations autour d'Assange ne se sont pas limitĂ©es aux procĂ©dures judiciaires comme en SuĂšde ou avec des gouvernements comme celui de l'Ăquateur. Comme beaucoup, j'ai Ă©tĂ© choquĂ© par les photos et les images de sa dĂ©tention lorsqu'il a quittĂ© l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres.
Bien qu'elles ne soient pas aussi insidieuses que les allégations de viol, les photos de lui, les cheveux en bataille et une épaisse barbe ont été conçues pour créer une image défavorable. Mais comme l'explique le livre, il s'agissait d'un autre coup monté. Son apparence n'était pas le fruit d'un choix personnel. Au contraire, on lui avait refusé l'accÚs à des rasoirs et à des ciseaux depuis des mois.
Cette manipulation de la presse m'a fait penser Ă ce que j'avais rĂ©ussi Ă dĂ©couvrir moi-mĂȘme grĂące aux informations divulguĂ©es par WikiLeaks. AprĂšs ma dĂ©cision de libĂ©rer Megrahi [affaire Lockerbie, citĂ©e plus haut] en 2009, le gouvernement Ă©cossais et moi-mĂȘme avons Ă©tĂ© clouĂ©s au pilori pour l'accueil apparemment hĂ©roĂŻque rĂ©servĂ© par la Libye Ă son retour.
Cependant, WikiLeaks et d'autres sources ont montrĂ© par la suite que cet accueil n'avait pas eu lieu. Le fils de Kadhafi l'avait accueilli Ă bord de l'avion Ă son arrivĂ©e, mais les scĂšnes de foule apparemment en liesse se dĂ©roulaient lors d'un Ă©vĂ©nement sans aucun lien, oĂč personne n'Ă©tait au courant de sa libĂ©ration. Mais la sĂ©quence a Ă©tĂ© coupĂ©e, et un faux rĂ©cit a Ă©tĂ© diffusĂ©. Un rĂ©cit dans lequel les Britanniques et les AmĂ©ricains Ă©taient de connivence alors qu'ils savaient que cela n'avait jamais Ă©tĂ© le cas.
Ainsi, aprĂšs la SuĂšde, puis l'Ăquateur, c'est au tour du Royaume-Uni de connaĂźtre des procĂ©dures gouvernementales et judiciaires marquĂ©es du sceau de l'implication des Ătats-Unis. Les dĂ©lais et le traitement sont aussi dĂ©plorables que ceux des rĂ©gimes despotiques.
Julian Assange n'est coupable que d'avoir dénoncé des crimes de guerre et la tromperie des gouvernements. C'est pour cela qu'il est persécuté, et que le soutenir, c'est défendre la démocratie - et pas uniquement sa personne.