đâđš Le dĂ©clin de l'empire sonne le âglas de lâOtanâ
Contre le rĂŽle de larbins dociles de l'Empire, les leaders europĂ©ens ont joui de âl'invincibilitĂ©â de l'art. 5 de l'OTAN. Mais le rĂ©cent message US est clairement ignorĂ© Ă Bruxelles, Paris & Londres.
đâđš Le dĂ©clin de l'empire sonne le âglas de lâOtanâ
Par Kit Klarenberg, le 12 mars 2025
Le 3 mars, Timothy Ash, membre du Chatham House, un think tank britannique prestigieux liĂ© au ministĂšre de la DĂ©fense, a fait une sĂ©rie de dĂ©clarations surprenantes lors d'un entretien accordĂ© Ă Bloomberg. Son message principal Ă©tait sans appel : âL'OTAN est finieâ. Il s'est exprimĂ© Ă la suite de la trĂšs publique altercation du 28 fĂ©vrier entre Volodomyr Zelensky et Donald Trump dans le Bureau ovale. L'impact de ce fiasco se fait encore sentir aujourd'hui, avec de nombreuses questions sur la poursuite de l'aide amĂ©ricaine et le partage de renseignements avec Kiev, en attendant que le dirigeant ukrainien signe un accord sur les minerais contre la sĂ©curitĂ©, approuvĂ© par la Maison Blanche.
Qualifiant la rencontre catastrophique d'âembuscadeâ, Ash a dĂ©clarĂ© que Trump et son adjoint J.D. Vance ont âtrĂšs clairement signifiĂ©â que l'alliance militaire a pour ainsi dire rendu l'Ăąme et qu'il n'y a aucun espoir qu'elle se rĂ©tablisse. Il a notĂ© que d'autres commentaires faits par le prĂ©sident amĂ©ricain lors de la rĂ©union du Bureau ovale suggĂšrent la rĂ©ticence Ă©vidente de Washington Ă intervenir militairement pour protĂ©ger les Ătats baltes s'ils finissent par entrer en guerre avec la Russie, violant ainsi l'article 5 de l'OTAN :
âIl doit dĂ©sormais ĂȘtre parfaitement clair pour les dirigeants europĂ©ens que l'OTAN est bel et bien morte, que nous ne pouvons plus compter sur les garanties de sĂ©curitĂ© des Ătats-Unis, car ils nous l'ont bien fait comprendre. L'OTAN est dĂ©jĂ plus ou moins finie. Le simple fait de douter de la volontĂ© des Ătats-Unis de soutenir certains pays de l'OTAN en dit long. Nous ne pouvons plus compter sur les AmĂ©ricains. Nous devons aller de l'avant, penser Ă nos propres intĂ©rĂȘts nationaux, Ă notre propre sĂ©curitĂ©, car la pĂ©riode de transition s'annonce trĂšs difficileâ.
L'analyse d'Ash est manifestement partagĂ©e par les dirigeants europĂ©ens. Un jour plus tard, la prĂ©sidente de la Commission europĂ©enne, Ursula von der Leyen, a prĂ©sentĂ© un plan de 800 milliards d'euros pour ârĂ©armerâ le bloc. De nombreux chefs d'Ătat membres auraient largement âapprouvĂ©â le plan, qui appelle l'Europe Ă
ârenforcer sa souverainetĂ©, Ă mieux assumer sa propre dĂ©fense et Ă se doter des moyens d'agir et de faire face de maniĂšre autonome aux dĂ©fis et menaces immĂ©diats et futursâ.
NĂ©anmoins, les sondages indiquent que les citoyens europĂ©ens s'opposent Ă l'augmentation des dĂ©penses de dĂ©fense, et les entreprises contractantes prĂ©viennent que la rĂ©alisation de ce grand projet âprendra du tempsâ.
Si l'OTAN est vraiment moribonde, c'est un clou de plus dans le cercueil de l'Empire, qui mĂ©ritait de l'ĂȘtre depuis longtemps. C'est aussi la confirmation que l'ordre unipolaire dominĂ© par les Ătats-Unis, responsable de tant de morts, de destructions et de souffrances au cours du dernier quart de siĂšcle, est bel et bien rĂ©volu et ne rĂ©apparaĂźtra jamais. Les habitants du Sud peuvent pousser un soupir de soulagement collectif - tandis que, ironie amĂšre, les mĂȘmes Ătats occidentaux qui ont aidĂ© et encouragĂ© l'hĂ©gĂ©monie incontestĂ©e de Washington se retrouvent aujourd'hui dĂ©munis.
âBrigade anti-Ă©meuteâ
Le monde unipolaire a Ă©tĂ© conçu lors du baptĂȘme incendiaire d'attaques aĂ©riennes et de campagnes de propagande atroces en Yougoslavie, de mars Ă juin 1999. L'OTAN a bombardĂ© sans relĂąche les infrastructures civiles, gouvernementales et industrielles de tout le pays pendant 78 jours consĂ©cutifs, tuant un nombre incalculable de personnes innocentes, y compris des enfants, et bouleversant brutalement la vie quotidienne de millions de personnes. Alors que les Ătats-Unis supervisaient cette campagne ruineuse, en public comme en privĂ©, le Premier ministre britannique Tony Blair s'est fait l'ardent dĂ©fenseur d'une belligĂ©rance encore plus agressive contre des cibles non militaires, malgrĂ© les prĂ©occupations et les avertissements des conseillers juridiques du gouvernement.
Là encore, l'attaque de l'OTAN était en soi totalement illégale, menée sans l'approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. Une telle intervention aurait été impensable au cours de la décennie précédente. Tout au long des années 1990, Washington a soigneusement construit l'utopie d'un monde uni derriÚre le leadership américain en s'assurant le soutien de l'ONU pour chacune de ses interventions impérialistes déclarées à travers le monde. Le bombardement de la Yougoslavie a représenté la rupture sans précédent et trÚs controversée avec cette stratégie, destinée à faire figure d'exemple par la suite.
Un article Ă©trangement prĂ©monitoire du New Statesman d'avril 1999 notait que le bombardement non autorisĂ© de l'OTAN n'Ă©tait pas un âcas isolĂ©â, mais âjuste l'amorceâ d'un âmonde meilleurâ dans lequel l'alliance militaire agirait de maniĂšre autonome comme une sorte de âbrigade anti-Ă©meuteâ Ă l'Ă©chelle mondiale. Selon ce scĂ©nario, chaque fois que la Chine et/ou la Russie seraient susceptibles d'utiliser leur droit de veto au Conseil de sĂ©curitĂ© pour bloquer une intervention amĂ©ricaine Ă l'Ă©tranger, l'OTAN invoquerait simplement la clause d'autodĂ©fense de la Charte des Nations unies pour frapper quand et oĂč ses membres perçoivent une âmenaceâ, sans se soucier du droit international :
âLa menace tient moins aux chars de combat qu'Ă la crainte d'un afflux massif de rĂ©fugiĂ©s, du terrorisme et des armes de destruction massive : des sacs de spores d'anthrax ou des fioles de gaz neurotoxiques invisibles, impossibles Ă vĂ©rifier et dont l'existence peut ĂȘtre ou non avĂ©rĂ©e. Mais tant qu'on aura affaire Ă des Ătats voyous hostiles Ă l'Occident et situĂ©s Ă proximitĂ© de rĂ©serves de pĂ©trole, les Ătats-Unis seront prĂȘts Ă affronter la menaceâ.
Comme le prophĂ©tisait Ă juste titre le New Statesman, les implications de ce changement de paradigme Ă©taient âcolossalesâ, avec âun potentiel de sape de l'ensemble du systĂšme de sĂ©curitĂ© international d'aprĂšs-guerreâ et de subversion irrĂ©mĂ©diable de la âlĂ©gitimitĂ© de l'ONUâ. Le mĂ©dia a ensuite relatĂ© comment les membres de longue date de l'OTAN ont Ă©tĂ© contraints d'accepter âle principe des opĂ©rations hors zoneâ, par crainte que âles Ătats-Unis ne concluent unilatĂ©ralement leurs propres accords militaires avec les Ătats d'Europe de l'Estâ en dehors du âcadreâ Ă©tabli par l'alliance militaire en cas de rĂ©sistance.
En Ă©change de leur rĂŽle de larbins dĂ©vouĂ©s et dociles de l'Empire, pour la protection des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques amĂ©ricains Ă l'Ă©tranger et de l'achat de tous les Ă©quipements militaires de Washington, Ă des prix exorbitants et Ă peine opĂ©rationnels, les gouvernements europĂ©ens se sont vu confĂ©rer un sentiment d'invincibilitĂ© grĂące Ă l'article 5 de l'OTAN. Pendant ce temps, leurs armĂ©es et leurs infrastructures industrielles mouraient Ă petit feu, avec l'illusion que les Ătats-Unis et leurs nouveaux alliĂ©s viendraient Ă leur rescousse, se battraient Ă leur place et mourraient pour eux s'ils Ă©taient attaquĂ©s. Comme l'Ă©crivait George Soros en novembre 1993 :
âAvec l'OTAN, les Ătats-Unis ne seraient pas appelĂ©s Ă jouer les gendarmes du monde. L'OTAN agirait en collaboration avec d'autres... La combinaison des effectifs de l'Europe de l'Est et des capacitĂ©s techniques de l'OTAN renforcerait considĂ©rablement le potentiel militaire... en rĂ©duisant le risque de pertes humaines pour les pays de l'OTAN, principal frein Ă leur volontĂ© d'agirâ.
âDes affaires en orâ
La guerre par procuration en Ukraine a illustrĂ© les consĂ©quences suicidaires d'un monde unipolaire. MalgrĂ© la dĂ©termination de l'administration Trump Ă mettre fin au conflit, les dirigeants europĂ©ens ne montrent aucun signe de flĂ©chissement, s'efforçant dĂ©sespĂ©rĂ©ment de combler le vaste dĂ©ficit d'aide financiĂšre et militaire soudainement provoquĂ© par l'arrĂȘt de l'aide de Washington. Jusqu'Ă prĂ©sent, aucune solution crĂ©dible Ă l'Ă©cart criant entre rhĂ©torique et rĂ©alitĂ© n'a Ă©tĂ© proposĂ©e. MĂȘme les dirigeants ukrainiens admettent que âpersonne ne peut remplacer les Ătats-Unis en matiĂšre de soutien militaireâ.
Ce dĂ©calage dangereux a Ă©tĂ© largement Ă©voquĂ© dans l'interview de Timothy Ash accordĂ©e Ă Bloomberg. MalgrĂ© ses appels urgents aux gouvernements europĂ©ens Ă prendre pleinement conscience âqu'ils ne peuvent plus compter sur les AmĂ©ricainsâ, il a reconnu que l'Europe fait face Ă de graves difficultĂ©s en matiĂšre de âproduction dâarmementâ et que ânous dĂ©pendons des AmĂ©ricainsâ pour fournir aux Ukrainiens la technologie nĂ©cessaire Ă la poursuite de la guerre par procuration. Ash a suggĂ©rĂ© que l'Europe mette simplement en commun ses âliquiditĂ©sâ pour financer l'achat des armes nĂ©cessaires Ă l'Ukraine :
âJe ne pense pas que ce soit au-dessus de nos capacitĂ©s de mettre en place un programme de financement... nous avons encore 330 milliards de dollars d'actifs russes sur nos comptes bancaires et nos gouvernements n'ont rien fait... Nous devrions faire des propositions aux AmĂ©ricains... Trump aime les gros contrats juteux, nous devrions aller voir les Yankees et leur dire : âNous voulons nous engager sur une pĂ©riode de dix ans Ă vous acheter pour 500 milliards de dollars Ă un billion de vos systĂšmesâ... Trump ne dirait pas nonâ.
Trump est peut-ĂȘtre friand de âgros contrats juteuxâ mais Ash estime que Washington a la capacitĂ© de fournir tout ce qu'il faut Ă l'Europe, quels que soient les enjeux financiers. Selon les conclusions d'une enquĂȘte menĂ©e en juillet 2024 par RAND, financĂ© par le Pentagone, les quantitĂ©s âastronomiquesâ de munitions, de vĂ©hicules et d'armes fabriquĂ©s aux Ătats-Unis et destinĂ©s Ă la guerre par procuration ont dĂ©jĂ Ă©puisĂ© les stocks existants du pays. Cette situation, associĂ©e Ă une âcapacitĂ© de production de dĂ©fenseâ dĂ©vastĂ©e, signifie que les Ătats-Unis sont âdans l'incapacitĂ© de rĂ©pondreâ Ă leurs propres besoins en âĂ©quipements, technologies et munitionsâ, et encore moins de subvenir aux besoins de leurs alliĂ©s.
Les conclusions alarmantes de RAND ont été reprises le 3 mars par Mike Waltz, conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche. En reprochant à Zelensky de ne pas accepter le plan de paix de Trump, il a averti que
âle moment est venu de nĂ©gocierâ car âles stocks et les munitions des Ătats-Unis ne sont pas Ă©ternelsâ.
Ce message sans ambiguĂŻtĂ© n'a apparemment pas Ă©tĂ© entendu Ă Bruxelles, Paris et Londres, oĂč des plans dĂ©ments visant Ă stopper l'avancĂ©e inexorable de la Russie sur le champ de bataille continuent d'ĂȘtre annoncĂ©s jour aprĂšs jour. Les dirigeants europĂ©ens estiment peut-ĂȘtre que l'OTAN et le monde unipolaire dont elle Ă©tait le garant peuvent ĂȘtre ressuscitĂ©s, avec leurs propres leaders aux commandes ?