👁🗨 Le documentaire "Ithaka" aborde la difficile histoire de Julian Assange.
Une demande d'extradition pour la publication par WikiLeaks d'archives des guerres en Irak et en Afghanistan, et une condamnation devrait glacer le sang des journalistes du monde entier...
👁🗨 Le documentaire "Ithaka" aborde la difficile histoire de Julian Assange.
Par Robert Abele, le 2 mars 2023
Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, incarcéré depuis 2019 à la prison de Belmarsh à Londres, est une figure polarisante à bien des égards et propice au débat quant à ses motivations, son comportement, ses tactiques et ses amis. A-t-il aidé Donald Trump avec le déversement des e-mails du Comité national démocratique pour sauver sa peau ? Est-il plus un hacktiviste narcissique qu'un lanceur d'alerte réfléchi ?
Cependant, qu'il soit visé par une demande d'extradition de la part des États-Unis, afin d'être jugé ici pour la publication par WikiLeaks d'archives et de communications relatives aux guerres en Irak et en Afghanistan, en vertu de la loi sur l'espionnage (Espionage Act) - une condamnation qui lui garantirait un emprisonnement à sécurité maximale pour le restant de ses jours - devrait glacer le sang des journalistes du monde entier, que vous considériez Assange comme un journaliste ou non. Pour le simple fait d'être éditeur, son inculpation est une menace pour la démocratie.
Il va sans dire que les personnages indésirables sont les meilleurs boucs émissaires des puissants pour maintenir un climat de contrôle, et lorsque le pouvoir est gouvernemental, la restriction de la liberté de la presse est toujours dans sa ligne de mire. Un nouveau documentaire, "Ithaka", réalisé par le cinéaste australien Ben Lawrence et produit par le demi-frère d'Assange, Gabriel Shipton, teste un corollaire : peut-on défendre Assange en faisant abstraction de sa présence, pour mettre en avant les éléments sympathiques et se tenir à l'objet du débat ?
"Ithaka" se concentre sur la lutte pour libérer Assange de son chemin de croix grâce aux tentatives de regroupement de son père septuagénaire, John Shipton, et de sa fiancée Stella Moris, avec qui Assange a deux enfants. (Assange et Moris se sont mariés l'an dernier.) Alors qu'ils attendent au Royaume-Uni que le tribunal de Londres statue sur son extradition, ils voyagent au gré des opportunités pour rallier politiques et organisations internationales à leur cause, tout en contribuant à la couverture médiatique, qui fait face à ses propres difficultés à séparer la sphère personnelle de la sphère politique, et la rumeur de la réalité.
Shipton et Moris sont en effet des personnages auxquels il faut s'intéresser, leurs vies oscillant de manière inconcevable entre l'inquiétude pour un être cher dont la santé et l'état mental sont souvent décrits comme précaires, et la force nécessaire à leur propre campagne pour gagner des soutiens. En particulier, Shipton - qui ressemble à son fils par sa taille, sa voix douce, son intelligence débordante et sa pâleur - nous touche par le malaise manifeste que lui procure sa position de personnage humain dans un combat qu'il veut centré sur la détresse de son fils, et la cause de la transparence et du journalisme. Lawrence aborde lui-même cette question de l'homme contre la mission avec délicatesse, présentant brièvement Shipton et sa fille de 6 ans dans des séquences authentiques, dans la maison d'un ami dans la campagne anglaise, mais sans donner de détails sur la vie de famille de Shipton en Australie.
Quant à Moris, on la voit s'occuper de leurs garçons, parler avec Assange au téléphone (on n'entend que quelques bribes d'une voix faible) et donner des interviews qui témoignent de son profond soutien au travail d'Assange, et de sa conviction qu'il est un prisonnier politique dont la vie est en danger. Le thème de la torture psychologique est abordé dans le film par Nils Melzer, juriste suisse et expert en droits de l'homme auprès de l'ONU, qui souligne sa propre réticence initiale à examiner le cas d'Assange comme preuve que les préjugés sur la personnalité ont été un outil efficace pour faire taire les défenseurs d'Assange.
Pourtant, "Ithaka" n'est pas un plaidoyer aussi efficace qu'il pourrait l'être, semblant parfois prisonnier d'un désir d'intellectualiser, avec du texte à l'écran, et d'une histoire replacée dans son contexte, et en quête de moments d'observation où se cristallise la douleur et l'inquiétude de la famille Assange. Alors que le film "Risk" de Laura Poitras, imparfait mais fascinant, luttait admirablement contre sa désillusion à l'égard d'Assange en tant que personne, "Ithaka" - qui se veut clairement un correctif - est plutôt hésitant, craignant peut-être d'aborder des controverses dont on pourrait dire qu'elles ne sont pas aussi importantes que ce qu'un procès réussi contre Assange laisse présager pour le journalisme. Les individus sont complexes, comme le plaide à juste titre Shipton à un moment donné, mais une ligne de défense plus fougueuse et énergique aurait pu dégager "Ithaka" de son ambiance solennelle de reportage.
Ithaka
Durée : 1 heure et 46 minutes
À l'affiche : À partir du 3 mars, Alamo Drafthouse Cinema, centre-ville de Los Angeles.