👁🗨 Le Dragon, confiant, présente sa feuille de route pour la modernisation
Alors que le projet Ukraine disparaît dans les oubliettes de l'histoire, le projet Taïwan prend de l'ampleur. Les guerres éternelles ne meurent jamais. Qu'on se le dise. Le dragon se tient prêt.
👁🗨 Le Dragon, confiant, présente sa feuille de route pour la modernisation
Par Pepe Escobar, le 12 mars 2024
C'est l'année du dragon de bois, selon la culture chinoise classique du wuxing [concept important de la cosmologie chinoise traditionnelle selon “les cinq éléments : feu, eau, bois, métal et terre”].
Le dragon, l'un des douze signes du zodiaque chinois, est symbole de puissance, noblesse et intelligence. Le bois représente croissance, développement et prospérité.
Voici un résumé de la direction qu’empruntera la Chine en 2024.
La deuxième session du 14e comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CPPCC) s'est clôturée dimanche à Pékin.
Le monde entier doit comprendre que dans le cadre de la démocratie populaire à la chinoise, un phénomène extrêmement complexe et fascinant, le rôle de la CPPCC est primordial.
La CPPCC transmet les attentes les plus diverses du Chinois moyen au niveau décisionnel et conseille le gouvernement central sur un large éventail de questions - de la vie quotidienne aux stratégies de développement de haut vol.
Cette année, la plupart des discussions ont porté sur la manière d'accélérer la modernisation de la Chine.
La Chine étant ce qu'elle est, des concepts - comme autant de fleurs - ont éclos un peu partout, notamment “nouvelles capacités de production en qualité”, “approfondir la réforme”, “processus d'ouverture à haut niveau” et un nouveau concept spectaculaire, “la diplomatie dans les principaux pays à caractéristiques chinoises”.
Comme le souligne le Global Times, “2024 est non seulement une année cruciale dans la réalisation des objectifs du 14e plan quinquennal, mais aussi une année clé pour assurer la transition vers un développement à haut niveau de l'économie”.
Parier sur l'investissement stratégique
Commençons donc par le premier “rapport de travail” du Premier ministre chinois Li Qiang, présenté il y a une semaine, qui a ouvert la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire. Ce qu'il faut en retenir : Pékin poursuivra les mêmes objectifs économiques qu'en 2023. Cela se traduit par une croissance annuelle de 5 %.
Bien entendu, les risques de déflation, le repli du marché immobilier et la confiance quelque peu ébranlée des entreprises ne disparaîtront pas pour autant. M. Li s'est montré très réaliste, soulignant que Pékin était “parfaitement conscient” des défis à venir :
“Il ne va pas être simple d'atteindre les objectifs fixés pour cette année”. Et d'ajouter : “La croissance économique mondiale manque de dynamisme et des points chauds régionaux ne cessent d'apparaître. De ce fait, l'environnement extérieur de la Chine est plus complexe, plus grave et moins sûr”.
La stratégie de Pékin reste axée sur une “politique budgétaire proactive et une politique monétaire vigilante”. En résumé, le refrain reste le même. Il n'y aura pas de “stimuli” d'aucune sorte.
Des réponses plus approfondies devraient figurer dans le rapport de travail/budget publié par la Commission nationale pour le développement et la réforme : l'accent sera mis sur les changements structurels, via des fonds additionnels destinés à la science, la technologie, l'éducation, la Défense nationale et l'agriculture. En clair, la Chine mise sur l'investissement stratégique, clé d'une transition économique de qualité.
Concrètement, Pékin investira massivement dans la modernisation de l'industrie et le développement de “nouvelles forces productives de qualité”, telles que les véhicules à énergie renouvelable, la bioproduction et les vols spatiaux commerciaux.
Le ministre des sciences, Yin Hejun, a été on ne peut plus précis : l'investissement national dans la recherche et le développement a augmenté de 8,1 % en 2023. Il en veut plus, et il l'obtiendra : les dépenses en recherche et développement augmenteront de 10 % pour atteindre un total de 370,8 milliards de yuans.
Le mantra est “l'autosuffisance”. Sur tous les fronts, de la fabrication de puces à l'intelligence artificielle. Une guerre technologique sans merci est en cours - et la Chine est fermement déterminée à contrer l'“endiguement technologique” de l'hégémon, son objectif ultime étant de ravir la suprématie technologique à son principal concurrent. Pékin ne peut tout simplement pas se permettre de se laisser fragiliser par des blocages technologiques et les perturbations de la chaîne d'approvisionnement imposés par les États-Unis.
Les difficultés économiques à court terme ne vont donc pas être source de troubles du sommeil. Les dirigeants de Pékin regardent toujours vers l'avenir et se concentrent sur les défis à long terme.
Tirer les enseignements du champ de bataille au Donbass
Pékin poursuivra le développement économique de Hong Kong et de Macao, et investira encore davantage dans la zone cruciale de Greater Bay Area, le premier centre de haute technologie, de services et de finances de la Chine méridionale.
Taïwan était bien sûr au centre du rapport de travail ; Pékin s'oppose farouchement à toute “ingérence étrangère”, synonyme de tactique de l'hégémon. La situation risque d'être encore plus délicate en mai, lorsque William Lai Ching-te [Premier ministre de Taïwan du 8 septembre 2017 au 14 janvier 2019 et vice-président de la république depuis le 20 mai 2020], qui flirte avec l'indépendance, accédera à la présidence.
En matière de Défense, le budget n'augmentera que de 7,2 % en 2024, ce qui est dérisoire au regard du budget de Défense de l'Hégémon, qui avoisine aujourd'hui les 900 milliards de dollars : celui de la Chine s'élève à 238 milliards de dollars, alors même que le PIB nominal de la Chine avoisine celui des États-Unis.
Une grande part du budget de Défense de la Chine sera consacrée aux technologies émergentes - compte tenu des leçons immensément précieuses tirées du champ de bataille du Donbass, ainsi que des interactions profondes inscrites dans le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine.
Ce qui nous amène à la diplomatie. La Chine continuera à se positionner fermement en championne du Sud global. C'est ce qu'a clairement indiqué le ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, lors d'une conférence de presse en marge du National People’s Congress [Congrès national du peuple].
Les priorités de Wang Yi : “Maintenir des relations stables avec les grandes puissances, être solidaire des pays voisins dans un souci de progrès, et s'efforcer de revitaliser le Sud Global”.
Wang Yi a une nouvelle fois souligné que Pékin était favorable à un monde multipolaire “équitable et harmonieux” et à une “mondialisation économique solidaire”.
Et bien sûr, il ne pouvait pas laisser le secrétaire d'État américain Little Blinken - toujours à côté de la plaque - s'en tirer avec son dernier “concept” :
“Il est inadmissible que les gros bras aient le dernier mot, tout comme il est inacceptable que certains pays soient à table alors que d'autres se contentent de figurer au menu”.
La BRI, catalyseur mondial
Wang Yi a insisté à nouveau sur la nécessité d'une coopération de “qualité supérieure” dans le cadre de l'initiative “Belt & Road” (ICR). Il a défini la BRI comme “un moteur pour le développement commun international, et un accélérateur pour la modernisation du monde”. Wang Yi a même déclaré qu'il espérait l'émergence du “moment du Sud dans la gouvernance mondiale”, dans lequel la Chine et la “Belt and Road” jouent un rôle essentiel.
Le rapport de travail de Li Qiang ne contenait d'ailleurs qu'un seul paragraphe sur la BRI. Mais c'est alors que nous découvrons cette pépite : Li fait référence au nouveau corridor commercial international terre-mer, qui relie le sud-ouest de la Chine, enclavé, à la côte est, via la province de Guangxi.
Donc : la BRI se concentrera sur l'ouverture de nouvelles routes économiques pour les régions moins développées de la Chine, diversifiant ainsi l'accent mis précédemment sur le Xinjiang.
Wei Yuansong est membre de la CPPCC et du Parti démocratique des paysans et travailleurs chinois, l'un des huit partis non membres du PCC dans la politique chinoise (très peu de gens en dehors de la Chine le savent).
Il a fait part à Fengmian News de commentaires fascinants sur la BRI et a également souligné la nécessité de “bien raconter l'histoire de la Chine” afin de prévenir “les conflits et incidents” le long de la route de la BRI. Pour ce faire, M. Wei suggère de recourir à une “langue internationale” pour raconter ces histoires, autrement dit d'utiliser l'anglais.
Les propos de Wang Yi lors de sa conférence de presse ont été discutés en détail lors de la Conférence centrale à huis clos sur les Affaires étrangères fin 2023, où il a été établi que la Chine se trouvait face à des “opportunités stratégiques” pour renforcer son “influence internationale, son attractivité et ses compétences” malgré des “vents hostiles et des eaux agitées”.
Il en ressort que la guerre psychologique entre la Chine et l'hégémon sera impitoyable. Pékin est convaincue qu'elle est en mesure d'offrir stabilité, investissements, connectivité et une diplomatie avisée à l'ensemble du Sud Global, au lieu de se livrer à des guerres sans fin.
Ainsi, Ma Xinmin, le conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré à la Cour internationale de justice que les Palestiniens ont le droit à la résistance armée lorsqu'il s'agit de lutter contre l'État colonialiste, raciste et d'apartheid d'Israël.
Par conséquent, le Hamas ne peut être défini comme une organisation terroriste.
C'est la position la plus répandue dans les pays islamiques et dans la majorité des pays du Sud, qui associe Pékin au Brésil, membre des BRICS, et au président Lula, qui a comparé le génocide de Gaza au génocide nazi de la Seconde Guerre mondiale.
Comment résister aux sanctions collectives de l'Occident
Les deux sessions ont reflété la pleine compréhension par Pékin que les tactiques d'endiguement et de déstabilisation de l'hégémon restent le plus grand défi à l'essor pacifique de la Chine.
Mais simultanément, elles ont reflété la confiance de la Chine en son influence diplomatique mondiale en tant que force pour la paix, la stabilité et le développement économique. Il s'agit d'un équilibre extrêmement délicat que seul l'Empire du Milieu semble en mesure de réaliser.
Et puis il y a le facteur Trump.
L'économiste Ding Yifan, ancien directeur adjoint du World Development Institute, qui fait partie du State Council's Development Research Centre, est l'un de ceux qui savent que la Chine tire des leçons essentielles des expériences de la Russie sur la façon de résister aux sanctions collectives de l'Occident - qui seront inévitables contre la Chine, en particulier si Trump est de retour à la Maison-Blanche.
Et ceci nous renvoie à la question clé absolue actuellement discutée à Moscou, au sein du partenariat Russie-Chine, et bientôt parmi les BRICS : les modes de règlement alternatifs au dollar américain, l'augmentation des échanges entre “nations amies”, et le contrôle de la fuite des capitaux.
La quasi-totalité des échanges commerciaux entre la Russie et la Chine s'effectue désormais en yuans et en roubles. Alors que le commerce russe avec l'UE a chuté de 68 % en 2023, le commerce avec l'Asie a augmenté de 5,6 % - avec de nouveaux records atteints par la Chine (240 milliards de dollars) et l'Inde (65 milliards de dollars) - et 84 % des exportations totales d'énergie de la Russie sont destinées à des “pays amis”.
Les deux sessions n'ont pas abordé en détail certaines questions géopolitiques extrêmement délicates.
Par exemple, la version indienne de la multipolarité - compte tenu de l'histoire d'amour non résolue de New Delhi avec Washington - est très différente de celle de la Chine. Tout le monde sait - et personne plus que les Russes - qu'au sein des BRICS 10, la plus grande question stratégique est de savoir comment gérer les tensions perpétuelles entre l'Inde et la Chine.
Ce qui est clair, malgré le brouillard de bonnes intentions qui entoure les deux sessions, c'est que Pékin est parfaitement conscient de la manière dont l'hégémon franchit déjà - délibérément - une ligne rouge chinoise majeure, en stationnant officiellement des “troupes permanentes” à Taïwan.
Depuis l'année dernière, les forces spéciales américaines forment les Taïwanais à l'utilisation des nano-microdrones Black Hornet. En 2024, des conseillers militaires américains seront déployés en permanence dans les bases militaires des îles de Kinmen et de Penghu.
Les responsables de la politique étrangère américaine, derrière le bouffon de la Maison Blanche, pensent que même s'ils sont impuissants face à l'Ansarallah Houthi dans la mer Rouge, ils sont capables de harceler le Dragon.
Aucune posture ne modifiera la feuille de route du dragon. La résolution politique de la CPPCC sur Taïwan appelle à
l'union de “toutes les forces nationales”, à “renforcer l'intégration du développement dans divers domaines de part et d'autre du détroit de Taïwan”, et à la “réunification pacifique”.
Dans la pratique, cela se traduira par une coopération économique et commerciale accrue, plus de vols directs, plus de ports de fret et de bases logistiques.
Alors que le projet Ukraine disparaît dans les oubliettes de l'histoire, le projet Taïwan passe à la vitesse supérieure. Les guerres éternelles ne meurent jamais. Qu'on se le dise. Le dragon se tient prêt.
https://strategic-culture.su/news/2024/03/12/confident-dragon-lays-out-modernization-roadmap/