👁🗨 Le fascisme christique, cadeau d'adieu de Joe Biden à l'Amérique
C'était la dernière chance du Parti démocrate de mettre en œuvre le genre de réformes type New Deal qui auraient pu nous sauver d'une autre présidence Trump & du fascisme christique. Mais il a échoué.
👁🗨 Le fascisme christique, cadeau d'adieu de Joe Biden à l'Amérique
Par Chris Hedges pour ScheerPost, le 17 mars 2024
Joe Biden et le Parti démocrate ont déjà contribué à une première présidence Trump, et semblent prêts à rééditer l'exploit. Si Trump revient au pouvoir, ce ne sera pas en raison de l'ingérence russe, du trucage des votes ou parce que la classe ouvrière est peuplée de bigots et d'irrécupérables racistes. Ce sera parce que les Démocrates sont aussi insensibles à la souffrance des Palestiniens de Gaza qu'à celle des immigrés, des déshérités de nos centres-villes paupérisés, des faillites dues aux dettes médicales, aux créances de cartes de crédit et aux hypothèques usuraires, des gens mis au rebut, surtout dans l'Amérique rurale, par les vagues de licenciements massifs et des travailleurs, piégés dans le servage de l'économie des petits boulots, marquée par l'instabilité de l'emploi, et des salaires au rabais.
Les Démocrates, ainsi que le Parti républicain, ont vidé de sa substance l'application de la législation antitrust et dérégulé les banques et les entreprises, leur permettant ainsi de cannibaliser la nation. Ils ont soutenu la législation de 1982 qui a permis la manipulation des titres par des rachats massifs et l'acquisition d'entreprises par des sociétés de capital-investissement, entraînant des licenciements massifs. Ils ont favorisé l'adoption d'accords commerciaux onéreux, notamment l'accord de libre-échange nord-américain, la plus grande trahison de la classe ouvrière depuis la loi Taft-Hartley de 1947, qui a paralysé l'organisation des syndicats. Ils ont été des partenaires à part entière dans la construction du vaste réseau des prisons américaines - le plus grand du monde - et la militarisation de la police en vue de la convertir en armée d'occupation intérieure. Ils financent aussi des guerres sans fin.
Les Démocrates servent consciencieusement leurs maîtres corporatistes, sans lesquels la plupart d'entre eux, y compris Biden, n'auraient pas eu de carrière politique. C'est pourquoi Biden et les Démocrates ne se retourneront pas contre ceux qui détruisent notre économie et anéantissent notre démocratie. Le robinet se refermerait. Préconiser des réformes met en péril leurs fiefs de privilèges et de pouvoir. Ils se prennent pour les “capitaines du navire”, écrit le journaliste syndicaliste Hamilton Nolan, mais ils sont “en réalité les parasites qui rongent le navire de l'intérieur jusqu'au naufrage”.
L'autoritarisme se nourrit du terreau fertile d'un libéralisme en faillite. C'était vrai dans l'Allemagne de Weimar. C'était vrai dans l'ex-Yougoslavie. Et c'est encore vrai aujourd'hui. Les Démocrates ont eu quatre ans pour mettre en place les réformes du New Deal. Ils ont échoué. Nous allons maintenant payer.
Un second mandat de Trump ne ressemblera pas au premier. Il sera placé sous le signe de la vengeance. Une vengeance contre les institutions qui ont pris Trump pour cible - la presse, les tribunaux, les agences de renseignement, les Républicains déloyaux, les artistes, les intellectuels, la bureaucratie fédérale et le Parti démocrate.
Notre présidence impériale, si Donald Trump revient au pouvoir, basculera rapidement dans une dictature qui émasculera les pouvoirs législatif et judiciaire. Le plan visant à étouffer notre démocratie anémique est méthodiquement exposé dans le plan de 887 pages compilées par la Heritage Foundation et intitulé “Mandate for Leadership” [Mandat pour une gouvernance].
La Heritage Foundation a dépensé 22 millions de dollars pour élaborer des propositions politiques, des listes d'embauche et des plans de transition dans le cadre du Projet 2025 afin de sauver Trump du chaos ingouvernable qui a marqué son premier mandat. Trump accuse les “vipères”, les “traîtres” et l'“État profond” d'avoir saboté sa première administration.
Nos fascistes américains, agrippés à la croix christique et brandissant le drapeau, se retrousseront les manches dès l’investiture pour purger les agences fédérales des “vipères” et des “traîtres”, promulguer des valeurs “bibliques”, réduire les impôts des milliardaires, faire disparaître l'Agence de protection de l'environnement, noyauter les tribunaux et les agences fédérales à coups d'idéologues et dépouiller les travailleurs du peu de droits et de protections qui leur reste. La guerre et la Sécurité intérieure, y compris la surveillance généralisée de la population, resteront les principales activités de l'État. Ses autres fonctions, en particulier dans le domaine des prestations sociales, dont l'assurance maladie et la protection des personnes vulnérables, sont appelées à disparaître.
Le capitalisme sauvage et non régulé, sans aucune limite, transforme tout en marchandise, de l'être humain à la nature, qu'il exploite jusqu'à l'épuisement ou la faillite. Il instaure d'abord une économie mafieuse, comme l'écrit Karl Polanyi, puis un gouvernement mafieux. Les théoriciens politiques, dont Aristote, Karl Marx et Sheldon Wolin, rappellent que lorsque les oligarques s'emparent du pouvoir, les seules options restantes sont la tyrannie ou la révolution.
Les Démocrates savent que la classe ouvrière se détourne d'eux. Et ils savent pourquoi. L’enquêteur du Parti démocrate Mike Lux écrit :
“Contrairement à l'hypothèse de nombreux experts, les problèmes économiques sont à l'origine des préoccupations des Démocrates dans les comtés ouvriers des zones rurales, bien davantage que la guerre culturelle... [Ces électeurs ne se soucieraient pas vraiment des différences culturelles et des revendications progressistes s'ils estimaient que les Démocrates se soucient davantage des défis économiques auxquels ils sont confrontés au quotidien... Les électeurs que nous devons conquérir dans ces zones ne sont pas intrinsèquement de droite sur les questions sociales.”
Mais les Démocrates ne se mettront pas à dos les entreprises et les milliardaires qui les maintiennent au pouvoir. Ils ont plutôt opté pour deux tactiques autodestructrices : le mensonge, et la peur.
Les Démocrates affichent de fausses préoccupations pour les travailleurs victimes de licenciements massifs, tout en courtisant les chefs d'entreprise qui orchestrent ces licenciements en leur attribuant de somptueux contrats publics. C'est avec la même hypocrisie qu'ils expriment leurs inquiétudes pour les civils massacrés à Gaza, tout en envoyant des milliards de dollars d'armes à Israël et en opposant leur veto aux résolutions de cessez-le-feu de l'ONU pour soutenir le génocide.
Les Leopold, dans son livre Wall Street's War on Workers, riche en sondages et en données, montre que c’est la dislocation économique et le désespoir qui sont à l’origine de la colère de la classe ouvrière, et non le racisme et le sectarisme.
Il évoque la décision de Siemens de fermer son usine d'Olean, dans l'État de New York, qui employait 530 travailleurs syndiqués bien rémunérés. Alors que les Démocrates ont déploré cette fermeture, leur refus de priver Siemens de contrats fédéraux a permis de protéger les travailleurs de l'usine.
Joe Biden a ensuite invité Barbara Humpton, PDG de Siemens USA, à la signature à la Maison Blanche du projet de loi sur les infrastructures 2021. La photo illustrant la signature montre Barbara Humpton au premier rang, aux côtés du sénateur new-yorkais Chuck Schumer.
Au début du XXe siècle, le comté de Mingo a été l'épicentre d'un affrontement armé entre les mineurs de la United Mine Workers et les barons du charbon, avec leurs mercenaires de l'agence de détectives Baldwin-Felts. En 1912, les truands armés ont expulsé les travailleurs en grève des logements de l'entreprise et ont battu et abattu les membres du syndicat jusqu'à ce que la milice de l'État envahisse les villes minières et mette fin à la grève. Le blocus fédéral n'a été levé qu'en 1933 par l'administration Roosevelt. Le syndicat, qui avait été interdit, a été légalisé.
“Le comté de Mingo n'a pas pardonné, du moins pas très longtemps”, écrit M. Leopold. “En 1996, alors que plus de 3 200 mineurs du charbon travaillaient encore, le comté de Mingo a voté pour Bill Clinton à 69,7 %, ce qui est énorme. Mais tous les quatre ans suivants, le soutien pour les Démocrates a reculé, chutant, chutant, et chutant de plus belle. En 2020, Joe Biden n'a recueilli que 13,9 % des voix à Mingo, un déclin brutal dans un comté qui considérait autrefois le Parti démocrate comme son sauveur.”
En 2020, les 3 300 emplois miniers du comté de Mingo étaient tombés à 300, soit la plus grande perte d'emplois dans le secteur du charbon de tous les comtés du pays.
Les mensonges des politiciens Démocrates ont infligé bien plus de torts aux travailleurs et aux travailleuses que n'importe lequel des mensonges déversés par Trump.
Selon l'Institut du Travail, il y a eu au moins 30 millions de licenciements collectifs depuis 1996, date à laquelle le Bureau des statistiques du travail a commencé à les recenser. Les oligarques en place, non contents de procéder à des licenciements massifs et de réduire la main-d'œuvre syndiquée dans le secteur privé à 6 %, ont saisi la justice pour faire fermer le National Labor Relations Board (NLRB), l'agence fédérale chargée de faire respecter les droits des travailleurs. SpaceX, la société d'Elon Musk, ainsi qu'Amazon, Starbucks et Trader Joe's ont pris pour cible le NLRB - déjà privé de la majeure partie de sa capacité à imposer des pénalités et à contraindre les entreprises à se conformer à la loi - après avoir accusé Amazon, Starbucks et Trader Joe's d'enfreindre la loi en empêchant les syndicats de s'organiser. Le NLRB a accusé SpaceX d'avoir illégalement licencié huit salariés pour avoir critiqué M. Musk. SpaceX, Amazon, Starbucks et Trader Joes cherchent à obtenir des tribunaux fédéraux qu'ils annulent la loi sur les syndicats [National Labor Relations Act], vieille de 89 ans, afin de ne plus permettre aux juges d'instruire des affaires intentées contre des entreprises pour violation du droit du travail.
La peur - la peur du retour de Trump et du fascisme christique - est la seule carte dont disposent encore les Démocrates. Cette stratégie fonctionnera dans les enclaves urbaines et libérales où les technocrates formés à l'université, qui appartiennent à l'économie mondialisée du savoir, sont très occupés à dénoncer et diaboliser la classe ouvrière pour son ingratitude.
Les Démocrates ont imprudemment fait passer ces “déplorables” au rang de cause politique perdue. Ce précariat, selon le mantra, est victime non pas d'un système prédateur conçu pour enrichir la classe des milliardaires, mais bien de son ignorance et de ses échecs individuels. En rejetant les laissés-pour-compte, les Démocrates se dispensent de défendre la législation visant à protéger et à créer des emplois décents et correctement rémunérés.
La peur n'a plus de prise au sein des zones urbaines désindustrialisées et des friches délaissées de l'Amérique rurale, où les familles se débattent sans travail pérenne, en pleine crise des opioïdes, dans les déserts nourriciers, en proie aux faillites et aux expulsions, aux dettes accablantes et au désespoir le plus profond.
Ils aspirent à la même chose que Trump : la vengeance. Qui pourrait les en blâmer ?
* Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l'étranger pendant quinze ans pour le New York Times, où il a été chef du bureau du Moyen-Orient et chef du bureau des Balkans. Auparavant, il a travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l'animateur de l'émission The Chris Hedges Report.
Il a fait partie de l'équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2002 du reportage explicatif pour la couverture du terrorisme mondial par le New York Times, et il a reçu le prix mondial 2002 d'Amnesty International pour le journalisme sur les droits de l'homme. Hedges, qui est titulaire d'une maîtrise en théologie de la Harvard Divinity School, est l'auteur des best-sellers American Fascists : La droite chrétienne et la guerre contre l'Amérique, Empire of Illusion : The End of Literacy and the Triumph of Spectacle et a été finaliste du National Book Critics Circle pour son livre War Is a Force That Gives Us Meaning. Il rédige une chronique en ligne pour le site ScheerPost. Il a enseigné à l'université Columbia, à l'université de New York, à l'université de Princeton et à l'université de Toronto.