đâđš Le feu de l'enfer & le chaos Ă Rafah, un test pour Biden qui se dit opposĂ© aux dĂ©placements de population
âLa seule vue d'un camion transportant de l'aide humanitaire provoque dĂ©sormais le chaos. Les gens ont faim. Ils arrĂȘtent le camion, demandent de la nourriture et la mangent dans la rue.â
đâđš Le feu de l'enfer & le chaos Ă Rafah, un test pour Biden qui se dit opposĂ© aux dĂ©placements de population
Par Sean Mathews, le 15 décembre 2023 à 18:34
L'administration Biden prĂ©conise un conflit âde faible intensitĂ©â alors que les dĂ©placements de population dictĂ©s par le dĂ©sespoir deviennent une rĂ©alitĂ© de plus en plus importante pour les Palestiniens.
L'engagement public de Joe Biden de s'opposer au déplacement forcé des Palestiniens de l'enclave assiégée est de plus en plus ténu, alors qu'une crise humanitaire explose à Rafah, la ville la plus méridionale de la bande de Gaza.
Les avertissements insistants sur l'effondrement des structures sociales dans le sud de la bande de Gaza, avec le risque d'envoyer des centaines de milliers de Palestiniens dĂ©sespĂ©rĂ©s en Ăgypte, mettent Ă l'Ă©preuve l'une des lignes rouges les plus explicites du prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden concernant l'offensive israĂ©lienne, ont dĂ©clarĂ© Ă Middle East Eye d'anciens et d'actuels responsables amĂ©ricains.
âIl semble que nous soyons sur la voie d'un dĂ©placement dĂ» au dĂ©sespoirâ, a dĂ©clarĂ© William Usher, ancien analyste principal du Moyen-Orient Ă la CIA, Ă Middle East Eye. âCe serait trĂšs embarrassant pour l'administration Biden, qui se montre manifestement de plus en plus irritĂ©e par IsraĂ«lâ.
Environ 90 % de la population de Gaza, soit 1,9 million de Palestiniens, sont dĂ©placĂ©s Ă l'intĂ©rieur du pays Ă la suite de l'offensive israĂ©lienne. Environ un million d'entre eux est aujourd'hui confinĂ© dans la petite ville de Rafah, oĂč ils vivent dans des conditions sordides sous les bombardements israĂ©liens.
Les Palestiniens de Rafah ont été contraints de dormir dans la rue et dans des tentes de fortune. Les Nations unies ont constaté l'apparition de cas de varicelle, de méningite, de jaunisse et d'infections respiratoires en raison de la forte surpopulation, et affirment que les Palestiniens doivent désormais faire leurs besoins dehors en raison de l'absence de toilettes. Les mauvaises conditions sanitaires provoquent la dysenterie.
Mercredi, le commissaire gĂ©nĂ©ral de l'Unrwa, Philippe Lazzarini, a averti que âla sĂ©curitĂ© civile Ă©tait en train de s'effondrerâ Ă Rafah.
âLa seule vue d'un camion transportant de l'aide humanitaire provoque dĂ©sormais le chaosâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âLes gens ont faim. Ils arrĂȘtent le camion, demandent de la nourriture et la mangent dans la rue. J'en ai Ă©tĂ© le tĂ©moin direct.â
âIl n'est pas rĂ©aliste de penser que les gens continueront Ă rĂ©sister face Ă des conditions invivables d'une telle ampleurâ, a-t-il dĂ©clarĂ©, âen particulier lorsque la frontiĂšre est si procheâ.
Ses commentaires font suite Ă une mise en garde du chef de l'ONU, Antonio Guterres, qui a dĂ©clarĂ© dimanche qu'il y avait âune pression accrue pour un dĂ©placement massif vers l'Ăgypteâ.
Point de non retour
Alors que des milliers de Palestiniens affluent à Rafah pour échapper à l'offensive israélienne dans le sud du pays, la ville frontaliÚre bondée est dans le collimateur de l'armée israélienne. Au moins vingt-six Palestiniens ont été tués lors d'une frappe israélienne sur Rafah cette semaine, selon des responsables palestiniens de la santé à Gaza.
âSi l'on considĂšre l'ensemble de la situation, on se rend compte qu'il ne s'agit pas d'un hasard ou d'un accident. Il est impossible de ne pas en conclure que l'objectif ultime d'IsraĂ«l est de forcer les gens Ă franchir la frontiĂšreâ,
a déclaré Khaled Elgindy, directeur du programme sur les affaires israélo-palestiniennes du Middle East Institute, à MEE.
Les avertissements de l'ONU interviennent alors que les Ătats-Unis multiplient les critiques publiques Ă l'Ă©gard d'IsraĂ«l, rĂ©vĂ©lant un nouveau malaise face Ă l'offensive de leur alliĂ©.
Le prĂ©sident amĂ©ricain Joe Biden a dĂ©clarĂ© mardi qu'IsraĂ«l perdait son soutien au niveau mondial en raison des âbombardements aveuglesâ sur Gaza. Il a ensuite dĂ©clarĂ© qu'IsraĂ«l devrait s'efforcer de sauver des vies civiles.
Jeudi, le conseiller amĂ©ricain Ă la sĂ©curitĂ© nationale, Jake Sullivan, a dĂ©clarĂ© au Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu que les Ătats-Unis souhaitent qu'IsraĂ«l passe Ă une phase de guerre de âfaible intensitĂ©â.
L'administration Biden appelle Israël à autoriser davantage d'aide humanitaire à Gaza, mais la crainte d'un déplacement forcé est à la croisée des préoccupations humanitaires de Washington et de craintes politiques et sécuritaires plus larges.
Le lobbying israĂ©lien en faveur d'un dĂ©placement forcĂ© des Palestiniens au dĂ©but du conflit a enflammĂ© les Ătats voisins comme l'Ăgypte et la Jordanie. Le Caire, qui contrĂŽle le point de passage de Rafah, s'en est pris aux Ătats-Unis Ă propos des manĆuvres israĂ©liennes de dĂ©placement forcĂ©, a prĂ©cĂ©demment rapportĂ© MEE.
La Jordanie et l'Ăgypte ont rejoint d'autres Ătats arabes pour demander un cessez-le-feu. Si les dĂ©clarations d'Amman et du Caire n'ont pas permis d'arrĂȘter les combats, elles ont contraint Joe Biden Ă s'engager publiquement Ă s'opposer Ă l'expulsion des Palestiniens de Gaza.
Un fonctionnaire américain en poste et un ancien fonctionnaire au fait des réflexions de l'administration ont déclaré à MEE que l'administration Biden espérait qu'une offensive israélienne plus ciblée répondrait en partie aux préoccupations de ses alliés arabes, faciliterait l'acheminement de l'aide dans la bande de Gaza et limiterait le nombre de victimes civiles.
âĂ l'heure actuelle, aucun endroit n'est sĂ»r pour les civils Ă Gazaâ, a dĂ©clarĂ© Ă MEE Abbas Dahouk, ancien conseiller militaire principal au dĂ©partement d'Ătat, qui a prĂ©cĂ©demment occupĂ© le poste d'attachĂ© militaire Ă l'ambassade des Ătats-Unis en Arabie saoudite.
âCe que l'administration aimerait voir, c'est le type de contre-insurrection que les Ătats-Unis ont menĂ© dans les premiers jours de l'Afghanistan, avec des unitĂ©s d'Ă©lite ciblant le Hamas avec un minimum de dĂ©racinement supplĂ©mentaire des civilsâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âMais il n'est pas certain qu'IsraĂ«l ait la capacitĂ© ou la volontĂ© de changer de tactique.â
Jusqu'à présent, c'est une combinaison de résistance palestinienne et de renforcement de la sécurité égyptienne qui a permis d'éviter la mise à l'épreuve de la promesse de l'administration Biden de s'opposer aux déplacements forcés, selon les experts.
Les Palestiniens affirment qu'ils n'ont pas l'intention de fuir la bande de Gaza. Nombre de ceux qui affrontent aujourd'hui la crise humanitaire sont les descendants des Palestiniens qui ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s de force en 1948, aprĂšs la crĂ©ation de l'Ătat d'IsraĂ«l, lors d'un Ă©vĂ©nement connu sous le nom de Nakba, ou âcatastropheâ. Les rĂ©fugiĂ©s reprĂ©sentaient environ 70 % de la population de Gaza avant le dĂ©but de la guerre actuelle.
âLes Palestiniens prĂ©fĂ©reraient mourir Ă Gaza plutĂŽt que de fuir, mais que pensez-vous que les gens qui meurent de faim et qui essaient de sauver leurs enfants vont faire ?â. a dĂ©clarĂ© M. Elgindy Ă MEE.
âLe point de non-retour est intangibleâ.
Le Sinaï, une véritable poudriÚre
L'Ăgypte craint qu'un afflux de Palestiniens ne dĂ©stabilise le SinaĂŻ, car le gouvernement a passĂ© des annĂ©es Ă lutter contre une insurrection qui perdure, notamment contre les sections locales du groupe Ătat islamique.
Le Caire craint également d'autoriser un afflux de réfugiés qui pourrait potentiellement permettre aux combattants palestiniens d'établir des bases pour attaquer Israël, comme cela a été le cas au Liban, pouvant conduire à une action militaire israélienne directe dans la péninsule désertique.
âLe SinaĂŻ est une poudriĂšre. Avec un afflux de Gaza, c'est toute la pĂ©ninsule du SinaĂŻ qui exploseraitâ,
a déclaré à MEE Mohannad Sabry, expert du Sinaï au département d'études de défense du King's College de Londres.
âMais IsraĂ«l donne deux options aux Palestiniens : soit mourir sous les feux de l'enfer, soit s'enfuir en Ăgypte. La vraie question est de savoir ce qui se passera si l'afflux se produit.â
âL'Ăgypte tirera-t-elle sur les Palestiniens ? Ce serait un cauchemar. Mais si l'Ăgypte autorise des Palestiniens Ă s'installer dans le SinaĂŻ, cela signifierait que Le Caire donne son feu vert Ă une deuxiĂšme Nakba. L'Ăgypte est Ă court d'optionsâ.
M. Usher, ancien analyste principal du Moyen-Orient à la CIA, a déclaré qu'une vague importante de Palestiniens traversant la frontiÚre est le type de scénario qui pourrait entraßner l'effondrement du régime de M. Sisi, déjà sous la pression d'une crise économique foudroyante, et qui s'efforce de gérer le sentiment pro-palestinien dans la rue.
Sanam Vakil, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Chatham House, a déclaré à MEE qu'une crise à Rafah aurait un effet boomerang sur le gouvernement israélien, car il s'agit de la ligne rouge collective du monde arabe et de l'administration Biden.
Beaucoup d'explosifs Ă Gaza
L'une des premiÚres mesures prises par le président Abdel Fattah el-Sisi aprÚs son arrivée au pouvoir a été de renforcer la sécurité à la frontiÚre.
Il a construit un mur métallique massif avec de hautes clÎtures et a détruit plus de 3 000 tunnels menant à l'enclave. Depuis que la guerre a éclaté, il a renforcé le contrÎle de la frontiÚre en construisant des digues de sable et en déployant des troupes et des chars supplémentaires.
L'Ăgypte a acceptĂ© de n'autoriser le passage que des personnes ayant la double nationalitĂ© et d'un petit nombre de blessĂ©s en provenance de Rafah. Le 13 dĂ©cembre, 268 personnes ayant la double nationalitĂ© ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©es par ce point de passage. Certains signes montrent que ceux qui en ont les moyens veulent dĂ©sespĂ©rĂ©ment fuir.
Les pots-de-vin habituels que les Palestiniens de Gaza payaient autrefois pour franchir la frontiÚre ont doublé ou triplé dans certains cas pour atteindre 5 000 dollars par personne.
Bien que la frontiÚre soit plus sécurisée aujourd'hui, M. Sabry a déclaré que le point de passage de Rafah ne serait pas en mesure de résister à des milliers de Palestiniens prenant d'assaut le poste frontalier.
La frontiĂšre entre l'Ăgypte et la bande de Gaza a dĂ©jĂ Ă©tĂ© franchie par le passĂ©. En 2008, le Hamas a fait sauter la clĂŽture frontaliĂšre avec l'Ăgypte, et a permis Ă des centaines de milliers de Palestiniens d'entrer dans le SinaĂŻ pour dĂ©fier l'enclave assiĂ©gĂ©e par IsraĂ«l.
Si le Hamas a largement disparu de la surface, le fait qu'il n'ait pas rĂ©pĂ©tĂ© l'opĂ©ration de 2008 a amenĂ© certains experts Ă penser que le groupe collabore toujours avec l'Ăgypte en matiĂšre de sĂ©curitĂ© afin d'Ă©viter une situation embarrassante pour le Caire.
âIl y a beaucoup d'explosifs Ă Gaza. Si personne n'a encore fait exploser le mur frontalier, il est probable qu'un accord a Ă©tĂ© concluâ, a dĂ©clarĂ© Ă MEE un ancien haut fonctionnaire amĂ©ricain, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat pour discuter de ce sujet sensible.
M. Sabry a déclaré que si la frontiÚre était franchie, la foule de Palestiniens affluant dans le Sinaï représenterait un véritable déferlement.
âEn 2008, 750 000 personnes ont affluĂ©. Cette fois-ci, c'est la famine et le feu de l'enfer qui s'abattent sur Gazaâ.