👁🗨 Le Frankenstein de Biden
La politique vis-à-vis d'Israël ne vise pas à protéger le peuple israélien & n'a pour but qu'assoir la présence de l'empire en Asie occidentale, voilà l'unique préoccupation des cliques de Washington.
👁🗨 Le Frankenstein de Biden
Par Patrick Lawrence / Original to ScheerPost, le 8 novembre 2023
La nouvelle vague de violence en Israël et à Gaza entre dans son deuxième mois. Selon Associated Press, plus de 10 000 personnes ont été tuées, dont 40 % d'enfants. Où cette catastrophe va-t-elle mener ? Quelles sont les limites de l'inhumanité d'Israël ? Le régime Biden, en soutenant et en encourageant de manière inacceptable cette opération de nettoyage ethnique, aurait-il un autre Frankenstein entre les mains, un monstre hors de contrôle ?
Le cas de l'Ukraine fait contraste à cette question. Volodymyr Zelensky est une pure création de bande dessinée - le plus grand coup monté de notre siècle, se faisant passer pour un défenseur de la liberté démocratique tout en dirigeant un régime crypto-nazi et en dérobant, avec ses généraux et ses ministres, des centaines de millions de dollars. Mais l'Ukraine - faible, ruinée et en train de perdre la guerre par procuration contre la Russie - est tout de même assez facile à gérer. Biden peut débrancher les électrodes des tempes de Zelensky à tout moment. Il ne le fera pas, mais il pourrait.
Il semble que Biden et ses conseillers en politique étrangère aient perdu le contrôle sur Bibi Netanyahou et son régime de fanatiques. La semaine dernière, Antony Blinken, lors de son deuxième voyage en Israël depuis l'assaut du Hamas sur le sud d'Israël le 7 octobre, a demandé au Premier ministre israélien de “faire une pause” - sans proposer de cessez-le-feu - dans sa campagne permanente de bombardements de la bande de Gaza. Netanyahou a opposé un refus plus ou moins catégorique au secrétaire d'État américain. Posez-vous la question : qui était responsable de cette rencontre, qui dirigeait les opérations ? Il faut dire que Blinken passe la plupart du temps pour un minus diplomatique, comme ce fut le cas l'été dernier à Pékin, où les dirigeants chinois l'ont houspillé avant de le renvoyer chez lui sans rien d'autre que des sermons en guise de remerciement pour ses efforts.
La Maison-Blanche de M. Biden a fait des demandes sotto voce, tout comme Blinken, ces deux dernières semaines, mais sans grand résultat. Diminués et manquant de subtilité, même Biden, Blinken et le reste de la clique de la Sécurité nationale du régime sont maintenant conscients que le soutien de Biden à la violence débridée de Bibi contre les Palestiniens s'est mué en un désastre politique dont il va être difficile de se remettre. Les pays d'Asie occidentale ne soutiennent peut-être pas les Palestiniens autant qu'on le souhaiterait, mais les anciennes relations clientélistes avec Washington semblent avoir été altérées de manière plus ou moins permanente.
Tout cela semble bien mal parti. La semaine dernière, les Latino-Américains ont commencé à rappeler leurs ambassadeurs à Tel-Aviv, la Bolivie allant jusqu'à rompre ses relations - bravo donc aux Boliviens. Cette semaine, la Jordanie, le Bahreïn, la Turquie, le Tchad et l'Afrique du Sud ont fait de même. Les Israéliens ne semblent pas s'en préoccuper, mais regardez les noms : traditionnellement, l'Amérique a compté ces nations parmi ses amis (ou ses clients). Aujourd'hui, elles font partie de ceux qui nomment l'Israël de l'apartheid, véritable État paria, comme il mérite d'être appelé. Pensez à la place que Washington aura dans ce contexte. Comme avec l’Afrique du Sud avant que le régime d'apartheid ne rende l'âme en 1990, ou la Rhodésie avant qu'elle ne devienne le Zimbabwe dix ans plus tôt. Ce sera honteux, et coûteux.
La façade se lézarde également de l'intérieur. Au Congrès, on murmure que les Israéliens sont allés trop loin, bien que très peu d'entre eux aient osé passer de la suggestion inefficace d'une “pause temporaire” des bombardements à l'exigence d'un cessez-le-feu. Des fonctionnaires anonymes reconnaissent aujourd'hui que la violence hystérique d'Israël n'a rien à voir avec l'autodéfense, et tout à voir avec la volonté de perpétuer la réputation des forces de défense israéliennes, championne en représailles impitoyables. Je considère ce genre de confidences comme autant de signes d'insatisfaction et de désapprobation, voire de dégoût.
Le Pentagone semble particulièrement remonté contre la campagne israélienne de nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Il y a deux semaines, il a dépêché des officiers supérieurs pour conseiller aux FDI de reconsidérer le caractère meurtrier des combats urbains - les combats de rue à rue, de porte à porte. Le New York Times a depuis cité un haut fonctionnaire du ministère de la défense qui déclare que “les opérations menées jusqu'à présent n'ont même pas permis de détruire les hauts dirigeants et cadres du Hamas”. Là encore, ce sont des protestations bureaucratiques, selon moi.
Comment ignorer les coûts politiques de l'extravagante erreur de la Maison Blanche de Biden, même si nous vivons dans une société où la volonté populaire est manipulée plutôt que consultée, et rarement prise en compte dans tous les cas. Des élections ont lieu dans un an, après tout, et je lis des sondages d'opinion montrant une majorité d’Américains favorable à une aide humanitaire à Gaza plutôt qu'à un soutien militaire à Israël. Trois cent mille personnes ont manifesté à Washington le week-end dernier. Le risque semble donc bien réel que la politique de l'Israël-über-alles de Biden - si dénuée d'imagination, trahissant si bien son intelligence bornée - mette en péril ses chances d’être élu le 5 novembre prochain. Il ne s'agit pas, visiblement, du genre de candidat disposant d'une certaine marge de manœuvre en cas d’erreurs politiques majeures, et aborder la crise Israël-Gaza comme l'a fait Biden est une erreur extrêmement, extrêmement majeure.
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Pourquoi Biden, Blinken et leurs acolytes sont-ils à ce point figés sur la question israélo-palestinienne, malgré les effroyables dérives de Tsahal, les pratiques ouvertement inhumaines cautionnées par la Maison-Blanche, et l'évolution de l'opinion mondiale, régionale et nationale ? La réponse à cette question est à la fois simple et complexe.
Biden est coincé. La réponse est simple. Il a - et il est loin d'être le seul dans ce cas - mis les États-Unis en porte-à-faux avec les Israéliens. Ces derniers savent très bien qu'Israël incarne le véritable Frankenstein de l'Amérique que Washington ne peut pas débrancher. Merci de réduire le rythme du déchaînement de violence contre les innocents, et, en plus des 3,8 milliards de dollars d'aide militaire annuelle, nous vous offrons encore 14,3 milliards de dollars pour que vous ne vous arrêtiez pas en si bon chemin : comment Bibi et ses ministres fanatiques sont-ils censés interpréter tout cela, sinon comme un permis de bombarder et d'affamer les Palestiniens ?
Ce à quoi nous assistons en ce début de deuxième mois d'atrocité, et c'est là la lecture (légèrement) complexe, est une politique à double sens, extraordinairement contradictoire. Les États-Unis ont besoin de contrôler un désastre politique et un échec en matière de relations publiques tout en soutenant la sauvagerie à l'origine de ce désastre. Il est impensable qu'une personne chargée de la gestion d'un État puisse être stupide au point de persévérer dans une telle voie, mais c'est pourtant ce à quoi nous assistons, ni plus ni moins. Ce sont les mêmes, ne l'oublions pas, qui pensent pouvoir persuader les Américains que la prospérité est au rendez-vous, à condition que le “message” passe bien. Si on parvient à faire passer le bon message, les citoyens ne verront aucun inconvénient à voir une nation sauvagement raciste exterminer un autre peuple.
Je reviens aux fonctionnaires anonymes qui admettent que la campagne israélienne à Gaza n'a rien à voir avec l'autodéfense. De même, la politique américaine vis-à-vis d'Israël n'a rien à voir avec la protection du peuple israélien, un “compromis honnête” ou toute autre concept de ce genre. Elle a pour objectif de maintenir la présence de l'empire en Asie occidentale, et ce depuis au moins la guerre de 1967. Selon moi, il s'agit de la première, de la deuxième, de la troisième et surtout de l'unique préoccupation des cliques politiques de Washington. C'est pourquoi les dirigeants de Tel-Aviv, après 1967, ont avantageusement transformé leur pays en un État-garnison, tel que Harold Lasswell l'a défini de manière mémorable en 1941. Les Israéliens sont des “spécialistes de la violence”, pour reprendre l'expression de Lasswell. C'est ce que les États-Unis veulent qu'ils soient.
Et ils comptent sur les États-Unis pour les y aider. Le reste - prière de faire une pause, prière d'utiliser des bombes plus petites et ainsi de suite - n'est que de la poudre aux yeux destinée à camoufler le soutien à un régime monstrueux qui a définitivement besoin d'être démantelé.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier ouvrage s'intitule Time No Longer : Americans After the American Century. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
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