👁🗨 Le Hamas & l'opinion publique arabe
La résistance acharnée du Hamas lui vaut une place prépondérante dans l'opinion publique palestinienne et arabe. Le Hamas ne sera pas délogé, quelle que soit la force brutale employée par Israël.
👁🗨 Le Hamas & l'opinion publique arabe
Par As`ad AbuKhalil, Special Consortium News , le 3 janvier 2024
Le peuple palestinien attendait depuis longtemps de pouvoir se soulever contre l'armée israélienne.
Le président américain Joe Biden et le secrétaire d'État Antony Blinken, soucieux de se montrer sensibilisés, affirment que le Hamas ne parle pas au nom du peuple palestinien. Depuis le début, ils ont cherché à présenter la guerre contre le peuple palestinien comme une guerre contre le Hamas.
Plus de 21 000 Palestiniens ont été assassinés, et la guerre est toujours ostensiblement dirigée contre le Hamas, selon les responsables américains et israéliens.
(Israël admet au moins que plus de la moitié des morts ne sont pas des combattants du Hamas, exagérant largement le nombre de combattants du Hamas tués afin de camoufler un génocide. Israël se vante d'avoir tué “seulement” plus de 10 000 civils palestiniens).
L'administration Biden a clairement exprimé sa préférence : elle souhaite que le mouvement du Fatah (après sa “revitalisation” ou sa “réorganisation”) dirige la bande de Gaza (au nom d'Israël).
Mais l'Autorité palestinienne est très majoritairement détestée et méprisée par le peuple palestinien, et ses dirigeants sont perçus, à juste titre, comme des voyous, des criminels, des détourneurs de fonds et des collaborateurs d'Israël.
L'Autorité palestinienne ne peut se maintenir au pouvoir que par la force des armes, tout comme les régimes arabes répressifs. Ce n'est pas pour rien que le Fatah a refusé d'organiser des élections depuis la victoire du Hamas en 2006. Les États-Unis, qui faisaient pression sur les Palestiniens pour qu'ils organisent des élections, ne veulent pas non plus en autoriser, car il est évident que le Fatah serait évincé lors d'un vote.
Une Autorité palestinienne répressive
L'autorité de l'AP ressemble désormais à n'importe quel gouvernement autoritaire arabe et son armée répressive de voyous est dirigée par les services de renseignement américains. Le Hamas a dirigé Gaza de manière beaucoup moins répressive que le Fatah n'a dirigé la Cisjordanie, et le Hamas ne s'est attaqué qu'à ceux qu'il considérait comme des collaborateurs et des espions israéliens.
La concurrence entre le Hamas et le Fatah est bien connue depuis longtemps. Le Hamas a les faveurs des Palestiniens depuis de nombreuses années, et pour de nombreuses raisons.
Le Hamas n'est pas corrompu alors que le Fatah est la personnification de la corruption. Le Hamas combat Israël alors que le Fatah collabore avec Israël. Les dirigeants du Hamas partagent la vie du peuple, alors que les dirigeants du Fatah prospèrent dans des demeures bien protégées. Les dirigeants du Hamas mènent une vie modeste, le Fatah un train de vie extravagant. En outre, le Fatah est à juste titre tenu responsable de l'échec et l’absence d’application des accords d'Oslo, que le Hamas n'a jamais soutenus.
Mais le Hamas connaît aujourd'hui une seconde renaissance. Une opération militaire peut faire la différence dans l'histoire de la lutte nationale palestinienne pour l'indépendance.
La bataille de Karamah en 1968 (au cours de laquelle Yasser Arafat et le Fatah ont fortement exagéré leurs exploits) a propulsé le mouvement du Fatah au rang de leader prééminent au sein de l'OLP. Hani Hassan (l'un des dirigeants du Fatah) raconte comment des milliers de Palestiniens ont afflué pour rejoindre le mouvement après Karamah.
Mais l'opération du Hamas “Al Aqsa Flood” du 7 octobre marquera plus que Karamah la mémoire historique palestinienne, et même arabe.
Indépendamment des condamnations et des récriminations occidentales - ou peut-être en partie à cause d'elles - les Arabes et les musulmans du monde entier ont été impressionnés par l'audace de l'opération et par la capacité des combattants du Hamas à prendre l'armée israélienne par surprise.
Les détails de ce qui s'est passé cette nuit-là restent obscurs et Israël garde le secret afin d'étouffer les informations sur sa complicité dans l'assassinat d'Israéliens. La nature des attaques contre les civils fait toujours l'objet de débats, et de nombreux Arabes ne croient pas aux récits israéliens et accusent l'armée israélienne d'être responsable de la mort et de la dévastation qui s'en sont suivies.
Le Hamas a clairement indiqué qu'il ne s'était pas livré aux atrocités ou aux agressions sexuelles qu’Israël a rapporté ce jour-là, et rien dans l'histoire du Hamas ne permet de corroborer les allégations israéliennes d'agressions sexuelles.
Le peuple palestinien a attendu ce moment pour ébranler les fondements de l'armée israélienne. Le processus d'Oslo et la création d'un régime collaborationniste à Ramallah (qui sert de relais à l'occupation israélienne et reçoit ses ordres des services de renseignement régionaux américains) ont anéanti les espoirs de la population.
Ceux qui ont rêvé pendant des décennies de la libération de la Palestine ont connu des phases d'occupation bien pires encore, et le siège cruel de Gaza n'a fait que se durcir au fil du temps.
Pour la première fois, les Palestiniens de Cisjordanie ont dû faire face à des Palestiniens chargés de les empêcher de s'engager dans la résistance ou même de critiquer les collaborateurs.
On s'attendait donc à ce que quelque chose se produise pour briser l'emprise de l'occupation et de l'Autorité palestinienne sur la vie des Palestiniens. À Gaza, la vie misérable qu'Israël imposait aux Palestiniens ne pouvait durer indéfiniment.
Le Hamas s'est évadé de cette prison et son action a bénéficié d'un soutien unanime de la part de l'opinion publique palestinienne et arabe. (Pour une raison ou une autre, les médias occidentaux considèrent que les opinions occidentales influencent les peuples du monde entier. Ils ont découvert lors de la guerre en Ukraine que le “monde” n'est pas l'Occident).
En outre, les gouvernements arabes - sous la direction de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis - ont pratiquement tous abandonné la cause palestinienne. Ils ont compris que la normalisation avec Israël était indispensable pour obtenir les armes les plus perfectionnées du gouvernement américain, et qu'elle est un excellent garant de la complaisance américaine à l'égard des violations des droits de l'homme.
L'Égyptien Anouar el-Sadate en a fait l'expérience et, dans les mois qui ont précédé son assassinat, il s'est lancé dans une campagne de répression et de persécution des dissidents. L'Occident l'a soutenu jusqu'au bout, comme il soutient les despotes actuels, pourvu qu'ils ne nuisent pas à Israël et à son occupation.
Les Palestiniens ne plaçaient pas leurs espoirs dans les gouvernements arabes, mais le niveau d'hostilité ouverte du Golfe à l'égard des Palestiniens a anéanti toute chance de voir les gouvernements arabes aider à récupérer les terres arabes volées par Israël. Bien au contraire, les médias du régime saoudien se sont lancés dans une campagne de diabolisation des Palestiniens, en particulier du Hamas.
À la suite d’Al Aqsa Flood, l'admiration pour le Hamas, sa bravoure et son audace apparentes, s'est répandue parmi le peuple arabe. Les vidéos d'Abu `Ubayda (le porte-parole de l'aile militaire du Hamas) ont remporté un grand succès et ont été largement diffusées dans les médias arabes traditionnels et les réseaux sociaux.
L'image d'`Ubayda a été peinte sur les murs et les enfants se sont habillés comme lui, se couvrant le visage avec les koufiyyahs traditionnelles palestiniennes.
La qualité de la propagande militaire du Hamas s'est considérablement améliorée, et les gens étaient scotchés à leur écran dans l'attente de la prochaine déclaration. Le ton de défi des déclarations du Hamas a impressionné de nombreux habitants du monde arabe, qui l'ont opposé aux piètres performances politiques et militaires de l'OLP.
Trois mois après le début des combats, la puissante armée israélienne n'a pu remporter aucune victoire militaire notable et n'est toujours pas en mesure d'atteindre le haut commandement du Hamas (elle s'est pourtant vantée d'avoir capturé une pointure du Hamas, Yihya Sinwar, et d'avoir bombardé un appartement qui, selon elle, lui servait autrefois de cachette). [Mardi, Israël a tué Saleh Al-Arouri, chef adjoint du bureau politique du Hamas, lors d'une attaque de drone à Beyrouth, au Liban].
En 1982, l'armée israélienne a occupé toute la région du Sud-Liban jusqu'à la périphérie de Beyrouth en quelques heures, malgré la présence de milliers de combattants de l'OLP et du Mouvement national libanais.
Une nouvelle forme de résistance
L'opinion publique arabe a pris conscience que les nouveaux mouvements de résistance, au Liban, en Palestine et au Yémen, ont une autre portée que dans le passé. Les personnalités des nouveaux dirigeants de la résistance sont plus fortes, voire impitoyables, que celles des dirigeants de l'OLP qui n'ont pas résisté longtemps aux pressions (même Arafat, qui gérait mieux la pression que nombre de ses collègues, a connu des moments de doute et s'est montré extrêmement emporté pendant le siège de Beyrouth, selon le récit du premier ministre libanais de l'époque, Sa'eb Salam, dans ses mémoires récemment publiées à titre posthume).
La montée en puissance du Hamas va se poursuivre, et il dominera la scène politique palestinienne dans les années à venir. On entend le nom du Hamas dans tous les chants des manifestants arabes et les noms de ses dirigeants se reconnaissent aux graffitis dans les rues.
Les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite veulent promouvoir l'Autorité palestinienne comme alternative (les Émirats arabes unis veulent remplacer Mahmoud Abbas par le truand Muhammad Dahlan, un outil de Muhammad Bin Zayid).
Le spectre politique palestinien devrait évoluer une fois la situation à Gaza apaisée.
Il est probable que les responsables du Fatah qui ont bâti leur carrière sur la corruption et la loyauté envers l'armée israélienne seront ostracisés, voire assassinés. La fin de la guerre de Gaza marquera le début d'une phase de guerre palestinienne intestine, au cours de laquelle les collaborateurs seront pris pour cible (Yahya Sinwar, le chef politique du Hamas, a la réputation de traquer et de punir les collaborateurs et les infiltrés israéliens).
Il est peu probable que l'Autorité palestinienne s'étende à Gaza, malgré les souhaits de l'équipe Biden-Blinken. Le Hamas, dans le sillage de Gaza, va s'enhardir et le plan (des États-Unis et d'Israël) visant à l’éliminer lui assurera au. contraire de demeurer la colonne vertébrale du mouvement de libération palestinien.
Paradoxalement, alors qu'Israël et les États-Unis ont promis l'élimination du Hamas, la guerre génocidaire à Gaza et la résistance acharnée du Hamas lui garantissent une place prépondérante dans l'opinion publique palestinienne et arabe. Le Hamas ne sera pas délogé, quelle que soit la force brutale employée par Israël.
* As`ad AbuKhalil est un professeur libano-américain de sciences politiques à la California State University, Stanislaus. Il est l'auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), de Ben Laden, Islam and America's New War on Terrorism (2002), de The Battle for Saudi Arabia (2004) et dirige le blog populaire The Angry Arab. Il tweete sous le nom de @asadabukhalil
https://consortiumnews.com/2024/01/03/asad-abukhalil-hamas-arab-public-opinion/