đâđš Le jour J marque le calendrier du âdernierâ appel de Julian Assange
Pour Assange, l'ennemi, c'est le temps, et chaque requĂȘte juridique, chaque appel et chaque audience ne font que peser davantage sur la prĂ©caritĂ© de sa survie.
đâđš Le jour J marque le calendrier du âdernierâ appel de Julian Assange
Par Binoy Kampmark, le 25 décembre 2023
Stella, l'Ă©pouse de Julian Assange, est rarement du genre Ă ĂȘtre Ă©nigmatique. âLe jour J est arrivĂ©â, a-t-elle postĂ© sur la plateforme anciennement connue sous le nom de Twitter. Pour ceux qui ont suivi ses remarques, ses discours et son militantisme, la signification de ce message Ă©tait on ne peut plus claire.
âC'est peut-ĂȘtre la derniĂšre chance pour le Royaume-Uni d'empĂȘcher l'extradition de Julian. Rassemblez-vous devant le tribunal Ă 8h30 les deux jours. C'est maintenant ou jamaisâ.
Les 20 et 21 fĂ©vrier prochains, la High Court entendra ce qui, selon WikiLeaks, pourrait ĂȘtre âla derniĂšre chance pour Julian Assange d'empĂȘcher son extradition vers les Ătats-Unisâ. (Cette affirmation est nuancĂ©e par la perspective d'un appel devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme). Si cette extradition a lieu, le fondateur de l'organisation devra rĂ©pondre de 18 chefs d'accusation, dont 17 sont furtivement tirĂ©s de l'ancienne et oppressive Espionage Act de 1017. Les estimations des peines encourues varient, la peine maximale Ă©tant de 175 ans.
Le fondateur de WikiLeaks reste incarcĂ©rĂ©, au bon vouloir de Sa MajestĂ©, Ă la prison de Belmarsh, rĂ©servĂ©e aux criminels les plus endurcis. Le fait qu'Assange n'ait pas encore Ă©tĂ© jugĂ©, incarcĂ©rĂ© sans caution depuis quatre ans et demi, est une vĂ©ritable dĂ©claration de la justice britannique et amĂ©ricaine. Ce procĂšs, s'il devait un jour avoir lieu, s'appuierait sur une thĂ©orie juridique scandaleuse qui sonnerait le glas de tous ceux qui sâimmergent dans le monde de la publication d'informations relatives Ă la SĂ©curitĂ© nationale.
Fondamentalement, et de maniĂšre irrĂ©futable, le dossier contre Assange reste politique dans son processus, drapĂ© dans une lĂ©galitĂ© de gangsters. Comme Stella elle-mĂȘme l'explique trĂšs clairement,
âavec la myriade de preuves rĂ©vĂ©lĂ©es depuis l'audience initiale en 2018, telles que la violation du privilĂšge juridique et les rapports selon lesquels de hauts fonctionnaires amĂ©ricains sont impliquĂ©s dans la formulation de complots d'assassinat contre mon mari, il est indĂ©niable qu'un procĂšs Ă©quitable, sans parler de la sĂ©curitĂ© de Julian sur le sol amĂ©ricain, relĂšve de lâimpossibilitĂ© s'il devait ĂȘtre extradĂ©.â
Au milieu de l'année 2022, l'équipe juridique de Julian Assange a tenté de renverser la décision de la ministre de l'Intérieur Priti Patel d'approuver l'extradition de Julian Assange, tout en élargissant l'appel contre les motifs invoqués par la juge de district Vanessa Baraitser dans sa décision initiale du 4 janvier 2021.
Les premiers, entre autres, remettaient en cause la position du ministĂšre de l'intĂ©rieur selon laquelle l'extradition ne constituait pas un dĂ©lit politique et Ă©tait donc interdite par l'article 4 du traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis. L'Ă©quipe de dĂ©fense a rappelĂ© l'importance d'une procĂ©dure rĂ©guliĂšre, inscrite dans le droit britannique depuis la Magna Carta de 2015, et a Ă©galement contestĂ© la conclusion par M. Patel d'âarrangements spĂ©ciauxâ avec le gouvernement amĂ©ricain concernant l'introduction de charges pour les faits allĂ©guĂ©s susceptibles d'entraĂźner la peine de mort, de procĂ©dures pour outrage au tribunal et d'autres arrangements spĂ©ciaux susceptibles de protĂ©ger M. Assange âcontre des poursuites pour une conduite ne relevant pas de la demande d'extraditionâ. L'histoire montre que ces âarrangements spĂ©ciauxâ peuvent ĂȘtre facilement et arbitrairement abrogĂ©s.
Le 30 juin 2022, un appel a Ă©tĂ© interjetĂ© contre les motifs initiaux de M. Baraitser. Si Mme Baraitser a bloquĂ© l'extradition vers les Ătats-Unis, elle ne l'a fait que pour des raisons liĂ©es Ă des problĂšmes de santĂ© psychologique et au risque encouru par M. Assange s'il devait se retrouver au coeur du systĂšme pĂ©nitentiaire amĂ©ricain. Le gouvernement amĂ©ricain a contournĂ© cet obstacle en promettant Ă mots couverts qu'Assange ne serait pas soumis Ă ces conditions oppressives susceptibles des lâamener au suicide, et qu'il ne risquerait pas la peine de mort. Un engagement flou a Ă©galement Ă©tĂ© pris, suggĂ©rant qu'il pourrait purger le reste de sa peine en Australie - sous rĂ©serve d'approbation, bien entendu.
L'Ă©quipe juridique d'Assange s'est donc retrouvĂ©e face Ă une dĂ©cision hostile aux activitĂ©s de publication, Ă la libertĂ© d'expression et aux diffusion de donnĂ©es par WikiLeaks. L'appel visait donc Ă remĂ©dier Ă cette situation, en affirmant, entre autres, que Baraitser avait commis une erreur en supposant que l'extradition n'Ă©tait pas âinjuste et oppressive en raison du temps Ă©coulĂ©â, qu'elle ne violerait en rien l'article 3 de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme (traitement inhumain et dĂ©gradant), qu'elle ne violerait pas plus l'article 10 de la CEDH, Ă savoir le droit Ă la libertĂ© d'expression, ni l'article 7 de la CEDH (extension nouvelle et imprĂ©visible de la loi).
D'autres dĂ©fauts flagrants de l'arrĂȘtĂ© de Mme Baraitser mĂ©ritent Ă©galement d'ĂȘtre soulignĂ©s, notamment le fait qu'elle n'ait pas reconnu la dĂ©formation des faits avancĂ©e par le gouvernement amĂ©ricain et les âarriĂšre-pensĂ©es politiquesâ animant l'accusation. Le deuxiĂšme acte d'accusation, plus lourd et beaucoup plus Ă©toffĂ©, a Ă©galement Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© Ă Assange dans un bref dĂ©lai avant l'audience d'extradition de septembre 2020, suggĂ©rant que ces motifs soient Ă©cartĂ©s âpour des raisons d'Ă©quitĂ© procĂ©duraleâ.
Une attente angoissante de quelque douze mois s'est ensuivie, pour aboutir le 6 juin Ă une dĂ©cision outrageusement brĂšve du juge de la High Court, Jonathan Swift (satiristes, prenez vos stylos et vos ordinateurs portables). Swift, trĂšs apprĂ©ciĂ© des ministres de la DĂ©fense et de l'IntĂ©rieur lorsqu'il Ă©tait avocat, a dĂ©clarĂ© Ă Counsel Magazine lors d'une interview en 2018 que ses âclients prĂ©fĂ©rĂ©s sont les agences de sĂ©curitĂ© et de renseignementâ. Pourquoi ? Parce quââIls prennent la prĂ©paration et la collecte de preuves au sĂ©rieux : un vĂ©ritable engagement Ă faire les choses correctement.â Quelle honte !
Dans un monde aussi dépourvu de références universelles, Swift n'a pris que trois pages pour rejeter les arguments de l'appel dans un élan décisionnel prématuré.
âUn appel en vertu de la loi sur l'extradition de 2003â, a-t-il Ă©crit de maniĂšre glaciale, ân'est pas offrir une rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale de toutes les questions soulevĂ©es lors d'une audience d'extraditionâ. La longueur de l'appel - quelque 100 pages - Ă©tait selon lui âinhabituelleâ, ne reprĂ©sentant ârien de plus qu'une tentative de reprendre les arguments dĂ©taillĂ©s prĂ©sentĂ©s et rejetĂ©s par le juge de premiĂšre instanceâ.
Heureusement, la finalitĂ© de Swift est restĂ©e lettre morte. Certains doutaient que la cour d'appel de la High Court accorde mĂȘme une audience. Elle l'a fait, tout en demandant Ă l'Ă©quipe de dĂ©fense d'Assange de rĂ©duire l'appel Ă 20 pages.
Reste Ă savoir dans quelle mesure tout ceci relĂšve du thĂ©Ăątre procĂ©dural et des pitreries des juges du cirque. La justice anglo-amĂ©ricaine a accompli des merveilles en se compromettant dans le cas du prisonnier politique le plus cĂ©lĂšbre de Grande-Bretagne. Le maintien d'Assange au Royaume-Uni dans des conditions affreuses de dĂ©tention sans possibilitĂ© de libĂ©ration sous caution sert les objectifs de Washington, mĂȘme si c'est par procuration. Pour Assange, l'ennemi, c'est le temps, et chaque requĂȘte juridique, chaque appel et chaque audience ne font que peser davantage sur la prĂ©caritĂ© de sa survie.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://www.counterpunch.org/2023/12/25/day-x-marks-the-calendar-julian-assanges-final-appeal/