đâđš Le massacre de Tantura, 22-23 mai 1948
âIls avaient des drapeaux blancs & se sont rendus, ils ont Ă©tĂ© alignĂ©s & abattus un par un. La nuit du 22 mai 1948 Ă Tantura, IsraĂ«l a tuĂ© plus de 200 hommes & les a jetĂ©s dans des fosses communesâ.
đâđš Le massacre de Tantura, 22-23 mai 1948
Par MK SENSEI, le 22 mai 2025
âIls ont brandi des drapeaux blancs. Ils se sont rendus. Puis ils ont Ă©tĂ© alignĂ©s contre un mur et exĂ©cutĂ©s, un par un. Dans la nuit du 22 mai 1948, dans le village palestinien de Tantura, l'armĂ©e israĂ©lienne a tuĂ© plus de 200 hommes non armĂ©s et les a enterrĂ©s dans des fosses communes sous leurs propres maisons. Pendant des dĂ©cennies, cette histoire a Ă©tĂ© passĂ©e sous silence, niĂ©e, effacĂ©e et enterrĂ©e. Soixante-dix-sept ans plus tard, la terre parle encore. Tantura n'Ă©tait pas un champ de bataille. C'Ă©tait un massacreâ.
[Regarder le documentaire complet sur : https://www.tantura-film.com/]
Dans la nuit du 22 au 23 mai 1948, une semaine seulement aprĂšs la dĂ©claration de l'Ătat d'IsraĂ«l, le village cĂŽtier palestinien de Tantura a Ă©tĂ© attaquĂ© et occupĂ© par des unitĂ©s de la brigade Alexandroni de l'armĂ©e israĂ©lienne. SituĂ© Ă environ 35 kilomĂštres au sud de HaĂŻfa, Tantura se trouvait dans la zone attribuĂ©e Ă l'Ătat juif par la rĂ©solution de partition de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies. Avec une population d'environ 1 500 habitants, Tantura allait connaĂźtre un sort similaire Ă celui de plus de 400 autres villages palestiniens durant la guerre de 1948 : occupation, dĂ©peuplement, destruction et confiscation de toutes ses terres par IsraĂ«l. Cependant, Tantura a Ă©galement subi la tragĂ©die supplĂ©mentaire d'un massacre Ă grande Ă©chelle de ses habitants, une atrocitĂ© largement ignorĂ©e pendant des dĂ©cennies.
Le massacre de Tantura a Ă©tĂ© Ă©clipsĂ© Ă l'Ă©poque par le conflit plus large entre IsraĂ«l et les armĂ©es rĂ©guliĂšres de l'Ăgypte, de l'Irak, de la Jordanie et de la Syrie, entrĂ©es en Palestine aprĂšs la dĂ©claration d'indĂ©pendance d'IsraĂ«l. La premiĂšre rĂ©fĂ©rence Ă©crite au massacre est apparue vers 1950, lorsque Haj Muhammad Nimr al-Khatib, un religieux musulman et membre actif du ComitĂ© national arabe de HaĂŻfa, a publiĂ© Ă Damas un recueil intitulĂ© âMin Athar al-Nakbaâ [Les consĂ©quences du dĂ©sastre] . Cet ouvrage comprenait des tĂ©moignages de rĂ©fugiĂ©s palestiniens, notamment des survivants de Tantura. Parmi ceux-ci figuraient les rĂ©cits d'Iqab al-Yahya, un notable du village, et de son fils Marwan, qui ont dĂ©crit
âl'exĂ©cution mĂ©thodique et l'enterrement dans une fosse commune d'une quarantaine de jeunes hommes dans le village de Tanturaâ.
Khatib a également rapporté des cas de femmes de Tantura victimes de viols et soignées dans un hÎpital de Naplouse.
Le massacre a suscitĂ© Ă nouveau l'attention en 1998 grĂące aux travaux du chercheur israĂ©lien Teddy Katz, dont la thĂšse de maĂźtrise Ă l'universitĂ© de HaĂŻfa documentait les Ă©vĂ©nements en dĂ©tail. Les recherches de Katz, basĂ©es sur des tĂ©moignages enregistrĂ©s de survivants et de membres de la brigade Alexandroni, ont conclu que plus de 200 villageois de Tantura, pour la plupart des jeunes hommes non armĂ©s, ont Ă©tĂ© abattus aprĂšs la reddition du village. Les conclusions de son enquĂȘte, publiĂ©es dans la presse hĂ©braĂŻque en janvier 2000, ont dĂ©clenchĂ© une controverse en IsraĂ«l, qui a abouti Ă un procĂšs en diffamation d'un million de shekels intentĂ© contre Katz par des vĂ©tĂ©rans de la brigade Alexandroni. Le procĂšs qui a suivi et ses implications ont ensuite Ă©tĂ© analysĂ©s par l'historien israĂ©lien Ilan PappĂ©, qui a Ă©galement examinĂ© le contexte historique plus large et la signification de ces Ă©vĂ©nements.

Le carnage de Tantura n'Ă©tait pas une operation militaire spontanĂ©e, mais s'inscrivait dans une stratĂ©gie calculĂ©e. Le village a Ă©tĂ© spĂ©cifiquement choisi dans le cadre du plan Dalet, le plan directeur de la Haganah destinĂ© Ă Ă©tablir le contrĂŽle israĂ©lien sur la plus grande partie possible de la Palestine. Selon l'histoire officielle de la Haganah, âSefer Toldot Haganahâ, la brigade Alexandroni a Ă©tĂ© explicitement chargĂ©e de âl'occupation d'al-Tantura et d'al-Furaydisâ ainsi que de vingt autres villages situĂ©s dans ce qui Ă©tait dĂ©signĂ© comme âterritoire ennemiâ, c'est-Ă -dire les terres attribuĂ©es Ă l'Ătat arabe dans le cadre du plan de partition de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies. Le plan Dalet a Ă©tĂ© mis en Ćuvre dĂ©but avril 1948, six semaines avant la fin du mandat britannique et l'entrĂ©e des armĂ©es rĂ©guliĂšres arabes. La mission spĂ©cifique de s'emparer de Tantura a Ă©tĂ© confiĂ©e au 33e bataillon de la brigade Alexandroni.
Les tĂ©moignages des survivants fournissent des dĂ©tails poignants sur l'attaque et ses consĂ©quences. Muhammad Abu Hana, qui avait douze ans Ă l'Ă©poque, se souvient avoir Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© en pleine nuit par des tirs nourris. Les femmes se sont mises Ă crier et se sont enfuies de leurs maisons avec leurs enfants. Il a vu son oncle blessĂ© dĂ©couvert par des soldats israĂ©liens malgrĂ© leurs tentatives pour le cacher. Au matin, les tirs ont cessĂ© et les villageois ont Ă©tĂ© rassemblĂ©s sur la plage, les femmes et les enfants sĂ©parĂ©s des hommes. Les hommes ont Ă©tĂ© fouillĂ©s et ont reçu l'ordre de garder les mains sur la tĂȘte, tandis que des femmes soldats fouillaient les femmes et confisquaient leurs bijoux. Abu Hana a vu des groupes d'hommes emmenĂ©s loin de la plage, suivis de coups de feu Ă chaque fois. Il a ensuite vu des corps empilĂ©s sur une charrette, puis dĂ©versĂ©s dans une grande fosse.
Muhammad Ibrahim Abu 'Amr, un autre survivant, a comptĂ© les corps de sept jeunes du village prĂšs de la maison de Badran, dans la rue menant Ă la mosquĂ©e. Il a vu une femme nommĂ©e 'Izzat Ibrahim al-Hindi ĂȘtre abattue aprĂšs avoir criĂ© d'horreur devant la scĂšne. Lorsque les survivants ont Ă©tĂ© embarquĂ©s dans des camions, ils ont vu des corps âempilĂ©s le long de la route comme des tas de boisâ. Une femme a reconnu son neveu parmi les morts et a appris plus tard que ses trois fils avaient Ă©galement Ă©tĂ© tuĂ©s, mais elle a refusĂ© de le croire jusqu'Ă sa mort, affirmant toujours qu'ils s'Ă©taient enfuis en Ăgypte et qu'ils reviendraient.
Amina al-Masri a dĂ©crit la crainte des villageois d'une attaque depuis la prise de Kafr Lam, un village voisin, aprĂšs le chute de HaĂŻfa. La nuit de l'assaut, des hommes montaient la garde Ă plusieurs entrĂ©es du village, mais ils Ă©taient mal armĂ©s. Elle se souvient avoir entendu des coups de feu et des explosions provenant de plusieurs directions. Elle a vu Fadl Abu Hana ĂȘtre tuĂ© Ă Ă Marah, alors qu'il n'Ă©tait pas armĂ© et ne portait qu'une veste kaki. Elle a vu un groupe d'hommes se faire emmener et exĂ©cuter, un seul rescapĂ© n'a Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© qu'aprĂšs avoir reçu l'ordre de âraconter aux autres ce qu'il a vuâ. Ă Furaydis, elle a vu un engin militaire conduit par une femme soldat renverser dĂ©libĂ©rĂ©ment une femme de Tantura qui revenait des champs avec du blĂ© pour nourrir ses enfants.
Farid Taha Salam a évoqué des préparatifs défensifs limités dans le village, précisant qu'ils ne disposaient que de quelques fusils, d'une arme automatique (un Brenn) et de quelques fusils de chasse. Des postes de garde ont été établis à plusieurs endroits, mais les hommes étaient plus nombreux que les armes. Les gardes étaient mal entraßnés, les plus expérimentés étant ceux qui avaient servi dans la police anglaise. Lorsque l'attaque a commencé, les défenseurs ont riposté jusqu'à épuisement de leurs munitions, dont une grande partie a été gùchée par manque d'expérience. Certains défenseurs se sont repliés vers le centre du village, d'autres ont réussi à s'échapper de Tantura, tandis qu'un troisiÚme groupe est resté sur ses positions jusqu'à ce qu'il soit tué ou capturé et exécuté.
Mme Salam raconte comment des groupes d'hommes ont Ă©tĂ© emmenĂ©s un par un aprĂšs qu'ils aient Ă©tĂ© rassemblĂ©s. Taha Mahmud al-Qasim, qui a survĂ©cu Ă l'un de ces groupes, rapporte qu'un soldat juif a demandĂ© : « Qui parle hĂ©breu ici ? » Lorsque Taha s'est identifiĂ©, le soldat lui a dit : « Regarde comment ces hommes vont mourir, puis va le raconter aux autres » avant d'aligner tous les hommes contre un mur et de les exĂ©cuter. Plus tard, le mukhtar de Zichron Yaacov s'est rendu sur la plage oĂč les villageois Ă©taient retenus, mais son intervention n'a apparemment eu qu'un impact limitĂ©.
Ă titre de reprĂ©sailles, les femmes et les enfants ont Ă©tĂ© emmenĂ©s dans le village voisin de Furaydis, qui Ă©tait dĂ©jĂ tombĂ© mais dont les habitants n'avaient pas Ă©tĂ© expulsĂ©s. Les survivants ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s dans des camps, puis finalement dĂ©portĂ©s hors d'IsraĂ«l dans le cadre d'Ă©changes de prisonniers, leurs familles les rejoignant plus tard. La plupart des survivants se sont retrouvĂ©s dans des camps de rĂ©fugiĂ©s en Syrie ou dans le quartier d'al-Qabun Ă Damas. En juin 1948, quelques semaines seulement aprĂšs la chute de Tantura, le kibboutz de Nachsholim a Ă©tĂ© fondĂ© sur ses terres par des survivants de l'Holocauste. Le village lui-mĂȘme a Ă©tĂ© rasĂ©, Ă l'exception d'un sanctuaire, d'une forteresse et de quelques maisons.
Aujourd'hui, ce site est une zone de loisirs israélienne équipée d'une piscine, et la forteresse abrite un musée.
Les tĂ©moignages rĂ©vĂšlent Ă©galement les expĂ©riences vĂ©cues par les survivants dans les camps de prisonniers. 'Adil Muhammad al-'Ammuri raconte avoir Ă©tĂ© emmenĂ© dans un camp Ă Umm Khalid, puis transfĂ©rĂ© au camp de prisonniers de Jalil, oĂč les prisonniers Ă©taient contraints de travailler dans les champs arabes pour le compte d'un entrepreneur de l'armĂ©e juive. Il a vu des soldats ouvrir le feu sur un groupe d'hommes de Lydda et Ramla qui, assoiffĂ©s, se bousculaient pour atteindre un rĂ©servoir d'eau, faisant de nombreux morts. Mahmud Nimr 'Abd al-Mu'ti a racontĂ© avoir Ă©tĂ© contraint de creuser des tombes pour les morts et avoir Ă©tĂ© tĂ©moin du traumatisme psychologique infligĂ© aux survivants, comme Taha Muhammad Abu Safiyya, ĂągĂ© de seize ans, dont les cheveux Ă©taient devenus blancs aprĂšs ce qu'il a vĂ©cu.
Plusieurs survivants ont dĂ©crit leurs tentatives d'Ă©vasion des camps. Yusuf Salam a rĂ©ussi Ă s'enfuir malgrĂ© les trois rangĂ©es de barbelĂ©s autour du camp, mais il a Ă©tĂ© blessĂ© au visage et Ă la poitrine. D'autres ont rapportĂ© avoir Ă©tĂ© tĂ©moins de tensions entre diffĂ©rentes factions israĂ©liennes, notamment un incident au cours duquel l'Irgoun a tentĂ© d'entrer dans un camp pour « liquider tous les prisonniers arabes », mais en a Ă©tĂ© empĂȘchĂ© par des gardes de la Haganah.

Le massacre de Tantura est un chapitre important mais longtemps méconnu de l'histoire de la guerre de 1948 et de la création d'Israël. Grùce aux témoignages des survivants et aux travaux de chercheurs tels que Teddy Katz et Ilan Pappé, le tableau des violences systématiques commises contre les civils palestiniens durant cette période commence à se préciser. Les événements de Tantura nous rappellent avec force le coût humain des conflits et la nécessité de reconnaßtre les réalités historiques, aussi douloureuses soient-elles, pour avancer vers la réconciliation et la justice.
Traduit par Spirit of Free Speech
Sources :
https://www.palestine-studies.org/en/node/41048
https://www.middleeastmonitor.com/20230612-tantura-represents-a-microcosm-to-the-whole-story-of-palestine-palestinian-filmmaker/
https://www.theguardian.com/world/2023/may/25/study-1948-israeli-massacre-tantura-palestinian-village-mass-graves-car-park
https://www.tabletmag.com/sections/israel-middle-east/articles/tantura
https://forensic-architecture.org/investigation/executions-and-mass-graves-in-tantura-23-may-1948