👁🗨 Le meilleur de l'enfer : Evgueni Prigozhin, un héros russe résolument moderne.
Beaucoup se demandent si Wagner pourra survivre sans le charisme et les talents d'Utkhin et Prigozhin. “Nous irons tous en enfer”, aimait-il à dire. “Mais de l’enfer, nous serons les meilleurs".
👁🗨 Le meilleur de l'enfer : Evgueni Prigozhin, un héros russe résolument moderne.
Par Scott Ritter, le 28 août 2023
Dans le souci d'une parfaite transparence, je ne peux prétendre être un observateur impartial lorsqu'il s'agit de Wagner. J'ai rencontré des combattants et des dirigeants de Wagner, et j’ai été particulièrement impressionné par le professionnalisme de l'organisation, notamment en ce qui concerne les questions militaires. Je n'ai jamais rencontré Prigozhin et ne peux donc pas faire de commentaires personnels. Je suis certain que mes propos risquent de heurter la sensibilité de nombreux membres de l'organisation Wagner. Mais mes évaluations se veulent honnêtes et reposent sur la même base d'intégrité que celle qui leur ont permis de me remarquer au départ.
Evgeniy Prigozhin, le directeur à la fois versatile et sympathique du groupe Wagner, une société militaire privée avec des antécédents de collusion avec le gouvernement russe sur des questions d'une extrême importance géopolitique, est mort. Prigozhin, ainsi que six autres membres de Wagner et trois membres du personnel navigant non affiliés à Wagner, ont péri lorsque l'avion d'affaires Embraer Legacy 600 à bord duquel ils se trouvaient s'est écrasé dans des circonstances mystérieuses près de la ville de Tver, dans l'ouest de la Russie. Les enquêteurs russes ont établi une correspondance entre l'ADN trouvé sur les débris récupérés sur les lieux de l'accident et celui de Prigozhin, mettant ainsi un terme aux spéculations sur son sort. Si les rumeurs vont bon train quant à la cause potentielle de l'accident et à l'identité des responsables, il n'y a pas, à ce stade, de preuves suffisantes pour établir une responsabilité spécifique.
Ne dites cependant pas cela à Joe Biden. Le président des États-Unis, en vacances au lac Tahoe, a été invité par les journalistes à commenter la nouvelle du décès de M. Prigozhin.
“Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé”, a déclaré Joe Biden, “mais je ne suis pas surpris. Il ne se passe pas grand-chose en Russie sans que le président Vladimir Poutine n'y soit pour quelque chose. Mais je n'en sais pas assez pour connaître la réponse.”
La Maison-Blanche a poursuivi dans cette voie de l'accusation indirecte. “Nous avons pris connaissance des rapports”, a déclaré Adrienne Watson, porte-parole du Conseil national de sécurité. “S'ils sont confirmés, personne ne devrait être surpris. La guerre désastreuse en Ukraine a conduit à la marche d'une armée privée sur Moscou, et maintenant - semble-t-il - à ceci.”
Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergei Ryabkov, s'est empressé de souligner le caractère peu diplomatique des commentaires de M. Biden, notant qu'“il n'appartient pas au président américain, à mon avis, de s'exprimer sur des événements tragiques de ce genre”.
Je suis d'accord avec Ryabkov - Biden n'a pas à commenter publiquement les événements entourant la mort de Prigozhin - surtout lorsqu'il admet lui-même : “Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé”.
À ce stade, personne ne le sait. L'enquête russe sur l'incident vient de commencer et n'a pas encore rendu publique ses conclusions, provisoires ou non.
Cependant, les commentaires de M. Biden, ainsi que ceux de son Conseil national de sécurité, donnent un aperçu intéressant et inquiétant de la tendance de l'administration Biden à tirer des conclusions hâtives reposant sur une insuffisance de données et un grand nombre de préjugés. La formule “je ne sais pas” associée à la formule “il n'y a pas grand-chose qui se passe en Russie sans que Poutine n'y soit pour quelque chose” représente un mélange troublant de méconnaissance - la première découlant du manque d'informations factuelles, la seconde de l'absence d'analyse intelligente. Biden a simplement tiré une conclusion basée sur le même fondement russophobe qui l'a poussé à déclarer, lors d'une interview en mars 2021, qu'il pensait que Poutine était un “tueur”.
Aucune preuve.
Aucune analyse.
De la russophobie à l'état pur.
Examinons ce que nous savons sur l'accident d'avion du 24 août qui a coûté la vie à Prigozhin. On a beaucoup parlé du rôle de Prigozhin dans l'insurrection avortée de Wagner survenue il y a deux mois, qui a vu Prigozhin et son principal adjoint militaire (et le fondateur de ce qui est devenu le groupe Wagner), Dmitry Utkhin, mener des milliers de combattants de Wagner dans ce qu'ils ont appelé la “Marche de la justice”, un pari audacieux pour évincer le ministre de la Défense, Sergei Shoigu, et le chef de l'état-major général russe, le général Valery Gerasimov, pour cause de corruption et d'incompétence.
Cette manœuvre a échoué lorsqu'il est apparu clairement que la grande majorité des responsables russes, y compris d'importants dirigeants militaires, politiques et économiques que Prigozhin espérait voir se rallier à sa cause, considéraient la “Marche de la justice” pour ce qu'elle était : une insurrection armée illégale destinée à interférer avec le gouvernement de la Russie mandaté par la Constitution, une réalité reflétée par ‘inculpation de Prigozhin et des participants à l'insurrection en vertu de l'article 279 du code pénal russe relatif à la rébellion armée.
Tandis que Prigozhin et un détachement de combattants de Wagner occupaient le quartier général du district militaire sud, chargé de superviser les opérations de combat contre l'Ukraine, alors en cours (l'Ukraine avait lancé sa contre-offensive tant attendue au début du mois de juin), Utkhin menait une colonne de 4 à 5 000 soldats de Wagner lourdement armés vers le nord, le long de l'autoroute M4, en direction de Moscou. La colonne Wagner a été attaquée par des hélicoptères militaires russes, tuant et blessant plusieurs combattants de Wagner. Les systèmes mobiles de défense aérienne de Wagner, en particulier le Pantsir (ironiquement loué à Wagner par le ministère russe de la Défense), ont riposté en abattant plusieurs hélicoptères militaires russes non armés et un avion de commandement et de contrôle Il-22, tuant 13 militaires russes.
Les autorités russes ont qualifié la mort de ces militaires russes d'assassinat.
Ces homicides, combinés à la trahison organisée dans le cadre de la “Marche de la justice”, ont fait d'Evgeniy Prigozhin l’homme à abattre. La liste des personnes, des pays, des agences, des gouvernements et des institutions qui souhaitaient sa mort s'est encore allongée.
Et il venait de perdre la protection de la personne la plus puissante et la plus influente de Russie, Vladimir Poutine.
L'idée que Poutine, ou un fidèle de Poutine agissant de son propre chef, se venge de l'atteinte à l'honneur de la Russie perpétrée par Prigozhin apparaît donc comme une cause logique de la disparition du chef de Wagner.
L'aversion bien connue de Poutine pour ceux qui le trahissent ou qui trahissent la Russie ne signifie cependant pas automatiquement que Poutine est impliqué dans un quelconque aspect de la mort de Prigojine, loin de là. Quiconque a étudié les paroles et les actes de l'homme qui, sous une forme ou une autre, est à la tête de la Russie depuis près de 23 ans, sait que Valdimir Poutine n'est pas un homme enclin à la précipitation. Chaque mot qu'il prononce, chaque action qu'il dirige, est le fruit d'un processus de consultation et de délibération structuré.
En outre, les décisions prises par le président russe ne visent jamais à façonner la perception à des fins politiques personnelles, mais exclusivement à promouvoir les meilleurs intérêts de la nation russe et de son peuple. Ce dernier point est particulièrement important, étant donné la tendance, aux États-Unis et ailleurs dans la communauté occidentale, à projeter sur le dirigeant russe les motivations et les ambitions de nos propres dirigeants politiques, souvent désireux et enclins à manipuler les événements de manière à obtenir faveurs et avantages politiques, même aux dépens de leurs circonscriptions respectives.
S'exprimant sur Prigozhin après l'annonce de l'accident d'avion, M. Poutine a déclaré qu'il connaissait le chef de Wagner “depuis très longtemps” et qu'il était “un homme talentueux, un homme d'affaires très talentueux”. Le commentaire suivant du président russe a toutefois souligné la tension qui existait entre les deux hommes.
“C'était un homme au parcours complexe, qui a commis tout au long de sa vie de graves erreurs, mais qui a accompli ce qu'il fallait pour lui-même et, quand je le lui demandais, pour une cause commune, comme ce fut le cas au cours des derniers mois”.
Les “graves erreurs” de Prigozhin sont notamment un passé criminel pour lequel il a purgé une peine dans une prison soviétique, ainsi que les crimes dont il s'est rendu responsable dans le cadre de sa “Marche pour la justice”. Mais il s'agit aussi de son implication dans des affaires louches, à la fois dans le cadre du groupe Wagner, et par l'intermédiaire d'autres entités commerciales de son vaste empire. Par l'intermédiaire de Concord Management, sa première société de restauration, Prigozhin avait obtenu des contrats d'une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars pour fournir des repas aux soldats, aux étudiants et à d'autres structures. À sa mort, on pense que Prigozhin faisait l'objet d'une enquête sur des allégations d'irrégularités financières liées à ces contrats.
Prigozhin dirigeait également une entreprise de plusieurs milliards de dollars liée au secteur de la sécurité de Wagner au Moyen-Orient et en Afrique. En échange des services fournis, Wagner (Prigozhin) obtenait des concessions de pétrole, de gaz, de richesses minérales et de productions agricoles. Si Prigozhin avait cédé aux demandes du ministère de la défense de subordonner les activités de Wagner en Ukraine à l'autorité gouvernementale russe, ces concessions au Moyen-Orient et en Afrique auraient probablement été autorisées à se poursuivre sans interférence des autorités russes. Cependant, au lendemain de l'insurrection des 23 et 24 juin, le gouvernement russe a pris des mesures pour écarter Prigozhin de ces concessions, en prenant le contrôle de la multitude de sociétés et de sociétés-écrans utilisées par Wagner pour gérer et superviser ces opérations.
Le président Poutine a fait tout son possible pour parvenir au divorce entre Wagner et Prigozhin. Le 29 juin, cinq jours seulement après l'acte de trahison de Prigozhin, Poutine a rencontré le chef de Wagner et 35 de ses principaux commandants au Kremlin, où l'avenir de Wagner a été discuté. Poutine a clairement indiqué que Wagner devait choisir un nouveau chef (le choix de Poutine s'est porté sur le chef d'état-major de Prigozhin, Andrei Troshev, surnommé “Tête grise”, un ancien officier des forces spéciales du ministère russe de l'Intérieur multi décoré qui a reçu le titre de “Héros de la Russie” pour son engagement avec Wagner en Syrie), et qu'il préférait que Wagner signe un contrat avec le ministère de la Défense qui lui permette de préserver son identité et ses capacités spécifiques. Alors que la plupart des commandants de Wagner réunis étaient enclins à accepter la proposition de Poutine, Prigozhin et Utkhin (fondateur de l'organisation) l'ont rejetée, et les commandants de Wagner, farouchement fidèles à l'entreprise, n'ont pas contredit leur patron.
Prigozhin et Utkhin se sont exilés en Biélorussie, et les opérations militaires de Wagner sur le sol russe ont été suspendues. Les 25 000 soldats de Wagner cantonnés à Lougansk ont remis leurs armes à l'armée russe et se sont dispersés, soit pour rejoindre leur nouvelle résidence à Osipovichi, en Biélorussie, où un immense village de tentes avait été construit pour eux, soit pour rentrer chez eux, en permission. Peu nombreux sont les combattants Wagner à avoir signé des contrats avec l'armée russe. Le centre d'entraînement de Wagner à Mol'kino, dans la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie, a été fermé, tout comme ses centres de recrutement dans toute la Russie. Le nouveau siège de Wagner à Saint-Pétersbourg, le Centre Wagner, reste ouvert et opérationnel, ce qui indique que les opérations non ukrainiennes de Wagner en Syrie, en Afrique et ailleurs fonctionnent toujours.
Fin juillet, le président Poutine a convoqué le sommet russo-africain, accueillant à Saint-Pétersbourg les chefs d'État et leurs représentants désignés. L'un des objectifs de ce sommet était de faciliter la présence diplomatique, économique et sécuritaire de la Russie sur le continent africain. L'Afrique est apparue sur le radar géopolitique russe comme un continent où les péchés passés des colonialistes européens et des unilatéralistes américains se combinent pour offrir à la Russie une ouverture, en exploitant le passé de bonne volonté parmi les patriotes africains concernant le soutien fourni par l'ancienne Union soviétique à leurs mouvements d'indépendance respectifs. Le président russe, en collaboration avec ses ministères des affaires étrangères et de la Défense, a élaboré une politique équilibrée fondée sur l'amélioration des perspectives économiques et le renforcement de l'assistance en matière de sécurité. L'indépendance opérationnelle de Wagner sur le continent africain n'était plus compatible avec la nouvelle approche russe, davantage axée sur des actions globales, complémentaires et soigneusement coordonnées que sur l'approche ponctuelle caractéristique du modèle opérationnel de Wagner.
Prigozhin, dont les entreprises africaines, selon certaines sources, avaient été démantelées en son absence, s'est vu conseiller de rester à l'écart du sommet russo-africain. Au lieu de cela, Prigozhin s'est installé à Saint-Pétersbourg, menant ce qui s'apparentait à un sommet fantôme, rencontrant des dirigeants africains avec lesquels il entretenait de bonnes relations afin de reconstruire son empire économique. Cet acte d'insubordination a incité le gouvernement russe à accélérer sa prise de contrôle des opérations africaines de Wagner, le ministère de la Défense exerçant une pression énergique sur les commandants de Wagner pour qu'ils signent des contrats les liant à la Russie.
À la mi-juillet, Prigozhin et Dmitry Utkhin avaient rencontré des milliers de combattants de Wagner rassemblés dans leur nouvelle base à l'extérieur d'Osipovichi, en Biélorussie, et s'étaient adressés à eux. Prigozhin y a poursuivi son offensive contre le commandement militaire russe. “Ce qui se passe actuellement sur le front est une honte”, a déclaré Prigozhin, avant d'ajouter que Wagner pourrait retourner sur le théâtre d'opérations ukrainien “lorsque nous serons sûrs de ne pas être amenés à nous couvrir de honte”. Au lieu de cela, M. Prigozhin a déclaré que Wagner “prendrait de nouvelles orientations en Afrique”. Prigozhin a été rejoint par Utkhin, qui a dit aux troupes Wagner que leur déploiement au Belarus était “le début de la plus grande tâche au monde tracera sa route très bientôt”.
L'une des premières tâches majeures de Prigozhin, après le coup d'État, a été de procéder à la reconduction des contrats de centaines de combattants de Wagner, des contrats de six mois pour servir en Afrique, pour voir leur service prolongé de six mois supplémentaires en raison des exigences imposées à Wagner par le conflit ukrainien. Mais alors même que cette reconduction était en cours, les termes et conditions du travail à effectuer par Wagner en Afrique étaient en pleine transition.
Au moment où l'avion de Prigozhin s'est écrasé, il venait de rentrer d'un voyage éclair en Afrique, où il s'était rendu en République centrafricaine et avait rencontré des représentants du gouvernement ainsi que des contacts des Forces de Soutien Rapide (FSR), une organisation paramilitaire soudanaise actuellement impliquée dans une guerre civile avec le gouvernement soudanais. Wagner entretenait des relations de longue date avec le gouvernement centrafricain et les Forces de Soutien Rapide, et l'on pense que Prigozhin cherchait à conclure de nouveaux arrangements contractuels face aux efforts concertés du gouvernement russe pour placer les opérations de Wagner en Afrique sous l'égide du ministère russe de la Défense.
Prigozhin s'est ensuite envolé pour le Mali, où il a mené des négociations similaires avec le gouvernement malien ainsi qu'avec des représentants du Niger qui avaient exprimé leur intérêt à ce que Wagner vienne en aide à la nouvelle junte d'officiers militaires au pouvoir depuis le coup d'État de juillet. C'est au Mali que Prigozhin a publié une vidéo sur une chaîne Telegram affiliée à Wagner, le montrant vêtu d'une tenue de camouflage dans le désert et portant un fusil automatique et autres accessoires de combat. Dans cette vidéo, Prigozhin déclare qu'il recrute à nouveau des “combattants héroïques”. Wagner, déclare Prigozhin dans la vidéo, “renforce le rôle de la Russie sur tous les continents et contribue à rendre l'Afrique toujours plus libre”, concluant que les forces de Wagner en Afrique “font de la vie d'ISIS, d'Al-Qaïda et autres criminels un véritable cauchemar”.
À première vue, il n'y avait aucune raison logique pour que Prigozhin produise et publie cette étrange vidéo - les centres de recrutement de Wagner avaient été fermés en Russie, et Wagner comptait des milliers de combattants mis en vacances prolongées pour cause de chômage. Comme cela avait été le cas pour les vidéos précédentes produites par Prigozhin pendant les combats à Bakhmut et dans les environs au début de l'année, l'objectif de la vidéo malienne semble faire partie d'une campagne de relations publiques lancée par Prigozhin contre le ministère de la Défense, un effort pour rallier le soutien du public à la marque Wagner en tant que société militaire privée avant d'être absorbée par l'armée russe.
Ramzan Kadyrov, chef de la République tchétchène et fervent partisan du président russe Vladimir Poutine, a fait une déclaration à la suite de la mort de M. Prigozhin. “Nous étions des amis de longue date”, a déclaré M. Kadyrov, avant d'ajouter que récemment, M. Prigozhin “n'a pas vu ou n'a pas voulu voir le tableau complet de ce qui se passait dans le pays”.
M. Kadyrov a déclaré qu'il lui avait
“demandé [à M. Prigozhin] de mettre en veilleuse ses ambitions personnelles au profit de questions d'une importance nationale majeure. Tout le reste, a ajouté M. Kadyrov, pourrait être réglé plus tard. Mais il était comme ça, Prigozhin, avec son caractère bien trempé et son désir d'obtenir ce qu'il voulait ici et maintenant”.
Lorsque l'on réfléchit aux derniers jours de Prigozhin, les mots de Kadyrov résonnent avec insistance. Prigozhin, semble-t-il, ne pouvait “mettre en veilleuse ses ambitions personnelles”, cherchant plutôt à “obtenir ce qu'il voulait ici et maintenant”.
Dans l'avion avec Prigozhin et Utkhin se trouvait Valery Chekalov, un associé de longue date de Prigozhin, co-gestionnaire de l'aspect commercial du vaste empire de Wagner. C'est Chekalov qui a aidé à gérer le réseau de sociétés, certaines réelles, d'autres fictives, impliquées dans les entreprises économiques étrangères de Wagner, y compris dans les lucratives entreprises pétrolières, gazières et minières que Wagner exploitait en Syrie et en Afrique. Chekalov aurait joué un rôle essentiel dans la négociation de tout nouvel accord avec la République centrafricaine, le Front de libération du Soudan, le Mali et le Niger. Ensemble, Prigozhin, Utkhin et Chekalov constituaient le cerveau de l’ultime tentative désespérée de Wagner pour sauver l'indépendance de ses opérations en Afrique.
Les quatre autres membres du personnel de Wagner à bord de l'avion - Evgeny Makaryan, Alexander Totmin, Sergei Propustin et Nikolai Matuseiev - étaient tous des vétérans de l'organisation avec une grande expérience du combat en Syrie et en Afrique. Cependant, aucun d'entre eux n'était suffisamment gradé pour mériter un siège à bord de l'avion de Prigozhin - des combattants de Wagner bien plus gradés se trouvaient apparemment à bord d'un second Embraer 600 qui accompagnait l'avion de Prigozhin au moment où celui-ci s'est écrasé. Selon toute vraisemblance, ces hommes faisaient partie de l'équipe de protection rapprochée de Prigozhin, Utkhin et Chekalov.
C'est ce dernier détail - l'existence d'une équipe de protection rapprochée composée de vétérans de Wagner chevronnés et rompus au combat - qui contredit les théories selon lesquelles une bombe aurait été placée à bord de l'avion de Prigozhin. Étant donné que Prigozhin aurait retardé jusqu'au dernier moment la mise au point d'un plan de vol spécifique pour chaque avion - par excès de précaution - il aurait été pratiquement impossible pour un assassin en puissance de savoir suffisamment longtemps à l'avance à bord de quel avion l’engin aurait dû être placé. En outre, les services de sécurité de Prigozhin auraient non seulement protégé physiquement l'avion contre tout accès non autorisé, mais auraient également procédé à une fouille de sécurité de l'avion avant que Prigozhin ne monte à bord.
Cela n'exclut pas la possibilité d'un acte criminel - des erreurs sont commises, et lorsque l'on a dressé la liste des ennemis de Prigozhin, Utkhin et Chekalov, toute erreur devient une occasion potentielle à exploiter par ceux dont l'intention est de nuire à la personne ou aux personnes ciblées.
Pour ceux qui pensent que Prigozhin a été pris pour cible par le gouvernement russe, il convient de s'interroger sur le moment propice à une telle action. Le gouvernement russe étant considéré comme le seul détenteur du monopole de la violence, Prigozhin aurait pu être tué n'importe quand et n'importe où. En tant que tel, pourquoi une entité affiliée au gouvernement russe aurait-elle décidé de tuer Prigozhin alors que la Russie venait de remporter une victoire diplomatique majeure lors du sommet des BRICS en Afrique du Sud, où le forum économique qui contribue à la réalisation du principal objectif de politique étrangère de la Russie, à savoir la promotion d'un monde multipolaire défiant l'hégémonie mondiale des États-Unis, venait d'accepter d'accueillir six nouveaux membres ? La mort de Prigozhin a aspiré l'oxygène du cycle de l'information, éliminant tous les autres sujets. Un tel résultat aurait pu être facilement anticipé, et donc évité, tout simplement en exécutant cette opération à un moment qui ne perturberait pas les intérêts nationaux russes de cette manière.
Ce qui n'a manifestement pas été le cas.
Certains ont émis l'hypothèse que l'avion de Prigozhin avait été abattu par un service de renseignement étranger. Si l'on fait abstraction de la question des compétences (la CIA s'est montrée particulièrement incapable de mener à bien des opérations de renseignement sur les personnes en Russie au cours de la dernière décennie), le fait est qu'un assassinat aussi médiatisé sur le sol russe constitue clairement un acte de guerre, et serait plus que probablement perçu comme tel par le gouvernement russe. Quelle que soit la haine que Prigozhin suscitait au sein de la CIA, du MI-6 ou des services de renseignement français, l'analyse des risques et des retombées qui accompagnerait toute décision relative à une entreprise d'une telle envergure irait à une écrasante majorité vers la catégorie “ à ne pas tenter”.
La Russie non officielle reste donc le dernier suspect - oligarques concurrents, crime organisé et autres organisations et individus de l'ombre avec lesquels Prigozhin aurait été en contact au fil des ans. Prigozhin cherchait activement des investisseurs pour ses nombreuses entreprises, et une partie de l'argent qu'il a attiré a pu provenir d'entités qui auraient pu être fortement contrariées à l'idée de perdre leur argent, ce qui, compte tenu du démantèlement par le gouvernement russe de l'empire économique Wagner en cours à l'époque de la mort de Prigozhin, était une probabilité évidente. De même, l'ambition personnelle de Prigozhin a pu le mettre en conflit avec les structures de pouvoir au sein de Wagner, qui ont pu ne pas apprécier l'insurrection de Prigozhin, et ses conséquences sur la réputation du groupe.
Tous les scénarios ci-dessus recèlent une bonne dose de complot, dont certains sont moins crédibles que d'autres. Selon Occam's Razor, la solution qui implique le plus petit ensemble possible d'éléments est plus vraisemblablement la plus probable des solutions. Faire poser une bombe dans un avion hautement sécurisé, à la dernière seconde, exige de rassembler un grand nombre de conditions. Toutefois, dans le cas de l'équipe de sécurité de Prigozhin, la “bombe” aurait pu être placée dans l'avion sans qu'il y ait eu complot - il suffit de penser aux armes, munitions et engins pyrotechniques/explosifs qu'une telle équipe transporte avec elle. La possibilité qu'une erreur soit commise lors du chargement de ces armes, créant ainsi la possibilité d'une explosion accidentelle alors que l'avion était en vol, ne peut être écartée.
En tout état de cause, les autorités compétentes du gouvernement russe enquêtent sur les causes de l'accident qui a provoqué le crash de l'avion de Prigozhin, tuant ce dernier, six hauts responsables de Wagner et les trois membres de l'équipage. Une fois les conclusions de cette enquête rendues publiques, une discussion plus factuelle pourra s'ensuivre.
En ce qui concerne l'avenir de Wagner, il semble que le Conseil des commandants, qui supervise les aspects militaires du travail de l'organisation, ait mis en œuvre un plan de succession qui a confié le commandement à Anton Yelizarov (nom de code “Lotus”), un ancien parachutiste et officier des forces spéciales qui a été fait “Héros de la Russie” par Poutine pour ses services rendus avec Wagner en Syrie, et qui possède une vaste expérience du combat avec Wagner en Afrique et contre l'Ukraine. Yelizarov dirigera une organisation dont les rangs sont remplis de combattants légendaires possédant des pseudonymes pittoresques, tels que “Ratibor”, “Zombie” et “Mexhan”, des hommes décorés pour leur courage au champ d’honneur et prouvé leur loyauté envers la Russie à maintes reprises.
Le document fondateur de Wagner, daté du 1er mai 2014 et signé par Prigozhin et plusieurs des principaux commandants militaires de Wagner, stipule que l'organisation doit rester loyale envers le président russe Vladimir Poutine, et ne jamais nuire aux intérêts de la Russie. Bien qu'un tel serment, lorsqu'il est confronté à l'insurrection des 23 et 24 juin 2023, se vide de sens, les membres purs et durs de Wagner répondraient, comme l'a fait Prigozhin, que Wagner est resté fidèle à sa mission en s'opposant à ce qu'ils considèrent comme la corruption et l'incompétence au sein du ministère russe de la Défense. Une telle conclusion doit toutefois être pondérée par le fait que Wagner était une entreprise qui, une fois le Donbas incorporé à la Russie, avait perdu tout fondement juridique. Les actions de Prigozhin pour rallier Wagner à Moscou étaient intéressées, et ont largement contribué à salir la solide réputation des commandants qui ont tant sacrifié pour construire la réputation exceptionnelle que Wagner s'était forgée en tant qu'organisation de combat.
Wagner ne sera plus jamais ce qu'elle était - une organisation militaire privée capable d'agir indépendamment du gouvernement russe en ce qui concerne les transactions commerciales et les opérations militaires. À l'avenir, Wagner, sous sa nouvelle direction, verra ses activités commerciales limitées et ses missions militaires placées sous le contrôle du ministère russe de la Défense. La clé du succès ou de l'échec futur de Wagner dépendra de la mesure dans laquelle Wagner et le gouvernement russe parviendront à conserver le caractère unique des forces de combat, tant en termes de mentalité que de compétences. Il n'y a aucune garantie de succès, et beaucoup se demandent si Wagner peut continuer à fonctionner sans le charisme et les talents de Prigozhin, Utkhin et Chekalov.
Je pense que Wagner sera un acteur majeur de l'engagement croissant de la Russie en Afrique et que, sous la direction de “Lotus”, “Ratibor”, “Zombie”, “Mexhan” et d'autres, les combattants de Wagner continueront à perpétuer la tradition d'excellence militaire au service de la Russie définie lorsque Prigozhin était à la barre. “Nous irons tous en enfer”, aimait à dire Prigozhin. “Mais de l’enfer, nous serons les meilleurs.”
Wagner était, est et sera “le meilleur de l'enfer”, éloge que Prigozhin aurait souhaité, et mérité.
Un écusson que Wagner m'a donné. "Лучшее в Aду"-"Le meilleur en enfer", en haut.
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