👁‍🗨 Le meurtre de "Whitey" Bulger

Le traitement réservé à l'ancien chef de la mafia, âgé de 89 ans au moment de sa mort, par le Bureau Fédéral des Prisons a relevé a minima de l'incompétence, voire de pratiques criminelles.

Photo anthropométrique de James J. Bulger, 1959. (Bureau fédéral des prisons, Wikimedia Commons, domaine public)

👁‍🗨 Le meurtre de "Whitey" Bulger

Par John Kiriakou, pour Spécial pour Consortium News, le 11 juillet 2023

J'ai beaucoup écrit sur le désordre et l'incompétence du Bureau fédéral des prisons (BOP), le bureau le plus important et le mieux financé du ministère américain de la Justice. Au cours de l'année écoulée, des fonctionnaires du BOP ont été poursuivis pour le viol généralisé de prisonniers, l'introduction clandestine de drogues, d'armes et autres produits de contrebande dans les prisons, le vol de biens fédéraux et pour toute une série d'autres délits. Ces faits sont si fréquents qu'ils ne font généralement même pas la une des journaux.

Par ailleurs, un rapport publié par le BOP au cours de la semaine entre Noël et le Nouvel An de l'année dernière concernant le meurtre, sous la garde du BOP, du parrain de la mafia de Boston, James "Whitey" Bulger, n'a pas non plus fait la une des journaux.

L'inspecteur général du BOP a déclaré dans son rapport que le bureau faisait preuve "d'incompétence bureaucratique", ainsi que de politiques et de procédures "défectueuses, confuses et lacunaires". Le rapport pose une question rhétorique : Comment un criminel notoire, mais âgé, a-t-il pu être transféré par le BOP dans une nouvelle prison où il a été assassiné moins de 12 heures après son arrivée ?

Bulger n'est pas un personnage sympathique. L'ancien chef de la mafia irlandaise et leader du "Winter Hill Gang" de Boston était connu pour avoir passé plus de 16 ans en cavale, figurant sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI. Après sa capture en 2011 à Santa Monica, en Californie, Bulger a été condamné à deux peines de prison à perpétuité pour des crimes comprenant 11 meurtres, notamment de femmes. Mais cela n'enlève rien au fait que le traitement de Bulger, qui avait 89 ans au moment de sa mort, par le BOP a été au moins incompétent, voire criminel.

L'immeuble "Princess Eugenia" à Santa Monica, en Californie, où "Whitey" Bulger a vécu en clandestin jusqu'en juin 2011. (ArnoldReinhold, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

En 2018, Bulger avait déjà atteint l'âge de la retraite et était incarcéré dans la prison de haute sécurité USP Coleman, en Floride. Son état de santé s'est gravement détérioré après plusieurs attaques cardiaques. Après de multiples séjours à l'hôpital, il s'est retrouvé en fauteuil roulant, nécessitant des soins infirmiers fréquents et une médication quotidienne. Le BOP l'a classé au niveau de soins 3 sur une échelle de 4 niveaux, ce qui indique qu'il avait de graves problèmes médicaux et exigeait une attention particulière de la part du personnel infirmier.

Lors d'une altercation avec une infirmière à Coleman, Bulger a tenu des propos menaçants à son égard et le personnel l'a placé à l'isolement. Huit mois se sont écoulés. La santé mentale de Bulger a souffert de l'isolement et le rapport note qu'il a apparemment "perdu le goût de vivre". Le personnel a recommandé son transfert, mais en même temps, il a été, d'une manière ou d'une autre, indûment rétrogradé au niveau de soins 2, ce qui indique qu'il n'avait plus besoin d'une surveillance médicale étroite.

Transfert à l'USP Hazelton

Cette déclassification l'a rendu éligible à un transfert vers l'USP Hazelton, plus violente et plus dangereuse, en Virginie-Occidentale. En proie à des pénuries de personnel, cette prison hébergeait déjà plusieurs membres importants du crime organisé. Autre erreur flagrante, le BOP a omis de noter que Bulger était membre d'une famille du crime organisé et qu'il avait témoigné au tribunal contre d'anciens associés, ce qui faisait de lui une cible pour toute personne liée à ces organisations.

Plusieurs membres du personnel du BOP ont, en toute mauvaise foi, déclaré à l'inspecteur général qu'ils ne savaient pas que Bulger était exposé à un risque accru à Hazelton. En effet, plusieurs membres du personnel ont déclaré qu'ils n'avaient aucune idée de qui était Bulger, bien qu'il ait fait la une des journaux dans tout le pays pendant des années, et que sa personnalité ait inspiré le personnage de Jack Nicholson dans le film de Martin Scorsese, The Departed [Les Infiltrés, 2006], récompensé par un Oscar.

Bulger est arrivé à l'USP Hazelton dans la soirée du 29 octobre 2018, et était mort à 9 h 04 le lendemain matin. Selon le rapport du BOP, deux détenus sont entrés dans la cellule de Bulger à 6 h 19, après que le compagnon de cellule de Bulger soit parti prendre son petit-déjeuner. À 6 h 26, les deux prisonniers ont également quitté la cellule. Une heure plus tard, le codétenu est revenu brièvement pour récupérer des objets avant de repartir. Le personnel a alors découvert Bulger, battu à mort.

USP Hazelton en Virginie occidentale. (Département de la justice des États-Unis, domaine public, Wikimedia Commons)

Trois prisonniers ont été inculpés pour ce meurtre. Fotios "Freddy" Geas, 56 ans, et Paul J. DeCologero, 49 ans, sont les auteurs présumés du passage à tabac. Le compagnon de cellule de Geas, Sean McKinnon, 37 ans, est accusé d'avoir fait le guet pour les deux hommes, qui étaient également membres du crime organisé de Boston, comme Bulger. Geas a par la suite avoué aux autorités qu'il avait effectivement tué Bulger parce qu'il "détestait les rats". Geas, qui purge déjà une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, risque une nouvelle peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Il a été officiellement inculpé du meurtre de Bulger l'été dernier.

Le rapport du BOP note sobrement que la mort de Bulger a été causée par "de graves défaillances dans la gestion et les performances professionnelles à plusieurs niveaux du BOP". Mais aucun membre du personnel n'a été impliqué dans un quelconque comportement criminel.

Bulger avait été placé dans l'unité F-1 à Hazelton à la demande expresse du directeur de l'unité. Au cours de l'enquête de l'OIG [Office of Inspector General], ce gestionnaire a affirmé qu'il avait déposé cette requête parce que le personnel de l'unité "était le plus apte à s'occuper de Bulger". Aussi incroyable que cela puisse paraître, il a également déclaré qu'il ne savait pas que Bulger avait des "rivaux" dans l'unité, même si celle-ci hébergeait "au moins un" autre prisonnier ayant des liens avec le crime organisé du Massachusetts. Le directeur de l'unité s'est défaussé en disant qu'il n'était pas un "spécialiste des gangs".

Photo de surveillance du FBI de l'ancienne hiérarchie du gang de Winter Hill dans les années 1980. Le chef de la mafia James "Whitey" Bulger (à droite) et le lieutenant Stephen Flemmi. (U.S. Federal Bureau of Investigation, Public domain, Wikimedia Commons)

Le rapport reconnaît que la mort de Bulger est "suspecte" et qu'elle "soulève des inquiétudes" quant à la manière dont le BOP a géré son transfert depuis l'USP Coleman. Dans un premier temps, le transfert à l'USP Hazelton "semblait inhabituel", parce que Bulger était âgé, infirme, et un informateur notoire du FBI. De plus, Hazelton a un lourd "passé de violence". Cependant, aucun membre du personnel n'a admis être inquiet. Le coordinateur du gestionnaire de cas de Hazelton, un poste de haut niveau dans tous les établissements fédéraux, aurait déclaré : "Mais… comment aurions-nous pu... le savoir ? ".

L'inspecteur général s'est également intéressé au nombre de personnes informées du transfert de Bulger, dont "plus d'une centaine d'employés du BOP". Des organes de presse ont également rapporté les transferts de Bulger. L'OIG a déclaré qu'il était donc impossible de déterminer comment d'autres prisonniers avaient eu connaissance du transfert de Bulger.

L'enquête a examiné de nombreux appels téléphoniques et courriels de prisonniers d'Hazelton. La plupart d'entre eux indiquaient que l'ensemble de la population carcérale avait été prévenue de l'arrivée de Bulger et était convaincue que le quartier serait confiné peu de temps après. Certains prisonniers prenaient des paris sur la durée de vie de Bulger dans le centre de détention. Le personnel, lui aussi, "parlait ouvertement" des chances de Bulger de "rester en vie à Hazelton".

Le rapport contient 11 recommandations visant à remédier aux déficiences opérationnelles identifiées que le BOP a promis de mettre en œuvre.

L'une d'entre elles consiste à améliorer la politique relative au "niveau de soins médicaux". Le non-respect par Bulger de ses conditions d'intervention médicale a incité le BOP à envisager une diminution du niveau de soins - en d'autres termes, il était en mesure de réduire son propre niveau d'évaluation en refusant certains traitements.

Un porte-parole du BOP a déclaré que l'agence "apprécie le travail remarquable de l'OIG et travaillera en étroite collaboration avec le bureau sur les actions futures et les efforts de mise en œuvre". Attendons de voir ce qu'il en ressortira.

* John Kiriakou est un ancien agent de la CIA chargé de la lutte contre le terrorisme et un ancien enquêteur principal de la commission sénatoriale des affaires étrangères. John est devenu le sixième dénonciateur inculpé par l'administration Obama en vertu de la loi sur l'espionnage (Espionage Act), une loi conçue pour punir les espions. Il a purgé une peine de 23 mois de prison pour avoir tenté de s'opposer au programme de torture de l'administration Bush.

Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.

https://consortiumnews.com/2023/07/11/john-kiriakou-the-murder-of-whitey-bulger/