👁🗨 Le monde a si radicalement changé depuis l'inculpation d'Assange
La clémence pour Assange rendrait aux États-Unis un peu du respect perdu au point de ne plus pouvoir subir d'autre revers. Ils n'ont pas besoin de lui. Ils ont bien assez de sang sur les mains.
👁🗨 Le monde a si radicalement changé depuis l'inculpation d'Assange
Par Joe Lauria, Spécial Consortium News, le 29 janvier 2024
L'affaire Assange est la pièce maîtresse d'un nouveau défi mondial à la domination américaine, qui n'existait pas en 2010 lorsque les États-Unis ont entamé leurs poursuites judiciaires contre l'éditeur.
Le monde a radicalement changé depuis que les États-Unis ont engagé des poursuites judiciaires contre l'éditeur de WikiLeaks, Julian Assange, entraînant de nouveaux risques pour les États-Unis s'ils s'obstinent à le poursuivre jusqu'au bout.
La situation géostratégique et la situation des médias sont aujourd'hui littéralement méconnaissables comparées à 2010, lorsque les États-Unis ont constitué un grand jury pour inculper Julian Assange. Les conditions ont sensiblement évolué depuis 2019, lorsque M. Assange a été traîné hors de l'ambassade et que l'acte d'accusation a été rendu public.
Les États-Unis sont en train de subir leur troisième défaite stratégique majeure depuis le début de la procédure contre Assange, avec des conséquences potentiellement importantes pour les États-Unis, le monde et peut-être pour Assange.
Au cours des trois dernières années, les États-Unis ont subi des défaites humiliantes en Afghanistan, en Ukraine et maintenant à Gaza.
L'Afghanistan a heurté les sensibilités des Américains quant à leur sacro-saint “prestige”, auquel les élites américaines tiennent tant. Le reste du monde en tient compte dans ses calculs géostratégiques.
Le déclenchement par les États-Unis de la guerre en Ukraine, destiné à affaiblir la Russie et à faire tomber son gouvernement, s'est au contraire transformé en une débâcle historique pour les États-Unis et l'Europe.
Un nouveau modèle commercial, financier et diplomatique a émergé en opposition à l'Occident dominé par les États-Unis. Ce phénomène, qui progressait lentement, s'est accéléré suite aux provocations de Washington en Ukraine. C'est pour les États-Unis un problème bien plus grave que le simple déclin de leur “prestige”.
Ajoutez à cela la désapprobation et la condamnation internationales auxquelles les États-Unis sont confrontés pour leur complicité flagrante dans le génocide israélien en cours à Gaza, au cours d'une guerre que les États-Unis et Israël ne sont pas en train de gagner. Il en résulte que la légitimité des États-Unis s'est considérablement affaiblie dans le monde. Et dans notre pays.
Est-ce bien le moment de faire venir aux États-Unis un journaliste enchaîné et jugé pour avoir publié des informations véridiques dénonçant des crimes commis antérieurement par les États-Unis ?
Les risques d'une telle décision à l'heure actuelle - très différente de celle de 2010 - sont graves pour les États-Unis, tant sur le plan intérieur qu'à l'étranger. Au niveau national, la Déclaration des droits est en danger. Sur le plan international, le “bourreau” est en train de perdre en crédibilité.
En témoigne la franchise de certains dirigeants mondiaux, en particulier en Amérique latine, qui, dans l'esprit de ce nouveau monde non américain, ont affronté les États-Unis concernant le traitement réservé à M. Assange et ont exigé sa libération.
Les médias établis, qui par définition servent de couverture aux États-Unis pour commettre des crimes et des abus partout où leurs intérêts sont contestés, souffrent d'une perte brutale de légitimité. La croissance spectaculaire de l'influence des réseaux sociaux et des médias indépendants depuis 2010 a contribué à créer un élan mondial en faveur d'Assange et du principe fondamental de la liberté de la presse.
La question est de savoir dans quelle mesure l'administration Biden est consciente de cette nouvelle donne et comment elle va réagir.
À un certain stade, l'orgueil et l'intransigeance des États-Unis semblent s'orienter vers un échec. Mais d'ici là, il ne fait aucun doute que Washington multipliera les actes de déni et de vengeance. Il n'abandonne ni en Ukraine ni à Gaza - la mainmise des néoconservateurs sur le pouvoir à Washington face aux réalistes demeure. Les extrémistes continueront-ils de vouloir la peau d'Assange ?
En décembre 2010, le vice-président Joe Biden a déclaré à l'émission Meet the Press que l'administration Obama ne pourrait inculper M. Assange que si elle le prenait en flagrant délit de vol de secrets gouvernementaux et non de réception passive en tant que journaliste. L'administration Obama a conclu qu'il agissait en tant que journaliste, même si elle refusait de l'appeler ainsi, et ne l'a pas inculpé.
En quoi la situation de Joe Biden a-t-elle changé ? Pourquoi persiste-t-il dans cette poursuite initiée par son ennemi Donald Trump et le directeur de la C.I.A. de Trump, Mike Pompeo ?
Jusqu'à aujourd'hui, l'acte d'accusation ne porte toujours que sur des événements survenus en 2010. Rien n'a changé sur le plan juridique. Mais tout a changé politiquement pour le président Biden, chef du parti démocrate, avec les fuites du DNC en 2016, et les divulgations de Vault 7 de la C.I.A. l'année suivante.
Biden aurait à subir l'enfer de la direction du Parti démocrate et de la C.I.A. s'il abandonnait l'affaire.
Toutefois, il n'est probablement pas stupide au point de vouloir qu'un journaliste menotté débarque sur les côtes américaines pour y être jugé au beau milieu de sa campagne de réélection. La High Court de Londres a toujours su faire traîner les choses et pourrait facilement prolonger la procédure jusqu'à la fin du mois de novembre.
L'affaire Assange est une pièce maîtresse de ce défi mondial à la domination américaine (inexistant en 2010).
Dans la mesure où les dirigeants américains sont conscients de ce qui affecte la place des États-Unis dans le monde, ils ont tendance à réagir avec l'unique argument disponible, à savoir la force meurtrière. Dans le cas d'Assange, il s'agit d'une force légale, avec des conséquences mortelles.
La clémence à l'égard d'Assange permettrait aux États-Unis de regagner le respect que le pays a perdu, au point de ne plus pouvoir subir d'autre revers et de s'être enfin éveillés au nouveau monde dans lequel ils évoluent. L'écraser serait un pas de plus vers leur chute.
Les Etats-Unis n'ont pas vraiment besoin de lui. Ils ont suffisamment de sang sur les mains.
Voici le texte d'une intervention prononcée lundi par Joe Lauria lors d'une conférence à Sydney, en Australie.

* Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant aux Nations unies pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et d'autres journaux, notamment The Montreal Gazette, le London Daily Mail et The Star of Johannesburg. Il a été journaliste d'investigation pour le Sunday Times of London, journaliste financier pour Bloomberg News et a commencé sa carrière professionnelle à 19 ans comme pigiste pour le New York Times. Il est l'auteur de deux livres, A Political Odyssey, avec le sénateur Mike Gravel, préfacé par Daniel Ellsberg, et How I Lost By Hillary Clinton, préfacé par Julian Assange. Il peut être contacté à l'adresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe
https://consortiumnews.com/2024/01/29/a-radically-different-world-since-assanges-indictment/