👁🗨 Le monde du Sud traîne Israël devant les tribunaux
Washington soutient Israël, et pas qu’en paroles, mais en armes & appui logistique au génocide. L'Afrique du Sud se prépare à déposer une plainte à la CIJ contre les États-Unis et le Royaume-Uni.
👁🗨 Le monde du Sud traîne Israël devant les tribunaux
Par Vijay Prashad, le 19 janvier 2024
La guerre d'Ukraine et le génocide israélien en Palestine ont tous deux accéléré le déclin de l'autorité des pays de l'OTAN.
Le 11 janvier, Adila Hassim, avocate à la Haute Cour d'Afrique du Sud, a déclaré devant les juges de la Cour internationale de justice (CIJ) :
“Les génocides ne sont jamais annoncés d'avance. Mais cette Cour dispose, depuis 13 semaines, d'éléments de preuve qui démontrent de manière incontestable un type d’agissements et une intention connexe qui justifient une allégation sérieuse d'actes génocidaires”.
Cette déclaration a servi de point d'ancrage à la présentation par M. Hassim de la plainte de 84 pages déposée par l'Afrique du Sud contre le génocide des Palestiniens de Gaza par Israël. Israël et l'Afrique du Sud sont tous deux parties à la Convention sur le génocide de 1948.
La plainte déposée par le gouvernement sud-africain documente de nombreuses atrocités perpétrées par Israël ainsi que, de manière cruciale, les déclarations d'intention de génocide faites par de hauts responsables israéliens.
Neuf pages de ce texte (pp. 59 à 67) énumèrent des “expressions d'intention génocidaire” faites principalement par des représentants de l'État israélien, telles que des appels à une “seconde Nakba” et à une “Nakba de Gaza”. (Nakba, qui signifie catastrophe en arabe, fait référence à l'expulsion des Palestiniens de leurs lieux de vie en 1948, qui a mené à la création de l'État d'Israël).
Ces déclarations d'intention effrayantes sont apparues à maintes reprises dans les discours et déclarations du gouvernement israélien depuis le 7 octobre, aux côtés de qualifications racistes tels que “monstres”, “animaux” et “jungle” pour désigner les Palestiniens.
Le 9 octobre, le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a notamment déclaré que ses effectifs militaires
“imposent un blocus complet à Gaza. Ni d'électricité, ni nourriture, ni eau, ni carburant. Tout est verrouillé. Nous combattons des bêtes sauvages et nous agirons en conséquence”.
Tembeka Ngcukaitobi, un autre défenseur sud-africain, a qualifié ces propos de “langage de déshumanisation systématique”.
Ce langage, ainsi que la nature de l'assaut israélien - qui a jusqu'à présent coûté la vie à plus de 24 000 Palestiniens, déplacé la quasi-totalité de la population de Gaza et plongé 90 % de la population dans une crise alimentaire aiguë - devraient constituer une base suffisante pour l'accusation de génocide.
Le prénom d'Adila Hassim, qui signifie “droiture” ou “justice” en arabe, et celui de Tembeka Ngcukaitobi, “digne de confiance” en xhosa [langue bantoue parlée en Afrique du Sud], sont tout à fait appropriés.
Lors de l'audience de la CIJ, Israël n'a pas été en mesure de répondre de manière crédible à la plainte de l'Afrique du Sud. Tal Becker, conseiller juridique auprès du ministère israélien des Affaires étrangères, a consacré son argumentaire à incriminer le Hamas, qui n'est pas partie au litige. C'est le Hamas, a déclaré M. Becker, qui a créé “un environnement cauchemardesque” à Gaza, et non Israël.
Après la présentation des arguments d'Israël, les 15 juges de la CIJ ont entamé leurs délibérations. Les présentations des 11 et 12 janvier n'étaient qu'une simple audition visant à déterminer si les preuves présentées sont suffisantes pour enclencher un procès, qui, s'il a lieu, durera probablement des années.
Toutefois, l'Afrique du Sud a demandé à la Cour d'appliquer des “mesures provisoires”, à savoir une ordonnance d'urgence des juges de la CIJ demandant à Israël de mettre fin à son attaque génocidaire contre les Palestiniens. Cette mesure porterait un coup considérable à la légitimité déjà affaiblie d'Israël ainsi qu'à celle de son principal bailleur de fonds, les États-Unis d'Amérique.
Il existe de nombreux précédents à cette mesure. En 2019, la Gambie a réussi à obtenir de la Cour qu'elle ordonne des mesures provisoires à l'encontre du gouvernement du Myanmar pour ses attaques contre les Rohingyas. Le monde entier attend le verdict du tribunal.
L'Afrique du Sud s’apprête aussi à déposer une plainte contre les États-Unis et le Royaume-Uni
La veille du début des audiences, les États-Unis ont publié une déclaration affirmant que “les allégations selon lesquelles Israël commet un génocide sont infondées”.
Une fois de plus, le gouvernement américain a pleinement soutenu Israël, intervenant en sa faveur non seulement en paroles, mais aussi en fournissant des armes et un appui logistique au génocide. C'est pourquoi l'Afrique du Sud se prépare actuellement à déposer une plainte à la CIJ contre les États-Unis et le Royaume-Uni.
Pendant que la CIJ tenait audience, le porte-parole du Conseil national de sécurité des États-Unis, John Kirby, a déclaré à la presse que les États-Unis “continueront à fournir [à Israël] les moyens et les équipements dont il a besoin”, joignant le geste à la parole les 9 et 29 décembre derniers, en livrant des tonnes d'armes supplémentaires à Israël.
Interrogé sur les préoccupations du Congrès concernant les pertes en vies humaines, M. Kirby a déclaré que “rien n'indique qu'Israël viole les lois des conflits armés”.
M. Kirby, ancien amiral, a reconnu qu'“il y a trop de victimes civiles”. Cependant, plutôt qu’appeler à la fin de l’offensive contre les civils, il a déclaré qu'Israël devait “prendre des mesures pour en réduire le nombre”. En d'autres termes, les États-Unis ont donné à Israël le feu vert et carte blanche pour faire tout ce qu'il souhaite aux Palestiniens.
Lorsque le peuple du Yémen, dirigé par Ansar Allah, a décidé de bloquer la navigation des navires à destination d'Israël à travers la mer Rouge, les États-Unis ont formé une “coalition” pour attaquer le Yémen. Le jour de la présentation de l'Afrique du Sud devant la CIJ, les États-Unis ont bombardé le Yémen.
Le message était clair : non seulement les États-Unis apporteront un soutien inconditionnel au génocide, mais ils attaqueront également les pays qui tenteront d'y mettre un terme.
Des protestations dans le monde entier
Les atrocités perpétrées par Israël, ainsi que la résilience du peuple palestinien, ont incité des millions de personnes aux quatre coins du monde à descendre dans la rue, souvent pour la première fois de leur vie.
Les réseaux sociaux, dans presque toutes les langues du monde, sont saturés de contenus dénonçant les agissements effroyables d'Israël. La mobilisation ne semble pas faiblir, puisque 400 000 personnes ont défilé dans la capitale américaine le week-end dernier, dans des proportions sans précédent dans l'histoire du pays.
La ferveur et le nombre croissants de ces manifestations font craindre au parti démocrate que le président américain Joe Biden non seulement perde le vote arabo-américain dans des États clés tels que le Michigan, mais aussi que les militants de la gauche libérale cessent de soutenir sa campagne en vue de sa réélection.
Le bouleversement géopolitique
Au cours des deux dernières années, depuis le début de la guerre en Ukraine jusqu'à ce jour, on assiste à un déclin rapide de la crédibilité de l'Occident. Cette baisse de légitimité n'a pas commencé avec la guerre d'Ukraine ou le génocide en Palestine, bien que ces deux événements aient certainement accéléré le déclin de l'autorité des pays de l'OTAN.
Le porte-parole d'Ansar Allah [ou Houthis, Yemen], Mohammed al-Bukhaiti, a posté une vidéo d'une marche pro-palestinienne à New York sans doute révélatrice de l'état d'esprit qui règne dans la plupart des pays du monde, et a déclaré :
“Nous ne sommes pas hostiles au peuple américain, mais plutôt à la politique étrangère américaine qui a causé la mort de dizaines de millions de personnes, menace la sécurité et la sûreté du monde et met la vie des Américains en danger. Luttons ensemble pour établir la justice entre les peuples”.
Depuis le début de la troisième grande dépression en 2007, le Nord a lentement perdu de son influence sur l'économie mondiale, la technologie, la science et les matières premières. Les milliardaires du Nord ont intensifié leur “grève de l'impôt”, détournant une grande partie du patrimoine public vers des paradis fiscaux et des investissements financiers stériles.
Le Nord ne dispose donc plus guère de moyens pour maintenir son pouvoir économique, y compris la capacité à investir dans le Sud, comme par le passé.
Dans le courant du mois, Tricontinental : Institute for Social Research publiera un nouveau dossier intitulé “Le chamboulement de l'ordre mondial” ainsi qu'une étude intitulée “L'hyper-impérialisme : Un nouveau cycle décadent et dangereux”, qui détaillent les maux actuels et le nouveau climat créé par la montée en puissance du Sud.
La plainte déposée par l'Afrique du Sud auprès de la CIJ et soutenue par plusieurs États du Sud global est révélatrice de cet état d'esprit.
Pour la plupart des gens dans le monde, il est clair que le Nord global a échoué à faire face aux crises planétaires, qu'il s'agisse de la crise climatique ou des conséquences de la troisième grande dépression.
Il a tenté de substituer à la réalité des euphémismes tels que “promouvoir la démocratie”, “développer durablement”, “marquer une pause humanitaire” et, de la part du ministre britannique des affaires étrangères David Cameron et de la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock, la formulation saugrenue d'un “cessez-le-feu durable”.
Les vaines paroles ne remplacent pas les vraies actions. Parler d'un “cessez-le-feu durable” tout en armant Israël ou de “promouvoir la démocratie” tout en soutenant des gouvernements anti-démocratiques caractérise aujourd'hui l'hypocrisie de la classe politique du Nord.
Génocides allemands
Le 12 janvier, le gouvernement allemand a diffusé une déclaration selon laquelle il
“rejette fermement et expressément l'accusation de génocide qui vient d'être portée contre Israël”.
Conformément au nouvel état d'esprit qui prévaut dans les pays du Sud, le gouvernement namibien a rappelé aux Allemands qu'ils avaient
“commis le premier génocide du XXe siècle en 1904-1908, au cours duquel des dizaines de milliers de Namibiens innocents ont trouvé la mort dans les conditions des plus inhumaines et barbares”.
Ces faits sont plus connus sous le nom de génocide des Hereros et des Namaquas.
L'Allemagne, a déclaré le gouvernement namibien, “n'a pas encore totalement expié le génocide qu'elle a commis sur le sol namibien”. Par conséquent, la Namibie “exprime sa profonde inquiétude face à la décision choquante” du gouvernement allemand de rejeter l'inculpation d'Israël.
Israël, quant à lui, affirme qu'il poursuivra ce génocide “aussi longtemps qu'il le faudra”, bien que les raisons déjà douteuses qu'il invoque continuent de perdre toujours davantage en crédibilité.
Derrière ce déchaînement de violence se profile la légitimité en déclin du projet de l'OTAN, dont les bonnes intentions sont autant de coups de griffes sur fond de tableau ensanglanté.
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef de Globetrotter, éditeur de LeftWord Books et directeur de Tricontinental : Institute for Social Research. Il a écrit plus de 20 livres, dont “The Darker Nations” et “The Poorer Nations”, et, avec Noam Chomsky, “The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of U.S. Power”.
https://consortiumnews.com/2024/01/19/global-south-takes-israel-to-court/