đâđš Le mythe selon lequel Poutine voulait conquĂ©rir l'Ukraine et crĂ©er une grande Russie
Ce sont le Royaume-Uni & l'Occident qui ont fait Ă©chouer les pourparlers de paix, & aujourd'hui, on ne peut qu'ĂȘtre sidĂ©rĂ© par la bĂȘtise & la malhonnĂȘtetĂ© des Ă©lites et des grands mĂ©dias occidentaux.
đâđš Le mythe selon lequel Poutine voulait conquĂ©rir l'Ukraine et crĂ©er une grande Russie
Par John J Measheimer*, le 27 novembre 2023
Des preuves de plus en plus irréfutables montrent que la Russie et l'Ukraine ont participé à des négociations sérieuses pour mettre fin à la guerre en Ukraine dÚs son déclenchement le 24 février 2022 (voir ci-dessous). Ces pourparlers ont été facilités par le président turc Recep Erdogan et l'ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett, et ont donné lieu à des discussions détaillées et franches sur les conditions d'un éventuel rÚglement.
De l'avis gĂ©nĂ©ral, ces nĂ©gociations, qui ont eu lieu en mars-avril 2022, progressaient rĂ©ellement lorsque la Grande-Bretagne et les Ătats-Unis ont demandĂ© au prĂ©sident ukrainien Zelensky dâabandonner, ce qu'il a fait.
La couverture de ces événements a essentiellement porté sur le caractÚre insensé et irresponsable de la décision du président Joe Biden et du premier ministre Boris Johnson de mettre fin à ces négociations, compte tenu du nombre de morts et des destructions subies par l'Ukraine depuis lors - dans une guerre que Kiev va vraisemblablement perdre.
Pourtant, un aspect particuliĂšrement significatif de cette histoire concernant les causes de la guerre en Ukraine n'a guĂšre retenu l'attention. La croyance bien ancrĂ©e en Occident prĂ©tend que le prĂ©sident Poutine a envahi l'Ukraine pour conquĂ©rir ce pays et l'intĂ©grer Ă la Grande Russie. Ensuite, il passerait Ă la conquĂȘte d'autres pays d'Europe de l'Est. Le contre-argument, qui bĂ©nĂ©ficie gĂ©nĂ©ralement d'un faible Ă©cho en Occident, est que Poutine a Ă©tĂ© principalement motivĂ© par la menace d'une adhĂ©sion de l'Ukraine Ă l'OTAN, qui formerait ainsi un rempart pour les Occidentaux Ă la frontiĂšre de la Russie. Pour lui et d'autres Ă©lites russes, l'adhĂ©sion de l'Ukraine Ă l'OTAN reprĂ©sentait une menace existentielle.
Les nĂ©gociations de mars-avril 2022 montrent clairement les failles du discours habituel sur les causes de la guerre et la justesse du contre-argument, et ce pour deux raisons principales. PremiĂšrement, les nĂ©gociations Ă©taient directement axĂ©es sur les exigences de la Russie, qui souhaitait que l'Ukraine ne fasse pas partie de l'OTAN et devienne au contraire un Ătat neutre. Toutes les personnes impliquĂ©es dans les nĂ©gociations ont compris que les relations de l'Ukraine avec l'OTAN Ă©taient au cĆur des prĂ©occupations de la Russie. DeuxiĂšmement, si Poutine Ă©tait dĂ©terminĂ© Ă conquĂ©rir toute l'Ukraine, il n'aurait pas acceptĂ© ces pourparlers, qui par essence excluaient toute possibilitĂ© pour la Russie de conquĂ©rir la totalitĂ© de l'Ukraine. On pourrait imaginer qu'il a participĂ© Ă ces nĂ©gociations et largement invoquĂ© la neutralitĂ© pour masquer des ambitions plus grandes. Aucune preuve ne vient toutefois Ă©tayer cette argumentation, sans compter que
la petite force d'invasion russe n'était pas en mesure de conquérir et d'occuper toute l'Ukraine, et
il aurait été absurde de retarder une offensive plus importante, au risque de donner à l'Ukraine le temps de renforcer ses défenses.
En résumé, Poutine a lancé une attaque limitée en Ukraine dans le but de contraindre Zelensky à abandonner la politique d'alignement de Kiev sur l'Occident pour, à terme, faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN. Si la Grande-Bretagne et l'Occident n'étaient pas intervenus pour faire échouer les négociations, il y a de bonnes raisons de penser que Poutine aurait atteint cet objectif limité et consenti à mettre fin à la guerre.
Rappelons également que la Russie n'a annexé les oblasts ukrainiens de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporizhzhia qu'en septembre 2022, bien aprÚs la fin des pourparlers. Si un accord avait été conclu, l'Ukraine aurait trÚs certainement gardé le contrÎle d'une part bien plus importante de son territoire d'origine qu'elle ne le fait aujourd'hui.
Ă l'Ă©vidence, dans le cas de l'Ukraine, on ne peut que s'Ă©tonner de la bĂȘtise et de la malhonnĂȘtetĂ© des Ă©lites et des grands mĂ©dias occidentaux.
* John J. Mearsheimer est professeur Ă©mĂ©rite de sciences politiques Ă l'universitĂ© de Chicago, oĂč il enseigne depuis 1982.