đâđš Le Niger, bien loin du coup d'Ă©tat ordinaire.
PlutĂŽt quâenvoyer la troupe en rĂ©action au coup d'Ătat, France et USA semblent favoriser la solution "Rwanda"comme rĂ©cemment au Mozambique. Mais cette fois la CEDEAO pourrait recourir Ă la force.

đâđš Le Niger, bien loin du coup d'Ă©tat ordinaire.
Par Vijay Prashad / Peoples Dispatch, le 16 août 2023
Le 26 juillet 2023, la garde prĂ©sidentielle du Niger a fait mouvement contre le prĂ©sident en exercice - Mohamed Bazoum - et a procĂ©dĂ© Ă un coup d'Ătat.
Une brÚve confrontation entre les différentes forces armées du pays s'est achevée par un accord de tous les corps d'armée menant à la destitution de Bazoum et la mise en place du régime militaire dirigé par le commandant de la garde présidentielle, le général Abdourahamane "Omar" Tchiani.
Il s'agit du quatriĂšme pays de la rĂ©gion sahĂ©lienne de l'Afrique Ă connaĂźtre un coup d'Ătat, les trois autres Ă©tant le Burkina Faso, la GuinĂ©e et le Mali. Le nouveau gouvernement a fait savoir qu'il ne laisserait plus la France exploiter l'uranium du Niger (une ampoule Ă©lectrique sur trois en France est alimentĂ©e par l'uranium du gisement d'Arlit, dans le nord du Niger).
Le gouvernement de Tchiani a révoqué toute coopération militaire avec la France, ce qui signifie que les 1 500 soldats français devront commencer à faire leurs valises (comme ils l'ont fait au Burkina Faso et au Mali).
Entre-temps, aucune dĂ©claration publique n'a Ă©tĂ© faite au sujet de la base aĂ©rienne 201, l'installation amĂ©ricaine situĂ©e Ă Agadez, Ă un millier de kilomĂštres de Niamey, la capitale du pays. Il s'agit de la plus grande base de drones au monde, et d'un site clĂ© pour les opĂ©rations amĂ©ricaines dans le Sahel. Les troupes amĂ©ricaines ont Ă©tĂ© invitĂ©es Ă rester pour lâinstant sur la base, et les vols de drones ont Ă©tĂ© suspendus. Le coup d'Ătat est sans aucun doute motivĂ© par la prĂ©sence française au Niger, mais ce sentiment anti-français ne s'est pas encore propagĂ© Ă la prĂ©sence militaire amĂ©ricaine dans le pays.

Interventions
Le coup d'Ătat stabilisĂ©, les principaux Ătats occidentaux - notamment la France et les Ătats-Unis - l'ont condamnĂ© quelques heures plus tard et ont exigĂ© la rĂ©intĂ©gration de Bazoum, immĂ©diatement placĂ© en dĂ©tention par le nouveau gouvernement.
Mais ni la France ni les Ătats-Unis n'ont semblĂ© vouloir prendre la tĂȘte de la riposte au coup d'Ătat. Au dĂ©but de l'annĂ©e, les gouvernements français et amĂ©ricain se sont inquiĂ©tĂ©s d'une insurrection dans le nord du Mozambique qui affectait les ressources du champ de gaz naturel de Total-Exxon au large de la cĂŽte de Cabo Delgado.
PlutĂŽt que d'envoyer des troupes françaises et amĂ©ricaines, ce qui aurait braquĂ© la population et accru le sentiment anti-occidental, la France et les Ătats-Unis ont conclu un accord pour que le Rwanda envoie ses troupes au Mozambique. Les troupes rwandaises sont entrĂ©es dans la province septentrionale du Mozambique et ont mis fin Ă l'insurrection.
Les deux puissances occidentales semblent favoriser une solution de type "Rwanda" au coup d'Ătat au Niger, mais plutĂŽt que de laisser le Rwanda entrer au Niger, elles espĂ©raient que la CEDEAO - la CommunautĂ© Ă©conomique des Ătats de l'Afrique de l'Ouest - enverrait ses forces pour rĂ©tablir Bazoum.
La CEDEAO a condamnĂ© le coup dâĂtat dĂšs le lendemain. La CEDEAO regroupe quinze Ătats d'Afrique de l'Ouest. Ces derniĂšres annĂ©es, elle a suspendu le Burkina Faso et le Mali en raison des coups d'Ătat perpĂ©trĂ©s dans ces pays. Le Niger a Ă©galement Ă©tĂ© suspendu.
Formé en 1975 sous la forme d'un bloc économique, le groupement a décidé, malgré l'absence de tout mandat défini dans sa mission initiale, d'envoyer des forces de maintien de la paix en 1990 en pleine guerre civile au Libéria.
Depuis lors, la CEDEAO a envoyé ses troupes de maintien de la paix dans plusieurs pays de la région, dont la Sierra Leone et la Gambie.
eu de temps aprĂšs le coup d'Ătat au Niger, la CEDEAO a imposĂ© un embargo au pays qui comprenait la suspension de son droit aux transactions commerciales courantes avec ses voisins, le gel des avoirs de la banque centrale du Niger dĂ©tenus dans les banques rĂ©gionales et la suspension de l'aide Ă©trangĂšre (qui reprĂ©sente 40 % du budget du Niger).
Selon la dĂ©claration la plus marquante, la CEDEAO prendrait âtoutes dispositions nĂ©cessaires au rĂ©tablissement de l'ordre constitutionnelâ.
La date butoir du 6 août fixée par la CEDEAO a expiré, le bloc n'ayant pu se mettre d'accord sur l'envoi de troupes de l'autre cÎté de la frontiÚre.
La CEDEAO a demandĂ© la constitution d'une âforce d'interventionâ prĂȘte Ă envahir le Niger. La CEDEAO a ensuite dĂ©clarĂ© qu'elle se rĂ©unirait le 12 aoĂ»t Ă Accra, au Ghana, pour examiner ses options. Cette rĂ©union a Ă©tĂ© annulĂ©e pour des "raisons techniques".
Des manifestations de masse dans des pays clés de la CEDEAO, tels que le Nigeria et le Sénégal, contre une invasion militaire du Niger par la CEDEAO, ont incité leurs responsables politiques à soutenir une intervention. Il serait naïf de croire qu'aucune intervention au Niger n'est possible. Les événements évoluent trÚs rapidement et il n'y a aucune raison de penser que la CEDEAO n'interviendra pas avant la fin du mois d'août.
Coups d'Ătat au Sahel
Lorsque la CEDEAO a suggéré la possibilité d'une intervention au Niger, les gouvernements militaires du Burkina Faso et du Mali ont déclaré qu'il s'agirait d'une "déclaration de guerre" non seulement contre le Niger, mais aussi contre leurs pays.
Le 2 aoĂ»t, l'un des principaux dirigeants du coup d'Ătat nigĂ©rien, le gĂ©nĂ©ral Salifou Mody, s'est rendu Ă Bamako (Mali) et Ă Ouagadougou (Burkina Faso) pour faire le point sur la situation dans la zone et coordonner leur rĂ©ponse Ă l'Ă©ventualitĂ© d'une intervention militaire de la CEDEAO - ou de l'Occident - au Niger.
Dix jours plus tard, le général Moussa Salaou Barmou était à Conakry (Guinée) pour solliciter le soutien du chef du gouvernement militaire de ce pays, Mamadi Doumbouya, de soutenir le Niger.
Des suggestions ont Ă©tĂ© Ă©mises pour que le Niger - l'un des pays les plus influents du Sahel - prenne part aux discussions sur la crĂ©ation d'une fĂ©dĂ©ration qui inclurait le Burkina Faso, la GuinĂ©e et le Mali. Cette fĂ©dĂ©ration regrouperait des pays ayant connu des coups d'Ătat destinĂ©s Ă renverser des gouvernements pro-occidentaux qui ne rĂ©pondent pas aux attentes de populations de plus en plus appauvries.
L'histoire du coup d'Ătat au Niger se confond partiellement avec l'histoire de ce que la journaliste communiste Ruth First a appelĂ© "La contagion du coup d'Ătat" dans son remarquable ouvrage, The Barrel of the Gun : Political Power in Africa and the Coup d'Ă©tats (1970).
Au cours des trente derniĂšres annĂ©es, la politique dans les pays du Sahel s'est sĂ©rieusement Ă©tiolĂ©e. Les partis issus des mouvements de libĂ©ration nationale, voire des mouvements socialistes (comme le parti de Bazoum), se sont effondrĂ©s et ne sont plus que les reprĂ©sentants de leurs Ă©lites, vecteurs de l'ordre du jour occidental. La guerre menĂ©e par la France, les Ătats-Unis et l'OTAN en Libye en 2011 a favorisĂ© le dĂ©ferlement de groupes djihadistes hors de Libye vers le sud de l'AlgĂ©rie et le Sahel (prĂšs de la moitiĂ© du Mali est contrĂŽlĂ©e par des formations liĂ©es Ă Al-QaĂŻda).
Ces forces ont permis aux élites locales et à l'Occident de justifier le resserrement des libertés syndicales restreintes et l'élimination de la gauche dans les rangs des partis politiques établis.
Ce n'est pas comme si les dirigeants des principaux partis politiques étaient de droite ou de centre-droit, mais quelle que soit leur orientation, ils n'ont aucune indépendance réelle par rapport à la volonté de Paris et de Washington. Ils sont devenus - pour reprendre une expression en usage sur le terrain - des "larbins" de l'Occident.
En l'absence de tout instrument politique fiable, les couches rurales et petites-bourgeoises délaissées du pays se sont tournées vers leurs cadets des forces armées pour les diriger. Des hommes comme le capitaine burkinabé Ibrahim Traoré (né en 1988), qui a grandi dans la province rurale du Mouhoun, et le colonel Assimi Goïta (né en 1988), originaire de Kati, ville de marché aux bestiaux et bastion militaire, incarnent parfaitement ces vastes franges de la société.

Leurs communautés ont été totalement écartées des programmes d'austérité du Fonds monétaire international, du pillage de leurs ressources par les multinationales occidentales, et du financement des garnisons militaires occidentales dans le pays. Ces populations délaissées, sans véritable tribune politique pour les représenter, se sont ralliées à leurs jeunes combattants.
Il s'agit de "coups des colonels" - des groupes de gens ordinaires sans autre choix - et non de "coups des généraux" - que les élites utilisent pour endiguer la progression politique de la population.
C'est pourquoi le coup d'Ătat au Niger est soutenu par des rassemblements de masse depuis Niamey jusqu'aux petites villes isolĂ©es Ă la frontiĂšre libyenne.
Lorsque je me suis rendu dans ces rĂ©gions avant la pandĂ©mie, il Ă©tait clair que le sentiment anti-français ne pouvait s'exprimer autrement que par l'espoir d'un coup d'Ătat militaire qui amĂšnerait des dirigeants tels que Thomas Sankara du Burkina Faso, assassinĂ© en 1987.
Le capitaine TraorĂ© porte justement le bĂ©ret rouge de Sankara, s'exprime avec la verve avant-gardiste de Sankara, et imite mĂȘme la diction de ce dernier. Il serait faux de considĂ©rer ces hommes comme Ă©tant de gauche car ils sont animĂ©s par la colĂšre face Ă l'Ă©chec des Ă©lites et de la politique occidentale. Ils n'arrivent pas au pouvoir avec une stratĂ©gie bien Ă©laborĂ©e, issue des traditions politiques de gauche.
Les chefs militaires nigériens ont formé un cabinet de vingt et une personnes dirigé par Ali Mahaman Lamine Zeine, un civil ancien ministre des finances dans un précédent gouvernement, qui a travaillé à la Banque africaine de développement au Tchad. Les chefs militaires occupent une place importante au sein du cabinet. Reste à savoir si la nomination de ce cabinet dirigé par des civils divisera les rangs de la CEDEAO.
Il est certain que les forces impĂ©rialistes occidentales - notamment les Ătats-Unis dont les troupes sont prĂ©sentes sur le terrain au Niger - n'aimeraient pas voir ce tandem de coups d'Ătat rester en place.
L'Europe, sous l'impulsion de la France, a dĂ©placĂ© les frontiĂšres de son continent du nord de la mer MĂ©diterranĂ©e au sud du dĂ©sert du Sahara, soumettant les Ătats du Sahel Ă un projet connu sous le nom de G-5 Sahel.
Aujourd'hui, avec des gouvernements anti-français dans trois de ces Ătats (Burkina Faso, Mali et Niger) et le risque de troubles dans les deux Ătats restants (Tchad et Mauritanie), l'Europe va devoir se replier sur son littoral. Les sanctions visant Ă Ă©puiser le soutien de masse des nouveaux gouvernements se multiplieront, et l'Ă©ventualitĂ© d'une intervention militaire planera sur la rĂ©gion telle un vautour affamĂ©.
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est chargé de rédaction et correspondant en chef de Globetrotter. Il est éditeur de LeftWord Books et directeur de Tricontinental : Institute for Social Research. Il est senior non-resident fellow au Chongyang Institute for Financial Studies, Renmin University of China. Il a écrit plus de 20 livres, dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers ouvrages sont Struggle Makes Us Human : Learning from Movements for Socialism et (avec Noam Chomsky) The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.
https://consortiumnews.com/2023/08/16/niger-is-far-from-a-typical-coup/