👁🗨 Le Niger est le quatrième pays du Sahel à connaître un coup d'État anti-Occident.
"Un esclave qui ne se rebelle pas ne mérite pas de pitié. L'Union africaine doit cesser de condamner les Africains décidés à se battre contre leurs propres régimes, pantins de l'Occident".
👁🗨 Le Niger est le quatrième pays du Sahel à connaître un coup d'État anti-Occident.
Par Vijay Prashad* et Kimball Musavuli*, le 2 août 2023
Le 26 juillet 2023, à 3 heures du matin, la garde présidentielle a arrêté le président Mohamed Bazoum à Niamey, la capitale du Niger. Les troupes, dirigées par le général de brigade Abdourahmane Tchiani, ferment les frontières du pays et décrètent un couvre-feu. Le coup d'État a été immédiatement condamné par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, par l'Union africaine et par l'Union européenne. La France et les États-Unis, qui ont des bases militaires au Niger, ont déclaré qu'ils suivaient la situation de près. Un bras de fer entre l'armée - qui se dit pro-Bazoum - et la garde présidentielle menace la capitale, mais se résorbe rapidement. Le 27 juillet, le général Abdou Sidikou Issa de l'armée a publié un communiqué disant qu'il accepterait la situation pour "éviter une confrontation mortelle entre les différentes forces qui... pourrait mener à un bain de sang". Le 28 juillet, le général de brigade Tchiani a annoncé à la télévision qu'il était le nouveau président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
Le coup d'État au Niger fait suite à des coups d'État similaires au Mali (août 2020 et mai 2021), au Burkina Faso (janvier 2022 et septembre 2022) et en Guinée (septembre 2021). Chacun de ces coups d'État a été organisé par des officiers militaires excédés par la présence des troupes françaises et américaines, et par les crises économiques permanentes infligées à leurs pays. Cette région de l'Afrique - le Sahel - a été confrontée à une succession de crises : la dessiccation des sols due à la catastrophe climatique, la montée du militantisme islamique due à la guerre de l'OTAN en Libye en 2011, la multiplication des réseaux de contrebande d'armes, d'êtres humains et de drogues à travers le désert, l'appropriation des ressources naturelles - y compris l'uranium et l'or - par des entreprises occidentales qui ne se sont pas correctement acquittées de ces richesses, et l'enracinement des forces militaires occidentales avec la construction de bases et l'exploitation de ces armées en toute impunité.
Deux jours après le coup d'État, le CNSP a publié les noms des 10 officiers qui le dirigent. Ils sont issus de l'ensemble des forces armées, de l'armée de terre (le général Mohamed Toumba) à l'armée de l'air (le colonel-major Amadou Abouramane) en passant par la police nationale (le directeur général adjoint Assahaba Ebankawel). Il est désormais clair que l'un des membres les plus influents du CNSP est le général Salifou Mody, ancien chef d'état-major de l'armée et dirigeant du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, qui a orchestré le coup d'État de février 2010 contre le président Mamadou Tandja, et qui a gouverné le Niger jusqu'à l’élection présidentielle de 2011, remportée par le prédécesseur de Bazoum, Mahamadou Issoufou. C'est sous le mandat d'Issoufou que le gouvernement américain a implanté la plus grande base de drones au monde, à Agadez, et que les forces spéciales françaises ont tenu garnison dans la ville d'Irlit pour le compte de la société minière d'uranium Orano (anciennement rattachée à Areva).
Il est important de noter que le général Salifou Mody est perçu comme un membre puissant du CNSP en raison de son influence au sein de l'armée et de ses contacts internationaux. Le 28 février 2023, Mody a rencontré le président des chefs d'état-major interarmées des États-Unis, le général Mark Milley, lors de la Conférence des chefs d'état-major africains à Rome, pour discuter de "la stabilité régionale, y compris la coopération antiterroriste et la poursuite de la lutte contre l'extrémisme violent dans la zone". Le 9 mars, Mody s'est rendu au Mali pour rencontrer le colonel Assimi Goïta et le chef d'état-major de l'armée malienne, le général Oumar Diarra, afin de renforcer la coopération militaire entre le Niger et le Mali. Quelques jours plus tard, le 16 mars, le secrétaire d'État américain Antony Blinken s'est rendu au Niger pour rencontrer Bazoum. Le 1er juin, Mody a été nommé ambassadeur du Niger aux Émirats arabes unis, ce que beaucoup de Nigériens ont perçu comme une tentative d'exclusion. Mody, dit-on à Niamey, est la voix dans l'oreille du général de brigade Tchiani, le chef d'État en titre.
Corruption et Occident
Une source bien informée au Niger nous dit que la raison pour laquelle les militaires ont agi contre Bazoum est qu'"il est corrompu, un pion de la France. Les Nigériens en avaient assez de lui et de sa clique. Ils sont en train d'arrêter les membres du système déchu, qui ont détourné des fonds publics, et dont beaucoup se sont réfugiés dans des ambassades étrangères". Le Niger, qui possède l'un des gisements d'uranium les plus lucratifs au monde, est confronté à une crise de corruption. La "corruption" dont on parle au Niger ne concerne pas de petits pots-de-vin versés par des fonctionnaires, mais toute une structure - développée pendant la période coloniale française - qui empêche le Niger d'établir sa souveraineté sur ses matières premières et sur son développement.
Au cœur de la "corruption" se trouve la soi-disant "coentreprise" entre le Niger et la France, appelée Société des mines de l'Aïr (Somaïr), qui possède et exploite l'industrie de l'uranium dans le pays. Il est frappant de constater que 85 % des parts de la Somaïr sont détenues par le Commissariat à l'énergie atomique et deux sociétés françaises, tandis que le gouvernement nigérien n'en possède que 15 %. Le Niger produit plus de 5 % de l'uranium mondial, mais son uranium est d’excellente qualité. La moitié des recettes d'exportation du Niger provient des ventes d'uranium, de pétrole et d'or. En France, une ampoule sur trois est alimentée par de l'uranium nigérien, alors que 42 % de la population de ce pays africain vit en dessous du seuil de pauvreté. Le peuple nigérien a vu ses richesses lui filer entre les doigts pendant des décennies. Preuve de la faiblesse du gouvernement au cours de la dernière décennie, le Niger a perdu plus de 906 millions de dollars en seulement 10 procédures d'arbitrage engagées par des multinationales devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements et la Chambre de commerce internationale.
La France a cessé d'utiliser le franc en 2002 lorsqu'elle est passée à l'euro. Mais quatorze anciennes colonies françaises ont continué à utiliser la Communauté financière africaine (CFA), ce qui confère d'immenses avantages à la France (50 % des réserves de ces pays sont obligatoirement détenues par le Trésor français et les dévaluations du CFA par la France - comme en 1994 - ont des effets dévastateurs sur les pays bénéficiaires). En 2015, le président tchadien Idriss Déby Itno a déclaré que le CFA "tire les économies africaines vers le bas" et que "le moment était venu de couper le cordon qui empêche l'Afrique de se développer". Dans tout le Sahel, on parle désormais non seulement du retrait des troupes françaises - comme au Burkina Faso et au Mali - mais aussi de rompre avec l'emprise économique de la France sur ces territoires.
Le nouveau non-alignement
Lors du sommet Russie-Afrique 2023 en juillet, le président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, portait un béret rouge, évoquant la couleur de l'uniforme du leader socialiste assassiné de son pays, Thomas Sankara. M. Traoré a réagi vivement à la condamnation des coups d'État militaires dans le Sahel, y compris à la récente visite d'une délégation de l'Union africaine dans son pays. "Un esclave qui ne se rebelle pas ne mérite pas de pitié", a-t-il déclaré. "L'Union africaine doit cesser de condamner les Africains décidés à se battre contre leurs propres régimes, pantins de l'Occident".
En février, le Burkina Faso a accueilli une rencontre à laquelle ont participé les gouvernements du Mali et de la Guinée. À l'ordre du jour : le projet de création d'une nouvelle fédération de ces États. Le Niger sera vraisemblablement invité à participer à ces négociations
Cet article a été publié par Globetrotter.
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est chargé de rédaction et correspondant en chef de Globetrotter.
* Kambale Musavuli, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), est une voix politique et culturelle congolaise de premier plan. Basé à Accra, au Ghana, il est analyste politique au Centre de recherche sur le Congo-Kinshasa.