👁🗨 Le nouvel élan mondial mettra fin à la doctrine Monroe globale
“Gaze” vient du mot غزة ou Ghazza car les habitants de Gaza sont d'habiles tisserands. Tant de nos blessures ont été pansées grâce à eux, & tant de leurs blessures restent ouvertes à cause de nous.
👁🗨 Le nouvel élan mondial mettra fin à la doctrine Monroe globale
Par Vijay Prashad / Tricontinental : Institute for Social Research, le 27 novembre 2023
Depuis le 7 octobre, chaque jour ressemble à une journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien : des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Istanbul, un million à Jakarta, puis un autre million en Afrique et en Amérique latine pour exiger la fin de l'attaque brutale menée par Israël (avec la complicité des États-Unis). Il est impossible de suivre l'ampleur et la fréquence des manifestations, qui poussent à leur tour les partis politiques et les gouvernements à clarifier leurs positions sur l'attaque d'Israël contre la Palestine. Ces manifestations de masse ont produit trois types de résultats :
Elles ont attiré une nouvelle génération non seulement dans les activités pro-palestiniennes, mais aussi dans la conscience anti-guerre, voire anti-impérialiste.
Ils ont attiré une nouvelle section d'activistes, en particulier des syndicalistes, qui ont été incités à stopper l'envoi de marchandises à destination et en provenance d'Israël (y compris dans des endroits tels que l'Europe et l'Inde, où les gouvernements ont soutenu les attaques d'Israël).
Ils ont généré un processus politique visant à remettre en question l'hypocrisie de “l'ordre international fondé sur des règles” dirigé par l'Occident et à demander à la Cour pénale internationale d'inculper le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et d'autres hauts responsables du gouvernement israélien.
Aucune guerre de ces dernières années - pas même la campagne “chock and awe” [choc et effroi] menée par les États-Unis contre l'Irak en 2003 - n'a été aussi impitoyable dans son utilisation de la force. Les civils, enfermés dans l'enceinte de l'occupation israélienne, n'échappent pas aux bombardements intensifs, voilà le plus effroyable des constats. Près de la moitié (au moins 5 800) des plus de 14 000 civils assassinés sont des enfants. La propagande israélienne n'a pas réussi à convaincre des milliards de personnes dans le monde que cette violence était une juste réplique à l'attaque du 7 octobre. Les images de Gaza montrent la nature disproportionnée et asymétrique de la violence israélienne au cours des soixante-quinze dernières années.
Un nouvel état d'esprit a gagné des milliards de personnes dans le Sud et a été reflété par des millions de personnes dans le Nord, qui ne prennent plus pour argent comptant les comportements des dirigeants américains et de leurs alliés occidentaux. Une nouvelle étude du Conseil européen des relations étrangères montre
qu'“une grande partie du reste du monde souhaite que la guerre en Ukraine s'arrête dès que possible, même si cela signifie pour Kiev la perte de territoires. Et très peu de gens - même en Europe - prendraient le parti de Washington si une guerre éclatait entre les États-Unis et la Chine à propos de Taïwan”. Le Conseil suggère que cette situation est due à la "perte de confiance dans l'Occident pour gouverner le monde”.
Plus précisément, la majeure partie du monde n'est plus disposée à se laisser intimider par l'Occident (comme l'a exprimé le ministre sud-africain des affaires étrangères, Naledi Pandor). Au cours des 200 dernières années, la doctrine Monroe du gouvernement américain a contribué à justifier ce type d'intimidation. Pour mieux comprendre l'importance de cette politique clé dans le maintien de la domination américaine sur l'ordre mondial, vous trouverez ci-après la note d'information n° 11 de “No Cold War, It Is It is the World”. 11 de No Cold War, It Is Time to Bury the Monroe Doctrine.
En 1823, James Monroe, alors président des États-Unis, a déclaré au Congrès américain que son gouvernement s'opposerait à toute ingérence européenne sur le continent américain. Ce que Monroe voulait dire, c'est que Washington traiterait désormais l'Amérique latine et les Caraïbes comme son “arrière-cour”, conformément à une politique connue sous le nom de “Doctrine Monroe”.
Au cours des 200 dernières années, les États-Unis ont agi sur le continent américain en suivant cette doctrine, comme en témoignent les plus de 100 interventions militaires contre des pays de la région. Depuis la chute de l'Union soviétique en 1991, les États-Unis et leurs alliés du Nord ont tenté d'étendre cette politique pour en faire une doctrine Monroe mondiale, dont les effets les plus destructeurs se font sentir en Asie occidentale.
La violence de la doctrine Monroe
Deux décennies avant la proclamation de Monroe, la première révolution anticoloniale au monde a eu lieu en Haïti. La révolution haïtienne de 1804 représentait une menace sérieuse pour les économies de plantation des Amériques, qui dépendaient de la main-d'œuvre asservie en provenance d'Afrique, et les États-Unis ont donc mené un processus visant à l'étouffer et à l'empêcher de se propager. Par le biais d'interventions militaires américaines en Amérique latine et dans les Caraïbes, la doctrine Monroe a empêché l'émergence de l'autodétermination nationale, et a soutenu l'esclavage dans les plantations et le pouvoir des oligarchies.
Néanmoins, l'esprit et la promesse de la révolution haïtienne n'ont pas pu être éteints et, en 1959, ils ont été ravivés par la révolution cubaine qui, à son tour, a inspiré des luttes révolutionnaires dans le monde entier et, surtout, dans ce que l'on appelle l'arrière-cour des États-Unis. Une fois de plus, les États-Unis ont déclenché un cycle de violence pour détruire l'exemple révolutionnaire de Cuba, l'empêcher d'inspirer d'autres luttes et renverser tout gouvernement de la région qui tenterait d'exercer sa souveraineté.
Ensemble, les oligarchies américaines et latino-américaines ont lancé plusieurs campagnes, telles que l'opération Condor, pour réprimer violemment la gauche par le biais d'assassinats, d'incarcérations, de tortures et de changements de régime. Ces efforts ont abouti à une série de coups d'État contre les forces de gauche en République dominicaine (1965), au Chili (1973), en Uruguay (1973), en Argentine (1976) et au Salvador (1980). Les gouvernements militaires qui ont été mis en place par la suite ont annulé les programmes de souveraineté et ont imposé à leur place un projet néolibéral. L'Amérique latine et les Caraïbes sont devenues un terrain fertile pour des politiques économiques profitant aux monopoles transnationaux dirigés par les États-Unis. Washington a coopté de larges pans des classes bourgeoises de la région, leur faisant miroiter l'illusion que le développement national irait de pair avec la croissance de la puissance américaine.
Ondes progressistes
Malgré cette répression, des vagues de mouvements populaires ont continué à façonner la culture politique de la région. Au cours des années 1980 et 1990, ces mouvements ont renversé les dictatures militaires mises en place par l'opération Condor et ont ensuite inauguré un cycle de gouvernements progressistes inspirés par les révolutions cubaine et nicaraguayenne, portés par la victoire électorale d'Hugo Chávez au Venezuela en 1998. La réponse des États-Unis à cet élan progressiste s'est appuyée une fois de plus sur la doctrine Monroe et a cherché à protéger les intérêts de la propriété privée plutôt que les besoins des masses. Cette contre-révolution a utilisé trois instruments principaux :
Les coups d'État. Depuis 2000, les États-Unis ont tenté des coups d'État militaires “traditionnels” à au moins vingt-sept reprises. Certaines de ces tentatives ont réussi, comme au Honduras (2009), tandis que beaucoup d'autres ont été vaincues, comme au Venezuela (2002).
Guerres hybrides. Outre les coups d'État militaires, les États-Unis ont également mis au point une série de tactiques visant à accabler les pays qui tentent de renforcer leur souveraineté, telles que la guerre de l'information, la guerre juridique, la guerre diplomatique et l'ingérence électorale. Cette stratégie de guerre hybride comprend la fabrication de scandales de destitution (par exemple, contre Fernando Lugo au Paraguay en 2012) et de mesures “anti-corruption” (par exemple, contre Cristina Kirchner en Argentine en 2021). Au Brésil, les États-Unis ont collaboré avec la droite brésilienne pour manipuler une plateforme anti-corruption afin de destituer la présidente de l'époque, Dilma Rousseff, en 2016 et d'emprisonner l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva en 2018, ce qui a conduit à l'élection de Jair Bolsonaro, un candidat d'extrême droite, en 2018.
Sanctions économiques. Le recours à des mesures coercitives illégales et unilatérales - y compris les sanctions économiques et les blocus - est un instrument clé de la doctrine Monroe. Les États-Unis utilisent ces instruments depuis des décennies (depuis 1960 dans le cas de Cuba) et ont élargi leur utilisation au XXIe siècle contre des pays tels que le Venezuela. Le Centre latino-américain de géopolitique stratégique (CELAG) a montré que les sanctions américaines contre le Venezuela ont entraîné la perte de plus de trois millions d'emplois entre 2013 et 2017, tandis que le Centre for Economic and Policy Research a constaté que les sanctions ont réduit l'apport énergétique de la population et augmenté les maladies et la mortalité, tuant 40 000 personnes en une seule année et mettant en danger la vie de 300 000 autres.
Mettre fin à la doctrine Monroe
Les tentatives des États-Unis de saper les politiques progressistes en Amérique latine, étayées par la doctrine Monroe, n'ont pas été entièrement couronnées de succès. Le retour au pouvoir de gouvernements de gauche en Bolivie, au Brésil et au Honduras après des régimes de droite soutenus par les États-Unis illustre cet échec. La résistance des révolutions cubaine et vénézuélienne en est un autre signe. À ce jour, si les efforts visant à étendre la doctrine Monroe dans le monde ont causé d'immenses destructions, ils n'ont pas permis d'instaurer des systèmes clients stables, comme nous l'avons vu avec l'échec des projets américains en Afghanistan et en Irak. Néanmoins, Washington ne se laisse pas décourager et a déplacé son attention vers l'Asie-Pacifique pour faire face à la Chine.
Il y a 200 ans, les forces de Simón Bolívar ont vaincu l'Empire espagnol lors de la bataille de Carabobo en 1821 et ont ouvert une période d'indépendance pour l'Amérique latine. Deux ans plus tard, en 1823, le gouvernement américain proclamait la doctrine Monroe. La dialectique entre Carabobo et Monroe continue de façonner notre monde, la mémoire de Bolívar insufflant l'espoir et la lutte pour une société plus juste.
Aujourd'hui, la laideur de la guerre contre Gaza fait suffoquer nos consciences. Em Berry, poète d'Aotearoa, en Nouvelle-Zélande, a écrit un magnifique poème portant le nom de Gaza et décrivant les atrocités infligées à son peuple par l'Israël de l'apartheid :
“Ce matin, j'ai appris
que le mot anglais gauze (gaze)
(étoffe médicale finement tissée)
est dérivé du mot arabe غزة ou Ghazza
car les habitants de Gaza sont d'habiles tisserands depuis des siècles.
Je me suis alors demandé
combien de nos blessures
ont été pansées
grâce à eux
et combien de leurs blessures
sont restées ouvertes
à cause de nous”.