👁🗨 Le plus américain des phénomènes
“Je vais commettre un acte de protestation extrême. Mais comparé au vécu des Palestiniens aux mains des colonisateurs, ça n'a rien d'extrême. C'est ce que nos dirigeants ont décidé de trouver normal”.
👁🗨 Le plus américain des phénomènes
Par Cailitn Johnstone, le 26 février. 2024
Un homme s'est immolé par le feu devant l'ambassade d'Israël à Washington aujourd'hui. Il dit avoir agi ainsi pour protester contre le génocide à Gaza.
La journaliste indépendante Talia Jane rapporte qu'elle a pu obtenir des images de l'incident, que l'homme anonyme a apparemment enregistré lui-même. Talia Jane rapporte que l'homme a déclaré qu'il était “membre actif de l'armée de l'air américaine” et qu'il “ne sera plus complice d'un génocide”. Après la mise à feu, il a crié à plusieurs reprises “Free Palestine”.
Selon Jane, un policier a pointé son arme sur le corps en flammes de l'homme : je suppose que c'est ce que font les flics américains lorsqu'ils ne savent pas trop quoi faire. Quelqu'un qui essayait de sauver l'homme aurait crié “Je n'ai pas besoin d'armes, j'ai besoin d'extincteurs !”.
C'est peut-être la chose la plus américaine dont j'aie jamais entendu parler. C'est plus américain que tous les cris d’aigles à tête blanche qu'on voit dans les films d'Hollywood. Plus américain que les camions géants et les fusillades de masse. On ne peut tout simplement pas faire tenir plus de sentiments américains dans un seul incident qu'un homme mourant d'une mort atroce pour protester contre des crimes de guerre, tandis qu'un secouriste hurle aux policiers d'arrêter de pointer leurs armes sur lui et d'aller chercher des extincteurs. Si vous deviez choisir un seul moment de l'histoire pour résumer la substance et l'expression de l'empire américain, ce serait celui-là.
Le New York Times rapporte que l'homme “a été transporté dans un hôpital voisin avec des blessures potentiellement létales, et se trouve toujours dans un état critique”. Un porte-parole de l'armée de l'air américaine a confirmé qu'il s'agissait d'un membre en service actif.
“Je suis sur le point de m'engager dans un acte de protestation extrême”, a déclaré l'homme avant de craquer l’allumette. “Mais comparé à ce que les gens ont vécu en Palestine aux mains de leurs colonisateurs, ça n'a rien d'extrême. C'est même ce que notre classe dirigeante a décidé de considérer comme normal”.
Le protestataire anonyme a raison. Les habitants de Gaza sont brûlés vifs, suffoquent sous des bâtiments effondrés, subissent des opérations et des amputations sans anesthésie, meurent de faim, voient leurs proches mourir devant eux, connaissent des souffrances d'une ampleur que très peu d'entre nous, ici, en Occident, peuvent même imaginer. Et notre classe dirigeante tente à tout prix de normaliser cette situation à nos yeux.
Ce n'est même pas la première auto-immolation observée en protestation contre les atrocités commises par Israël avec le soutien des États-Unis après le 7 octobre. En décembre, un manifestant anonyme portant un drapeau palestinien s'est auto-immolé devant le bâtiment du consulat d'Israël à Atlanta.
En y réfléchissant, je ne peux m'empêcher de me demander combien de supporters d'Israël se sont auto-immolés pour protester contre le 7 octobre. Combien de supporters d'Israël se sont immolés pour protester contre la très grave crise d'antisémitisme qui, selon eux, fait que les Juifs ne se sentent plus en sécurité dans leurs communautés ? Leurs griefs sont certainement tout aussi sérieux et sincères que ceux des partisans de la Palestine, non ?
Bien entendu, ce n'est pas le cas. Cela ne s'est pas produit et l'idée même est risible. Les apologistes d'Israël insistent sur le fait que ce sont eux et leur ethno-état favori qui sont les vraies victimes dans tout cela, plutôt que la population de Gaza qui a vu des dizaines de milliers de Palestiniens se faire massacrer alors que les soldats israéliens célèbrent ouvertement les déplacements massifs et la mort de ces gens. Mais on ne les voit pas s'auto-immoler, on les voit applaudir le nettoyage ethnique et le génocide. Ils ne feraient rien pour s'infliger des souffrances ou des désagréments afin de promouvoir leur cause favorite. Ils ne manqueraient même pas un brunch pour ça.
C'est une chose atroce que de brûler vif. Je soupçonne qu'à peu près tous ceux qui se sont immolés ont eu de sérieux regrets dès les premières secondes. Il n'y a tout simplement rien que l'on puisse faire pour se préparer à une telle expérience de la douleur, ou au temps qu'il faut pour perdre conscience une fois que cela a commencé. À ce stade, le seul réconfort possible est de se dire que cela ne va pas durer longtemps.
Mais le fait que quelqu'un prenne une telle décision montre à quel point il est convaincu de l'urgence de la question, et plus sincère que le camp adverse.
MISE À JOUR : le protestataire est mort. Il s'appelait Aaron Bushnell.