đâđš Le prix politique des guerres de Biden
Alors qu'une nouvelle confrontation avec Trump se profile, le bilan de Biden Ă l'Ă©tranger entre lâUkraine, son refus dâappeler au cessez-le-feu Ă Gaza & les bombardements au Yemen, est au plus bas.

đâđš Le prix politique des guerres de Biden
Par Seymour Hersh, le 17 janvier 2024
Donald Trump a remportĂ© une large victoire dans l'Iowa cette semaine, comme toute personne dotĂ©e d'une once de bon sens pouvait s'y attendre, malgrĂ© les vĆux pieux, malhonnĂȘtes et fastidieux de CNN et MSNBC, ainsi que de certains organes de la presse Ă©crite, concernant la possibilitĂ© d'une remontĂ©e de Haley dans l'Iowa, qui pourrait se rĂ©percuter dans le New Hampshire.
Oubliez cela. Le candidat républicain sera Donald Trump, à moins qu'il ne soit immobilisé par les tribunaux, et à ce stade, il y a fort à parier qu'il remportera la victoire en novembre, s'il n'est pas écarté, emmenant la Chambre des représentants et le Sénat avec lui.
La réaction des démocrates, à quelques exceptions prÚs, a été de se réfugier dans le déni. Dans mon univers washingtonien, le désastre imminent est ignoré par les démocrates loyaux qui insistent sur le fait que Biden a déjà battu Trump et qu'il peut le refaire. Ceux qui déplorent le manque de viabilité politique de la vice-présidente Kamala Harris, ou qui le notent par devoir, s'entendent dire qu'ils sont racistes ou misogynes.
Les premiĂšres rĂ©alisations de Joe Biden - des lois qui ont amĂ©liorĂ© la vie quotidienne de millions d'AmĂ©ricains dans le besoin - ont Ă©tĂ© rĂ©duites Ă nĂ©ant par une sĂ©rie de dĂ©rapages en matiĂšre de politique Ă©trangĂšre, dus Ă l'ignorance et Ă la russophobie viscĂ©rale qui l'ont poussĂ©, lui et ses assistants en politique Ă©trangĂšre, Ă refuser d'assurer au prĂ©sident russe Vladimir Poutine, avant qu'il n'appuie sur la gĂąchette, que les Ătats-Unis ne soutiendraient jamais l'entrĂ©e de l'Ukraine dans l'OTAN. Cela aurait pu suffire, avec de plus amples explications, Ă empĂȘcher le dirigeant russe de dĂ©clencher une guerre qui Ă©tait loin d'ĂȘtre nĂ©cessaire.
En novembre dernier, une analyse rĂ©alisĂ©e par Michael von der Schulenburg, fonctionnaire des Nations unies Ă la retraite, Hajo Funke, politologue, et le gĂ©nĂ©ral Harald Kujat, le plus haut gradĂ© allemand de la Bundeswehr et de l'OTAN avant son dĂ©part Ă la retraite, a conclu qu'un rĂšglement de la guerre Ă©tait possible en mars 2022, un mois aprĂšs le dĂ©but de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le document, dont les conclusions ont Ă©tĂ© largement diffusĂ©es en Europe mais pas aux Ătats-Unis, affirme que les pourparlers ont Ă©tĂ© sabotĂ©s par des objections de l'OTAN, de l'administration Biden et du gouvernement britannique dirigĂ© Ă l'Ă©poque par le Premier ministre Boris Johnson
NĂ©anmoins, des pourparlers de paix secrets sont toujours en cours entre les principaux commandants militaires de Russie et d'Ukraine, et un accord sur l'Ă©change de prisonniers est sur le point d'ĂȘtre conclu. C'est la libĂ©ration des prisonniers de guerre amĂ©ricains par le Nord-Vietnam qui a Ă©tĂ© lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur de la fin de la guerre. La position de l'administration Biden sur un tel accord n'est pas claire. On ne sait pas non plus si le prĂ©sident ukrainien Volodymyr Zelensky est impliquĂ© d'une maniĂšre ou d'une autre dans les pourparlers. Ă ce stade, cela semble peu probable.
Le soutien de Joe Biden Ă IsraĂ«l et Ă sa rĂ©ponse totalement disproportionnĂ©e - les bombardements intensifs qui se poursuivent - suite au raid du Hamas du 7 octobre est connu de tous : âNous assurons vos arriĂšresâ, a-t-il dĂ©clarĂ© au Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu, en rĂ©fĂ©rence aux bombes et autres armes qui continuent d'ĂȘtre livrĂ©es Ă IsraĂ«l, tout rĂ©cemment sans l'approbation du CongrĂšs, comme l'exige pourtant la loi. Le prĂ©sident parle d'un cessez-le-feu, mais n'a formulĂ© aucune demande spĂ©cifique Ă Tel-Aviv en ce sens. Des millions de personnes dans le monde, dont des milliers en AmĂ©rique, ont protestĂ© contre le soutien des Ătats-Unis Ă la guerre d'IsraĂ«l, mais le prĂ©sident s'accroche. La meilleure dĂ©fense qu'il ait trouvĂ© consiste Ă affirmer qu'il a soulevĂ© la question d'un cessez-le-feu avec les IsraĂ©liens.
L'expression la plus claire du point de vue de Joe Biden sur les responsabilitĂ©s amĂ©ricaines aprĂšs le 7 octobre est apparue dans un discours tĂ©lĂ©visĂ© prononcĂ© le 19 octobre, aprĂšs sa deuxiĂšme et trĂšs brĂšve visite Ă Tel-Aviv, lorsque lui et le secrĂ©taire d'Ătat Antony Blinken ont assistĂ© Ă une rĂ©union sur la sĂ©curitĂ© nationale israĂ©lienne. Ă l'Ă©poque, la fĂ©rocitĂ© des bombardements israĂ©liens sur les habitations et les immeubles de la ville de Gaza, qui ont fait des milliers de victimes civiles, commençait tout juste Ă susciter des interrogations. IsraĂ«l rĂ©pondait clairement Ă l'attaque du Hamas en ciblant tout ce qui se bouge Ă Gaza.
âJe sais que des divisions existent chez nousâ, a dĂ©clarĂ© M. Biden. âNous devons les surmonter. Nous ne pouvons pas laisser la politique mesquine, partisane et conflictuelle nous empĂȘcher d'assumer nos responsabilitĂ©s en tant que grande nation. Nous ne pouvons pas laisser des terroristes comme le Hamas et des tyrans comme Poutine gagner, et nous ne le ferons pas. Je refuse que cela se produiseâ.
Il a demandé au CongrÚs une enveloppe de 100 milliards de dollars pour l'aide à l'étranger, qui inclurait le financement d'Israël et de l'Ukraine.
Ces deux derniĂšres semaines, Joe Biden a dĂ©cidĂ© d'ordonner Ă la marine amĂ©ricaine d'attaquer les Houthis du YĂ©men, qui tirent des missiles depuis des semaines dans le but de forcer certaines des plus grandes compagnies maritimes du monde Ă Ă©viter le raccourci de dix jours entre Occident et ExtrĂȘme-Orientsans prendre le risque de passer par la mer Rouge et le canal de Suez. Les missiles continueront Ă ĂȘtre tirĂ©s, selon les Houthis, tant qu'IsraĂ«l n'aura pas mis fin Ă ses bombardements et n'aura pas permis l'acheminement de vivres, d'eau, de mĂ©dicaments et d'autres aides vitales aux civils terrifiĂ©s de la bande de Gaza. Ă l'heure oĂč jâĂ©cris ces lignes, il y a eu trois sĂ©ries d'attaques, par mer et par air, menĂ©es par des navires et des avions amĂ©ricains et britanniques. Les Houthis, des chiites rĂ©volutionnaires dont les lanceurs sont mobiles et peuvent ĂȘtre facilement dissimulĂ©s, sont toujours Ă l'Ćuvre. Le New York Times a rapportĂ© cette semaine que la poursuite de la campagne des Houthis
âa clairement montrĂ© Ă quel point il serait difficile d'Ă©liminer la menace qui pĂšse sur la navigation dans et autour de la mer Rougeâ.
Les planificateurs du Pentagone auraient bien fait de se renseigner auprĂšs des Saoudiens avant de bombarder le YĂ©men. Comme l'Ă©crit Bernard Haykel, professeur d'Ă©tudes proche-orientales Ă Princeton, dans un essai paru en 2021, les Saoudiens considĂ©raient âquelque peu Ă tortâ les Houthis comme une simple milice iranienne par procuration, Ă l'instar du Hezbollah, la milice chiite qui joue aujourd'hui un rĂŽle politique de premier plan au Liban, et est toujours considĂ©rĂ©e par IsraĂ«l comme une menace majeure.
âLes Houthis sont en effet des alliĂ©s proches de l'Iran, mais ils ont une idĂ©ologie nettement plus radicale en ce qui concerne la transformation de la sociĂ©tĂ©. . . . En fait, le programme rĂ©volutionnaire des Houthis peut ĂȘtre comparĂ© Ă celui des Vietcongsâ.
Les Vietcongs ? Haykel Ă©voque les combattants de la guĂ©rilla qui ont affrontĂ© avec succĂšs les Ătats-Unis, avec l'aide du Nord-Vietnam, aprĂšs plus d'une dĂ©cennie de combats brutaux qui ont coĂ»tĂ© Ă l'AmĂ©rique 58 000 morts, ainsi que la mort de 1,6 million de soldats vietnamiens, 260 000 soldats cambodgiens et 2 millions de civils dans la rĂ©gion.
Dans une guerre initiĂ©e en 2015 par le ministre de la DĂ©fense de l'Ă©poque, Mohammed bin Salman, aujourd'hui prince hĂ©ritier, et marquĂ©e par d'incessants bombardements saoudiens sur des cibles houthies, il a fallu sept ans seulement aux Saoudiens pour dire âpouceâ et chercher un rĂšglement avec les Houthis. L'AmĂ©rique a Ă©tĂ© un alliĂ© saoudien essentiel dans cette guerre, fournissant des renseignements, des armes et le ravitaillement en vol des avions de chasse saoudiens. L'un des principaux facteurs de l'accord a Ă©tĂ© la capacitĂ© des Houthis, malgrĂ© le dĂ©luge constant de bombes et de mitraillages saoudiens, Ă tirer des missiles qui ont frappĂ© des cibles clĂ©s, souvent liĂ©es Ă la production de pĂ©trole, dans l'est de l'Arabie saoudite.
Aujourd'hui, les planificateurs de guerre amĂ©ricains disposent de bien plus d'outils et de renseignements qu'au plus fort de la guerre du ViĂȘt Nam, mais les premiers jours du conflit en mer Rouge ont reproduit l'expĂ©rience des Saoudiens. L'AmĂ©rique et la Grande-Bretagne attaquent leurs cibles Ă l'aide de missiles et de roquettes calibrĂ©s avec prĂ©cision, et tout cela ne contribue guĂšre Ă rĂ©duire la capacitĂ© d'attaque des Houthis : c'est le phĂ©nomĂšne ViĂȘt-cong.
Deux points semblent Ă©vidents, mĂȘme Ă ce stade prĂ©coce de la nouvelle guerre de M. Biden : il n'y aura pas d'invasion terrestre amĂ©ricaine au YĂ©men, et personne Ă la Maison Blanche de M. Biden ne peut prĂ©sager des rĂ©sultats de l'attaque contre les Houthis. Les grandes compagnies maritimes du monde entier peuvent dĂ©cider d'Ă©viter le risque d'un coup dur fatal, aussi improbable soit-il, et dĂ©penser les dix jours et le carburant supplĂ©mentaire pour Ă©viter le raccourci de la mer Rouge. Les coĂ»ts, notamment en termes de tarification du carburant ici aux Ătats-Unis, sont difficiles Ă prĂ©voir, mais toute augmentation significative de ce prix serait un autre clou dans le cercueil politique de M. Biden.
La semaine derniÚre, j'ai soulevé la question des chances politiques de M. Biden avec un vétéran du pétrole, un vieil ami qui m'a dit :
âIl ne faut jamais sous-estimer les Houthis. Ils ne se laissent pas intimiderâ.
Alors, en approuvant ce qui pourrait devenir une guerre difficile, voire inextricable, avec un groupe de croyants fervents, que sait le président sur la capacité des Houthis à résister aux menaces et aux bombes ? La réponse probable est : pas grand-chose.
Le prĂ©sident comprend-il que les attaques menĂ©es par les AmĂ©ricains contre les Houthis, mĂȘme si elles sont couronnĂ©es de succĂšs, n'effaceront pas les prĂ©judices politiques qu'il subit en raison de son soutien continu Ă une guerre perdue d'avance en Ukraine ? C'est Ă©galement peu probable. Plus important encore, il n'est pas certain qu'il comprenne le coĂ»t, en particulier concernant le vote des jeunes, de son refus de cesser de fournir des armes Ă IsraĂ«l et d'exiger un cessez-le-feu de la part de Netanyahou, qui a proclamĂ© qu'IsraĂ«l poursuivrait la guerre jusqu'Ă ce que tous les Ă©lĂ©ments du Hamas soient anĂ©antis. Et Netanyahou est soutenu dans sa dĂ©termination par une majoritĂ© d'IsraĂ©liens.
M. Biden peut considĂ©rer qu'il est essentiel de maintenir le cap pour remporter un second mandat, mais de nombreuses personnes trĂšs impliquĂ©es dans la collecte de fonds Ă haut niveau pour les dĂ©mocrates ne sont pas de cet avis. Ces initiĂ©s savent que l'ancien prĂ©sident Barack Obama, qui ne reconnaĂźtra jamais publiquement l'Ă©tendue de son insatisfaction, craint que les chances de gagner la course contre Trump ne s'amenuisent Ă moins d'un changement de stratĂ©gie, en commençant par convaincre Biden de renoncer Ă exercer sa mainmise sur les finances de la campagne. Ce geste serait un premier pas vers une meilleure gestion de le course Ă la prĂ©sidence - et peut-ĂȘtre mĂȘme un moyen de convaincre le prĂ©sident sortant de s'effacer.