đâđš Le projet de libĂ©ration de Julian Assange soumis par l'Australie, un vĂ©ritable casse-tĂȘte pour Joe Biden
Au-delĂ de la logique & de la justice, l'affaire Assange relĂšve maintenant de la politique amĂ©ricaine brute, une cause oĂč l'amitiĂ© officielle entre Ătats-Unis & Australie n'a pas lieu de prĂ©valoir.
đâđš Le projet de libĂ©ration de Julian Assange soumis par l'Australie, un vĂ©ritable casse-tĂȘte pour Joe Biden
Michelle Grattan, Professorial Fellow, University of Canberra, le 8 septembre 2023
Au-delĂ de la logique & de la justice, l'affaire Assange est devenue une question de politique amĂ©ricaine brute. La cause d'Assange est un domaine oĂč l'amitiĂ© officielle entre Ătats-Unis & Australie n'a pas lieu de prĂ©valoir.
Au cours de son mandat relativement bref en tant que premier ministre, Anthony Albanese a eu de nombreux contacts avec le président américain Joe Biden. Selon le cabinet du Premier ministre, M. Albanese a eu avec Biden quatre réunions officielles, deux réunions quadripartites et plusieurs autres discussions plus informelles. Les deux hommes se rencontreront à nouveau lors du G20 qui se tiendra ce week-end en Inde.
M. Biden accueillera Ă©galement M. Albanese pour une visite officielle Ă Washington le mois prochain.
Les relations entre le gouvernement travailliste et les Ătats-Unis sont fortes, tout comme celles, semble-t-il, entre les deux dirigeants. Mais la requĂȘte relativement timide (aux yeux des Australiens) de M. Albanese - pour que les AmĂ©ricains renoncent Ă extrader Julian Assange - est tombĂ©e dans lâoreille dâun sourd.
Dans le courant du mois, une délégation de parlementaires fédéraux se rendra à Washington pour faire pression, précédant la visite de M. Albanese. La composition de cette délégation reflÚte l'étendue du spectre politique sur la question. Elle comprend l'ancien leader des Nationals Barnaby Joyce, Tony Zappia (travailliste), Alex Antic (libéral), Monique Ryan (indépendante), ainsi que Peter Whish-Wilson et David Shoebridge, tous deux membres des Verts.
Le voyage est financĂ© par lâAssange Campaign. Le crowdfunding a attirĂ© plus de 800 donateurs et a permis de rĂ©colter quelque 65 000 dollars australiens pour couvrir le voyage.
Les parlementaires feront pression sur les membres du CongrĂšs, et cherchent Ă rencontrer des reprĂ©sentants su DĂ©partement d'Ătat et du DĂ©partement de la justice. L'ambassadeur d'Australie aux Ătats-Unis, Kevin Rudd, sâaffaire Ă organiser des rendez-vous. Le groupe s'entretiendra Ă©galement avec des organisations non gouvernementales telles que l'Union amĂ©ricaine pour les libertĂ©s civiles, la Fondation pour les droits individuels et l'expression, le ComitĂ© pour la protection des journalistes et Reporters sans frontiĂšres.
L'histoire d'Assange, désormais célÚbre.
La publication par WikiLeaks, en 2010, d'une mine de renseignements sur les activitĂ©s des Ătats-Unis en Irak et en Afghanistan, divulguĂ©s par Bradley (aujourd'hui Chelsea) Manning, alors officier du renseignement, a Ă©tĂ© trĂšs prĂ©judiciable aux AmĂ©ricains. Les documents ont Ă©tĂ© largement publiĂ©s dans le monde entier, y compris en Australie.
Assange s'est rĂ©fugiĂ© pendant des annĂ©es dans l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres. Finalement, il en a Ă©tĂ© expulsĂ©. Il est incarcĂ©rĂ© depuis des annĂ©es, dans une prison britannique, luttant devant les tribunaux pour tenter d'empĂȘcher son extradition.
M. Albanese estime que l'affaire Assange n'a que trop duré. Depuis l'élection du parti travailliste, les espoirs de rapatriement de M. Assange ont fluctué.
La dĂ©claration du secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain Antony Blinken, disant comprendre les sensibilitĂ©s des Australiens, mais qu'il Ă©tait âessentiel que nos amis australiens comprennent aussi nos inquiĂ©tudes Ă ce sujetâ, lors d'une confĂ©rence de presse en Australie avec la ministre des affaires Ă©trangĂšres Penny Wong en juillet dernier, a nâa pas vraiment montrĂ© dâintention particuliĂšre de lâadministration amĂ©ricaine dâabandonner les poursuites, bien au contraire.
âLes actes qu'il a commis portent gravement atteinte Ă notre sĂ©curitĂ© nationale, au profit de nos adversaires, et font courir un risque grave Ă des sources humaines nommĂ©es - un risque grave d'atteinte Ă leur intĂ©gritĂ© physique, et un risque grave de dĂ©tentionâ.
Des positionnements plus positifs de l'ambassade américaine à Canberra n'ont rien donné.
Selon toute logique, les Ătats-Unis ont affaibli leur propre dossier contre Assange avec la situation de Manning, dont la peine a Ă©tĂ© commuĂ©e par le prĂ©sident Barack Obama. Sur la base de ce prĂ©cĂ©dent, l'indulgence devrait certainement s'Ă©tendre Ă Assange.
En outre, il convient d'établir une distinction entre la fuite de documents officiels et la publication de ces documents, ce qui relÚve de la liberté des médias.
Joyce avance un autre argument : âL'extraterritorialitĂ© est un prĂ©cĂ©dent trĂšs dangereuxâ.
âJulian Assange n'a pas commis de crime en Australie - il a mĂȘme reçu le Prix Walkley [pour le journalisme de WikiLeaks]. Il n'est pas citoyen des Ătats-Unis. Il n'Ă©tait pas prĂ©sent aux Ătats-Unis concernant les divulgations en violation prĂ©sumĂ©e de la loi amĂ©ricaine.
Si les AmĂ©ricains peuvent extrader un Australien vers l'AmĂ©rique aprĂšs la prĂ©tendue violation dâune de leurs lois, mĂȘme s'il n'est pas citoyen et n'a jamais commis de crime en AmĂ©rique, Ă quand les requĂȘtes des Chinois ?â
Simon Jackman, expert en politique américaine à l'université de Sydney, estime que si la délégation est une bonne chose, car elle démontre l'ampleur du soutien à l'action, il souligne la difficulté de progresser avec les Américains.
Parmi les handicaps, citons le ressentiment trÚs fort à l'égard d'Assange au sein de l'establishment de la sécurité nationale américaine, et la situation politique à laquelle M. Biden est confronté.
Selon M. Jackman, l'affaire Assange a Ă©tĂ© confondue, dans le contexte de la sĂ©curitĂ© nationale, avec l'affaire Edward Snowden - le cas d'un contractant de la National Security Agency qui a divulguĂ© un grand nombre d'informations sur les Five Eyes [alliance des services de renseignement de l'Australie, du Canada, de la Nouvelle-ZĂ©lande, du Royaume-Uni et des Ătats-Unis], avec des retombĂ©es bien plus dommageables que la fuite de 2010.
Snowden se trouve aujourd'hui en Russie, aprÚs avoir échappé au systÚme judiciaire américain, incitant probablement les responsables de la sécurité nationale à se montrer encore plus déterminés à poursuivre Assange, explique M. Jackman.
Certains démocrates sont également trÚs opposés à M. Assange, à la suite de la publication par WikiLeaks de courriels préjudiciables à la candidature d'Hillary Clinton à l'élection présidentielle de 2016.
Le dĂ©putĂ© travailliste Julian Hill a mis en Ă©vidence un autre sĂ©rieux obstacle concernant les appels Ă lâaction lancĂ©s Ă M. Biden. Le ministĂšre de la Justice est le fer de lance de lâadministration amĂ©ricaine dans la poursuite d'Assange. M. Biden a longtemps tenu un discours ferme sur la nĂ©cessitĂ© de ne pas interfĂ©rer avec ce dĂ©partement. L'Australie lui demande de revenir sur ce principe - et ce Ă un moment oĂč le ministĂšre lance une procĂ©dure contre Donald Trump.
Au-delà de toute notion de logique ou de justice, l'affaire Assange est devenue une question de politique américaine brute. La période actuelle n'est pas propice aux démonstrations. Avec l'élection présidentielle se profilant dans l'année qui vient, et un enjeu de taille pour les démocrates, Joe Biden ne voudra rien faire qui puisse irriter sa base.
La cause d'Assange est, semble-t-il - du moins jusqu'Ă prĂ©sent - un domaine oĂč l'amitiĂ© officielle entre les Ătats-Unis et l'Australie n'a pas lieu de prĂ©valoir.