đâđš Le rĂ©dacteur en chef de Wikileaks: "le journalisme est gravement menacĂ©".
"Ce processus de persĂ©cution rĂ©vĂšle la vĂ©ritĂ© sur la lutte intense menĂ©e contre le journalisme honnĂȘte, contre la libertĂ© de la presse, contre toute personne qui menace les intĂ©rĂȘts des empires."
đâđš Le rĂ©dacteur en chef de Wikileaks: "le journalisme est gravement menacĂ©".
đ° Par Carolina Azevedo, le 30 novembre 2022
Kristinn Hrafnsson a rencontré Lula et d'autres dirigeants latino-américains pour obtenir un soutien politique dans l'affaire d'extradition de Julian Assange
Dans une interview accordĂ©e au Monde Diplomatique BrĂ©sil, l'Islandais Kristinn Hrafnsson, rĂ©dacteur en chef de Wikileaks, affirme que l'abandon des poursuites engagĂ©es par le gouvernement amĂ©ricain contre le journaliste Julian Assange est la seule chose qui puisse garantir la libertĂ© de la presse Ă un moment oĂč le journalisme est si gravement menacĂ©.
M. Hrafnsson a rencontrĂ© mardi dernier (29) le prĂ©sident Ă©lu Luiz InĂĄcio Lula da Silva, dans le but d'obtenir un soutien pour le cas d'Assange, dĂ©tenu dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh Ă Londres depuis 2019. En juin de cette annĂ©e, le gouvernement britannique a approuvĂ© l'extradition du journaliste vers les Ătats-Unis, oĂč il fait face Ă des accusations fondĂ©es sur l'Espionage Act, qui pourraient lui valoir 175 ans de prison, crĂ©ant ainsi un prĂ©cĂ©dent qui met en danger le travail des journalistes du monde entier.
đ Le Monde Diplomatique BrĂ©sil : Quelle menace l'extradition d'Assange vers les Etats-Unis fait-elle peser sur la dĂ©mocratie et la libertĂ© de la presse ?
đŁ Kristinn Hrafnsson: Cela reprĂ©sente une menace sĂ©rieuse. Toutes les grandes organisations de dĂ©fense des droits de l'homme reconnaissent cette menace, en raison du prĂ©cĂ©dent crĂ©Ă©. Si Julian est extradĂ© et que l'accusation portĂ©e contre lui va jusqu'Ă la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis, c'est qu'aucun journaliste dans le monde n'est Ă l'abri.
Comme il s'agit d'une persĂ©cution politique par nature, nous demandons instamment aux dirigeants politiques du monde entier de faire savoir aux Ătats-Unis que cette situation est inacceptable, que l'administration Biden doit abandonner les poursuites et libĂ©rer Julian Assange. Les enjeux sont trop importants et les Ătats-Unis doivent agir conformĂ©ment Ă leurs propres principes, qu'il s'agisse du premier amendement de la constitution ou de la libertĂ© de la presse. Ils ne peuvent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme une nation crĂ©dible s'ils attaquent la libertĂ© de la presse Ă l'Ă©chelle mondiale avec cette action contre Julian Assange.
đQue souhaitez-vous accomplir en parlant aux dirigeants d'AmĂ©rique latine lors de ce voyage ?
đŁ Notre tournĂ©e en AmĂ©rique latine vise Ă attirer l'attention des dirigeants politiques, mais aussi des organisations de dĂ©fense des droits de l'homme et des lĂ©gislateurs sur le cas d'Assange. Il s'agit d'un appel trĂšs large, mais lorsque nous parlons de la libertĂ© d'expression et de la libertĂ© de la presse, chacun comprend qu'il doit participer, mĂȘme si son objectif principal est de lutter pour l'environnement, l'Ă©galitĂ© des sexes ou toute autre question, car si vous ne pouvez pas en parler, c'est la fin de la bataille.
L'objectif est d'attirer l'attention des dirigeants de la rĂ©gion pour leur demander d'inciter l'administration Biden Ă abandonner les poursuites. Il s'agit d'essayer d'imposer cela sur un front politique, car il n'y a pas moyen de traiter l'affaire comme s'il s'agissait d'une question purement juridique. Nous l'avons vu dans les tribunaux de Londres et, Ă mon avis, il n'y a pas de justice Ă y rendre. J'ai examinĂ© toutes les procĂ©dures des tribunaux de Londres dans l'affaire d'extradition, et j'en conclus que nous devons la dĂ©placer lĂ oĂč les dĂ©cisions sont prises.
Un prisonnier politique en pleine persĂ©cution politique reprĂ©sente un problĂšme qui ne peut ĂȘtre rĂ©solu que par des moyens politiques, et c'est le travail de l'administration Biden. C'est lui qui doit faire ce pas et revenir Ă la position de l'administration Obama, et non pas se contenter de l'hĂ©ritage de Donald Trump, car c'est Trump qui a fait ce pas dĂ©cisif de poursuivre Julian Assange, alors que l'administration Obama avait dĂ©cidĂ© de ne pas le faire en raison des graves implications de la libertĂ© de la presse et du Premier Amendement de la Constitution. Il s'agit d'une mission urgente, et le temps presse.
đ Bien que Trump ait perdu l'Ă©lection, Assange est toujours menacĂ© par le gouvernement amĂ©ricain, Biden lui-mĂȘme l'ayant qualifiĂ© de terroriste par le passĂ©. Vous attendiez-vous Ă une attitude diffĂ©rente de sa part en tant que dĂ©mocrate ? Y a-t-il plus de marge de manĆuvre pour nĂ©gocier qu'il n'y en a eu avec Trump ces derniĂšres annĂ©es ?
đŁ Il y a deux problĂšmes dans ce contexte. Vous faites rĂ©fĂ©rence Ă une dĂ©claration faite par le vice-prĂ©sident de l'Ă©poque, M. Biden, au moment oĂč Wikileaks exposait des secrets amĂ©ricains. Cela a amenĂ© de nombreuses personnes Ă s'exprimer durement au sujet d'Assange, y compris Biden, mais nous avons Ă©galement vu des personnes au cours des 12 derniĂšres annĂ©es ayant reconsidĂ©rĂ© leurs positions en constatant les implications de cette persĂ©cution.
J'insiste sur le fait qu'aujourd'hui (28) marque le 12e anniversaire du Cablegate - lorsque WikiLeaks a publiĂ© des cĂąbles classifiĂ©s envoyĂ©s au dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain. Ă cette Ă©poque, nos cinq partenaires mĂ©diatiques initiaux, Ă savoir Le Monde, El PaĂs, Der Spiegel, The Guardian et le New York Times, ont publiĂ© une dĂ©claration Ă©ditoriale commune appelant au retrait des accusations portĂ©es contre Julian Assange. Ils avaient dĂ©jĂ rejoint notre camp.
Le deuxiĂšme point que je souhaite aborder concerne un Ă©lĂ©ment qui n'a peut-ĂȘtre pas fait l'objet d'une grande attention : il y a quelques semaines, le procureur gĂ©nĂ©ral des Ătats-Unis, Merrick Garland, a publiĂ© de nouvelles directives Ă l'intention du ministĂšre de la justice sur la maniĂšre de traiter les mĂ©dias, ce qui implique un revirement majeur par rapport Ă la position prĂ©cĂ©dente dĂ©limitĂ©e sous Donald Trump. Le document implique la reconnaissance de l'importance pour les journalistes de pouvoir travailler en toute sĂ©curitĂ© avec des sources et des lanceurs dâalerte.
Nombreux sont ceux qui ont fait remarquer que ces nouvelles directives indiquent que l'affaire Julian Assange n'aurait jamais dû avoir lieu. La démarche de l'administration Biden est donc la suivante: Donald Trump est allé trop loin dans sa gestion de l'affaire Assange. Cela signifie que la liberté de la presse est une nécessité, et que l'abandon des poursuites contre Julian est la seule chose qui la garantisse.
đ Comment va Assange en ce moment ? Selon certaines informations, son Ă©tat de santĂ© s'aggrave. En quoi cela change-t-il les actions que vous avez organisĂ©es pour sa libertĂ© ?
đŁ Cela ne fait qu'intensifier l'urgence. Nous parlons d'une Ă©valuation mĂ©dicale faite il y a deux ans par les professionnels les plus Ă©minents du Royaume-Uni, prĂ©sentĂ©e aux tribunaux, et qui n'a mĂȘme pas Ă©tĂ© contestĂ©e par les juges. Ils sont d'accord avec l'Ă©valuation selon laquelle l'affaire contre Julian reprĂ©sente une menace majeure pour sa vie. Sa santĂ© mentale et physique s'est dĂ©tĂ©riorĂ©e au point qu'il risque de sâĂŽter la vie, et il est clair que les choses ne se sont pas amĂ©liorĂ©es depuis. Il est toujours piĂ©gĂ© dans un donjon immonde dans le sud-est de Londres. Le seul journaliste en prison politique en Europe occidentale, voilĂ l'hĂ©ritage honteux du Royaume-Uni en ce moment.
Il a passé la majeure partie des douze derniÚres années privé de liberté, d'abord en résidence surveillée, puis pendant sept ans dans une petite ambassade sans accÚs à la lumiÚre du soleil ou à un jardin, et maintenant depuis plus de trois ans et demi dans une prison de haute sécurité à Londres, parmi des terroristes et des meurtriers. Nous parlons d'un intellectuel, d'un journaliste et d'un éditeur. C'est absolument inacceptable, et sa santé est dans un état grave, ce qui accroßt l'urgence de mettre fin à cette situation.
đ Quel est l'hĂ©ritage d'Assange et de Wikileaks, et que cela change-t-il s'il est extradĂ©?
L'hĂ©ritage de Wikileaks est irrĂ©prochable. Il s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre un Ă©norme service pour le journalisme du 21Ăšme siĂšcle, inspirant et Ă©tendant de nouvelles approches. Nous avons produit plus d'histoires primĂ©es que les grandes organisations mĂ©diatiques ne pourraient en rĂȘver, donc l'hĂ©ritage est lĂ . Il consiste Ă simplement fournir la vĂ©ritĂ©, comme tous les journalistes devraient le faire.
La rĂ©action au procĂšs d'Assange, en revanche, raconte une histoire encore bien plus importante : les dix derniĂšres annĂ©es passĂ©es dans le cadre de ce processus de persĂ©cution rĂ©vĂšlent la vĂ©ritĂ© sur la lutte intense menĂ©e contre le journalisme honnĂȘte, contre la libertĂ© de la presse, contre toute personne qui menace les intĂ©rĂȘts des empires.
đ Comment Ă©valuez-vous la situation actuelle de la libertĂ© de la presse dans le monde?
Nous vivons un moment trĂšs prĂ©caire pour la libertĂ© de la presse. Le journalisme est sĂ©rieusement menacĂ© sur de nombreux fronts, surtout si l'on considĂšre que ces derniĂšres annĂ©es, nous avons traversĂ© des pĂ©riodes du Covid et de la guerre, ce qui met la pression sur les journalistes pour qu'ils fassent leur travail correctement. Nous avons mĂȘme des pressions internes, de la part des militaires et des services de renseignement qui utilisent la dĂ©sinformation comme une arme.
Sur le plan juridique, les dĂ©fis s'accumulent Ă©galement. Le journalisme est menacĂ© dans de nombreuses rĂ©gions du monde et la situation ne s'amĂ©liore pas. En raison de ces dĂ©fis, je pense qu'il est trĂšs important de faire un pas dans la bonne direction et de crĂ©er un tournant dans la rĂ©sistance. Cette Ă©tape est la libĂ©ration de Julian Assange, et je peux garantir qu'il peut, en tant qu'intellectuel, participer Ă une discussion puissante sur la voie Ă suivre pour garantir les intĂ©rĂȘts de la presse dans le monde.
* Carolina Azevedo fait partie de l'Ă©quipe du Monde Diplomatique Brasil.
https://diplomatique.org.br/editor-do-wikileaks-o-jornalismo-esta-sob-grave-ameaca/