đâđš Le Royaume-Uni fera-t-il pression sur IsraĂ«l face Ă la terreur exercĂ©e par les colons illĂ©gaux en Cisjordanie ?
C'est partout la mĂȘme histoire: âIls ont pointĂ© une arme sur ma femme & les enfants, ont volĂ© mon tĂ©lĂ©phone & m'ont battu. Il suffit d'Ă©voquer les soldats pour que les enfants se mettent Ă tremblerâ.
đâđš Le Royaume-Uni fera-t-il pression sur IsraĂ«l face Ă la terreur exercĂ©e par les colons illĂ©gaux en Cisjordanie ?
Par Peter Oborne*, le 9 novembre 2023
Peter Oborne se trouve Ă HĂ©bron, dans le sud de la Cisjordanie occupĂ©e par IsraĂ«l, oĂč les colons illĂ©gaux, soutenus par l'armĂ©e israĂ©lienne, chassent les Palestiniens de leurs terres en toute impunitĂ©.
C'est la mĂȘme histoire dans tous les villages : âIls ont pointĂ© une arme sur ma femme, sur les enfants, m'ont battu, ont volĂ© mon tĂ©lĂ©phone. Il suffit de parler des soldats aux enfants pour qu'ils se mettent Ă trembler.â
C'est la mĂȘme histoire dans tous les villages du sud des collines d'HĂ©bron.
Les colons israéliens s'emparent du bétail, détruisent les réservoirs d'eau, brisent les panneaux solaires, rasent les dépendances et détruisent les oliveraies dont les agriculteurs palestiniens dépendent pour leur subsistance.
Ils arrivent à l'improviste armés de mitrailleuses M16 dont ils se servent sans retenue. Ils frappent les villageois avec des barres de fer, des bùtons, leurs poings, la crosse de leurs fusils.
Ils agressent les femmes et les personnes ùgées.
Ils pénÚtrent dans les maisons palestiniennes en détruisant les installations et le mobilier, en volant l'argent, détruisant les papiers, renversant les meubles.
Ils tirent pour tuer. Beaucoup portent des uniformes militaires.
Ils ont imposé un rÚgne de terreur. Ils sont soutenus par l'armée israélienne.
Le message qu'ils adressent aux Palestiniens est toujours le mĂȘme : sortez ou vous serez tuĂ©s.
Alors que les colons armés agissent en toute impunité, les Palestiniens sont sans défense.
Cernés
Avec un guide, je suis arrivé en début d'aprÚs-midi dans la communauté agricole de She'b Al-Butom, forte de 300 personnes.
Le village est surplombĂ© par les deux âavant-postesâ d'Avigay, ainsi que par une autre colonie, Mitzbeh. She'b Al-Butom est encerclĂ©.
Le village assiégé est situé au bout d'une longue piste caillouteuse qui a mis à mal notre 4x4.
J'ai été accueilli par un enfant traumatisé qui a grimacé. Il était terrifié par la présence d'un étranger aprÚs ce dont il avait été témoin au cours des derniÚres semaines.
âIls ont pointĂ© une arme sur ma femme, m'ont battu, ont volĂ© mon tĂ©lĂ©phone et ont pointĂ© leurs armes sur les enfantsâ
Un groupe d'agriculteurs nous a servi du thé. Ils nous ont raconté que peu aprÚs le 7 octobre, quatre colons armés sont entrés dans le village, ont infligé des dégùts mineurs et sont repartis.
Pendant quelques jours, les colons se sont concentrés sur les propriétés isolées, rasant les maisons et détruisant les bùtiments agricoles, forçant les habitants à fuir.
Trois jours plus tard, les colons, tous vĂȘtus d'uniformes militaires, sont revenus. Cette fois, ils ont battu plusieurs villageois et saccagĂ© leurs anciennes maisons en pisĂ©.
Vendredi soir dernier, ils sont revenus. Ils ont attaqué des villageois, dont un homme de 72 ans.
Chaque fois que les colons reviennent, ils ordonnent aux villageois de partir.
Khalid Jibril, un agriculteur local, m'a raconté :
âIls ont pointĂ© une arme sur ma femme, m'ont battu, ont volĂ© mon tĂ©lĂ©phone et ont pointĂ© leurs armes sur les enfantsâ. Khalid Jibril, qui porte un keffieh, a ajoutĂ© : âIl suffit de parler des soldats aux enfants pour qu'ils se mettent Ă trembler.â
La Nakba se répÚte
Pour les Palestiniens, il s'agit d'une réplique de la Nakba de 1948, lorsque 750 000 personnes ont été chassées de chez elles pour ne plus jamais y revenir. Comme aujourd'hui, ils ont été chassés dans un contexte de violence massive.
Alors que nous quittions les collines du sud d'Hébron, les colons ont imposé leurs conditions.
à Um Al-Khair, un minuscule village flanqué de tous cÎtés par des colons israéliens, les colons leur ont demandé de hisser un drapeau israélien avant 19 heures la veille au soir, sous peine de voir leurs maisons détruites.
On nous a dit que la veille, des colons avaient incendiĂ© la maison d'un agriculteur. Lorsque les victimes ont appelĂ© la police, on leur a dit : âVous ĂȘtes des menteurs, on va venir vous arrĂȘterâ.
Dans la localitĂ© voisine de Tuwani, les villageois ont reçu l'ordre de partir. Les colons leur ont dit : âAllez en villeâ. Le patriarche du village, Hafez Hureini, s'est montrĂ© dĂ©terminĂ© : âNon, jamais. Rien ne me fera quitter ma maisonâ.
Certains villages ont déjà cédé à la pression. La communauté de Khirbet Zanufah, forte de 250 personnes et située dans les collines du sud d'Hébron, a fui toute entiÚre. Selon l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem, 13 communautés d'éleveurs ont été déplacées au cours du mois dernier.
Les colons appliquent un plan qui n'a rien de secret.
Les partis d'extrĂȘme droite
Ă la fin de l'annĂ©e derniĂšre, le Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahou a sauvĂ© sa peau en formant une coalition avec deux partis politiques d'extrĂȘme droite.
Le premier Ă©tait Otzma Yehudit (âPuissance juiveâ), dirigĂ© par Itamar Ben Gvir, un raciste avĂ©rĂ© qui a accrochĂ© un portrait de Baruch Goldstein - le meurtrier de masse qui a perpĂ©trĂ© le massacre de 29 Palestiniens Ă la mosquĂ©e Ibrahim d'HĂ©bron en 1994 - dans son bureau jusqu'Ă ce qu'il se lance en politique en 2020.
Ben Gvir est aujourd'hui chargĂ© du maintien de l'ordre en Cisjordanie en tant que ministre de la SĂ©curitĂ© nationale de M. Netanyahou. Ă ce titre, il a fait en sorte que des fusils d'assaut soient distribuĂ©s aux âĂ©quipes de sĂ©curitĂ© civileâ. Lorsqu'il le peut, il supervise personnellement la distribution.
M. Netanyahou a Ă©galement introduit le parti sioniste religieux, dirigĂ© par le pyromane d'extrĂȘme droite Bezalel Smotrich. Il lui a confiĂ© le poste convoitĂ© de ministre des Finances, mais Smotrich s'est efforcĂ© d'obtenir un poste plus prestigieux.
L'article 21 de l'accord de coalition de dĂ©cembre dernier accorde Ă Smotrich âl'entiĂšre responsabilitĂ©â de la zone C de la Cisjordanie.
La zone C est sous le contrÎle total des militaires et des civils israéliens, conformément aux accords d'Oslo de 1993. Elle représente environ 60 % de la superficie de la Cisjordanie, y compris les villages isolés des collines du sud d'Hébron.
Environ 350 000 Palestiniens vivent dans la zone C, ainsi que 500 000 colons israéliens, tous illégaux au regard du droit international.
L'accord de coalition a spĂ©cifiquement placĂ© Smotrich, qui se dĂ©crit lui-mĂȘme comme un âhomophobe fascisteâ, en charge de la soi-disant âadministration civileâ de la Cisjordanie.
Le droit militaire
L'expression âadministration civileâ est toutefois un terme orwellien. Alors que les colons jouissent de tous les droits en tant que citoyens israĂ©liens, les Palestiniens sont rĂ©gis par le droit militaire israĂ©lien.
Au mieux, ils sont soumis aux jugements bureaucratiques arbitraires des autorités militaires israéliennes, mais avec Smotrich aux commandes, ils n'ont aucun droit.
L'administration civile dirigée par Smotrich lui confÚre un contrÎle total sur presque tous les aspects de la vie des Palestiniens. Smotrich et Ben Gvir se partagent la Cisjordanie comme un terrain de jeu.
"Le message des colons aux Palestiniens est le suivant : partez ou vous serez tués"
Leurs plans n'ont jamais Ă©tĂ© tenus secrets. Ils sont Ă©noncĂ©s trĂšs explicitement dans les principes fondateurs de l'accord de coalition, qui stipule que âle peuple juif jouit d'un droit exclusif et incontestable sur toutes les parties de la terre d'IsraĂ«lâ.
En d'autres termes, l'annexion de la Cisjordanie occupĂ©e, au mĂ©pris des dĂ©clarations britanniques et amĂ©ricaines en faveur d'une âsolution Ă deux Ătatsâ.
Bien avant le 7 octobre, Ben Gvir et Smotrich, qui ont demandĂ© que la ville palestinienne de Howara, thĂ©Ăątre d'un pogrom de colons, soit âanĂ©antieâ, travaillaient d'arrache-pied Ă la mise en pratique de leurs idĂ©es.
Aujourd'hui, leur vision autorise un assaut massif des colons. Le message des colons aux Palestiniens est le suivant : âPartez ou on vous tueraâ.
âEn attendant la grande Nakbaâ
Les habitants du village de Deir Istiya, en Cisjordanie, ont reçu des lettres d'avertissement dĂ©clarant : âVous vouliez la guerre, patientez jusqu'Ă la grande Nakbaâ - et leur ordonnant de fuir vers la Jordanie.
Je me suis rendu en bus dans ce village, situé dans les collines surplombant l'ancienne ville palestinienne de Naplouse, pour rencontrer Faraz Diab, maire de la commune.
Il m'a dit qu'un groupe Telegram appelĂ© âNazi huntersâ [les âchasseurs de nazisâ] faisait circuler ses coordonnĂ©es, y compris une photo, de façon menaçante. âIls devraient ĂȘtre enfermĂ©sâ, dit-il, mais il y a peu de chances que cela se produise.
L'agence humanitaire des Nations unies OCHA a déclaré le 6 novembre que depuis le 7 octobre, 147 Palestiniens, dont 44 enfants, ont été tués par les forces israéliennes en Cisjordanie, et que huit autres, dont un enfant, ont été tués par des colons.
Le communiqué ajoute :
âDepuis le 7 octobre, au moins 111 mĂ©nages palestiniens comprenant 905 personnes, dont 356 enfants, ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s du fait des violences des colons et des restrictions d'accĂšsâ.
âPartezâ
Outre la tragédie humaine, il s'agit d'une catastrophe mondiale. Les agriculteurs, les éleveurs et les tribus bédouines nomades vivent dans les collines et les vallées accidentées de la Cisjordanie depuis des temps immémoriaux.
Ils ont largement précédé les colons israéliens, arrivés au cours des 50 derniÚres années. S'ils sont chassés d'un mode de vie ancestral comportant leurs propres traditions musicales, l'histoire et la littérature disparaßtront avec eux.
Leurs moyens de subsistance sont basés sur la terre et les saisons, les éleveurs allant des pùturages de l'estive des collines aux pùturages d'hiver de la vallée du Jourdain, aujourd'hui interdite d'accÚs.
Beaucoup ne partiront pas. Vendredi dernier, raconte Khalid Jibril, les colons ont lancé un ultimatum.
âPartez, ou on vous tuera. Et on tuera aussi vos enfants. Comme on l'a fait pour les enfants de Gazaâ.
Khalid a déjà été battu par les colons. Il leur a dit :
âNos enfants ne sont pas supĂ©rieurs aux enfants de Gaza. Si vous devez le faire, venez et faites-le. Nous ne partirons pas.â
Pour le mouvement des colons israĂ©liens, avec les forces de dĂ©fense israĂ©liennes Ă leurs cĂŽtĂ©s, c'est le moment ou jamais. Le dĂ©placement forcĂ© d'un peuple occupĂ© est un crime de guerre, mais le gouvernement britannique n'a rien trouvĂ© d'autre que l'habituel âappelâ Ă IsraĂ«l pour âdemander des comptes aux responsablesâ.
Ce silence est remarquable. En temps normal, Diane Corner, la consule générale britannique à Jérusalem, émet des condamnations fermes - mais impuissantes - de la violence des colons.
Alors que les attaques se sont transformées en un rÚgne de terreur à travers la Cisjordanie, elle n'a rien trouvé à dire.
J'ai contacté Mme Corner sur Twitter, expliquant que je préparais un reportage sur les atrocités commises par les colons en Cisjordanie, y compris les déplacements forcés. J'ai fait remarquer qu'en temps normal, le consul britannique n'hésitait pas à condamner ces atrocités. Je lui ai demandé pourquoi elle s'était tue.
Au moment oĂč Declassified UK prĂ©parait cet article pour publication, aucune rĂ©ponse n'a Ă©tĂ© fournie.
En l'absence d'explication, je suppose que Diana Corner, une femme honnĂȘte et bien informĂ©e, a reçu l'ordre de se taire de la part d'un gouvernement britannique qui s'est engagĂ© Ă soutenir âsans Ă©quivoqueâ l'IsraĂ«l de Benjamin Netanyahou.
* Peter Oborne est journaliste et auteur. Son dernier livre s'intitule "Le destin d'Abraham : Pourquoi l'Occident se trompe sur l'Islam.