👁🗨 Le silence autour d'Imran Khan
Comment imaginer un autre pays que le Pakistan, où des milliers de gens de la classe moyenne deviendraient subitement des prisonniers politiques, sans susciter la moindre condamnation internationale ?
👁🗨 Le silence autour d’Imran Khan
Par Craig Murray, @CraigMurray.Org, le 9 août 2023
Le Pakistan a imposé un black-out médiatique autour du Premier ministre déchu et les milliers de nouveaux prisonniers politiques incarcérés dans des conditions épouvantables. Les condamnations au Royaume-Uni et aux États-Unis sont restées muettes.
Compte tenu de l'importance de la population d'origine pakistanaise au Royaume-Uni, l'absence de couverture médiatique sérieuse du renversement et de l'incarcération d'Imran Khan, ainsi que de l'emprisonnement massif de ses partisans, est tout à fait scandaleuse.
La semaine dernière, Imran Khan a été condamné à trois ans de prison - et à une interdiction de toute activité politique pendant cinq ans - pour détournement présumé de cadeaux officiels. Cette condamnation fait suite à sa destitution du poste de Premier ministre à la suite d'un coup d'État organisé par la CIA, et à une campagne de violence et d'emprisonnement à l'encontre de M. Khan et de ses partisans.
Il est actuellement illégal au Pakistan de publier ou de diffuser des informations sur Khan ou sur les milliers de nouveaux prisonniers politiques incarcérés dans des conditions épouvantables. Les gouvernements britannique et américain n'ont pas protesté.
Imran Khan est très certainement l'homme politique de haut rang le moins corrompu de l'histoire du Pakistan - je reconnais que la barre n'est pas bien haute. La politique pakistanaise est - dans une mesure trop peu comprise en Occident - littéralement féodale. Deux dynasties, les Sharifs et les Bhuttos, ont alterné au pouvoir, dans une rivalité parfois mortelle, ponctuée par des périodes de régime militaire dans un climat plus ouvert.
Il n'y a pas de véritable fossé idéologique ou politique entre les Sharifs et les Bhuttos, bien que ces derniers aient une plus grande prétention intellectuelle. Il s'agit uniquement de contrôler les ressources de l'État. L'arbitre du pouvoir a en réalité été l'armée, et non l'électorat. Ils ont maintenant remis les Sharifs au pouvoir.
L'incroyable percée d'Imran Khan lors des élections à l'Assemblée nationale de 2018 a bouleversé la vie politique traditionnelle au Pakistan. En remportant la pluralité du vote populaire et le plus grand nombre de sièges, le parti PTI de Khan est passé de moins de 1 % des voix en 2002 à 32 % en 2018.
Les dates sont importantes. Ce ne sont pas les exploits de Khan au cricket qui l'ont rendu politiquement populaire. En 2002, alors que son génie du cricket était beaucoup plus présent dans les esprits qu'il ne l'est aujourd'hui, il était considéré comme un candidat de pacotille.
En fait, c'est la franche opposition de Khan à voir les États-Unis faire du Pakistan leur base, et en particulier son exigence de mettre fin aux centaines de terribles frappes de drones américains au Pakistan, qui lui a valu une forte popularité.
L'armée pakistanaise l'a suivi. La raison n'est pas difficile à comprendre. Étant donné le degré de haine que les États-Unis ont suscité par leurs assassinats par drone, les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak et les horribles abus de torture dans le cadre de la "guerre contre le terrorisme", il n'était provisoirement pas dans l'intérêt de l'armée pakistanaise de mettre en avant sa collaboration étroite avec la C.I.A. et l'armée américaine.
Une soupape de sûreté
L'ISI, le service de sécurité pakistanais, a trahi Oussama Ben Laden au profit des États-Unis, ce qui n'a guère redoré le blason de l'armée et des services de sécurité. Imran Khan était considéré comme la soupape de sécurité utile. On pensait qu'il pourrait canaliser l'anti-américanisme insurrectionnel et l'enthousiasme islamique qui balayaient le Pakistan, pour en faire un gouvernement acceptable pour l'Occident.
Au pouvoir, Khan s'est révélé beaucoup plus radical que ne l'espéraient la C.I.A., les conservateurs britanniques et les militaires pakistanais. La conviction qu'il n'était au fond qu'un play-boy dilettante fut rapidement battue en brèche. Une série de décisions de Khan a contrarié les États-Unis et menacé les revenus des hauts gradés corrompus de l'armée.
Khan ne s'est pas contenté de vouloir mettre un terme au programme américain de drones, il l'a réellement fait.
Khan a refusé les offres de grosses sommes d'argent, également associées au soutien des États-Unis pour un prêt du FMI, pour que le Pakistan envoie des forces terrestres pour soutenir la campagne aérienne saoudienne contre le Yémen. C'est ce que m'a dit l'un des ministres de M. Khan lors de ma visite en 2019, sous réserve d'une confidence devenue caduque.
Khan a ouvertement critiqué la corruption militaire et, acte le plus susceptible de précipiter un coup d'État de la C.I.A., il a soutenu le mouvement des pays en développement visant à sortir des échanges commerciaux du pétrodollar. Il a donc cherché à faire passer les fournisseurs de pétrole du Pakistan des États du Golfe vers la Russie.
Une attaque en règle
Le Guardian, principal porte-parole des néo-conservateurs au Royaume-Uni, a publié dimanche un article sur Khan si tendancieux que j'en ai eu le souffle coupé. Que diriez-vous d'un petit récit malhonnête ?
"... en novembre, un homme armé a ouvert le feu sur son convoi lors d'un rassemblement, le blessant à la jambe dans ce que ses assistants considèrent comme une tentative d'assassinat."
"Les assistants considèrent" : Qu'est-ce que cela veut dire ?
Khan se serait fait tirer dans les jambes pour une sorte de coup d'éclat ? Est-ce que c'est une blague ? Il ne s'est pas vraiment fait tirer dessus, mais il est tombé et s'est écorché un genou ? C'est vraiment du journalisme indigne.
Il est difficile de savoir si l'affirmation étonnante de l'article selon laquelle le mandat de M. Khan en tant que Premier ministre a entraîné une augmentation de la corruption au Pakistan reflète un mensonge délibéré, ou une ignorance crasse.
Je ne sais pas si Emma Graham-Harrison, l'auteur de l'article, s'est déjà rendue au Pakistan. Je soupçonne que ce qui s'en rapproche le plus est sa rencontre avec Jemima Goldsmith lors d'une soirée [Jemina Khan, ex-femme de l'homme politique pakistanais Imran Khan. Elle appartient à l'establishment anglais].
"Playboy", "dilettante", "misogyne" : l'article du Guardian est implacable. Il résume les arguments "libéraux" en faveur d'une intervention militaire dans les États musulmans, du renversement des gouvernements islamiques et de la conquête des pays islamiques, afin d'instaurer des normes occidentales, en particulier les principes du féminisme occidental.
Je pense que nous avons vu comment ce scénario s'est terminé en Irak, en Libye et en Afghanistan, entre autres. L'utilisation du mot "revendication" pour susciter la méfiance à l'égard de Khan dans l'article du Guardian est étudiée. Il "prétend" que les années qu'il a passées au Royaume-Uni l'ont incité à vouloir créer un État-providence au Pakistan.
Pourquoi ce commentaire serait-il douteux de la part d'un homme qui a consacré la majeure partie de sa fortune personnelle à la création et à la gestion d'un hôpital gratuit pour cancéreux au Pakistan ?
Les efforts de Khan pour écarter ou mettre à l'écart les généraux les plus corrompus, et ceux qui sont le plus ouvertement à la solde de la C.I.A., sont décrits par The Guardian comme "il a essayé de prendre le contrôle des principaux postes militaires et a commencé à s'insurger contre l'influence des forces armées sur la politique". Quel dérapage de sa part !
Des milliers de membres du parti politique de Khan sont actuellement en prison pour avoir rejoint un nouveau parti politique. La condamnation par l'establishment occidental a été inexistante.
Il est difficile d'imaginer un autre pays que le Pakistan où des milliers de personnes appartenant pour la plupart à la classe moyenne pourraient soudainement devenir des prisonniers politiques, sans susciter la moindre condamnation internationale. C'est bien entendu parce que le Royaume-Uni soutient le coup d'État contre Khan.
Mais je suis convaincu que cela reflète aussi en partie le racisme et le mépris dont fait preuve la classe politique britannique à l'égard de la communauté des immigrés pakistanais, contrastant fortement avec l'enthousiasme des ministres britanniques à l'égard de l'Inde de Modi.
N'oublions pas non plus que le New Labour [période de l'histoire du Parti travailliste britannique, associée au courant du blairisme, qui s'étend du milieu des années 1990 au début des années 2000 sous les leaderships de Tony Blair et Gordon Brown] n'a jamais été l’ami de la démocratie au Pakistan, et que le gouvernement Blair fut extrêmement complaisant à l'égard de la dernière dictature militaire ouverte du Pakistan, sous la direction du général Pervez Musharraf.
* Craig Murray est un auteur, un diffuseur et un militant des droits de l'homme. Il a été ambassadeur britannique en Ouzbékistan d'août 2002 à octobre 2004 et recteur de l'université de Dundee de 2007 à 2010. Son blog dépend entièrement du soutien de ses lecteurs. Les abonnements permettant de maintenir ce blog en activité sont les bienvenus.
Cet article émane de CraigMurray.org.UK.
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